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Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
Du même auteur :
Le Contrat écologique pour l’Europe,
Les petits matins, 2009.
C’est pollué près de chez vous. Les scandales
écologiques en France, avec Wilfrid Séjeau,
Les petits matins, 2008.
Consommer responsable, Flammarion, 2008.
L’Économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas,
Les petits matins, 2007.

Pour consulter le site de Pascal Canfin :
www.europeecologie.eu/-Pascal-Canfin




Couverture : Thierry Oziel
Maquette : Stéphanie Lebassard
Ce livre a été imprimé sur papier recyclé Cyclus Offset.
© Les petits matins, 2012
31 rue Faidherbe, 75011 Paris
www.lespetitsmatins.fr
ISBN : 978-2-36383-000-5
Diffusion Seuil
Distribution Volumen
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous pays.
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
9 Introduction

   Première partie
17 « La crise financière, c’est pas nous »
21 « Les banques ne sont pas responsables de la crise
   de la zone euro »
26 « Ce n’est pas la faute des agences de notation.
   Casser le thermomètre ne réduit pas la fièvre »

   Deuxième partie
33 « Les banques françaises n’ont rien coûté aux
   contribuables »
36 « Les banques françaises sont plus régulatrices
   que les autres »
40 « Les banques françaises ne spéculent pas sur les dettes
   des États »
43 « Les banques françaises sont plus solides »

   Troisième partie
49 « Fixer des contraintes trop fortes aux banques pénalise
   l’économie, et donc l’emploi »
55 « L’accumulation de régulations nous étrangle »
57 « Si vous régulez trop, on partira s’installer ailleurs »

   Quatrième partie
66 « Les marchés financiers et leurs innovations facilitent
   le financement de l’économie »
71 « Les produits complexes sont utiles à l’économie car
   ils permettent de limiter les risques »
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
Le courage, c’est d’aller à l’idéal
      et de comprendre le réel.
                     Jean Jaurès




                     À Lol et Sol.
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
Introduction




« On s’est fait balader. » C’est ce que me disait
en 2009 le journaliste d’une grande radio qui
venait d’interviewer le patron de l’une des pre-
mières banques françaises. « Il nous a enfumés
en faisant des réponses techniques auxquelles
on n’a rien compris », poursuivait-il. « Se faire
balader », c’est un peu le sentiment de toute une
société qui, après la crise financière de 2008, a
pensé que le politique reprendrait la main sur
les marchés mais constate que c’est l’inverse
qui s’est produit. Alors que les États ont sauvé
les banques, jamais ils ne semblent avoir été
si contraints par ce qu’il est convenu d’appe-
ler « les marchés financiers », cet ensemble de
gestionnaires de fonds, de banques, de fonds
spéculatifs (les fameux hedge funds), d’agences
de notation, qui font la pluie et le beau temps. Et
qui, depuis quelques mois, défont et refont cer-
tains gouvernements.
  Ces acteurs financiers, je les côtoie tous les
jours en tant que député européen. Car les
règles qui les encadrent – ou justement ne
les encadrent pas assez – se décident pour
                                                  9
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


l’essentiel au niveau européen. Le Parlement
européen est en la matière codécideur avec les
États. Depuis deux ans, j’ai donc négocié – et je
négocie encore – les lois portant sur les fonds
spéculatifs, la rémunération des traders, la spé-
culation sur les dettes des États, les produits
dérivés, le droit des transactions financières,
les agences de notation, etc. Parfois, avec mon
groupe politique, celui des Verts, j’ai soutenu
la version finale des textes, parfois j’ai voté
contre. Car s’engager pleinement dans les né-
gociations ne signifie pas nécessairement sou-
tenir le résultat final.
   On me demande parfois pourquoi un écolo-
giste s’implique dans les questions financières.
Ma conviction est que la transition écologique
dont nous avons tant besoin pour transmettre
une planète vivable à nos enfants a besoin de la
finance. L’écologie, comme une certaine finance,
s’intéresse au long terme. Les réassureurs,
ceux qui paient en dernier lieu les dégâts liés
au changement climatique, par exemple, sont
les alliés des écologistes. Mais cette finance
de long terme, qui investit, croit en des projets
et les rend possibles, est absorbée par une fi-
nance uniquement centrée sur le court terme,
dont le mot d’ordre est « après moi le déluge ».
Transformer la finance est donc un combat pro-
fondément écologiste et humaniste.
   Depuis la crise financière de 2008, il est
clair que, derrière des questions apparemment

10
INTRODUCTION


techniques réservées à des débats d’experts,
se cachent des choix politiques ayant un impact
sur l’ensemble de la société et sur le quotidien
de chacun d’entre nous. Pendant les trente der-
nières années, les responsables politiques – de
droite, mais aussi trop souvent de gauche – ont
sciemment abrogé les unes après les autres les
règles encadrant les activités financières. Par
pure idéologie, ils ont laissé se développer une
créature monstrueuse qui a totalement échappé
à leur contrôle. Mais la crise financière qui a ex-
plosé en 2008 est un démenti cinglant à tous les
chantres de l’autorégulation des marchés. Elle
constitue donc une opportunité historique pour
sortir de l’opacité les débats sur la finance et en
faire une affaire de citoyens. Car tout le monde
est concerné par la façon dont fonctionne – ou
plutôt dysfonctionne – le système financier.
  Dans les nombreux débats auxquels je par-
ticipe en France comme en Europe, je n’ai pas
encore rencontré de citoyens qui ne veulent
pas que la finance soit plus et mieux encadrée.
Mais très peu savent comment les décisions
sont prises, quelles positions le gouvernement
français défend vraiment à Bruxelles, quelles
réformes sont réellement réalisables pour
reprendre la main sur la finance… C’est pour
éclairer ce processus et contribuer au débat dé-
mocratique sur ces questions si déterminantes
pour notre avenir que j’ai écrit ce livre, tiré de
mon expérience de député européen.

                                                 11
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


   Pour raconter cette histoire, j’ai choisi de
répondre aux arguments que j’entends tous
les jours, que vous entendez aussi de la part
des grands acteurs des marchés financiers : si
l’Europe met en place telle ou telle règle, nous
délocaliserons, ou nous arrêterons de financer
l’économie, ou nos talents iront ailleurs. Et puis
les banques françaises sont différentes, plus
responsables, elles ne spéculent pas contre les
dettes souveraines, elles respectent les règles
sur les bonus, elles financent les entreprises.
   Tout dans ce discours n’est pas faux. Mais,
pour l’essentiel, il est loin d’être vrai. Le pro-
blème est que ni les citoyens ni la plupart des
journalistes et des responsables politiques ne
sont capables d’identifier le vrai du faux, de
faire la différence entre la contrainte réelle et la
pure intox. Car le lobbying effréné de l’industrie
financière ne s’embarrasse pas de détails. Il a
longtemps bénéficié d’un monopole. En face de
lui, aucun contre-pouvoir n’existait. La donne a
commencé à changer avec la création en sep-
tembre 2011 de l’ONG Finance Watch, dont je
suis à l’origine avec d’autres députés européens.
   Je présente enfin, dans la perspective de
l’alternance en France en 2012, un bouquet de
dix réformes clés pour changer la finance. Mon
expérience de député européen m’a donné une
certitude : la France pourrait faire beaucoup
plus, même dans le cadre européen actuel.
Et l’histoire selon laquelle notre pays serait le

12
INTRODUCTION


fer de lance mondial de la régulation du capi-
talisme est une belle fable à usage interne. Ce
bouquet de mesures implique un changement
de gouvernement en France. Mais aussi une
certaine implication de la société civile. C’est
pourquoi ce livre n’est pas écrit pour les spé-
cialistes, mais justement pour tous ceux qui ne
se sentent pas suffisamment armés pour com-
prendre la façon dont la finance fonctionne et
les vraies marges de manœuvre dont, nous, les
responsables politiques, disposons pour autant
que nous ayons la volonté d’agir. S’approprier
les questions financières est une des clés pour
sortir de la crise. Car sans démocratisation de la
finance, nous assisterons à la financiarisation
de la démocratie.
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
Première partie
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
« La crise financière, c’est pas nous »

Combien de fois ai-je entendu cet argument
depuis mon arrivée au Parlement européen en
2009 ? Aussi étonnant que cela puisse paraître,
à écouter les banquiers, assureurs et autres
gestionnaires de hedge funds, les responsables
de la crise seraient toujours… les autres. Des
« autres » qui varient bien sûr en fonction des
interlocuteurs. Et une posture qui justifie toute
opposition à davantage de réglementations.
Lorsque, en 2009, l’Europe s’est engagée dans
l’encadrement de l’activité des fonds spécula-
tifs, les gérants de ces fonds affirmaient qu’ils
n’avaient rien à voir avec la crise et que celle-
ci était causée par les prêts irraisonnés des
banquiers. Lorsque la Commission européenne
a tenté, en 2010, de renforcer les règles enca-
drant les assureurs, ceux-ci ont répliqué qu’ils
n’avaient rien à voir avec les banques et que
leur modèle était différent, oubliant que la crise
de 2008 avait mené à la quasi-faillite du pre-
mier assureur mondial, AIG. Lorsque, depuis
2011, l’Europe s’attaque à la réglementation
des risques pris par les banques, la réponse de
leurs dirigeants est de dire que ce ne sont pas

                                                17
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


les banques européennes qui sont en cause,
mais les errements de la finance américaine, à
l’origine des produits toxiques comme les prêts
subprimes, feignant d’oublier les centaines de
milliards d’euros d’argent public déversés pour
sauver certains de leurs établissements.
   C’est donc toujours la faute des autres. Et sur-
tout… de l’État et des superviseurs publics qui
n’ont pas fait leur travail. Un comble quand on
connaît l’acharnement de ces mêmes acteurs
financiers à tout faire pour que ces autorités
n’aient justement pas trop de pouvoirs !
   La réalité est qu’il n’y a pas un responsable
unique de la crise mais bien un enchaînement
de mécanismes justifiant une nouvelle régle-
mentation de l’ensemble des activités finan-
cières. Si les fonds spéculatifs possèdent une
telle force de frappe, c’est bien parce que les
banques leur prêtent de l’argent. Si les pro-
duits subprimes ont été notés triple A par les
agences de notation, c’est bien parce que
celles-ci nagent en plein conflit d’intérêts. Si
les autorités de supervision publiques n’ont pas
voulu intervenir, c’est parce qu’elles sont en
partie captées par la défense des intérêts des
entreprises qu’elles sont chargées de contrôler
– comme cela se voit dans d’autres secteurs, les
médicaments par exemple.
   Il n’y a donc pas « un » responsable ni « une »
réforme magique. Chaque acteur a sa part de
responsabilité, et seul un nouvel ensemble de

18
PREMIÈRE PARTIE


règles permettra de contrôler à nouveau le sys-
tème financier. Or, plutôt que d’accepter cette
part de responsabilité et d’en tirer les consé-
quences, les acteurs financiers préfèrent se
défausser sur les autres. Cela prouve bien
l’absurdité et l’inefficacité de l’autorégulation,
pourtant toujours défendue par une partie de la
droite au Parlement européen.
   Ce combat pour une reprise en main de la
finance par le politique, je le mène tous les
jours au Parlement européen, au sein de la
Commission des affaires économiques et mo-
nétaires. Celui-ci est en effet au cœur du pro-
cessus sur ces sujets.
   Pour bien comprendre le reste de cet ou-
vrage, quelques précisions sur la façon dont
l’Europe fonctionne sont nécessaires. Lorsque
la Commission européenne veut encadrer les
agences de notation, les bonus ou les risques
pris par les banques, par exemple, elle fait une
proposition de directive ou de règlement : autre-
ment dit, elle propose une loi européenne. Elle
seule peut le faire puisque les traités européens
lui confèrent le monopole de l’initiative législa-
tive. Une fois présentée par la Commission, la
proposition de législation est modifiée paral-
lèlement par le Conseil, qui réunit les États, et
par le Parlement européen. S’engage ensuite
une négociation entre le Parlement et le Conseil
pour aboutir à un texte unique validé par les
deux institutions. Au sein du Parlement, ce

                                                19
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


sont les députés de la Commission des affaires
économiques et monétaires, où je siège, qui
négocient. Chaque groupe politique désigne
un représentant. Des sept groupes politiques1,
seuls cinq sont vraiment actifs sur la régle-
mentation de la finance ; l’extrême droite et la
gauche communiste étant largement absentes,
de manière assez paradoxale pour cette der-
nière, il faut bien l’admettre. L’équipe de négo-
ciation du Parlement est donc constituée de
cinq personnes qui changent en fonction des
sujets mais se retrouvent souvent car les spé-
cialistes de la finance ne sont pas si nombreux.
  J’ai le privilège d’appartenir à ce petit groupe
de députés dont les travaux déterminent forte-
ment la capacité de l’Europe à se doter d’une
régulation financière ambitieuse. Comme le
Parlement européen est élu au scrutin propor-
tionnel, il n’y a pas, à la différence de l’Assemblée
nationale en France, de majorité et d’opposition
automatiques. Chaque loi doit trouver sa majo-
rité. Le groupe des Verts, le quatrième groupe
politique par sa taille, en fait parfois partie,
comme ce fut le cas pour les règles encadrant
les bonus ou l’interdiction de pratiques spécu-
latives contre les dettes des États. Et parfois,

1. Le PPE, où siègent les députés UMP ; le groupe libéral
(ADLE), où siègent les députés Modem ; le groupe socialiste
(S&D) ; les Verts européens (Verts/ALE) ; le GUE/NGL, où
siègent les députés communistes ; le groupe ELD (extrême
droite) ; le groupe des conservateurs britanniques (ECR).

20
PREMIÈRE PARTIE


après avoir tenté d’obtenir le meilleur texte pos-
sible, nous basculons dans l’opposition, comme
pour la loi portant sur les hedge funds.

     « Les banques ne sont pas responsables
     de la crise de la zone euro »

   Avant d’entrer dans la réglementation finan-
cière stricto sensu, commençons par la crise
de la zone euro. Les banques n’hésitent pas à
le clamer haut et fort : « Nous ne sommes pas
responsables de la crise de la zone euro. » À les
écouter, elles ne seraient que les victimes in-
nocentes de l’irresponsabilité des États. Qu’en
est-il vraiment ?
   Affirmons-le clairement : les banques ne
sont pas les seules responsables de la crise
de la zone euro, mais elles y ont leur part de
responsabilité.
   En premier lieu, ce sont les banques qui ont
financé les bulles immobilières qui plombent
aujourd’hui les pays en difficulté comme l’Es-
pagne ou l’Irlande, et qui pourraient bien ex-
ploser en France en 2012. Certes, le choix de
l’accession à la propriété pour tous est avant
tout politique. Nicolas Sarkozy rêvait en 2007
d’une France de propriétaires. Il plaidait dans
le numéro d’avril 2007 de Revue Banques, la
publication de la Fédération bancaire française
(FBF), pour transposer en France le crédit hypo-
thécaire qui marchait si bien… aux États-Unis et

                                                21
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


en Espagne ! Heureusement que les bulles ont
explosé dans ces pays avant que le Président
ne puisse engager la France dans cette voie
dramatique…
  Partout en Europe, les banques ont fait plus
qu’accompagner cette volonté politique, prêtant
sans se soucier de la capacité de l’emprunteur
à rembourser, nourrissant la bulle immobilière
et accumulant un niveau d’endettement jamais
atteint. Lorsque la bulle a explosé à partir de
2008, les banques se sont immédiatement
retrouvées fragilisées et il a fallu que les États
leur portent secours pour éviter un désastre
plus grand encore. C’est là la seconde respon-
sabilité des banques dans la crise actuelle.
  L’accumulation excessive de dette publique
ces trois dernières années s’explique non par
une soudaine gabegie des États, mais par une
intervention publique destinée à éviter une ré-
cession encore plus profonde et à sauver les
banques. Ainsi, le sauvetage bancaire de l’Ir-
lande a accru l’endettement public de 45 points
de PIB. Au total, la dette publique des États de
la zone euro est passée en moyenne de 66 % du
PIB en 2007 à 85 % fin 2010. Cette dette est
également la conséquence de choix politiques
tels ceux réalisés en France en 2007 de baisser
les impôts des plus riches, ou en Grèce de lais-
ser se développer une très large évasion fiscale.
Pour autant, les banques ne peuvent passer
sous silence leur responsabilité dans ce bond

22
PREMIÈRE PARTIE


de 20 points d’endettement qui a fini de pous-
ser dans le rouge des États déjà endettés.
   Le résultat de cette vague de dettes publiques
est bien sûr de fragiliser la situation financière
des États. Les banques découvrent que la dette
de certains États, gonflée par le déficit lié à la
crise, atteint des niveaux difficilement soute-
nables. Ce dont elles ne se sont pas vraiment
souciées quand cet argent a été utilisé pour les
secourir… Les marchés financiers ciblent en
premier le pays le plus fragile, la Grèce. Doutant
de la capacité du pays à rembourser l’intégralité
de sa dette, les marchés exigent des taux d’in-
térêt de plus en plus élevés. Des mouvements
spéculatifs aggravent la tendance et font que la
Grèce doit, en 2010, demander aux autres États
membres de l’Union européenne de lui prêter
l’argent que les marchés financiers ne veulent
plus lui avancer.
   Un phénomène similaire intervient ensuite
en Irlande et au Portugal. L’État irlandais ayant
pris sur lui une partie de la dette contractée
par ses banques auprès des autres banques
européennes, il n’est plus solvable. Dès lors,
plus personne ne veut lui prêter l’argent dont
il a besoin pour financer son déficit, et ce
sont donc les autres États européens qui ap-
portent cet argent et sauvent ainsi en même
temps les banques irlandaises et leurs propres
banques. Mais cet argent, les États européens
ne l’ont pas non plus en caisse. Ils sont donc

                                                23
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


obligés de s’endetter davantage, ce qui affaiblit
d’autant leur situation. Et comme les tensions
atteignent ensuite deux gros pays de la zone
euro – l’Espagne et l’Italie –, c’est la capacité
de l’ensemble de la zone qui est mise en doute
et conduit à se tourner vers le dernier acteur
capable d’acheter massivement des obligations
d’État : la Banque centrale européenne (BCE).
Or, les règles de la zone euro interdisent à la
BCE de se substituer aux marchés pour ache-
ter de la dette publique, comme c’est le cas au
Royaume-Uni ou aux États-Unis. Un principe
largement inspiré par l’Allemagne mais que la
France avait également adopté dès 1973 en
interdisant à l’État de financer sa dette directe-
ment auprès de la Banque de France.
  La crise actuelle, qui trouve en partie son ori-
gine dans les errements des banques, n’est pas
sans conséquences non plus pour les banques,
qui deviennent des arroseurs arrosés. En effet,
elles détiennent des quantités importantes de
dettes publiques, et si ces dettes perdent pro-
gressivement de leur valeur sans qu’aucun
État ou la Banque centrale ne soient capables
d’apporter leur garantie, elles doivent alors
enregistrer les pertes dans leur compte et di-
minuer leur bénéfice. Ainsi, la restructuration
de la dette grecque en 2011 a conduit le Crédit
agricole à enregistrer une perte de 850 millions
d’euros, BNP Paribas 650 millions d’euros, et
la Société générale près de 400 millions. Pas

24
PREMIÈRE PARTIE


de quoi mettre en danger leur rentabilité si le
cas est limité à la Grèce. Mais de quoi les mettre
réellement en péril si la situation se propage à
l’Espagne, à l’Italie, voire à la France.
  La pression sur les dettes des États se re-
tourne donc contre les banques. En raison
de leur exposition au risque souverain, les
banques européennes sont maintenant consi-
dérées par les marchés financiers – c’est-à-
dire par les grands fonds d’investissement… et
les autres banques – comme un actif financier
risqué. Et les fonds spéculatifs ne parient plus
seulement sur la baisse de la valeur des dettes
souveraines, mais aussi sur celle des actions
des banques. D’où l’effondrement des actions
bancaires en 2011 : ainsi, d’avril à septembre
de cette année, l’action de la Société générale
a perdu environ 60 % de sa valeur, celle de BNP
Paribas 40 %, et celle du Crédit agricole 55 %.
  Les banques, redevenues vulnérables,
avaient de nouveau besoin d’États conciliants
capables de les sauver une seconde fois si né-
cessaire. Mais, plutôt que de créer un rapport
de force pour obtenir d’elles des changements
de pratiques, les États européens, dont 25 sur
27 sont gouvernés par la droite, ont préféré leur
faire, sur les trois derniers mois de 2011, trois
cadeaux magistraux : en octobre, les États re-
noncent à contrôler la façon dont les banques
vont devoir augmenter leurs fonds propres pour
faire face à la crise (voir p. 49) ; le 9 décembre,

                                                 25
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


les États, à l’initiative de la France, affirment
que les banques ne seront plus mises à contri-
bution, comme ce fut le cas avec la faillite par-
tielle de la Grèce ; et le 21 décembre, la Banque
centrale européenne accorde aux banques de
la zone euro un accès illimité à très faible taux
pendant trois ans à de l’argent qu’elle crée. Tout
cela sans aucun engagement en contrepartie,
alors que le reste de l’économie s’enfonce dans
le rouge et que les gouvernements européens
préfèrent prôner encore plus de flexibilité sur le
marché du travail ou remettre en cause certains
droits sociaux.

     « Ce n’est pas la faute des agences de notation.
     Casser le thermomètre ne réduit pas la fièvre »

  Si tous les Européens connaissent leurs
banques, peu avaient entendu parler de
Moody’s et de Standard & Poor’s. L’année 2011
a donné à ces agences de notation une noto-
riété nouvelle qui a conduit la Commission
européenne à présenter, en novembre de cette
année, une nouvelle directive pour les enca-
drer, et dont je suis l’un des négociateurs.
« Nous ne faisons que mesurer la fièvre »,
nous disent ces agences. Or, contrairement
à une idée reçue, elles ne sont pas des ther-
momètres. Un thermomètre ne porte aucun
diagnostic, ne fait aucune recommandation.
Ce n’est pas le cas des agences de notation,

26
PREMIÈRE PARTIE


qui, à partir d’un faisceau d’indicateurs écono-
miques, tentent d’évaluer un risque portant sur
une entreprise, un produit financier ou un pays,
et formulent des préconisations de politiques
publiques – ce qui est plutôt le rôle du méde-
cin que celui du thermomètre. Or, l’histoire
récente est truffée d’exemples où les agences
ont posé des diagnostics totalement erronés :
les produits subprimes étaient notés AAA, soit
la meilleure note, alors qu’ils se sont révélés
les plus toxiques possible ; quelques semaines
avant sa faillite, la banque Lehman Brothers
était notée AAA, idem pour l’Islande. Qui conti-
nuerait d’aller chez un médecin aussi incompé-
tent ? Personne. Il y a donc de bonnes raisons
de ne pas faire confiance à ces agences.
  En effet, quelle est la capacité d’une équipe
de quelques analystes à évaluer la complexité
des risques pesant sur un pays ? Pendant des
années, les agences ont sous-évalué les risques
en Grèce, par exemple. Elles n’ont pas non plus
alerté sur les dangers liés à l’explosion des
bulles immobilières en Irlande ou en Espagne.
Pourquoi deviendraient-elles tout à coup des
juges de paix ? La réalité est que les agences ne
font qu’émettre une opinion qui reflète plus les
conventions du moment qu’une analyse détail-
lée des risques, qu’elles sont en fait incapables
de fournir.
  C’est pourquoi je soutiens, dans la négocia-
tion qui a commencé au Parlement européen

                                               27
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


début 2012, un encadrement plus strict des
agences de notation. Je me battrai par exemple
pour obtenir qu’elles n’aient plus le droit de faire
des préconisations politiques, ce qui va bien au-
delà de leur rôle d’évaluation des risques. Par
ailleurs, quand une agence annonce par erreur
la dégradation de la note d’un pays, comme ce
fut le cas pour la France en 2011, ne devrait-elle
pas être tenue juridiquement responsable des
conséquences de cette erreur ? Néanmoins, ce
meilleur encadrement des agences s’annonce
difficile. Ainsi, Michel Barnier, commissaire
européen aux services financiers, a dû retirer au
dernier moment de son projet en novembre 2011
la possibilité d’interdire temporairement aux
agences de publier leurs notations concernant
certains États en cas de crise aiguë. Les autres
commissaires ont refusé cette disposition au
nom de… la liberté d’expression.
  S’il faut changer les règles de fonctionnement
de ces agences (voir p. 109 pour d’autres pro-
positions), il ne faut pas non plus se tromper
de débat. En effet, ce sont des choix politiques
qui ont donné un rôle central aux agences. La
législation bancaire européenne a ainsi fait
des notes des trois grandes agences, Standard
& Poor’s, Moody’s et Fitch, l’indicateur officiel
pour mesurer le risque d’un titre financier. Dans
le débat actuel sur le triple A des États de la
zone euro, ce sont les responsables politiques
– et notamment Nicolas Sarkozy, avant qu’il ne

28
PREMIÈRE PARTIE


change de pied à partir de décembre 2011 – qui
ont donné aux agences un statut d’oracle, plus
que les marchés eux-mêmes. Car, pour ces der-
niers, la note d’une agence n’est qu’un facteur
parmi d’autres pour décider ou non de prêter à
un État et à quel taux d’intérêt le faire. Ainsi, le
Japon, qui est noté AA- par Standard & Poor’s,
soit trois crans en dessous du fameux AAA, n’a
aucun mal à emprunter à des taux très bas, fort
de la confiance des épargnants japonais.
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
deuxième partie
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
Comme d’autres sujets, la finance n’échappe
pas à toute une série de cocoricos. Les banques
françaises – selon leurs dirigeants mais égale-
ment selon le gouvernement – sont, au choix,
plus régulatrices, plus solides, mieux gérées,
et elles n’ont rien coûté aux contribuables pen-
dant la crise de 2008. Faut-il croire à cette belle
histoire française ?

     « Les banques françaises n’ont rien coûté
     aux contribuables »

   Pour la Fédération bancaire française (FBF),
les banques n’ont pas eu besoin d’un plan
de sauvetage pendant la crise financière2.
Pourtant, en 2008, quelques jours après la
faillite de Lehman Brothers le 15 septembre,
l’État se porte au secours des banques fran-
çaises de la façon suivante : une enveloppe
de 40 milliards d’euros est créée pour appor-
ter des capitaux aux banques sous forme de
prêts, et une garantie publique de 320 milliards
d’euros est offerte par le gouvernement. Suivant

2. Voir la campagne de la FBF, « Parlons clair. Les banques
en France », mars 2011. Document téléchargeable sur www.
fbf.fr/fr/espace-presse/parlons-clair/les-banques-en-france

                                                          33
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


l’adage « privatisons les profits, socialisons les
pertes », l’État s’est ainsi placé en grand assu-
reur du système bancaire français.
   Le soutien est donc double : de l’argent à court
terme, qui sera effectivement remboursé avec
des intérêts, et une garantie publique qui, elle,
n’aura pas besoin d’être activée mais a permis
de restaurer la confiance dans la signature de la
banque, et donc d’éviter la faillite. Il s’agit là d’un
soutien plus discret mais fondamental, et dont
ne disposent pas les autres entreprises, hormis
quelques secteurs qui parviennent à négocier
avec l’État de telles conditions avantageuses,
comme l’industrie du nucléaire.
   Mais les banques françaises ont aussi béné-
ficié des plans de soutien des autres pays à
leurs banques. En effet, ce n’est pas le contri-
buable français qui a sauvé la Société générale,
mais le contribuable… américain. Avant la crise,
la Société générale disposait d’un important
portefeuille d’actifs de type subprimes – des
produits adossés à des prêts immobiliers aux
États-Unis. Consciente des risques liés à ces
produits, la Société générale s’était largement
assurée contre le risque de pertes auprès du
premier assureur mondial, AIG. Quand les cré-
dits subprimes se sont révélés pourris à partir
de 2007, AIG a dû commencer à indemniser
ceux qui s’étaient assurés auprès de lui, mais il
s’est révélé rapidement incapable de faire face à
ses engagements. Menacé de faillite, l’assureur

34
DEUXIÈME PARTIE



doit alors se tourner vers la Banque centrale
américaine, la Fed, et le gouvernement Bush, qui
dans l’urgence débloquent un prêt de 85 mil-
liards de dollars. Une somme qui a immédiate-
ment quitté les comptes d’AIG pour ceux des
grandes banques mondiales qui s’étaient assu-
rées auprès de cet organisme. Avec 13 milliards
de dollars, Goldman Sachs fut ainsi le premier
bénéficiaire du sauvetage d’AIG. Mais 12 mil-
liards sont également allés dans les caisses de la
Société générale. Sans cet argent public, cette
banque, dont le capital n’était que de 41 milliards
d’euros, aurait été en très grande difficulté.
   Si les banques ont bien été aidées directement
et indirectement, la FBF nous explique qu’elles
n’ont, au final, « rien coûté au contribuable3 ».
Une phrase écrite un peu rapidement. C’était
oublier la banque franco-belge Dexia, pourtant
membre de la FBF. Pierre Richard, l’ancien diri-
geant de Dexia, siégeait même au comité exécu-
tif de la Fédération. La banque était déjà passée
tout près de la faillite en 2008. Elle avait alors
garanti des prêts subprimes américains – tou-
jours eux ! À l’époque, les contribuables français
ont acheté pour 3 milliards d’euros d’actions
de Dexia, via l’État et la Caisse des dépôts et
consignations. Un investissement réalisé sur
la base d’un cours de Bourse de 9,90 euros.
Or, aujourd’hui, Dexia ne vaut quasiment plus
rien en Bourse. Une moins-value de près de
3. Document « Parlons clair. Les banques en France », op. cit.

                                                             35
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


3 milliards d’euros… à la charge de la collectivité.
La crise de la dette souveraine a fini d’achever
la banque, qui croule sous les actifs douteux.
Seule solution, la démanteler pour sauver ce qui
peut l’être. La banque de détail belge a déjà été
nationalisée par la Belgique, et l’activité de fi-
nancement des collectivités locales françaises
est reprise par la Caisse des dépôts et consi-
gnations. L’addition finale n’est donc pas encore
connue. Le dernier plan de sauvetage prévoit
une garantie publique pour Dexia de 33 mil-
liards d’euros pour le seul État français. Au final,
il est à craindre que le sauvetage de la banque
franco-belge soit particulièrement douloureux
pour les contribuables français et belges, et at-
teigne une perte d’environ 10 milliards d’euros.
   La légende des banques françaises n’ayant
« rien coûté aux contribuables » a du plomb
dans l’aile. Mais peut-être que ces milliards ne
sont effectivement « rien » pour des banques
qui ont réalisé, en cumulé, 21 milliards de béné-
fices en 2010.

     « Les banques françaises sont plus régulatrices
     que les autres »

  Encore une fois, lisons ce que nous disent les
banques françaises à coup de grands encarts
publicitaires dans la presse quotidienne. Elles
« tirent les leçons de la crise », « soutiennent
et appliquent le principe d’une régulation

36
DEUXIÈME PARTIE



renforcée4 ». Vu de Bruxelles, difficile d’y voir
autre chose qu’une mystification, tant ce sou-
tien m’est imperceptible, à moi député euro-
péen. Décryptage d’un double discours.
   Si les banques françaises soutiennent
« une régulation renforcée », c’est bien seule-
ment dans leur communication grand public.
À Bruxelles, où les décisions sont prises, la réa-
lité est tout autre. Les banques françaises ne
dérogent pas à la règle qui veut que la bonne ré-
gulation soit celle qui s’applique avant tout aux
autres. Depuis mon élection, j’ai reçu à plusieurs
reprises les représentants de la FBF, jamais je
n’ai entendu d’eux une proposition susceptible
d’aller plus loin en matière de régulation finan-
cière. Ainsi, la FBF m’alerte régulièrement sur la
façon dont les règles devraient être adaptées,
toujours dans le sens du moins-disant régle-
mentaire. En matière de lobbying, les banques
françaises ne défendent pas des positions plus
régulatrices que leurs concurrentes anglo-
saxonnes, notamment. D’ailleurs, il leur arrive
même de faire carrément du lobbying commun
avec elles. J’ai ainsi été surpris – mais aurais-je
vraiment dû l’être ? – de recevoir une déléga-
tion de l’ISDA5, le lobby des grandes banques

4. Campagne publicitaire FBF, décembre 2010.
5. ISDA-International Swaps and Derivatives Association
(www.isda.org), dont sont membres Goldman Sachs,
JP Morgan… mais aussi BNP Paribas, la Société Générale
et le Crédit agricole.

                                                          37
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


d’affaires américaines et européennes traitant
des produits dérivés, composée de respon-
sables du Crédit agricole et de la Royal Bank of
Scotland (RBS), la banque écossaise qui a dû
être nationalisée par l’État britannique après
avoir perdu des milliards dans ses activités de
marché. Lors de cette discussion je me suis
permis de dire que je « comprenais » leur peu
d’attention à la nécessité d’avoir un système
plus sûr puisque, de toute façon, si les risques
liés aux produits dérivés venaient à exploser,
ce serait le contribuable qui paierait l’addition.
Le responsable de la RBS m’a répondu avec
un grand sourire : « Dans notre cas, oui. » Un
cynisme absolu qui n’a pas bouleversé son col-
lègue du Crédit agricole…
   À défaut de soutenir la régulation financière,
les banques françaises en appliquent-elles
les principes ? Prenons un des engagements
forts du G20, la lutte contre les paradis fis-
caux. Qu’ont fait les banques françaises de-
puis 2008 ? Pas grand-chose. Ainsi, en 2009,
le mensuel Alternatives économiques révé-
lait que les établissements financiers français
disposaient de 460 filiales dans les paradis
fiscaux. À elle seule, BNP Paribas en comp-
tait 190. Certes, les banques françaises ont
annoncé fin 2009, à grand renfort de com-
muniqués, qu’elles quittaient ces territoires.
Cette décision ne faisait qu’anticiper la loi qui
allait permettre à Nicolas Sarkozy de déclarer,

38
DEUXIÈME PARTIE



à la veille du sommet du G20 de Pittsburgh en
2009 : « Les paradis fiscaux, c’est fini. » Pour
autant, ce retrait ne concernait que les paradis
fiscaux « officiels », c’est-à-dire ceux reconnus
par l’OCDE6, une liste très modeste puisque ni
la Suisse ni le Luxembourg, par exemple, n’y
figurent. Au final, BNP Paribas n’a dû fermer
que deux succursales et six filiales au Panama
et dans les Bahamas. Une perte microscopique
pour la première banque française. Pas de quoi,
donc, s’afficher en parangon de vertu.
  D’autant que la FBF milite publiquement
contre une loi votée par Barack Obama en
2010, et qui s’appliquera en 2013, pour lutter
contre l’évasion fiscale. Cette loi, dite FATCA7,
prévoit que toutes les institutions financières
ouvrant un compte à un citoyen américain ou à
une entreprise à capitaux majoritairement amé-
ricains soient obligées de le déclarer à l’admi-
nistration fiscale américaine. Une loi qui écrase
donc le secret bancaire et impose de nouvelles
contraintes de transparence à l’ensemble des
banques, dont les françaises, qui travaillent
avec des clients américains. Plutôt que de saluer
une avancée dans la lutte contre les paradis fis-
caux, les banques françaises critiquent dans un
document du 13 septembre 2011 qu’elles m’ont
adressé « un impact extrêmement contraignant

6. Organisation de coopération et de développement
économiques.
7. Foreign Account Tax Compliance Act.

                                                     39
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


et coûteux », « une violation du secret ban-
caire » ou encore « des difficultés techniques
et des coûts considérables pour réaliser les
vérifications électroniques et manuelles de
l’identité des personnes ». Preuve, s’il en était
besoin, que les banques françaises, comme
toutes les autres, se satisfont très bien de ne
pas connaître leurs clients ni l’origine des fonds
qu’elles hébergent… tant que cela leur rapporte
de l’argent.

     « Les banques françaises ne spéculent pas
     sur les dettes des États »

   En octobre 2011, toujours par voie d’encarts pu-
blicitaires, la FBF rétablissait « sa » vérité. Non,
contrairement à ce que certains aimeraient faire
croire, « les banques françaises ne spéculent pas
sur la dette grecque ». Français, dormez tran-
quille : la spéculation, c’est pour les méchants
hedge funds, ces acteurs qui utilisent les mar-
chés financiers comme des casinos et qui sont
presque tous situés dans des paradis fiscaux,
principalement aux îles Caïmans. Rien à voir avec
l’activité de nos établissements bancaires !
   Pourtant, en y regardant de plus près, sur-
prise, nos gentilles banques françaises ont
des filiales dont la spécialité n’est autre que de
financer ces fonds spéculatifs. Des activités
qu’elles ont continué de développer pendant la
crise. Ainsi, en juin 2008, Bank of America, une

40
DEUXIÈME PARTIE



des grandes banques américaines frappées de
plein fouet par la crise des subprimes, se sépare
de certaines de ses activités pour récupérer de
la trésorerie. Elle décide donc de vendre son
activité de financement de fonds spéculatifs.
Qui l’achète pour se développer sur ce métier
hautement rentable ? BNP Paribas, qui devient
ainsi un des leaders européens du financement
de hedge funds… Une activité que connaissent
également bien la Société générale et le Crédit
agricole, qui possèdent avec Newedge une fi-
liale commune pour financer les fonds spécula-
tifs. Une filiale primée par le Hedgefund Journal
comme la société la plus efficace pour accom-
pagner les stratégies des fonds spéculatifs fon-
dées sur les produits dérivés.
   On peut bien sûr toujours arguer du fait que,
si les banques françaises ne finançaient pas les
fonds spéculatifs, d’autres le feraient. C’est tout
à fait exact. Mais dans ce cas, si elles étaient
sincères dans leur volonté régulatrice, elles
auraient dû plaider pour des règles strictes
d’encadrement des hedge funds qui se seraient
appliquées à l’ensemble des banques euro-
péennes. Or, lors de la négociation en 2009 et
en 2010 de la directive qui encadre ces fonds
(Alternative Investment Funds Directive, AIFM),
aucune banque française n’est venue plaider en
faveur d’un cadre juridique plus ambitieux !
   Ce sont bien les banques qui donnent leur
pouvoir aux fonds spéculatifs. En effet, ceux-ci

                                                 41
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


sont des entités qui disposent de très peu de
capitaux propres. Ils vont emprunter auprès des
banques pour accumuler des montants qui leur
permettent ensuite d’influencer les tendances
sur les marchés. Sans cet « effet de levier », leur
pouvoir serait beaucoup plus faible. En finan-
çant et en aidant les hedge funds, les banques
françaises ont bien fourni, en toute connais-
sance de cause, les armes qui ont permis à ces
derniers de spéculer, y compris contre la Grèce.
   Enfin, la FBF nous informe que les banques
françaises « ont conservé leurs titres, à la de-
mande des pouvoirs publics, pour donner toutes
ses chances au plan de soutien à la Grèce8 ».
Cela est exact ! Elles ont conservé leurs titres
grecs, comme le leur avait demandé Christine
Lagarde – alors ministre de l’Économie, de l’In-
dustrie et de l’Emploi –, et cela alors même que
d’autres banques, comme la Deutsche Bank,
n’hésitaient pas à s’en débarrasser. Mais les
banques françaises n’ont pas fait preuve d’au-
tant de civisme avec les autres pays du sud de
l’Europe. Ainsi, en quatre mois, entre l’été et
l’automne 2011, BNP Paribas s’est délestée de
8,3 milliards de dette italienne. Des ventes mas-
sives qui pèsent sur les taux d’intérêt de ces
États, et qui ont eu lieu au moment même ou la
communication publique valorisait la conserva-
tion des titres grecs…

8. Campagne FBF, 20-21 octobre 2011.

42
DEUXIÈME PARTIE



     « Les banques françaises sont plus solides »

  L’affaire Dexia et l’aide reçue par la Société
générale de la part des États-Unis montrent que
cette solidité est toute relative. Quant à Natixis,
la banque d’investissement filiale des Caisses
d’épargne et des Banques populaire, très mal
en point en 2008 en raison d’investissements
hasardeux, elle n’aura survécu qu’au prix d’une
fusion forcée de ses deux actionnaires, opé-
rant ainsi un transfert financier de la banque de
détail vers la banque de marché. Autrement dit,
ce sont des banques historiques de l’économie
sociale, les Caisses d’épargne et les Banques
populaires, qui, grâce à l’épargne de millions de
Français, ont empêché la disparition de Natixis.
Malgré tout, il est vrai que, contrairement à
d’autres pays, comme le Royaume-Uni, aucune
banque n’a fait faillite et n’a dû être nationalisée.
  Une particularité française est mise en avant
pour expliquer cette solidité : le modèle de la
banque universelle. Ce modèle consiste à re-
grouper dans une même entité les activités
de banque de détail aux particuliers (prêts à
la consommation, prêts immobiliers…) et la
banque dite de « financement et d’investisse-
ment », qui agit principalement sur les marchés
financiers. Grâce à cette intégration, les béné-
fices récurrents et substantiels réalisés par les
banques françaises dans les activités aux par-
ticuliers ont permis de compenser les pertes

                                                    43
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


dans les activités de marchés, comme l’exemple
de Natixis l’a illustré.
   Si le modèle de la banque universelle a fait
preuve d’une relative solidité en France, cela n’a
pas été le cas partout en Europe. Ainsi, ING, aux
Pays-Bas, ou encore Royal Bank of Scotland,
au Royaume-Uni, deux banques universelles,
se sont retrouvées en grande difficulté. Les
pertes réalisées dans les activités de marché
excédaient largement les profits réalisés dans
la banque de détail. Or, quand ces banques sont
en difficulté à cause des activités de marché,
ce sont les économies des particuliers qui sont
menacées. Dans ce cas, les États n’ont d’autres
choix que de leur venir en aide. Cette garan-
tie publique de fait permet à ces banques de
prendre des risques sur les marchés… tout en
étant sûres d’être sauvées en cas de problème.
On peut lire par exemple sur le site Internet de
Newedge, la filiale commune de services aux
hedge funds de la Société générale et du Crédit
agricole, qu’être adossé à des banques de dé-
pôt est pour cette filiale un avantage compara-
tif important car, en cas de problème lié à son
activité, elle pourra compter sur le soutien de
banques que l’État français ne pourra pas lais-
ser tomber. Les clients de ces banques, comme
les contribuables français, sont, j’en suis sûr,
ravis d’offrir ce service aux hedge funds…
   C’est pourquoi la question d’une séparation
des activités de détail de celles de financement

44
DEUXIÈME PARTIE



et d’investissement se pose aujourd’hui. En
Europe, ce débat a pris le plus d’ampleur au
Royaume-Uni, où le coût public du sauvetage
bancaire est l’un des plus élevés. Le rapport
de la commission chargée par le gouvernement
britannique de se pencher sur cette réforme
s’est clairement prononcé pour une séparation
des deux activités à la fin de l’année 2011.
   Pour autant, si elle est nécessaire, cette sé-
paration n’est pas la solution miracle. Lehman
Brothers était une pure banque d’affaires. Un
statut qui a justifié l’absence de soutien public
menant à la faillite de la banque… et poussant
la finance mondiale au bord du gouffre. Dans
un système totalement interconnecté, où les
banques d’affaires empruntent aux banques
de dépôt, la séparation des deux activités ne
serait qu’un trompe-l’œil. Pire encore, elle pour-
rait aboutir à une sous-régulation des banques
d’affaires, comme c’était le cas aux États-Unis,
au motif que ces banques ne bénéficiaient ni de
la garantie publique ni de l’accès à la Banque
centrale. Soutien qui leur a été attribué dans
l’urgence et sans contrepartie au plus fort de la
crise de septembre 2008.
   Seule la création de deux systèmes financiers
parallèles permettrait d’assurer une séparation
réelle. La banque de détail serait destinée à
financer les prêts aux particuliers et aux petites
entreprises, comme l’ont fait pendant long-
temps les banques mutualistes et coopératives

                                                45
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
troisième partie
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
« Fixer des contraintes trop fortes aux banques
     pénalise l’économie, et donc l’emploi »

Voici l’argument qui, par définition, fait peur à
tout responsable politique, de gauche comme de
droite. Il permet de passer du registre de la dé-
fense de l’intérêt particulier à celui de la défense
de l’intérêt général. Cet argument est-il fondé ?
  Tout d’abord, rappelons le contexte réglemen-
taire : le niveau de capital exigé des banques
est fixé par des accords internationaux négo-
ciés par les banquiers centraux et les régula-
teurs bancaires des pays riches. Pas vraiment
des révolutionnaires… Il s’agit de l’accord dit de
Bâle 1 en 1988, puis de Bâle 2 en 2004, et de
Bâle 3 en 2011. Ceux-ci sont ensuite traduits en
droit européen par des directives. Celle qui doit
transposer Bâle 3 en Europe est actuellement
en négociation et s’appliquera à partir de 2013.
  Les capitaux, que l’on appelle aussi fonds
propres, d’une banque représentent en quelque
sorte son matelas de sécurité. En effet, tout prêt
à un particulier ou à une entreprise présente
un risque de non-remboursement, alors que la
banque est dans l’obligation de restituer leurs
dépôts aux épargnants. Ainsi, pour chaque prêt,

                                                   49
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


elle doit constituer une réserve de capitaux
propres qui servira en cas d’incapacité de cer-
tains emprunteurs à rembourser leurs dettes.
En l’absence de capitaux propres suffisants,
c’est donc la capacité de la banque à rembour-
ser les déposants qui est mise à mal. De ce fait,
l’exigence de capitaux propres ne porte pas sur
un niveau de capital en valeur absolue, mais
bien sur un rapport entre le capital détenu et la
totalité des prêts accordés par la banque, et le
risque associé à ces prêts.
   L’accord de Bâle 3 obligera les banques à
constituer un coussin de sécurité plus élevé.
Elles devront donc mettre plus de capitaux
propres de côté, notamment pour les opéra-
tions les plus risquées. Ces obligations sup-
plémentaires ont été fortement combattues
par le lobby bancaire. Argument le plus cou-
ramment avancé : l’augmentation des fonds
propres accroîtra le coût et limitera le volume
des prêts accordés aux ménages et aux petites
entreprises. Moins de crédit signifie moins d’in-
vestissement, et au final moins d’emplois. Les
banquiers, via leur lobby mondial, l’Institute
of International Finance, n’hésitaient pas à
annoncer près de 10 millions d’emplois perdus
dans le monde à cause des nouvelles règles
pesant sur les banques ! Pourtant, ces estima-
tions alarmistes ont été démenties par la der-
nière étude d’impact réalisée par la Banque
des règlements internationaux (BRI). Celle-ci

50
TROISIÈME PARTIE



estime l’impact sur la croissance à… moins de
0,01 point par an pendant la période de mise
en œuvre de huit ans. Le coût du crédit aug-
menterait de 0,06 point. Autrement dit, au lieu
de payer votre crédit immobilier 4 %, il vous en
coûterait 4,06 %, une différence marginale et
largement indolore quand les taux peuvent va-
rier de 0,1 à 0,2 point d’un mois sur l’autre pour
des raisons liées à la politique de la Banque
centrale, par exemple.
  En effet, dans leur raisonnement, les banques
font semblant d’oublier que le niveau de fonds
propres exigé n’est qu’un élément marginal
dans la « fabrication » du taux d’intérêt au-
quel la banque prête. Le déterminant principal
est d’abord le taux d’intérêt auquel la banque
achète elle-même sa ressource financière. Pour
les taux à court terme, c’est le taux d’intérêt de
la Banque centrale. Le taux d’intérêt de la BCE
est aujourd’hui relativement faible – 1 % début
2012 – et il est encore plus faible aux États-
Unis (0,25 %) et au Royaume-Uni (0,5 %). Pour
les taux à long terme, ce sont les anticipations
d’inflation qui déterminent en premier lieu le
niveau des taux.
  Pourquoi les banques se sont-elles alors
autant opposées aux nouvelles règles sur les
fonds propres ? Parce que celles-ci vont dimi-
nuer leur rentabilité. En effet, aujourd’hui, les
banques financent leurs activités, notamment
les plus spéculatives, avec très peu de fonds

                                                51
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


propres réglementaires. Ainsi, une banque qui
prêtait 100 euros n’avait besoin de mobiliser
que 4 euros de fonds propres. Avec une marge
d’environ 1 % du montant du prêt, son coussin
de sécurité n’était que de 4 %, mais la rentabilité
de ses capitaux propres de 25 %, soit 1 euro de
gagné pour 4 euros de fonds propres mobilisés.
Demain, avec les nouvelles règles, ce coussin
devra être de 8 euros. Le coussin de sécurité,
doublé, atteindra donc 8 %, mais la rentabilité
de la banque ne sera plus que de 12,5 %, soit
1 euro de gagné pour 8 euros de fonds propres
mobilisés. C’est bien cette baisse sensible de
leur rentabilité qui préoccupe en réalité les
banques. Derrière le discours sur l’intérêt géné-
ral et l’emploi, se cache uniquement la défense
de leurs profits.
  D’autant que les activités les plus sévèrement
pénalisées par les nouvelles règles ne sont pas
les prêts aux particuliers et aux petites entre-
prises, mais les activités sur les marchés finan-
ciers. Ces activités sont fort rentables pour les
très grandes banques. Ainsi, en 2006, BNP
Paribas se vantait dans les publications des-
tinées à ses actionnaires d’une rentabilité sur
capitaux propres de 21,2 % dans ses activités
de marché. Mais le phénomène n’est pas que
français, évidemment : le retour sur capitaux
propres des treize principales banques d’inves-
tissement mondiales avoisinait les 20 % avant
la crise de 2008. Des chiffres bien supérieurs à

52
TROISIÈME PARTIE



la rentabilité des prêts à l’économie réelle et qui
s’apparentent plus à de la prédation du reste
de l’économie qu’à un service rendu. Dans
un débat public auquel je participais fin 2011
avec Jean-Pierre Mustier, l’ancien patron de
Jérôme Kerviel à la Société générale, celui-ci
reconnaissait d’ailleurs que « les banques ont
dégagé des taux de rentabilité trop importants.
C’était intenable. Si l’on multiplie ces chiffres
sur plusieurs années, à la fin, il n’y a plus que
des banquiers et des avocats, et les autres ac-
teurs de l’économie sont morts ». Une prise de
conscience bien tardive…
   Or, les nouvelles règles sur les fonds propres
concernent principalement ces activités de
marché. Ainsi, quand une banque achète pour
son propre compte – c’est-à-dire pas pour celui
d’un de ses clients mais pour elle-même – des
produits dérivés sur le pétrole, par exemple, en
pariant à la hausse ou à la baisse du prix, elle
prend un risque. En contrepartie de ce risque,
elle doit mettre du capital de côté, comme
pour un prêt immobilier. Et les futures règles
augmenteront fortement le niveau de fonds
propres à réserver au cas où ce pari se révé-
lerait perdant, et grèveront d’autant la rentabi-
lité des banques. Cette réforme marquera donc
la fin d’un business très rentable pour elles, ce
qui explique qu’elles soient aujourd’hui prêtes à
dépenser des millions en lobbying pour en limi-
ter l’ampleur.

                                                 53
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


   Mais la crise des dettes souveraines accélère
l’histoire. En octobre 2011, les États européens
ont décidé d’obliger les banques à augmenter
suffisamment leurs capitaux propres pour être
en mesure de résister à la baisse de la valeur
des dettes souveraines qu’elles possèdent.
Les banques doivent, d’ici à juillet 2012, soit
plus rapidement que prévu par les accords
de Bâle 3, augmenter significativement leurs
fonds propres. Pour améliorer le rapport entre
les capitaux propres et la totalité des prêts, il y
a deux possibilités : augmenter le capital… ou
réduire les engagements pris. Or, augmenter
son capital revient à diluer le montant existant
dans un ensemble plus large. Autrement dit, à
créer de nouvelles actions, ce qui fait baisser
d’autant le bénéfice par action puisque le béné-
fice total sera divisé en un nombre supérieur
d’actions. Pas de quoi enchanter les action-
naires… D’autant plus que la baisse actuelle
des cours de Bourse obligerait les banques à
émettre énormément de nouvelles actions pour
lever les milliards nécessaires à leur recapitali-
sation. Pour les banques les plus fragiles, leur
capacité même à trouver de nouveaux action-
naires est mise en doute. Faute de pouvoir lever
de nouveaux fonds, elles devraient se tour-
ner vers les pouvoirs publics. Ce fut le cas en
2008 pour certaines banques qui ont été ainsi
nationalisées, comme Lloyds TSB au Royaume-
Uni ou l’Anglo-Irish Bank en Irlande.

54
TROISIÈME PARTIE



  Dès lors, les dirigeants des banques font tout
pour ne pas prendre ce risque qui pourrait leur
être fatal. Et « tout faire », cela signifie d’abord
ne pas augmenter son capital mais réduire ses
engagements, donc réduire les prêts à l’éco-
nomie. Les banques font ainsi le choix de pro-
téger leurs actionnaires, et les dirigeants le
choix de protéger leurs positions, au détriment
de l’intérêt général. Avec le consentement des
gouvernements européens puisque ceux-ci ont
accepté fin 2011 de laisser les banques libres de
la façon dont elles augmenteraient leurs ratios
de fonds propres. Un nouveau cadeau sans
contrepartie, passé largement inaperçu mais
qui montre, encore une fois, les largesses dont
bénéficient les grandes banques…

     « L’accumulation de régulations nous étrangle »

   Pour les financiers, les nouvelles réglemen-
tations post-crise sont un choc. Après des
années de dérégulation et de supervision conci-
liante, toute tendance à la re-régulation, même
modeste, est vécue comme une agression. Au
point que les lobbyistes de l’industrie financière
ont entamé un nouveau credo qui fera sourire
dans la vraie vie : « L’accumulation de régle-
mentations est excessive, la régulation nous
étrangle. »
   Pour être plongé depuis près de trois ans au
cœur de la négociation européenne, je peux

                                                   55
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


témoigner que le secteur financier est loin
d’être « étranglé » par les nouvelles régulations.
En effet, malgré la crise, les États continuent
de défendre les intérêts de leur industrie finan-
cière nationale, au détriment d’une régulation
plus ambitieuse au niveau européen. L’industrie
financière ne manque donc pas d’alliés.
  L’exemple le plus caricatural a probablement
été la loi sur les bonus. L’Union européenne a
adopté en juillet 2010, au bout de près d’un an
de négociations, de nouvelles règles pour en-
cadrer les bonus des traders et des dirigeants
des banques. Sur ce dossier politiquement sen-
sible, dont j’étais l’un des négociateurs, nous
avions réussi à faire adopter des amendements
ambitieux au Parlement. L’un d’entre eux sti-
pulait que la rémunération variable ne pouvait
pas dépasser 50 % du total de la rémunération.
Autrement dit, si un trader touche un salaire
fixe de 150 000 euros par an (un petit salaire
dans les salles de marchés…), son bonus ne
pourra être supérieur à ce montant. Une révo-
lution quand on connaît les pratiques actuelles,
où les bonus peuvent représenter jusqu’à dix
fois le salaire fixe, incitant ainsi à une prise de
risque maximum. Les États s’étaient contentés,
dans leur propre version du texte, d’un principe
« d’équilibre », sans chiffre.
  Le Parlement souhaitait également qu’un
trader ne puisse pas toucher plus de 30 % de
son bonus immédiatement et en cash, pour

56
TROISIÈME PARTIE



sortir de la culture du « je prends l’oseille et je
me tire ». Dans la négociation qui a suivi entre
le Parlement et le Conseil, les deux États qui
se sont montrés les plus opposés à ces ré-
formes ont été le Royaume-Uni (normal) et…
la France. Au dernier jour des négociations, le
29 juin 2010, le Royaume-Uni a fini par accep-
ter la proposition de compromis à 10 heures du
matin. Pendant toute cette journée, le gouver-
nement français s’est alors retrouvé seul en
Europe (ou, pour être plus juste, seul avec le
gouvernement Berlusconi…) à défendre les bo-
nus des traders sur une ligne plus libérale que
celle du Royaume-Uni. Une position politique-
ment indéfendable. Finalement, à 17 heures,
la France rejoignait le compromis… avant le
départ de mon communiqué de presse dénon-
çant l’attitude incroyable du gouvernement
français. Cet exemple illustre le grand écart
qui peut exister entre les discours de Nicolas
Sarkozy et la réalité des positions défendues
par la France en matière financière.

     « Si vous régulez trop, on partira s’installer
     ailleurs »

  Les banques ont développé un argument
imparable pour s’opposer à toute décision
ambitieuse en matière de régulation financière :
le chantage aux délocalisations. « Si vous ré-
gulez trop en Europe, nous transférerons nos

                                                      57
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


activités aux États-Unis », nous dit l’industrie
financière. Or, ce discours porte fortement au
sein du Parlement européen. La priorité de cer-
tains députés européens libéraux ou conserva-
teurs semble être de ne surtout rien faire qui
risquerait de soumettre la finance européenne
à des règles plus strictes que celles en vigueur
aux États-Unis ou en Asie.
  J’étais déjà peu réceptif à cet argument – qui
obligerait l’Europe à s’aligner sur les règles les
moins régulatrices – mais, lors d’un voyage à
Washington en juillet 2010 avec d’autres dépu-
tés européens en charge de la réglementation
financière, j’ai réalisé toute l’imposture de l’in-
dustrie financière. À cette occasion, j’ai ren-
contré des parlementaires du Parti démocrate
qui étaient à l’époque sur le point de faire voter
le Dodd-Franck Act, la principale loi de Barack
Obama de régulation de la finance. Ils nous ont
raconté comment les banques américaines
leur disaient : « Si vous mettez en place telle
règle sur les produits dérivés ou sur la sépa-
ration des banques d’affaires et des banques
de dépôt, alors nous quitterons New York
pour Londres. » Un discours identique à celui
tenu par les banques européennes, qui nous
expliquaient au même moment au Parlement
que, si on appliquait des règles trop dures
sur les bonus, elles quitteraient Londres pour
New York. Le problème, c’est qu’une banque ne
peut pas délocaliser ses équipes de Londres à

58
TROISIÈME PARTIE



New York le lundi parce que les règles sur les
rémunérations sont plus souples aux États-
Unis, puis les relocaliser à Londres le mercredi
car les règles sur les produits dérivés y sont
plus accommodantes…
   De manière générale, le risque de délocali-
sation est très surestimé par l’industrie finan-
cière. L’exemple des bonus est particulièrement
frappant. Les nouvelles règles européennes,
qui reprennent largement les prescriptions du
G20, sont entrées en vigueur au 1er janvier 2011
et se sont donc appliquées aux bonus versés
en 2011 au titre des performances de 2010. Ces
règles reposent sur trois piliers. Le premier est
le fait de différer dans le temps la rémunéra-
tion variable. Jusqu’à présent, les traders tou-
chaient leur bonus en fonction des résultats de
l’année écoulée – une incitation à réaliser des
profits à court terme sans se soucier de risques
dont la survenance ne s’envisageait qu’à moyen
ou long terme. Les produits subprimes ont
ainsi rapporté beaucoup d’argent aux traders
qui les traitaient, avant de manquer couler les
banques. Suivant l’adage « donner c’est donner,
reprendre c’est voler », ils touchaient l’intégra-
lité de leur bonus immédiatement, et celui-ci ne
pouvait leur être retiré si les choses tournaient
mal par la suite. Face je gagne, pile tu perds.
Aujourd’hui, le bonus est versé au minimum
sur une période de trois ans. Deuxième pilier
de la nouvelle réglementation, 70 % du bonus

                                                59
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


n’est plus délivré en cash mais en actions de
la banque – actions qui ont perdu près de 50 %
de leur valeur pour les banques françaises, par
exemple, entre avril et septembre 2011. De quoi
diminuer considérablement la somme touchée
au final. Enfin, comme on l’a vu plus haut, le
droit européen introduit un principe « d’équi-
libre » entre la rémunération fixe et la rémuné-
ration variable.
   Or, à écouter les banques durant les débats au
Parlement, ces règles allaient faire fuir les tra-
ders, présentés comme des exilés putatifs ! De
fait, l’Europe est bien la seule région du monde
à avoir transcrit les prescriptions du G20 – et
même à être allée au-delà – en matière de rému-
nérations dans le secteur financier. Pourtant,
un an après l’entrée en vigueur de ces règles,
nulle fuite de traders en vue. Car le risque est
plus limité qu’il n’y paraît.
   Tout d’abord, l’application des règles à l’en-
semble de l’Union européenne prévient toute
délocalisation intra-européenne. Or, ce à quoi
nous avons assisté depuis une dizaine d’années,
c’est plutôt le transfert des traders des salles de
marché de l’Europe continentale vers Londres,
et non vers Singapour ou New York. Mais quid
des délocalisations en dehors de l’Union ? Le
danger n’est guère criant. D’une part, on ne
crée pas une place financière avec toutes les
compétences et les infrastructures nécessaires
en claquant des doigts : les délocalisations ne

60
TROISIÈME PARTIE



peuvent donc se faire que sur des places déjà
constituées et reconnues dans le monde entier,
comme New York, Singapour ou Hong Kong.
D’autre part, une délocalisation vers une des-
tination lointaine pose un problème pratique :
celui du décalage horaire. Si une banque déplace
ses équipes hors d’Europe, cela signifie qu’elle
doit les faire travailler la nuit pour continuer à
servir ses clients européens. Je n’ai pas encore
rencontré un seul trader à qui cela fasse envie…
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
quatrième partie
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
Au-delà de la régulation bancaire, la réforme
financière passe aussi par un encadrement de
cette nébuleuse que sont les marchés finan-
ciers. Depuis la libéralisation des années 1980,
les marchés n’ont cessé de se développer, par-
fois en dehors de toute réglementation. Face à
la volonté, pourtant toute relative, des respon-
sables politiques d’encadrer davantage leurs
activités, tous ceux – banques, fonds spécu-
latifs, Bourses – qui bénéficient à plein de ces
marchés débridés opposent une résistance
acharnée. Pourquoi s’opposer aux lois « natu-
relles » du marché qui leur sont si favorables ?
  Faisons d’abord un bref rappel historique. Il y
a vingt ans, le trading de haute fréquence (voir
p. 66) n’existait pas. Les CDS (credit default
swaps, voir p. 72) non plus, puisqu’ils ont été in-
ventés en 1994. Et les marchés de produits déri-
vés, qui représentent 676 000 milliards d’euros
aujourd’hui (on dit aussi, dans le jargon de la
finance, 676 trilliards d’euros), étaient embryon-
naires. Il a donc bien existé une époque, pas si
lointaine, où les marchés finançaient l’économie
sans s’apparenter à des casinos ! C’est ce qui fait
dire à Paul Volcker, ancien président de la Banque
centrale américaine, que la seule innovation

                                                 65
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


financière utile de ces vingt dernières années
est… le distributeur automatique de billets !

     « Les marchés financiers et leurs innovations
     facilitent le financement de l’économie »

  À écouter le secteur financier, s’opposer à l’in-
novation financière des marchés serait au mieux
de l’inculture, au pire de l’obscurantisme. « Vous
n’empêchez pas Apple d’inventer l’iPhone, pour-
quoi la finance aurait-elle l’interdiction d’innover
pour le profit de tous ? », m’expliquait sans com-
plexe le lobbyiste d’un fonds d’investissement
américain. Pourtant, si l’utilité de l’iPhone – et de
ses concurrents – semble difficilement contes-
table, celle de certaines « innovations finan-
cières » me laisse bien plus sceptique.
  Ainsi, une innovation majeure que défendent
les lobbies des Bourses se nomme le « tra-
ding de haute fréquence », autrement dit la
capacité d’acheter et de revendre des actions
en quelques millièmes de seconde à l’aide de
programmes informatiques. Cette technique
de spéculation à très court terme, où les opé-
rateurs conservent rarement leur position plus
d’une minute, s’est développée de manière ex-
ponentielle ces dernières années. À tel point
qu’aujourd’hui, plus de 50 % des ordres passés
sur les valeurs des entreprises du CAC 40 pro-
viennent des fonds américains comme Getco ou
Citadel, devenus maîtres en la matière.

66
QUATRIÈME PARTIE



  Ces fonds profitent d’une autre « innova-
tion » financière, l’introduction de la concur-
rence entre les places boursières. Avant, le
monde était simple : une action d’une entre-
prise française ne s’échangeait que sur la
Bourse de Paris. Aujourd’hui, les actions d’une
même entreprise sont cotées en Europe dans
plusieurs Bourses différentes. On peut ache-
ter ou vendre une action Total sur Euronext à
Paris, mais aussi à Londres sur des marchés
concurrents, comme Chi-X ou BATS. Résultat,
chaque place propose un prix légèrement
différent. Il faut avoir vu de près l’écran d’un
trader dans la salle des marchés pour toucher
du doigt l’absurdité de l’organisation actuelle
des marchés financiers.
  Le trader va en effet chercher à « arbitrer »
en permanence entre ces différents prix, en
temps réel. Il va par exemple acheter à Paris
pour revendre dans le même temps à Londres
car il existe un centime d’écart. Bien entendu,
à ce jeu, les ordinateurs sont plus rapides que
les hommes. Ce qui explique que 60 % des tran-
sactions financières aux États Unis et 35 % en
Europe soient maintenant le fait de machines
qui déclenchent automatiquement des ordres
en analysant les différents prix. Cette inno-
vation du trading automatisé n’est pas sans
risques. Parfois, le système déraille et aboutit
à des aberrations. Ainsi, le 6 mai 2010, le Dow
Jones, l’indice qui regroupe les trente plus

                                              67
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


grandes valeurs boursières américaines, s’est
mis à perdre près de 10 % en quelques minutes
sans explication valable. Certaines entreprises
comme le géant du conseil Accenture ont même
vu leur titre ne plus valoir que quelques cen-
times. La raison : face à un ordre atypique passé
par un trader, les programmes automatiques
qui scrutent les marchés s’étaient emballés puis
retirés brusquement des entreprises cotées
à New York. Cet accident de parcours a eu le
mérite de faire réfléchir, y compris au Parlement
européen. Plus personne n’ose s’opposer à un
meilleur contrôle de ces modèles ou au principe
de suspendre le fonctionnement des marchés
en cas d’anomalie.
  Mais la vraie question reste celle de l’utilité
même de cette forme de transaction ultra-
rapide, qui oblige les opérateurs financiers à
investir des dizaines de millions d’euros en
infrastructure informatique. Pour ses pro-
moteurs, l’affaire est entendue : le trading de
haute fréquence contribue à ce que les finan-
ciers appellent « la liquidité des marchés ».
L’argument est le suivant : si un gestionnaire
de fonds de pension, par exemple, a le choix
entre l’action d’une entreprise A et celle d’une
entreprise B, et que les deux présentent le
même profil de risque, alors il achètera l’action
dont il peut se débarrasser le plus vite possible
en cas de problème. Autrement dit, il optera
pour les produits les plus « liquides ». Plus les

68
QUATRIÈME PARTIE



marchés sont liquides, c’est-à-dire plus il est
facile de se délester d’un titre en cas de pro-
blème, plus ils sont attractifs, plus ils drainent
de l’épargne, et donc plus ils peuvent financer
l’économie. Un argument récurrent utilisé par
l’ensemble de mes interlocuteurs pour limi-
ter les tentatives des responsables politiques
d’encadrer davantage, voire d’interdire, les
pratiques et produits qui se sont développés
depuis les années 1990. Un argument qui re-
vient comme un dogme : tout ce qui pourrait
conduire à réduire la liquidité (comme une taxe
sur les transactions financières, par exemple)
est par nature mauvais. Un dogme alimenté
par l’industrie financière, mais auquel ad-
hèrent également nombre de mes collègues au
Parlement européen.
   Or, dans le cas du trading de haute fréquence,
la réalité est largement différente. Ces opé-
rateurs passent effectivement des milliers
d’ordres d’achat ou de vente en permanence.
Ils envoient donc un signal qui dit « je suis prêt
à acheter ou vendre ». Mais l’immense majorité
de leurs propositions d’achat ou de vente, ce
qu’on appelle les ordres sur les marchés, sont
retirées au dernier moment du carnet d’ordres,
c’est-à-dire le lieu électronique où sont stoc-
kées l’offre et la demande d’un titre financier. En
effet, ces acteurs ne souhaitent s’engager dans
une transaction que s’ils sont quasi certains de
pouvoir revendre aussitôt le titre à meilleur prix.

                                                 69
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


En fait, ces traders, grâce à une vitesse supé-
rieure, tendent à s’interposer inutilement entre
les autres acheteurs et les vendeurs présents
sur le marché. Comme si, au supermarché, un
acheteur plus rapide venait rafler les produits
vers lesquels vous commenciez à tendre la
main, pour vous les revendre dans l’instant un
tout petit peu plus cher.
   Plus généralement, la liquidité permanente
n’est utile qu’aux acteurs financiers ultra-court-
termistes. Quand vous achetez une action avec
comme objectif de la revendre dans la minute,
il faut effectivement que les marchés soient
ultra-liquides. Si votre objectif est de la conser-
ver plusieurs mois ou plusieurs années car vous
croyez dans le développement de cette entre-
prise, alors il faut simplement que vous puissiez
la revendre le jour où vous le décidez, mais pas
à la milliseconde près.
   Le trading de haute fréquence est le symbole
de marchés financiers dont l’objectif n’est plus
de favoriser le développement des entreprises
mais de servir l’intérêt des spéculateurs. C’est
le symbole de la transformation des marchés en
casinos, au détriment de leur fonction de finan-
cement de l’économie.
   Je n’ai pas souvenir que l’économie réelle
ne fonctionnait pas quand les échanges bour-
siers ne se traitaient pas à la milliseconde. En
revanche, je sais que les financiers gagnaient
beaucoup moins d’argent…

70
QUATRIÈME PARTIE



     « Les produits complexes sont utiles à
     l’économie car ils permettent de limiter
     les risques »

  La crise a permis de mettre en lumière de
nouveaux produits financiers : les produits déri-
vés. Ces produits plus ou moins complexes per-
mettent d’acheter à terme – par exemple dans
un mois – une quantité donnée à un prix donné
d’un titre financier, d’une matière première ou
encore d’une monnaie. Cet instrument était
au départ conçu pour permettre de s’assurer
contre la volatilité des cours. Ainsi, une entre-
prise comme Airbus, qui vend sa production en
dollars mais paie ses salariés en euros, est forte-
ment dépendante de l’évolution du cours euros/
dollars. Elle doit donc s’assurer que les avions
commandés aujourd’hui à un prix exprimé en
dollars lui permettront, quand ils seront livrés,
de recevoir un montant qui, une fois converti en
euros, couvre ses coûts. Pour ce faire, Airbus
achète une assurance qui garantit un prix du
dollar à une échéance donnée. La plupart du
temps, ce sont les banques qui organisent ce
type de montage, moyennant une commission.
Ceci est la face noble des produits dérivés.
  Ces marchés sont aujourd’hui largement dé-
voyés. Ce qui devait servir d’assurance est de-
venu un outil pour réaliser des paris financiers.
Ainsi, pour un baril de pétrole consommé, il s’en
échange vingt à trente sur les marchés dérivés.

                                                 71
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


Ces matières premières ne sont plus considé-
rées comme des actifs réels nécessaires à la
réalisation d’une production, mais comme des
actifs financiers parmi d’autres, sur lesquels on
peut spéculer.
   Le cas le plus emblématique de cette dérive
est sans doute le marché des dérivés de cré-
dit, les fameux CDS, supposés permettre de
s’assurer contre la faillite d’une entreprise
ou d’un État. Cet instrument est devenu une
arme de spéculation massive contre les dettes
des États. Ainsi, lors de la crise grecque, les
banques et les fonds spéculatifs ont acheté des
« CDS à nu ». Autrement dit, ils ont acheté une
prime d’assurance contre le risque de faillite de
la Grèce, alors qu’ils ne détenaient aucune obli-
gation grecque. En même temps, ils vendaient
à leurs clients des obligations grecques qu’ils
ne possédaient pas, en s’engageant à livrer ces
titres une semaine plus tard.
   En achetant des CDS à nu, la banque contribue
à augmenter la demande de CDS sur la Grèce, et
donc tire leur prix à la hausse. Quand le prix du
CDS augmente, cela signifie que la perception
du risque s’accroît. Ceux qui détiennent vrai-
ment les obligations grecques demandent donc
un taux d’intérêt plus élevé pour en acheter de
nouvelles. Les obligations déjà émises ayant un
taux d’intérêt fixe, c’est le prix de l’obligation qui
baisse pour s’ajuster au nouveau taux. Si l’opé-
ration réussit, la banque peut alors, au bout

72
QUATRIÈME PARTIE



de quelques jours, acheter l’obligation moins
chère qu’elle ne l’a vendue à son client. Elle peut
alors revendre les CDS à nu qu’elle avait ache-
tés, en faisant même un second bénéfice. Bien
sûr, l’opération ne marche pas à tous les coups.
Mais lorsque ça fonctionne, c’est le jackpot sur
le dos des États, qui voient leurs taux d’inté-
rêt augmenter au point de rendre parfois leur
financement difficilement soutenable.
   Il est évident que les problèmes de la Grèce,
de l’Italie ou de l’Espagne ne se résument pas
à une question de spéculation. Mais, parce
que ces problèmes sont suffisamment graves,
il n’est justement pas nécessaire de jeter de
l’huile sur le feu. Notamment de la part de
grandes banques qui ont largement été soute-
nues par les États en 2008, et qui sont plus que
jamais sous perfusion de la Banque centrale
européenne.
   Quand cette forme de spéculation est apparue
contre la Grèce au printemps 2010, elle a sus-
cité un certain émoi qui a conduit la Commission
européenne à proposer en septembre 2010 une
loi pour qu’elle puisse être interdite, mais uni-
quement en cas de grave crise. Bref… lorsqu’il
est trop tard. J’étais le négociateur principal
de cette loi pour le Parlement européen, et j’ai
obtenu le soutien d’une majorité des députés
pour aller beaucoup plus loin et interdire pure-
ment et simplement les CDS à nu sur les dettes
des États européens sur la base d’un principe

                                                 73
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


simple : on ne peut pas s’assurer contre un
risque que l’on ne détient pas. Or, acheter un
CDS, qui est un produit d’assurance, sans dé-
tenir d’obligations de l’État concerné, c’est bien
s’assurer contre le risque des autres. Comme
si je pouvais toucher une prime d’assurance en
cas d’incendie d’une maison que je ne possède
pas. De quoi donner des idées à certains pyro-
manes… Dans la vraie vie, c’est bien entendu
interdit. En finance, c’est autorisé.
   Du côté des États, seuls l’Allemagne et l’Au-
triche soutenaient cette interdiction. La France
était (courageusement !) neutre, le Royaume-
Uni farouchement opposé. La négociation avec
le Conseil s’annonçait donc difficile, d’autant
que l’Italie et l’Espagne, les deux principaux
États concernés par la vague de spéculation en
2011, étaient au départ hostiles à l’interdiction
des CDS à nu pour ne pas « fâcher les mar-
chés »… Au début de l’été 2011, la situation était
donc proche du blocage : du côté du Parlement,
il était hors de question de céder sur cette inter-
diction, et du côté des États il n’y avait claire-
ment pas de majorité pour la voter.
   La donne a changé avec la crise italienne de
juillet 2011. En quelques jours, les taux d’intérêt
italiens flambent. L’Italie interdit les ventes à dé-
couvert et, à la rentrée de septembre, se révèle
beaucoup plus ouverte à une interdiction des
CDS à nu. Mais elle pose une condition : qu’en
cas de tension sur sa dette (matérialisée, par

74
QUATRIÈME PARTIE



exemple, par une augmentation importante de
ses taux d’intérêt), un État puisse les autoriser à
nouveau. Cela peut paraître paradoxal, puisque
l’interdiction est justement là pour protéger les
États de la spéculation. Mais les Italiens ont un
bon argument : les Européens sont les premiers
au monde à interdire les CDS à nu. Si jamais
cette décision se révélait contre-productive
pour le financement des États déjà en situation
de tension, ils doivent pouvoir revenir dessus
dans les plus brefs délais, sans attendre que
l’Union passe une nouvelle loi.
   Avec l’équipe de négociation du Parlement, j’ai
accepté cette possibilité, car nous avons obtenu
que l’État qui souhaite lever l’interdiction sur sa
dette doive en référer à l’Autorité européenne
des marchés financiers, qui aura 24 heures
pour dire si cette décision lui semble justifiée
ou non. Le dernier mot est donc européen, et
aucun État ne peut utiliser abusivement cette
exception.
   Une fois l’accord politique conclu, le Parlement
et les États ont officiellement voté cette inter-
diction en octobre 2011. Elle entrera totalement
en vigueur en novembre 2012 dans les 27 États
de l’Union, le temps pour la Commission et
l’Autorité européenne des marchés financiers
de rédiger les décrets d’application. L’issue de
cette négociation est clairement une victoire
car l’Europe montre la voie. C’est un premier
pas important pour lutter contre la spéculation

                                                 75
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


et l’utilisation abusive des produits dérivés par
certains acteurs de marchés.
   Mais les produits dérivés ne font pas que
contribuer à la spéculation sur certains mar-
chés. Ils créent aussi des interconnexions
opaques et multiples entre les différents acteurs
financiers au niveau mondial. Ainsi, personne
n’avait réellement conscience des engagements
pris par l’assureur américain AIG vis-à-vis des
banques européennes et américaines avant sa
quasi-faillite. En effet, le marché des dérivés
est largement de gré à gré ; autrement dit, les
transactions se font de manière bilatérale, sans
passer par un marché transparent. Les produits
dérivés vont ainsi générer du risque supplé-
mentaire pour le système dans son ensemble.
Il est donc faux de dire que, d’un point de vue
systémique, ils réduisent les risques. D’ailleurs,
le développement de ces produits n’a pas fait
diminuer la volatilité des marchés financiers.
   Comme souvent, les marchés partagent la res-
ponsabilité des problèmes avec les politiques.
Car, à la source de la volatilité des marchés à
laquelle les produits dérivés apportent une
fausse réponse, il y a une décision politique : la
libéralisation financière. Autrement dit, le fait de
confier aux marchés la fixation des prix, et no-
tamment des prix des monnaies entre elles, les
taux de change. À partir des années 1970, pour
des raisons idéologiques liées à la vague néo-
libérale, mais aussi parce que les chefs d’État

76
QUATRIÈME PARTIE



et de gouvernement étaient incapables de s’en-
tendre sur un système de change fixe, ceux-ci
ont préféré laisser le marché fixer le « bon » prix
des monnaies. C’est aussi le cas pour certaines
matières premières, dont le prix était fixé aupa-
ravant par des contrats à long terme.
  À partir du moment où les prix ne sont plus
déterminés par les responsables politiques, qui
les modifiaient au maximum quelques fois par
an, mais par des marchés qui les font varier
toutes les minutes, la volatilité augmente. De
ce fait, le risque microéconomique augmente,
et apparaît le besoin de développer des ins-
truments de couverture qui ne font, en réalité,
que gérer l’incertitude généralisée créée par
un système de prix mouvants reposant sur les
seules lois du marché, sans aucune régulation
par la puissance publique. Les produits dérivés
remplissent donc mal, voire de manière contre-
productive, une fonction que les politiques ont
laissée aux seuls marchés.
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
cinquième partie
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
« Une taxe sur les transactions financières est
    mauvaise pour le fonctionnement des marchés »

Pendant longtemps les banques se sont oppo-
sées au principe même d’une taxe sur les tran-
sactions financières (TTF), avec un argument
simple : un tel impôt reviendrait à perturber le
fonctionnement des marchés financiers. On
peut difficilement dire le contraire puisqu’il
est en partie fait pour cela, à savoir réduire les
transactions ultra-court-termistes. La vraie
question est donc de savoir si la diminution
de ces transactions est négative ou pas… et
pour qui. Plus il y a de transactions, plus ceux
qui assurent leur aboutissement gagnent de
l’argent en touchant diverses commissions. Il
n’est donc pas étonnant de voir les sociétés
qui gèrent les Bourses, comme Nyse Euronext
à Paris, opposées à une telle taxe. De même,
les banques qui réalisent un grand nombre
d’opérations pour leur propre compte sur les
marchés financiers, et qui de ce fait contribue-
raient fortement à la TTF, ont toutes les raisons
de s’y opposer. Rien de surprenant puisque au-
cune entreprise privée ne souhaite être taxée.
Mais ce n’est pas un argument recevable en

                                                81
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


soi pour un responsable politique, sinon il n’y
aurait jamais eu d’impôts.

     « Une taxe sur les transactions financières
     sera en fait payée par les entreprises et
     les retraités »

  Faute de réussir à convaincre de la dangero-
sité de la taxe pour le fonctionnement des mar-
chés, l’industrie financière a fait évoluer son
discours. Son nouvel argument est qu’en sou-
tenant la TTF, nous, députés européens, ima-
ginons taxer le secteur financier, alors qu’en
fait ce sont les retraités et les entreprises qui,
au final, payeront la taxe. En effet, les Bourses
et les banques soutiennent qu’elles n’auront
d’autre choix que de la facturer aux investis-
seurs, comme les fonds de pension, ce qui
réduira d’autant leur rendement et donc les
pensions versés in fine. Cet argument est peu
présent dans le débat français, car notre sys-
tème de retraite ne s’appuie par sur des fonds
de pension, mais il est au cœur du lobbying
anti-TTF au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas,
par exemple.
  La réalité est que ceux qui ont le plus à perdre
avec cette taxe sont ceux qui réalisent du tra-
ding de haute fréquence (voir p. 66). Ces acteurs
multiplient les transactions en achetant et en
vendant des actions à très court terme. Une taxe
sur chacune des transactions les concernerait
82
CINQUIÈME PARTIE



donc en premier lieu. C’est d’ailleurs pour cela
que l’organisation de lobbying des sociétés de
trading à haute fréquence (le Principal Traders
Group aux États-Unis et son extension euro-
péenne, le European Principal Traders associa-
tion) a pour principal objectif de s’opposer à la
TTF. Or, ces acteurs, qu’il s’agisse des banques
ou de fonds indépendants, n’agissent pas pour
le compte d’épargnants mais pour leur compte
propre ; ce sont donc eux-mêmes les clients fi-
naux. Ainsi, le coût de la taxe viendra avant tout
amputer leurs propres profits. Pour les fonds
de pension, qui sont des investisseurs de long
terme, la taxe sera largement indolore.
  De plus, le coût unitaire des transactions
a beaucoup baissé depuis plusieurs années
grâce aux progrès techniques, et l’introduc-
tion d’une TTF ne viendrait que marginalement
augmenter ce coût. Et même si une petite part
de la TTF était effectivement répercutée sur le
client final, ce serait infime au regard des ré-
munérations perçues par les gestionnaires de
fonds, qui grèvent le rendement des fonds de
pensions de 1,5 % des sommes investies par
an. En outre, ceux qui n’ont pas de patrimoine
financier ne sont par définition pas concernés.
Et les épargnants qui en possèdent un qu’ils
gèrent en « père de famille » devront s’acquit-
ter de cette taxe de manière minime. De même
pour les entreprises non-financières, dont la
finalité n’est pas de spéculer sur les marchés,

                                                83
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


et qui devraient donc elles aussi n’être que
faiblement impactées. Derrière la défense du
petit retraité, les banques cherchent à déguiser
la réalité, comme les défenseurs de la suppres-
sion de l’impôt sur la fortune mettant en avant
la veuve de l’île de Ré… pour mieux protéger les
ultra-riches.

     « L’Europe ne peut pas mettre seule en place
     une taxe sur les transactions financières »

  En l’absence de consensus en faveur d’une
TTF au niveau du G20, l’Europe, ou au moins
un groupe d’États pionnier, semble prête à
avancer. La Commission européenne, sous
la pression de l’Allemagne, de la France et du
Parlement européen, a mis sur la table en oc-
tobre 2011 une directive pour créer une telle
taxe au niveau de l’UE à 27. L’opposition du
Royaume-Uni à cette initiative rend peu pro-
bable une TTF dans toute l’Union européenne,
car une telle décision relève de la règle de l’una-
nimité. Autrement dit, il suffit qu’un seul État
s’y oppose pour que la décision ne puisse être
prise. Il sera donc probablement nécessaire de
passer au « plan B », à savoir une taxe s’appli-
quant uniquement aux pays membres de la zone
euro. Une majorité d’entre eux sont favorables
à une TTF, et l’opposition actuelle de quelques
États comme les Pays-Bas, l’Irlande ou encore
le Luxembourg ne semble pas insurmontable

84
CINQUIÈME PARTIE



car ils n’ont pas de place financière importante,
à la différence de Londres9.
  Cette perspective inquiète les banques de
la zone euro. Car si leurs dirigeants osent
moins critiquer publiquement le principe même
d’une taxe sur les transactions financières, ils
s’accordent pour affirmer qu’une telle taxe ne
peut être que mondiale, et que l’Union ne peut
la mettre en place seule, au risque de voir les
transactions quitter les places européennes.
Un argument massue puisque, en cas de fuite
des transactions, il n’y aurait plus rien à taxer !
La plupart du temps, l’exemple de la Suède est
utilisé pour illustrer ce propos. En 1984, en ef-
fet, ce pays a mis en place une TTF qui a eu
pour conséquence de transférer à Londres la
majeure partie de ses activités financières, car
le système suédois permettait d’échapper à la
taxe en passant des ordres auprès d’un courtier
installé hors du pays.
  Des solutions existent pour éviter une telle
fuite des transactions. Ainsi, la proposition
de directive rédigée par la Commission évite
ce piège. Elle prévoit que le bénéficiaire de la
transaction sera taxé quel que soit le lieu de
sa réalisation, dès lors qu’il réside dans l’Union
européenne. Ainsi, si BNP Paribas décidait de
transférer ses ordres de Paris à Zurich, elle
continuerait d’être soumise à la taxe en tant que
9. Le Luxembourg est une place importante pour la banque
privée, mais pas pour les Bourses.

                                                           85
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
Sixième partie
Finance Watch ou la naissance
         d’un contre-pouvoir
Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire - intégral - Pascal Canfin - ÉDITIONS LES PETITS MATINS
En arrivant au Parlement européen en
juin 2009, je savais bien entendu que la puis-
sance de feu de l’industrie financière en ma-
tière de lobbying était presque sans limites, et
grande sa proximité avec les décideurs. Ainsi,
le groupe d’experts en matière bancaire de
la Commission européenne – dissout en oc-
tobre 2011 –, dont la fonction était de conseiller
celle-ci sur les réformes à accomplir, comptait
25 banquiers et 7 membres dont les principaux
clients étaient l’industrie financière… sur un
total de 42. Ces experts chargés de conseil-
ler la Commission européenne avaient donc
pour employeurs Goldman Sachs, Barclays,
BNP Paribas ou encore Deutsche Bank… dont
on voit mal comment elles pourraient promou-
voir des réformes ambitieuses et contraires à
leurs intérêts !
  Je me suis donc fixé très vite des règles de
relations avec les lobbies. La première est de
rendre publiques toutes les rencontres que je
peux avoir avec eux, ainsi que celles de mon
équipe. Sur mon site Internet10, on trouve la liste
de toutes les organisations que j’ai rencontrées,
et l’objet de ces rendez-vous.
10. www.europeecologie.eu/-Pascal-Canfin

                                                 89
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


  La deuxième règle est d’utiliser les lobbyistes
les uns contre les autres. Autrement dit, cher-
cher à obtenir d’eux des contre-arguments
aux positions avancées par d’autres lobbyistes
défendant des intérêts opposés. Ainsi, j’ai com-
mencé fin 2011 la négociation de la directive
encadrant le droit des transactions financières.
C’est un sujet sur lequel les intérêts des socié-
tés de Bourse, comme Nyse Euronext qui gère
la Bourse de Paris, sont opposés à ceux des
banques, qui veulent capter les transactions à
leur profit en développant des marchés paral-
lèles aux Bourses. Il est donc intéressant de
recevoir les uns pour écouter leurs arguments…
et les faire parler des autres.
  La troisième règle est bien sûr d’opérer un
« tri sélectif » des demandes, car je pourrais
passer mon temps à recevoir des lobbies tant
les sollicitations sont fréquentes. Or, les argu-
ments sont finalement souvent les mêmes, et
autant les entendre une fois est utile pour les
connaître et éventuellement pouvoir s’y oppo-
ser, autant avoir toujours sa porte ouverte est
contre-productif.
  Enfin, je me suis imposé une dernière règle :
rencontrer autant que possible des profession-
nels de la finance, et notamment ceux qui me
sollicitent de manière informelle, afin de sortir
de la langue de bois des lobbyistes bruxellois.
Un certain nombre de financiers, certes mino-
ritaires, souhaitent que les règles changent. Ils

90
SIXIÈME PARTIE


ont été choqués par la façon dont leurs banques
ont été sauvées, directement ou indirectement,
par les États, sans que cela n’entraîne une pro-
fonde modification des règles. Ces personnes
connaissent parfaitement les rouages des mar-
chés financiers et sont donc une source indis-
pensable pour me permettre de me forger une
opinion juste et d’opérer un tri dans les argu-
ments des lobbyistes officiels.
  À ces quatre règles j’aurais voulu en ajouter
une cinquième : rencontrer les ONG qui assurent
un contre-lobbying. Mais j’ai vite perçu à quel
point les contre-pouvoirs capables d’exercer
cette action n’existaient pas en matière finan-
cière. Où étaient les Amnesty International ou
les Greenpeace de la finance ? En matière envi-
ronnementale, par exemple, des ONG comme
le WWF ou le Bureau européen de l’environne-
ment (qui rassemble 140 organisations euro-
péennes) jouent un rôle de contre-lobbying.
Lors des négociations des textes européens sur
le climat, les normes de pollution de l’eau, ou
encore l’encadrement de l’industrie chimique,
elles rencontrent les décideurs publics, dé-
construisent les arguments des grandes en-
treprises, proposent des amendements… En
matière de réglementation financière, personne
ne s’acquittait de ce rôle.
  Je me suis alors tourné vers d’autres dépu-
tés européens, comme Pervenche Berès, an-
cienne présidente socialiste de la commission

                                              91
CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT...


des Affaires économiques et monétaires du
Parlement, ou Jean-Paul Gauzès, coordinateur
du groupe conservateur sur les questions éco-
nomiques, pour leur demander s’ils partageaient
ce constat et désiraient changer la donne. Fort
de retours positifs, j’ai initié en juin 2010 un
appel transpartisan avec une vingtaine de dé-
putés de cinq groupes politiques du Parlement
(Verts, socialistes, conservateurs, libéraux et
gauche communiste) issus de plusieurs pays
européens, tous en charge des principaux
textes d’encadrement de la finance au sein de
la commission des Affaires économiques et
monétaires. Cette initiative est originale : il est
courant de voir la société civile interpeller les
responsables politiques, le contraire est moins
fréquent ! Pourtant, cet appel de députés vise
bien les syndicats, les ONG, les organisations
de consommateurs… avec un message simple :
ne laissez plus l’industrie financière disposer
d’un monopole sur le lobbying, organisez-vous
pour peser.
  Publié la même semaine dans différents pays
européens, cet appel ne passe pas inaperçu.
En France, en Allemagne, au Royaume-Uni, à
Bruxelles, un dialogue s’engage entre les dépu-
tés signataires et les organisations de la so-
ciété civile européenne. Chacune a de bonnes
raisons de ne pas avoir agi jusqu’à présent :
la finance n’est pas leur cœur de métier, elles
trouvent que c’est trop compliqué et n’ont pas

92
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  • 3. Du même auteur : Le Contrat écologique pour l’Europe, Les petits matins, 2009. C’est pollué près de chez vous. Les scandales écologiques en France, avec Wilfrid Séjeau, Les petits matins, 2008. Consommer responsable, Flammarion, 2008. L’Économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas, Les petits matins, 2007. Pour consulter le site de Pascal Canfin : www.europeecologie.eu/-Pascal-Canfin Couverture : Thierry Oziel Maquette : Stéphanie Lebassard Ce livre a été imprimé sur papier recyclé Cyclus Offset. © Les petits matins, 2012 31 rue Faidherbe, 75011 Paris www.lespetitsmatins.fr ISBN : 978-2-36383-000-5 Diffusion Seuil Distribution Volumen Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
  • 6. 9 Introduction Première partie 17 « La crise financière, c’est pas nous » 21 « Les banques ne sont pas responsables de la crise de la zone euro » 26 « Ce n’est pas la faute des agences de notation. Casser le thermomètre ne réduit pas la fièvre » Deuxième partie 33 « Les banques françaises n’ont rien coûté aux contribuables » 36 « Les banques françaises sont plus régulatrices que les autres » 40 « Les banques françaises ne spéculent pas sur les dettes des États » 43 « Les banques françaises sont plus solides » Troisième partie 49 « Fixer des contraintes trop fortes aux banques pénalise l’économie, et donc l’emploi » 55 « L’accumulation de régulations nous étrangle » 57 « Si vous régulez trop, on partira s’installer ailleurs » Quatrième partie 66 « Les marchés financiers et leurs innovations facilitent le financement de l’économie » 71 « Les produits complexes sont utiles à l’économie car ils permettent de limiter les risques »
  • 8. Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. Jean Jaurès À Lol et Sol.
  • 10. Introduction « On s’est fait balader. » C’est ce que me disait en 2009 le journaliste d’une grande radio qui venait d’interviewer le patron de l’une des pre- mières banques françaises. « Il nous a enfumés en faisant des réponses techniques auxquelles on n’a rien compris », poursuivait-il. « Se faire balader », c’est un peu le sentiment de toute une société qui, après la crise financière de 2008, a pensé que le politique reprendrait la main sur les marchés mais constate que c’est l’inverse qui s’est produit. Alors que les États ont sauvé les banques, jamais ils ne semblent avoir été si contraints par ce qu’il est convenu d’appe- ler « les marchés financiers », cet ensemble de gestionnaires de fonds, de banques, de fonds spéculatifs (les fameux hedge funds), d’agences de notation, qui font la pluie et le beau temps. Et qui, depuis quelques mois, défont et refont cer- tains gouvernements. Ces acteurs financiers, je les côtoie tous les jours en tant que député européen. Car les règles qui les encadrent – ou justement ne les encadrent pas assez – se décident pour 9
  • 11. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... l’essentiel au niveau européen. Le Parlement européen est en la matière codécideur avec les États. Depuis deux ans, j’ai donc négocié – et je négocie encore – les lois portant sur les fonds spéculatifs, la rémunération des traders, la spé- culation sur les dettes des États, les produits dérivés, le droit des transactions financières, les agences de notation, etc. Parfois, avec mon groupe politique, celui des Verts, j’ai soutenu la version finale des textes, parfois j’ai voté contre. Car s’engager pleinement dans les né- gociations ne signifie pas nécessairement sou- tenir le résultat final. On me demande parfois pourquoi un écolo- giste s’implique dans les questions financières. Ma conviction est que la transition écologique dont nous avons tant besoin pour transmettre une planète vivable à nos enfants a besoin de la finance. L’écologie, comme une certaine finance, s’intéresse au long terme. Les réassureurs, ceux qui paient en dernier lieu les dégâts liés au changement climatique, par exemple, sont les alliés des écologistes. Mais cette finance de long terme, qui investit, croit en des projets et les rend possibles, est absorbée par une fi- nance uniquement centrée sur le court terme, dont le mot d’ordre est « après moi le déluge ». Transformer la finance est donc un combat pro- fondément écologiste et humaniste. Depuis la crise financière de 2008, il est clair que, derrière des questions apparemment 10
  • 12. INTRODUCTION techniques réservées à des débats d’experts, se cachent des choix politiques ayant un impact sur l’ensemble de la société et sur le quotidien de chacun d’entre nous. Pendant les trente der- nières années, les responsables politiques – de droite, mais aussi trop souvent de gauche – ont sciemment abrogé les unes après les autres les règles encadrant les activités financières. Par pure idéologie, ils ont laissé se développer une créature monstrueuse qui a totalement échappé à leur contrôle. Mais la crise financière qui a ex- plosé en 2008 est un démenti cinglant à tous les chantres de l’autorégulation des marchés. Elle constitue donc une opportunité historique pour sortir de l’opacité les débats sur la finance et en faire une affaire de citoyens. Car tout le monde est concerné par la façon dont fonctionne – ou plutôt dysfonctionne – le système financier. Dans les nombreux débats auxquels je par- ticipe en France comme en Europe, je n’ai pas encore rencontré de citoyens qui ne veulent pas que la finance soit plus et mieux encadrée. Mais très peu savent comment les décisions sont prises, quelles positions le gouvernement français défend vraiment à Bruxelles, quelles réformes sont réellement réalisables pour reprendre la main sur la finance… C’est pour éclairer ce processus et contribuer au débat dé- mocratique sur ces questions si déterminantes pour notre avenir que j’ai écrit ce livre, tiré de mon expérience de député européen. 11
  • 13. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... Pour raconter cette histoire, j’ai choisi de répondre aux arguments que j’entends tous les jours, que vous entendez aussi de la part des grands acteurs des marchés financiers : si l’Europe met en place telle ou telle règle, nous délocaliserons, ou nous arrêterons de financer l’économie, ou nos talents iront ailleurs. Et puis les banques françaises sont différentes, plus responsables, elles ne spéculent pas contre les dettes souveraines, elles respectent les règles sur les bonus, elles financent les entreprises. Tout dans ce discours n’est pas faux. Mais, pour l’essentiel, il est loin d’être vrai. Le pro- blème est que ni les citoyens ni la plupart des journalistes et des responsables politiques ne sont capables d’identifier le vrai du faux, de faire la différence entre la contrainte réelle et la pure intox. Car le lobbying effréné de l’industrie financière ne s’embarrasse pas de détails. Il a longtemps bénéficié d’un monopole. En face de lui, aucun contre-pouvoir n’existait. La donne a commencé à changer avec la création en sep- tembre 2011 de l’ONG Finance Watch, dont je suis à l’origine avec d’autres députés européens. Je présente enfin, dans la perspective de l’alternance en France en 2012, un bouquet de dix réformes clés pour changer la finance. Mon expérience de député européen m’a donné une certitude : la France pourrait faire beaucoup plus, même dans le cadre européen actuel. Et l’histoire selon laquelle notre pays serait le 12
  • 14. INTRODUCTION fer de lance mondial de la régulation du capi- talisme est une belle fable à usage interne. Ce bouquet de mesures implique un changement de gouvernement en France. Mais aussi une certaine implication de la société civile. C’est pourquoi ce livre n’est pas écrit pour les spé- cialistes, mais justement pour tous ceux qui ne se sentent pas suffisamment armés pour com- prendre la façon dont la finance fonctionne et les vraies marges de manœuvre dont, nous, les responsables politiques, disposons pour autant que nous ayons la volonté d’agir. S’approprier les questions financières est une des clés pour sortir de la crise. Car sans démocratisation de la finance, nous assisterons à la financiarisation de la démocratie.
  • 18. « La crise financière, c’est pas nous » Combien de fois ai-je entendu cet argument depuis mon arrivée au Parlement européen en 2009 ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, à écouter les banquiers, assureurs et autres gestionnaires de hedge funds, les responsables de la crise seraient toujours… les autres. Des « autres » qui varient bien sûr en fonction des interlocuteurs. Et une posture qui justifie toute opposition à davantage de réglementations. Lorsque, en 2009, l’Europe s’est engagée dans l’encadrement de l’activité des fonds spécula- tifs, les gérants de ces fonds affirmaient qu’ils n’avaient rien à voir avec la crise et que celle- ci était causée par les prêts irraisonnés des banquiers. Lorsque la Commission européenne a tenté, en 2010, de renforcer les règles enca- drant les assureurs, ceux-ci ont répliqué qu’ils n’avaient rien à voir avec les banques et que leur modèle était différent, oubliant que la crise de 2008 avait mené à la quasi-faillite du pre- mier assureur mondial, AIG. Lorsque, depuis 2011, l’Europe s’attaque à la réglementation des risques pris par les banques, la réponse de leurs dirigeants est de dire que ce ne sont pas 17
  • 19. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... les banques européennes qui sont en cause, mais les errements de la finance américaine, à l’origine des produits toxiques comme les prêts subprimes, feignant d’oublier les centaines de milliards d’euros d’argent public déversés pour sauver certains de leurs établissements. C’est donc toujours la faute des autres. Et sur- tout… de l’État et des superviseurs publics qui n’ont pas fait leur travail. Un comble quand on connaît l’acharnement de ces mêmes acteurs financiers à tout faire pour que ces autorités n’aient justement pas trop de pouvoirs ! La réalité est qu’il n’y a pas un responsable unique de la crise mais bien un enchaînement de mécanismes justifiant une nouvelle régle- mentation de l’ensemble des activités finan- cières. Si les fonds spéculatifs possèdent une telle force de frappe, c’est bien parce que les banques leur prêtent de l’argent. Si les pro- duits subprimes ont été notés triple A par les agences de notation, c’est bien parce que celles-ci nagent en plein conflit d’intérêts. Si les autorités de supervision publiques n’ont pas voulu intervenir, c’est parce qu’elles sont en partie captées par la défense des intérêts des entreprises qu’elles sont chargées de contrôler – comme cela se voit dans d’autres secteurs, les médicaments par exemple. Il n’y a donc pas « un » responsable ni « une » réforme magique. Chaque acteur a sa part de responsabilité, et seul un nouvel ensemble de 18
  • 20. PREMIÈRE PARTIE règles permettra de contrôler à nouveau le sys- tème financier. Or, plutôt que d’accepter cette part de responsabilité et d’en tirer les consé- quences, les acteurs financiers préfèrent se défausser sur les autres. Cela prouve bien l’absurdité et l’inefficacité de l’autorégulation, pourtant toujours défendue par une partie de la droite au Parlement européen. Ce combat pour une reprise en main de la finance par le politique, je le mène tous les jours au Parlement européen, au sein de la Commission des affaires économiques et mo- nétaires. Celui-ci est en effet au cœur du pro- cessus sur ces sujets. Pour bien comprendre le reste de cet ou- vrage, quelques précisions sur la façon dont l’Europe fonctionne sont nécessaires. Lorsque la Commission européenne veut encadrer les agences de notation, les bonus ou les risques pris par les banques, par exemple, elle fait une proposition de directive ou de règlement : autre- ment dit, elle propose une loi européenne. Elle seule peut le faire puisque les traités européens lui confèrent le monopole de l’initiative législa- tive. Une fois présentée par la Commission, la proposition de législation est modifiée paral- lèlement par le Conseil, qui réunit les États, et par le Parlement européen. S’engage ensuite une négociation entre le Parlement et le Conseil pour aboutir à un texte unique validé par les deux institutions. Au sein du Parlement, ce 19
  • 21. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... sont les députés de la Commission des affaires économiques et monétaires, où je siège, qui négocient. Chaque groupe politique désigne un représentant. Des sept groupes politiques1, seuls cinq sont vraiment actifs sur la régle- mentation de la finance ; l’extrême droite et la gauche communiste étant largement absentes, de manière assez paradoxale pour cette der- nière, il faut bien l’admettre. L’équipe de négo- ciation du Parlement est donc constituée de cinq personnes qui changent en fonction des sujets mais se retrouvent souvent car les spé- cialistes de la finance ne sont pas si nombreux. J’ai le privilège d’appartenir à ce petit groupe de députés dont les travaux déterminent forte- ment la capacité de l’Europe à se doter d’une régulation financière ambitieuse. Comme le Parlement européen est élu au scrutin propor- tionnel, il n’y a pas, à la différence de l’Assemblée nationale en France, de majorité et d’opposition automatiques. Chaque loi doit trouver sa majo- rité. Le groupe des Verts, le quatrième groupe politique par sa taille, en fait parfois partie, comme ce fut le cas pour les règles encadrant les bonus ou l’interdiction de pratiques spécu- latives contre les dettes des États. Et parfois, 1. Le PPE, où siègent les députés UMP ; le groupe libéral (ADLE), où siègent les députés Modem ; le groupe socialiste (S&D) ; les Verts européens (Verts/ALE) ; le GUE/NGL, où siègent les députés communistes ; le groupe ELD (extrême droite) ; le groupe des conservateurs britanniques (ECR). 20
  • 22. PREMIÈRE PARTIE après avoir tenté d’obtenir le meilleur texte pos- sible, nous basculons dans l’opposition, comme pour la loi portant sur les hedge funds. « Les banques ne sont pas responsables de la crise de la zone euro » Avant d’entrer dans la réglementation finan- cière stricto sensu, commençons par la crise de la zone euro. Les banques n’hésitent pas à le clamer haut et fort : « Nous ne sommes pas responsables de la crise de la zone euro. » À les écouter, elles ne seraient que les victimes in- nocentes de l’irresponsabilité des États. Qu’en est-il vraiment ? Affirmons-le clairement : les banques ne sont pas les seules responsables de la crise de la zone euro, mais elles y ont leur part de responsabilité. En premier lieu, ce sont les banques qui ont financé les bulles immobilières qui plombent aujourd’hui les pays en difficulté comme l’Es- pagne ou l’Irlande, et qui pourraient bien ex- ploser en France en 2012. Certes, le choix de l’accession à la propriété pour tous est avant tout politique. Nicolas Sarkozy rêvait en 2007 d’une France de propriétaires. Il plaidait dans le numéro d’avril 2007 de Revue Banques, la publication de la Fédération bancaire française (FBF), pour transposer en France le crédit hypo- thécaire qui marchait si bien… aux États-Unis et 21
  • 23. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... en Espagne ! Heureusement que les bulles ont explosé dans ces pays avant que le Président ne puisse engager la France dans cette voie dramatique… Partout en Europe, les banques ont fait plus qu’accompagner cette volonté politique, prêtant sans se soucier de la capacité de l’emprunteur à rembourser, nourrissant la bulle immobilière et accumulant un niveau d’endettement jamais atteint. Lorsque la bulle a explosé à partir de 2008, les banques se sont immédiatement retrouvées fragilisées et il a fallu que les États leur portent secours pour éviter un désastre plus grand encore. C’est là la seconde respon- sabilité des banques dans la crise actuelle. L’accumulation excessive de dette publique ces trois dernières années s’explique non par une soudaine gabegie des États, mais par une intervention publique destinée à éviter une ré- cession encore plus profonde et à sauver les banques. Ainsi, le sauvetage bancaire de l’Ir- lande a accru l’endettement public de 45 points de PIB. Au total, la dette publique des États de la zone euro est passée en moyenne de 66 % du PIB en 2007 à 85 % fin 2010. Cette dette est également la conséquence de choix politiques tels ceux réalisés en France en 2007 de baisser les impôts des plus riches, ou en Grèce de lais- ser se développer une très large évasion fiscale. Pour autant, les banques ne peuvent passer sous silence leur responsabilité dans ce bond 22
  • 24. PREMIÈRE PARTIE de 20 points d’endettement qui a fini de pous- ser dans le rouge des États déjà endettés. Le résultat de cette vague de dettes publiques est bien sûr de fragiliser la situation financière des États. Les banques découvrent que la dette de certains États, gonflée par le déficit lié à la crise, atteint des niveaux difficilement soute- nables. Ce dont elles ne se sont pas vraiment souciées quand cet argent a été utilisé pour les secourir… Les marchés financiers ciblent en premier le pays le plus fragile, la Grèce. Doutant de la capacité du pays à rembourser l’intégralité de sa dette, les marchés exigent des taux d’in- térêt de plus en plus élevés. Des mouvements spéculatifs aggravent la tendance et font que la Grèce doit, en 2010, demander aux autres États membres de l’Union européenne de lui prêter l’argent que les marchés financiers ne veulent plus lui avancer. Un phénomène similaire intervient ensuite en Irlande et au Portugal. L’État irlandais ayant pris sur lui une partie de la dette contractée par ses banques auprès des autres banques européennes, il n’est plus solvable. Dès lors, plus personne ne veut lui prêter l’argent dont il a besoin pour financer son déficit, et ce sont donc les autres États européens qui ap- portent cet argent et sauvent ainsi en même temps les banques irlandaises et leurs propres banques. Mais cet argent, les États européens ne l’ont pas non plus en caisse. Ils sont donc 23
  • 25. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... obligés de s’endetter davantage, ce qui affaiblit d’autant leur situation. Et comme les tensions atteignent ensuite deux gros pays de la zone euro – l’Espagne et l’Italie –, c’est la capacité de l’ensemble de la zone qui est mise en doute et conduit à se tourner vers le dernier acteur capable d’acheter massivement des obligations d’État : la Banque centrale européenne (BCE). Or, les règles de la zone euro interdisent à la BCE de se substituer aux marchés pour ache- ter de la dette publique, comme c’est le cas au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Un principe largement inspiré par l’Allemagne mais que la France avait également adopté dès 1973 en interdisant à l’État de financer sa dette directe- ment auprès de la Banque de France. La crise actuelle, qui trouve en partie son ori- gine dans les errements des banques, n’est pas sans conséquences non plus pour les banques, qui deviennent des arroseurs arrosés. En effet, elles détiennent des quantités importantes de dettes publiques, et si ces dettes perdent pro- gressivement de leur valeur sans qu’aucun État ou la Banque centrale ne soient capables d’apporter leur garantie, elles doivent alors enregistrer les pertes dans leur compte et di- minuer leur bénéfice. Ainsi, la restructuration de la dette grecque en 2011 a conduit le Crédit agricole à enregistrer une perte de 850 millions d’euros, BNP Paribas 650 millions d’euros, et la Société générale près de 400 millions. Pas 24
  • 26. PREMIÈRE PARTIE de quoi mettre en danger leur rentabilité si le cas est limité à la Grèce. Mais de quoi les mettre réellement en péril si la situation se propage à l’Espagne, à l’Italie, voire à la France. La pression sur les dettes des États se re- tourne donc contre les banques. En raison de leur exposition au risque souverain, les banques européennes sont maintenant consi- dérées par les marchés financiers – c’est-à- dire par les grands fonds d’investissement… et les autres banques – comme un actif financier risqué. Et les fonds spéculatifs ne parient plus seulement sur la baisse de la valeur des dettes souveraines, mais aussi sur celle des actions des banques. D’où l’effondrement des actions bancaires en 2011 : ainsi, d’avril à septembre de cette année, l’action de la Société générale a perdu environ 60 % de sa valeur, celle de BNP Paribas 40 %, et celle du Crédit agricole 55 %. Les banques, redevenues vulnérables, avaient de nouveau besoin d’États conciliants capables de les sauver une seconde fois si né- cessaire. Mais, plutôt que de créer un rapport de force pour obtenir d’elles des changements de pratiques, les États européens, dont 25 sur 27 sont gouvernés par la droite, ont préféré leur faire, sur les trois derniers mois de 2011, trois cadeaux magistraux : en octobre, les États re- noncent à contrôler la façon dont les banques vont devoir augmenter leurs fonds propres pour faire face à la crise (voir p. 49) ; le 9 décembre, 25
  • 27. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... les États, à l’initiative de la France, affirment que les banques ne seront plus mises à contri- bution, comme ce fut le cas avec la faillite par- tielle de la Grèce ; et le 21 décembre, la Banque centrale européenne accorde aux banques de la zone euro un accès illimité à très faible taux pendant trois ans à de l’argent qu’elle crée. Tout cela sans aucun engagement en contrepartie, alors que le reste de l’économie s’enfonce dans le rouge et que les gouvernements européens préfèrent prôner encore plus de flexibilité sur le marché du travail ou remettre en cause certains droits sociaux. « Ce n’est pas la faute des agences de notation. Casser le thermomètre ne réduit pas la fièvre » Si tous les Européens connaissent leurs banques, peu avaient entendu parler de Moody’s et de Standard & Poor’s. L’année 2011 a donné à ces agences de notation une noto- riété nouvelle qui a conduit la Commission européenne à présenter, en novembre de cette année, une nouvelle directive pour les enca- drer, et dont je suis l’un des négociateurs. « Nous ne faisons que mesurer la fièvre », nous disent ces agences. Or, contrairement à une idée reçue, elles ne sont pas des ther- momètres. Un thermomètre ne porte aucun diagnostic, ne fait aucune recommandation. Ce n’est pas le cas des agences de notation, 26
  • 28. PREMIÈRE PARTIE qui, à partir d’un faisceau d’indicateurs écono- miques, tentent d’évaluer un risque portant sur une entreprise, un produit financier ou un pays, et formulent des préconisations de politiques publiques – ce qui est plutôt le rôle du méde- cin que celui du thermomètre. Or, l’histoire récente est truffée d’exemples où les agences ont posé des diagnostics totalement erronés : les produits subprimes étaient notés AAA, soit la meilleure note, alors qu’ils se sont révélés les plus toxiques possible ; quelques semaines avant sa faillite, la banque Lehman Brothers était notée AAA, idem pour l’Islande. Qui conti- nuerait d’aller chez un médecin aussi incompé- tent ? Personne. Il y a donc de bonnes raisons de ne pas faire confiance à ces agences. En effet, quelle est la capacité d’une équipe de quelques analystes à évaluer la complexité des risques pesant sur un pays ? Pendant des années, les agences ont sous-évalué les risques en Grèce, par exemple. Elles n’ont pas non plus alerté sur les dangers liés à l’explosion des bulles immobilières en Irlande ou en Espagne. Pourquoi deviendraient-elles tout à coup des juges de paix ? La réalité est que les agences ne font qu’émettre une opinion qui reflète plus les conventions du moment qu’une analyse détail- lée des risques, qu’elles sont en fait incapables de fournir. C’est pourquoi je soutiens, dans la négocia- tion qui a commencé au Parlement européen 27
  • 29. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... début 2012, un encadrement plus strict des agences de notation. Je me battrai par exemple pour obtenir qu’elles n’aient plus le droit de faire des préconisations politiques, ce qui va bien au- delà de leur rôle d’évaluation des risques. Par ailleurs, quand une agence annonce par erreur la dégradation de la note d’un pays, comme ce fut le cas pour la France en 2011, ne devrait-elle pas être tenue juridiquement responsable des conséquences de cette erreur ? Néanmoins, ce meilleur encadrement des agences s’annonce difficile. Ainsi, Michel Barnier, commissaire européen aux services financiers, a dû retirer au dernier moment de son projet en novembre 2011 la possibilité d’interdire temporairement aux agences de publier leurs notations concernant certains États en cas de crise aiguë. Les autres commissaires ont refusé cette disposition au nom de… la liberté d’expression. S’il faut changer les règles de fonctionnement de ces agences (voir p. 109 pour d’autres pro- positions), il ne faut pas non plus se tromper de débat. En effet, ce sont des choix politiques qui ont donné un rôle central aux agences. La législation bancaire européenne a ainsi fait des notes des trois grandes agences, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, l’indicateur officiel pour mesurer le risque d’un titre financier. Dans le débat actuel sur le triple A des États de la zone euro, ce sont les responsables politiques – et notamment Nicolas Sarkozy, avant qu’il ne 28
  • 30. PREMIÈRE PARTIE change de pied à partir de décembre 2011 – qui ont donné aux agences un statut d’oracle, plus que les marchés eux-mêmes. Car, pour ces der- niers, la note d’une agence n’est qu’un facteur parmi d’autres pour décider ou non de prêter à un État et à quel taux d’intérêt le faire. Ainsi, le Japon, qui est noté AA- par Standard & Poor’s, soit trois crans en dessous du fameux AAA, n’a aucun mal à emprunter à des taux très bas, fort de la confiance des épargnants japonais.
  • 34. Comme d’autres sujets, la finance n’échappe pas à toute une série de cocoricos. Les banques françaises – selon leurs dirigeants mais égale- ment selon le gouvernement – sont, au choix, plus régulatrices, plus solides, mieux gérées, et elles n’ont rien coûté aux contribuables pen- dant la crise de 2008. Faut-il croire à cette belle histoire française ? « Les banques françaises n’ont rien coûté aux contribuables » Pour la Fédération bancaire française (FBF), les banques n’ont pas eu besoin d’un plan de sauvetage pendant la crise financière2. Pourtant, en 2008, quelques jours après la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre, l’État se porte au secours des banques fran- çaises de la façon suivante : une enveloppe de 40 milliards d’euros est créée pour appor- ter des capitaux aux banques sous forme de prêts, et une garantie publique de 320 milliards d’euros est offerte par le gouvernement. Suivant 2. Voir la campagne de la FBF, « Parlons clair. Les banques en France », mars 2011. Document téléchargeable sur www. fbf.fr/fr/espace-presse/parlons-clair/les-banques-en-france 33
  • 35. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... l’adage « privatisons les profits, socialisons les pertes », l’État s’est ainsi placé en grand assu- reur du système bancaire français. Le soutien est donc double : de l’argent à court terme, qui sera effectivement remboursé avec des intérêts, et une garantie publique qui, elle, n’aura pas besoin d’être activée mais a permis de restaurer la confiance dans la signature de la banque, et donc d’éviter la faillite. Il s’agit là d’un soutien plus discret mais fondamental, et dont ne disposent pas les autres entreprises, hormis quelques secteurs qui parviennent à négocier avec l’État de telles conditions avantageuses, comme l’industrie du nucléaire. Mais les banques françaises ont aussi béné- ficié des plans de soutien des autres pays à leurs banques. En effet, ce n’est pas le contri- buable français qui a sauvé la Société générale, mais le contribuable… américain. Avant la crise, la Société générale disposait d’un important portefeuille d’actifs de type subprimes – des produits adossés à des prêts immobiliers aux États-Unis. Consciente des risques liés à ces produits, la Société générale s’était largement assurée contre le risque de pertes auprès du premier assureur mondial, AIG. Quand les cré- dits subprimes se sont révélés pourris à partir de 2007, AIG a dû commencer à indemniser ceux qui s’étaient assurés auprès de lui, mais il s’est révélé rapidement incapable de faire face à ses engagements. Menacé de faillite, l’assureur 34
  • 36. DEUXIÈME PARTIE doit alors se tourner vers la Banque centrale américaine, la Fed, et le gouvernement Bush, qui dans l’urgence débloquent un prêt de 85 mil- liards de dollars. Une somme qui a immédiate- ment quitté les comptes d’AIG pour ceux des grandes banques mondiales qui s’étaient assu- rées auprès de cet organisme. Avec 13 milliards de dollars, Goldman Sachs fut ainsi le premier bénéficiaire du sauvetage d’AIG. Mais 12 mil- liards sont également allés dans les caisses de la Société générale. Sans cet argent public, cette banque, dont le capital n’était que de 41 milliards d’euros, aurait été en très grande difficulté. Si les banques ont bien été aidées directement et indirectement, la FBF nous explique qu’elles n’ont, au final, « rien coûté au contribuable3 ». Une phrase écrite un peu rapidement. C’était oublier la banque franco-belge Dexia, pourtant membre de la FBF. Pierre Richard, l’ancien diri- geant de Dexia, siégeait même au comité exécu- tif de la Fédération. La banque était déjà passée tout près de la faillite en 2008. Elle avait alors garanti des prêts subprimes américains – tou- jours eux ! À l’époque, les contribuables français ont acheté pour 3 milliards d’euros d’actions de Dexia, via l’État et la Caisse des dépôts et consignations. Un investissement réalisé sur la base d’un cours de Bourse de 9,90 euros. Or, aujourd’hui, Dexia ne vaut quasiment plus rien en Bourse. Une moins-value de près de 3. Document « Parlons clair. Les banques en France », op. cit. 35
  • 37. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... 3 milliards d’euros… à la charge de la collectivité. La crise de la dette souveraine a fini d’achever la banque, qui croule sous les actifs douteux. Seule solution, la démanteler pour sauver ce qui peut l’être. La banque de détail belge a déjà été nationalisée par la Belgique, et l’activité de fi- nancement des collectivités locales françaises est reprise par la Caisse des dépôts et consi- gnations. L’addition finale n’est donc pas encore connue. Le dernier plan de sauvetage prévoit une garantie publique pour Dexia de 33 mil- liards d’euros pour le seul État français. Au final, il est à craindre que le sauvetage de la banque franco-belge soit particulièrement douloureux pour les contribuables français et belges, et at- teigne une perte d’environ 10 milliards d’euros. La légende des banques françaises n’ayant « rien coûté aux contribuables » a du plomb dans l’aile. Mais peut-être que ces milliards ne sont effectivement « rien » pour des banques qui ont réalisé, en cumulé, 21 milliards de béné- fices en 2010. « Les banques françaises sont plus régulatrices que les autres » Encore une fois, lisons ce que nous disent les banques françaises à coup de grands encarts publicitaires dans la presse quotidienne. Elles « tirent les leçons de la crise », « soutiennent et appliquent le principe d’une régulation 36
  • 38. DEUXIÈME PARTIE renforcée4 ». Vu de Bruxelles, difficile d’y voir autre chose qu’une mystification, tant ce sou- tien m’est imperceptible, à moi député euro- péen. Décryptage d’un double discours. Si les banques françaises soutiennent « une régulation renforcée », c’est bien seule- ment dans leur communication grand public. À Bruxelles, où les décisions sont prises, la réa- lité est tout autre. Les banques françaises ne dérogent pas à la règle qui veut que la bonne ré- gulation soit celle qui s’applique avant tout aux autres. Depuis mon élection, j’ai reçu à plusieurs reprises les représentants de la FBF, jamais je n’ai entendu d’eux une proposition susceptible d’aller plus loin en matière de régulation finan- cière. Ainsi, la FBF m’alerte régulièrement sur la façon dont les règles devraient être adaptées, toujours dans le sens du moins-disant régle- mentaire. En matière de lobbying, les banques françaises ne défendent pas des positions plus régulatrices que leurs concurrentes anglo- saxonnes, notamment. D’ailleurs, il leur arrive même de faire carrément du lobbying commun avec elles. J’ai ainsi été surpris – mais aurais-je vraiment dû l’être ? – de recevoir une déléga- tion de l’ISDA5, le lobby des grandes banques 4. Campagne publicitaire FBF, décembre 2010. 5. ISDA-International Swaps and Derivatives Association (www.isda.org), dont sont membres Goldman Sachs, JP Morgan… mais aussi BNP Paribas, la Société Générale et le Crédit agricole. 37
  • 39. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... d’affaires américaines et européennes traitant des produits dérivés, composée de respon- sables du Crédit agricole et de la Royal Bank of Scotland (RBS), la banque écossaise qui a dû être nationalisée par l’État britannique après avoir perdu des milliards dans ses activités de marché. Lors de cette discussion je me suis permis de dire que je « comprenais » leur peu d’attention à la nécessité d’avoir un système plus sûr puisque, de toute façon, si les risques liés aux produits dérivés venaient à exploser, ce serait le contribuable qui paierait l’addition. Le responsable de la RBS m’a répondu avec un grand sourire : « Dans notre cas, oui. » Un cynisme absolu qui n’a pas bouleversé son col- lègue du Crédit agricole… À défaut de soutenir la régulation financière, les banques françaises en appliquent-elles les principes ? Prenons un des engagements forts du G20, la lutte contre les paradis fis- caux. Qu’ont fait les banques françaises de- puis 2008 ? Pas grand-chose. Ainsi, en 2009, le mensuel Alternatives économiques révé- lait que les établissements financiers français disposaient de 460 filiales dans les paradis fiscaux. À elle seule, BNP Paribas en comp- tait 190. Certes, les banques françaises ont annoncé fin 2009, à grand renfort de com- muniqués, qu’elles quittaient ces territoires. Cette décision ne faisait qu’anticiper la loi qui allait permettre à Nicolas Sarkozy de déclarer, 38
  • 40. DEUXIÈME PARTIE à la veille du sommet du G20 de Pittsburgh en 2009 : « Les paradis fiscaux, c’est fini. » Pour autant, ce retrait ne concernait que les paradis fiscaux « officiels », c’est-à-dire ceux reconnus par l’OCDE6, une liste très modeste puisque ni la Suisse ni le Luxembourg, par exemple, n’y figurent. Au final, BNP Paribas n’a dû fermer que deux succursales et six filiales au Panama et dans les Bahamas. Une perte microscopique pour la première banque française. Pas de quoi, donc, s’afficher en parangon de vertu. D’autant que la FBF milite publiquement contre une loi votée par Barack Obama en 2010, et qui s’appliquera en 2013, pour lutter contre l’évasion fiscale. Cette loi, dite FATCA7, prévoit que toutes les institutions financières ouvrant un compte à un citoyen américain ou à une entreprise à capitaux majoritairement amé- ricains soient obligées de le déclarer à l’admi- nistration fiscale américaine. Une loi qui écrase donc le secret bancaire et impose de nouvelles contraintes de transparence à l’ensemble des banques, dont les françaises, qui travaillent avec des clients américains. Plutôt que de saluer une avancée dans la lutte contre les paradis fis- caux, les banques françaises critiquent dans un document du 13 septembre 2011 qu’elles m’ont adressé « un impact extrêmement contraignant 6. Organisation de coopération et de développement économiques. 7. Foreign Account Tax Compliance Act. 39
  • 41. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... et coûteux », « une violation du secret ban- caire » ou encore « des difficultés techniques et des coûts considérables pour réaliser les vérifications électroniques et manuelles de l’identité des personnes ». Preuve, s’il en était besoin, que les banques françaises, comme toutes les autres, se satisfont très bien de ne pas connaître leurs clients ni l’origine des fonds qu’elles hébergent… tant que cela leur rapporte de l’argent. « Les banques françaises ne spéculent pas sur les dettes des États » En octobre 2011, toujours par voie d’encarts pu- blicitaires, la FBF rétablissait « sa » vérité. Non, contrairement à ce que certains aimeraient faire croire, « les banques françaises ne spéculent pas sur la dette grecque ». Français, dormez tran- quille : la spéculation, c’est pour les méchants hedge funds, ces acteurs qui utilisent les mar- chés financiers comme des casinos et qui sont presque tous situés dans des paradis fiscaux, principalement aux îles Caïmans. Rien à voir avec l’activité de nos établissements bancaires ! Pourtant, en y regardant de plus près, sur- prise, nos gentilles banques françaises ont des filiales dont la spécialité n’est autre que de financer ces fonds spéculatifs. Des activités qu’elles ont continué de développer pendant la crise. Ainsi, en juin 2008, Bank of America, une 40
  • 42. DEUXIÈME PARTIE des grandes banques américaines frappées de plein fouet par la crise des subprimes, se sépare de certaines de ses activités pour récupérer de la trésorerie. Elle décide donc de vendre son activité de financement de fonds spéculatifs. Qui l’achète pour se développer sur ce métier hautement rentable ? BNP Paribas, qui devient ainsi un des leaders européens du financement de hedge funds… Une activité que connaissent également bien la Société générale et le Crédit agricole, qui possèdent avec Newedge une fi- liale commune pour financer les fonds spécula- tifs. Une filiale primée par le Hedgefund Journal comme la société la plus efficace pour accom- pagner les stratégies des fonds spéculatifs fon- dées sur les produits dérivés. On peut bien sûr toujours arguer du fait que, si les banques françaises ne finançaient pas les fonds spéculatifs, d’autres le feraient. C’est tout à fait exact. Mais dans ce cas, si elles étaient sincères dans leur volonté régulatrice, elles auraient dû plaider pour des règles strictes d’encadrement des hedge funds qui se seraient appliquées à l’ensemble des banques euro- péennes. Or, lors de la négociation en 2009 et en 2010 de la directive qui encadre ces fonds (Alternative Investment Funds Directive, AIFM), aucune banque française n’est venue plaider en faveur d’un cadre juridique plus ambitieux ! Ce sont bien les banques qui donnent leur pouvoir aux fonds spéculatifs. En effet, ceux-ci 41
  • 43. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... sont des entités qui disposent de très peu de capitaux propres. Ils vont emprunter auprès des banques pour accumuler des montants qui leur permettent ensuite d’influencer les tendances sur les marchés. Sans cet « effet de levier », leur pouvoir serait beaucoup plus faible. En finan- çant et en aidant les hedge funds, les banques françaises ont bien fourni, en toute connais- sance de cause, les armes qui ont permis à ces derniers de spéculer, y compris contre la Grèce. Enfin, la FBF nous informe que les banques françaises « ont conservé leurs titres, à la de- mande des pouvoirs publics, pour donner toutes ses chances au plan de soutien à la Grèce8 ». Cela est exact ! Elles ont conservé leurs titres grecs, comme le leur avait demandé Christine Lagarde – alors ministre de l’Économie, de l’In- dustrie et de l’Emploi –, et cela alors même que d’autres banques, comme la Deutsche Bank, n’hésitaient pas à s’en débarrasser. Mais les banques françaises n’ont pas fait preuve d’au- tant de civisme avec les autres pays du sud de l’Europe. Ainsi, en quatre mois, entre l’été et l’automne 2011, BNP Paribas s’est délestée de 8,3 milliards de dette italienne. Des ventes mas- sives qui pèsent sur les taux d’intérêt de ces États, et qui ont eu lieu au moment même ou la communication publique valorisait la conserva- tion des titres grecs… 8. Campagne FBF, 20-21 octobre 2011. 42
  • 44. DEUXIÈME PARTIE « Les banques françaises sont plus solides » L’affaire Dexia et l’aide reçue par la Société générale de la part des États-Unis montrent que cette solidité est toute relative. Quant à Natixis, la banque d’investissement filiale des Caisses d’épargne et des Banques populaire, très mal en point en 2008 en raison d’investissements hasardeux, elle n’aura survécu qu’au prix d’une fusion forcée de ses deux actionnaires, opé- rant ainsi un transfert financier de la banque de détail vers la banque de marché. Autrement dit, ce sont des banques historiques de l’économie sociale, les Caisses d’épargne et les Banques populaires, qui, grâce à l’épargne de millions de Français, ont empêché la disparition de Natixis. Malgré tout, il est vrai que, contrairement à d’autres pays, comme le Royaume-Uni, aucune banque n’a fait faillite et n’a dû être nationalisée. Une particularité française est mise en avant pour expliquer cette solidité : le modèle de la banque universelle. Ce modèle consiste à re- grouper dans une même entité les activités de banque de détail aux particuliers (prêts à la consommation, prêts immobiliers…) et la banque dite de « financement et d’investisse- ment », qui agit principalement sur les marchés financiers. Grâce à cette intégration, les béné- fices récurrents et substantiels réalisés par les banques françaises dans les activités aux par- ticuliers ont permis de compenser les pertes 43
  • 45. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... dans les activités de marchés, comme l’exemple de Natixis l’a illustré. Si le modèle de la banque universelle a fait preuve d’une relative solidité en France, cela n’a pas été le cas partout en Europe. Ainsi, ING, aux Pays-Bas, ou encore Royal Bank of Scotland, au Royaume-Uni, deux banques universelles, se sont retrouvées en grande difficulté. Les pertes réalisées dans les activités de marché excédaient largement les profits réalisés dans la banque de détail. Or, quand ces banques sont en difficulté à cause des activités de marché, ce sont les économies des particuliers qui sont menacées. Dans ce cas, les États n’ont d’autres choix que de leur venir en aide. Cette garan- tie publique de fait permet à ces banques de prendre des risques sur les marchés… tout en étant sûres d’être sauvées en cas de problème. On peut lire par exemple sur le site Internet de Newedge, la filiale commune de services aux hedge funds de la Société générale et du Crédit agricole, qu’être adossé à des banques de dé- pôt est pour cette filiale un avantage compara- tif important car, en cas de problème lié à son activité, elle pourra compter sur le soutien de banques que l’État français ne pourra pas lais- ser tomber. Les clients de ces banques, comme les contribuables français, sont, j’en suis sûr, ravis d’offrir ce service aux hedge funds… C’est pourquoi la question d’une séparation des activités de détail de celles de financement 44
  • 46. DEUXIÈME PARTIE et d’investissement se pose aujourd’hui. En Europe, ce débat a pris le plus d’ampleur au Royaume-Uni, où le coût public du sauvetage bancaire est l’un des plus élevés. Le rapport de la commission chargée par le gouvernement britannique de se pencher sur cette réforme s’est clairement prononcé pour une séparation des deux activités à la fin de l’année 2011. Pour autant, si elle est nécessaire, cette sé- paration n’est pas la solution miracle. Lehman Brothers était une pure banque d’affaires. Un statut qui a justifié l’absence de soutien public menant à la faillite de la banque… et poussant la finance mondiale au bord du gouffre. Dans un système totalement interconnecté, où les banques d’affaires empruntent aux banques de dépôt, la séparation des deux activités ne serait qu’un trompe-l’œil. Pire encore, elle pour- rait aboutir à une sous-régulation des banques d’affaires, comme c’était le cas aux États-Unis, au motif que ces banques ne bénéficiaient ni de la garantie publique ni de l’accès à la Banque centrale. Soutien qui leur a été attribué dans l’urgence et sans contrepartie au plus fort de la crise de septembre 2008. Seule la création de deux systèmes financiers parallèles permettrait d’assurer une séparation réelle. La banque de détail serait destinée à financer les prêts aux particuliers et aux petites entreprises, comme l’ont fait pendant long- temps les banques mutualistes et coopératives 45
  • 50. « Fixer des contraintes trop fortes aux banques pénalise l’économie, et donc l’emploi » Voici l’argument qui, par définition, fait peur à tout responsable politique, de gauche comme de droite. Il permet de passer du registre de la dé- fense de l’intérêt particulier à celui de la défense de l’intérêt général. Cet argument est-il fondé ? Tout d’abord, rappelons le contexte réglemen- taire : le niveau de capital exigé des banques est fixé par des accords internationaux négo- ciés par les banquiers centraux et les régula- teurs bancaires des pays riches. Pas vraiment des révolutionnaires… Il s’agit de l’accord dit de Bâle 1 en 1988, puis de Bâle 2 en 2004, et de Bâle 3 en 2011. Ceux-ci sont ensuite traduits en droit européen par des directives. Celle qui doit transposer Bâle 3 en Europe est actuellement en négociation et s’appliquera à partir de 2013. Les capitaux, que l’on appelle aussi fonds propres, d’une banque représentent en quelque sorte son matelas de sécurité. En effet, tout prêt à un particulier ou à une entreprise présente un risque de non-remboursement, alors que la banque est dans l’obligation de restituer leurs dépôts aux épargnants. Ainsi, pour chaque prêt, 49
  • 51. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... elle doit constituer une réserve de capitaux propres qui servira en cas d’incapacité de cer- tains emprunteurs à rembourser leurs dettes. En l’absence de capitaux propres suffisants, c’est donc la capacité de la banque à rembour- ser les déposants qui est mise à mal. De ce fait, l’exigence de capitaux propres ne porte pas sur un niveau de capital en valeur absolue, mais bien sur un rapport entre le capital détenu et la totalité des prêts accordés par la banque, et le risque associé à ces prêts. L’accord de Bâle 3 obligera les banques à constituer un coussin de sécurité plus élevé. Elles devront donc mettre plus de capitaux propres de côté, notamment pour les opéra- tions les plus risquées. Ces obligations sup- plémentaires ont été fortement combattues par le lobby bancaire. Argument le plus cou- ramment avancé : l’augmentation des fonds propres accroîtra le coût et limitera le volume des prêts accordés aux ménages et aux petites entreprises. Moins de crédit signifie moins d’in- vestissement, et au final moins d’emplois. Les banquiers, via leur lobby mondial, l’Institute of International Finance, n’hésitaient pas à annoncer près de 10 millions d’emplois perdus dans le monde à cause des nouvelles règles pesant sur les banques ! Pourtant, ces estima- tions alarmistes ont été démenties par la der- nière étude d’impact réalisée par la Banque des règlements internationaux (BRI). Celle-ci 50
  • 52. TROISIÈME PARTIE estime l’impact sur la croissance à… moins de 0,01 point par an pendant la période de mise en œuvre de huit ans. Le coût du crédit aug- menterait de 0,06 point. Autrement dit, au lieu de payer votre crédit immobilier 4 %, il vous en coûterait 4,06 %, une différence marginale et largement indolore quand les taux peuvent va- rier de 0,1 à 0,2 point d’un mois sur l’autre pour des raisons liées à la politique de la Banque centrale, par exemple. En effet, dans leur raisonnement, les banques font semblant d’oublier que le niveau de fonds propres exigé n’est qu’un élément marginal dans la « fabrication » du taux d’intérêt au- quel la banque prête. Le déterminant principal est d’abord le taux d’intérêt auquel la banque achète elle-même sa ressource financière. Pour les taux à court terme, c’est le taux d’intérêt de la Banque centrale. Le taux d’intérêt de la BCE est aujourd’hui relativement faible – 1 % début 2012 – et il est encore plus faible aux États- Unis (0,25 %) et au Royaume-Uni (0,5 %). Pour les taux à long terme, ce sont les anticipations d’inflation qui déterminent en premier lieu le niveau des taux. Pourquoi les banques se sont-elles alors autant opposées aux nouvelles règles sur les fonds propres ? Parce que celles-ci vont dimi- nuer leur rentabilité. En effet, aujourd’hui, les banques financent leurs activités, notamment les plus spéculatives, avec très peu de fonds 51
  • 53. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... propres réglementaires. Ainsi, une banque qui prêtait 100 euros n’avait besoin de mobiliser que 4 euros de fonds propres. Avec une marge d’environ 1 % du montant du prêt, son coussin de sécurité n’était que de 4 %, mais la rentabilité de ses capitaux propres de 25 %, soit 1 euro de gagné pour 4 euros de fonds propres mobilisés. Demain, avec les nouvelles règles, ce coussin devra être de 8 euros. Le coussin de sécurité, doublé, atteindra donc 8 %, mais la rentabilité de la banque ne sera plus que de 12,5 %, soit 1 euro de gagné pour 8 euros de fonds propres mobilisés. C’est bien cette baisse sensible de leur rentabilité qui préoccupe en réalité les banques. Derrière le discours sur l’intérêt géné- ral et l’emploi, se cache uniquement la défense de leurs profits. D’autant que les activités les plus sévèrement pénalisées par les nouvelles règles ne sont pas les prêts aux particuliers et aux petites entre- prises, mais les activités sur les marchés finan- ciers. Ces activités sont fort rentables pour les très grandes banques. Ainsi, en 2006, BNP Paribas se vantait dans les publications des- tinées à ses actionnaires d’une rentabilité sur capitaux propres de 21,2 % dans ses activités de marché. Mais le phénomène n’est pas que français, évidemment : le retour sur capitaux propres des treize principales banques d’inves- tissement mondiales avoisinait les 20 % avant la crise de 2008. Des chiffres bien supérieurs à 52
  • 54. TROISIÈME PARTIE la rentabilité des prêts à l’économie réelle et qui s’apparentent plus à de la prédation du reste de l’économie qu’à un service rendu. Dans un débat public auquel je participais fin 2011 avec Jean-Pierre Mustier, l’ancien patron de Jérôme Kerviel à la Société générale, celui-ci reconnaissait d’ailleurs que « les banques ont dégagé des taux de rentabilité trop importants. C’était intenable. Si l’on multiplie ces chiffres sur plusieurs années, à la fin, il n’y a plus que des banquiers et des avocats, et les autres ac- teurs de l’économie sont morts ». Une prise de conscience bien tardive… Or, les nouvelles règles sur les fonds propres concernent principalement ces activités de marché. Ainsi, quand une banque achète pour son propre compte – c’est-à-dire pas pour celui d’un de ses clients mais pour elle-même – des produits dérivés sur le pétrole, par exemple, en pariant à la hausse ou à la baisse du prix, elle prend un risque. En contrepartie de ce risque, elle doit mettre du capital de côté, comme pour un prêt immobilier. Et les futures règles augmenteront fortement le niveau de fonds propres à réserver au cas où ce pari se révé- lerait perdant, et grèveront d’autant la rentabi- lité des banques. Cette réforme marquera donc la fin d’un business très rentable pour elles, ce qui explique qu’elles soient aujourd’hui prêtes à dépenser des millions en lobbying pour en limi- ter l’ampleur. 53
  • 55. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... Mais la crise des dettes souveraines accélère l’histoire. En octobre 2011, les États européens ont décidé d’obliger les banques à augmenter suffisamment leurs capitaux propres pour être en mesure de résister à la baisse de la valeur des dettes souveraines qu’elles possèdent. Les banques doivent, d’ici à juillet 2012, soit plus rapidement que prévu par les accords de Bâle 3, augmenter significativement leurs fonds propres. Pour améliorer le rapport entre les capitaux propres et la totalité des prêts, il y a deux possibilités : augmenter le capital… ou réduire les engagements pris. Or, augmenter son capital revient à diluer le montant existant dans un ensemble plus large. Autrement dit, à créer de nouvelles actions, ce qui fait baisser d’autant le bénéfice par action puisque le béné- fice total sera divisé en un nombre supérieur d’actions. Pas de quoi enchanter les action- naires… D’autant plus que la baisse actuelle des cours de Bourse obligerait les banques à émettre énormément de nouvelles actions pour lever les milliards nécessaires à leur recapitali- sation. Pour les banques les plus fragiles, leur capacité même à trouver de nouveaux action- naires est mise en doute. Faute de pouvoir lever de nouveaux fonds, elles devraient se tour- ner vers les pouvoirs publics. Ce fut le cas en 2008 pour certaines banques qui ont été ainsi nationalisées, comme Lloyds TSB au Royaume- Uni ou l’Anglo-Irish Bank en Irlande. 54
  • 56. TROISIÈME PARTIE Dès lors, les dirigeants des banques font tout pour ne pas prendre ce risque qui pourrait leur être fatal. Et « tout faire », cela signifie d’abord ne pas augmenter son capital mais réduire ses engagements, donc réduire les prêts à l’éco- nomie. Les banques font ainsi le choix de pro- téger leurs actionnaires, et les dirigeants le choix de protéger leurs positions, au détriment de l’intérêt général. Avec le consentement des gouvernements européens puisque ceux-ci ont accepté fin 2011 de laisser les banques libres de la façon dont elles augmenteraient leurs ratios de fonds propres. Un nouveau cadeau sans contrepartie, passé largement inaperçu mais qui montre, encore une fois, les largesses dont bénéficient les grandes banques… « L’accumulation de régulations nous étrangle » Pour les financiers, les nouvelles réglemen- tations post-crise sont un choc. Après des années de dérégulation et de supervision conci- liante, toute tendance à la re-régulation, même modeste, est vécue comme une agression. Au point que les lobbyistes de l’industrie financière ont entamé un nouveau credo qui fera sourire dans la vraie vie : « L’accumulation de régle- mentations est excessive, la régulation nous étrangle. » Pour être plongé depuis près de trois ans au cœur de la négociation européenne, je peux 55
  • 57. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... témoigner que le secteur financier est loin d’être « étranglé » par les nouvelles régulations. En effet, malgré la crise, les États continuent de défendre les intérêts de leur industrie finan- cière nationale, au détriment d’une régulation plus ambitieuse au niveau européen. L’industrie financière ne manque donc pas d’alliés. L’exemple le plus caricatural a probablement été la loi sur les bonus. L’Union européenne a adopté en juillet 2010, au bout de près d’un an de négociations, de nouvelles règles pour en- cadrer les bonus des traders et des dirigeants des banques. Sur ce dossier politiquement sen- sible, dont j’étais l’un des négociateurs, nous avions réussi à faire adopter des amendements ambitieux au Parlement. L’un d’entre eux sti- pulait que la rémunération variable ne pouvait pas dépasser 50 % du total de la rémunération. Autrement dit, si un trader touche un salaire fixe de 150 000 euros par an (un petit salaire dans les salles de marchés…), son bonus ne pourra être supérieur à ce montant. Une révo- lution quand on connaît les pratiques actuelles, où les bonus peuvent représenter jusqu’à dix fois le salaire fixe, incitant ainsi à une prise de risque maximum. Les États s’étaient contentés, dans leur propre version du texte, d’un principe « d’équilibre », sans chiffre. Le Parlement souhaitait également qu’un trader ne puisse pas toucher plus de 30 % de son bonus immédiatement et en cash, pour 56
  • 58. TROISIÈME PARTIE sortir de la culture du « je prends l’oseille et je me tire ». Dans la négociation qui a suivi entre le Parlement et le Conseil, les deux États qui se sont montrés les plus opposés à ces ré- formes ont été le Royaume-Uni (normal) et… la France. Au dernier jour des négociations, le 29 juin 2010, le Royaume-Uni a fini par accep- ter la proposition de compromis à 10 heures du matin. Pendant toute cette journée, le gouver- nement français s’est alors retrouvé seul en Europe (ou, pour être plus juste, seul avec le gouvernement Berlusconi…) à défendre les bo- nus des traders sur une ligne plus libérale que celle du Royaume-Uni. Une position politique- ment indéfendable. Finalement, à 17 heures, la France rejoignait le compromis… avant le départ de mon communiqué de presse dénon- çant l’attitude incroyable du gouvernement français. Cet exemple illustre le grand écart qui peut exister entre les discours de Nicolas Sarkozy et la réalité des positions défendues par la France en matière financière. « Si vous régulez trop, on partira s’installer ailleurs » Les banques ont développé un argument imparable pour s’opposer à toute décision ambitieuse en matière de régulation financière : le chantage aux délocalisations. « Si vous ré- gulez trop en Europe, nous transférerons nos 57
  • 59. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... activités aux États-Unis », nous dit l’industrie financière. Or, ce discours porte fortement au sein du Parlement européen. La priorité de cer- tains députés européens libéraux ou conserva- teurs semble être de ne surtout rien faire qui risquerait de soumettre la finance européenne à des règles plus strictes que celles en vigueur aux États-Unis ou en Asie. J’étais déjà peu réceptif à cet argument – qui obligerait l’Europe à s’aligner sur les règles les moins régulatrices – mais, lors d’un voyage à Washington en juillet 2010 avec d’autres dépu- tés européens en charge de la réglementation financière, j’ai réalisé toute l’imposture de l’in- dustrie financière. À cette occasion, j’ai ren- contré des parlementaires du Parti démocrate qui étaient à l’époque sur le point de faire voter le Dodd-Franck Act, la principale loi de Barack Obama de régulation de la finance. Ils nous ont raconté comment les banques américaines leur disaient : « Si vous mettez en place telle règle sur les produits dérivés ou sur la sépa- ration des banques d’affaires et des banques de dépôt, alors nous quitterons New York pour Londres. » Un discours identique à celui tenu par les banques européennes, qui nous expliquaient au même moment au Parlement que, si on appliquait des règles trop dures sur les bonus, elles quitteraient Londres pour New York. Le problème, c’est qu’une banque ne peut pas délocaliser ses équipes de Londres à 58
  • 60. TROISIÈME PARTIE New York le lundi parce que les règles sur les rémunérations sont plus souples aux États- Unis, puis les relocaliser à Londres le mercredi car les règles sur les produits dérivés y sont plus accommodantes… De manière générale, le risque de délocali- sation est très surestimé par l’industrie finan- cière. L’exemple des bonus est particulièrement frappant. Les nouvelles règles européennes, qui reprennent largement les prescriptions du G20, sont entrées en vigueur au 1er janvier 2011 et se sont donc appliquées aux bonus versés en 2011 au titre des performances de 2010. Ces règles reposent sur trois piliers. Le premier est le fait de différer dans le temps la rémunéra- tion variable. Jusqu’à présent, les traders tou- chaient leur bonus en fonction des résultats de l’année écoulée – une incitation à réaliser des profits à court terme sans se soucier de risques dont la survenance ne s’envisageait qu’à moyen ou long terme. Les produits subprimes ont ainsi rapporté beaucoup d’argent aux traders qui les traitaient, avant de manquer couler les banques. Suivant l’adage « donner c’est donner, reprendre c’est voler », ils touchaient l’intégra- lité de leur bonus immédiatement, et celui-ci ne pouvait leur être retiré si les choses tournaient mal par la suite. Face je gagne, pile tu perds. Aujourd’hui, le bonus est versé au minimum sur une période de trois ans. Deuxième pilier de la nouvelle réglementation, 70 % du bonus 59
  • 61. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... n’est plus délivré en cash mais en actions de la banque – actions qui ont perdu près de 50 % de leur valeur pour les banques françaises, par exemple, entre avril et septembre 2011. De quoi diminuer considérablement la somme touchée au final. Enfin, comme on l’a vu plus haut, le droit européen introduit un principe « d’équi- libre » entre la rémunération fixe et la rémuné- ration variable. Or, à écouter les banques durant les débats au Parlement, ces règles allaient faire fuir les tra- ders, présentés comme des exilés putatifs ! De fait, l’Europe est bien la seule région du monde à avoir transcrit les prescriptions du G20 – et même à être allée au-delà – en matière de rému- nérations dans le secteur financier. Pourtant, un an après l’entrée en vigueur de ces règles, nulle fuite de traders en vue. Car le risque est plus limité qu’il n’y paraît. Tout d’abord, l’application des règles à l’en- semble de l’Union européenne prévient toute délocalisation intra-européenne. Or, ce à quoi nous avons assisté depuis une dizaine d’années, c’est plutôt le transfert des traders des salles de marché de l’Europe continentale vers Londres, et non vers Singapour ou New York. Mais quid des délocalisations en dehors de l’Union ? Le danger n’est guère criant. D’une part, on ne crée pas une place financière avec toutes les compétences et les infrastructures nécessaires en claquant des doigts : les délocalisations ne 60
  • 62. TROISIÈME PARTIE peuvent donc se faire que sur des places déjà constituées et reconnues dans le monde entier, comme New York, Singapour ou Hong Kong. D’autre part, une délocalisation vers une des- tination lointaine pose un problème pratique : celui du décalage horaire. Si une banque déplace ses équipes hors d’Europe, cela signifie qu’elle doit les faire travailler la nuit pour continuer à servir ses clients européens. Je n’ai pas encore rencontré un seul trader à qui cela fasse envie…
  • 66. Au-delà de la régulation bancaire, la réforme financière passe aussi par un encadrement de cette nébuleuse que sont les marchés finan- ciers. Depuis la libéralisation des années 1980, les marchés n’ont cessé de se développer, par- fois en dehors de toute réglementation. Face à la volonté, pourtant toute relative, des respon- sables politiques d’encadrer davantage leurs activités, tous ceux – banques, fonds spécu- latifs, Bourses – qui bénéficient à plein de ces marchés débridés opposent une résistance acharnée. Pourquoi s’opposer aux lois « natu- relles » du marché qui leur sont si favorables ? Faisons d’abord un bref rappel historique. Il y a vingt ans, le trading de haute fréquence (voir p. 66) n’existait pas. Les CDS (credit default swaps, voir p. 72) non plus, puisqu’ils ont été in- ventés en 1994. Et les marchés de produits déri- vés, qui représentent 676 000 milliards d’euros aujourd’hui (on dit aussi, dans le jargon de la finance, 676 trilliards d’euros), étaient embryon- naires. Il a donc bien existé une époque, pas si lointaine, où les marchés finançaient l’économie sans s’apparenter à des casinos ! C’est ce qui fait dire à Paul Volcker, ancien président de la Banque centrale américaine, que la seule innovation 65
  • 67. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... financière utile de ces vingt dernières années est… le distributeur automatique de billets ! « Les marchés financiers et leurs innovations facilitent le financement de l’économie » À écouter le secteur financier, s’opposer à l’in- novation financière des marchés serait au mieux de l’inculture, au pire de l’obscurantisme. « Vous n’empêchez pas Apple d’inventer l’iPhone, pour- quoi la finance aurait-elle l’interdiction d’innover pour le profit de tous ? », m’expliquait sans com- plexe le lobbyiste d’un fonds d’investissement américain. Pourtant, si l’utilité de l’iPhone – et de ses concurrents – semble difficilement contes- table, celle de certaines « innovations finan- cières » me laisse bien plus sceptique. Ainsi, une innovation majeure que défendent les lobbies des Bourses se nomme le « tra- ding de haute fréquence », autrement dit la capacité d’acheter et de revendre des actions en quelques millièmes de seconde à l’aide de programmes informatiques. Cette technique de spéculation à très court terme, où les opé- rateurs conservent rarement leur position plus d’une minute, s’est développée de manière ex- ponentielle ces dernières années. À tel point qu’aujourd’hui, plus de 50 % des ordres passés sur les valeurs des entreprises du CAC 40 pro- viennent des fonds américains comme Getco ou Citadel, devenus maîtres en la matière. 66
  • 68. QUATRIÈME PARTIE Ces fonds profitent d’une autre « innova- tion » financière, l’introduction de la concur- rence entre les places boursières. Avant, le monde était simple : une action d’une entre- prise française ne s’échangeait que sur la Bourse de Paris. Aujourd’hui, les actions d’une même entreprise sont cotées en Europe dans plusieurs Bourses différentes. On peut ache- ter ou vendre une action Total sur Euronext à Paris, mais aussi à Londres sur des marchés concurrents, comme Chi-X ou BATS. Résultat, chaque place propose un prix légèrement différent. Il faut avoir vu de près l’écran d’un trader dans la salle des marchés pour toucher du doigt l’absurdité de l’organisation actuelle des marchés financiers. Le trader va en effet chercher à « arbitrer » en permanence entre ces différents prix, en temps réel. Il va par exemple acheter à Paris pour revendre dans le même temps à Londres car il existe un centime d’écart. Bien entendu, à ce jeu, les ordinateurs sont plus rapides que les hommes. Ce qui explique que 60 % des tran- sactions financières aux États Unis et 35 % en Europe soient maintenant le fait de machines qui déclenchent automatiquement des ordres en analysant les différents prix. Cette inno- vation du trading automatisé n’est pas sans risques. Parfois, le système déraille et aboutit à des aberrations. Ainsi, le 6 mai 2010, le Dow Jones, l’indice qui regroupe les trente plus 67
  • 69. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... grandes valeurs boursières américaines, s’est mis à perdre près de 10 % en quelques minutes sans explication valable. Certaines entreprises comme le géant du conseil Accenture ont même vu leur titre ne plus valoir que quelques cen- times. La raison : face à un ordre atypique passé par un trader, les programmes automatiques qui scrutent les marchés s’étaient emballés puis retirés brusquement des entreprises cotées à New York. Cet accident de parcours a eu le mérite de faire réfléchir, y compris au Parlement européen. Plus personne n’ose s’opposer à un meilleur contrôle de ces modèles ou au principe de suspendre le fonctionnement des marchés en cas d’anomalie. Mais la vraie question reste celle de l’utilité même de cette forme de transaction ultra- rapide, qui oblige les opérateurs financiers à investir des dizaines de millions d’euros en infrastructure informatique. Pour ses pro- moteurs, l’affaire est entendue : le trading de haute fréquence contribue à ce que les finan- ciers appellent « la liquidité des marchés ». L’argument est le suivant : si un gestionnaire de fonds de pension, par exemple, a le choix entre l’action d’une entreprise A et celle d’une entreprise B, et que les deux présentent le même profil de risque, alors il achètera l’action dont il peut se débarrasser le plus vite possible en cas de problème. Autrement dit, il optera pour les produits les plus « liquides ». Plus les 68
  • 70. QUATRIÈME PARTIE marchés sont liquides, c’est-à-dire plus il est facile de se délester d’un titre en cas de pro- blème, plus ils sont attractifs, plus ils drainent de l’épargne, et donc plus ils peuvent financer l’économie. Un argument récurrent utilisé par l’ensemble de mes interlocuteurs pour limi- ter les tentatives des responsables politiques d’encadrer davantage, voire d’interdire, les pratiques et produits qui se sont développés depuis les années 1990. Un argument qui re- vient comme un dogme : tout ce qui pourrait conduire à réduire la liquidité (comme une taxe sur les transactions financières, par exemple) est par nature mauvais. Un dogme alimenté par l’industrie financière, mais auquel ad- hèrent également nombre de mes collègues au Parlement européen. Or, dans le cas du trading de haute fréquence, la réalité est largement différente. Ces opé- rateurs passent effectivement des milliers d’ordres d’achat ou de vente en permanence. Ils envoient donc un signal qui dit « je suis prêt à acheter ou vendre ». Mais l’immense majorité de leurs propositions d’achat ou de vente, ce qu’on appelle les ordres sur les marchés, sont retirées au dernier moment du carnet d’ordres, c’est-à-dire le lieu électronique où sont stoc- kées l’offre et la demande d’un titre financier. En effet, ces acteurs ne souhaitent s’engager dans une transaction que s’ils sont quasi certains de pouvoir revendre aussitôt le titre à meilleur prix. 69
  • 71. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... En fait, ces traders, grâce à une vitesse supé- rieure, tendent à s’interposer inutilement entre les autres acheteurs et les vendeurs présents sur le marché. Comme si, au supermarché, un acheteur plus rapide venait rafler les produits vers lesquels vous commenciez à tendre la main, pour vous les revendre dans l’instant un tout petit peu plus cher. Plus généralement, la liquidité permanente n’est utile qu’aux acteurs financiers ultra-court- termistes. Quand vous achetez une action avec comme objectif de la revendre dans la minute, il faut effectivement que les marchés soient ultra-liquides. Si votre objectif est de la conser- ver plusieurs mois ou plusieurs années car vous croyez dans le développement de cette entre- prise, alors il faut simplement que vous puissiez la revendre le jour où vous le décidez, mais pas à la milliseconde près. Le trading de haute fréquence est le symbole de marchés financiers dont l’objectif n’est plus de favoriser le développement des entreprises mais de servir l’intérêt des spéculateurs. C’est le symbole de la transformation des marchés en casinos, au détriment de leur fonction de finan- cement de l’économie. Je n’ai pas souvenir que l’économie réelle ne fonctionnait pas quand les échanges bour- siers ne se traitaient pas à la milliseconde. En revanche, je sais que les financiers gagnaient beaucoup moins d’argent… 70
  • 72. QUATRIÈME PARTIE « Les produits complexes sont utiles à l’économie car ils permettent de limiter les risques » La crise a permis de mettre en lumière de nouveaux produits financiers : les produits déri- vés. Ces produits plus ou moins complexes per- mettent d’acheter à terme – par exemple dans un mois – une quantité donnée à un prix donné d’un titre financier, d’une matière première ou encore d’une monnaie. Cet instrument était au départ conçu pour permettre de s’assurer contre la volatilité des cours. Ainsi, une entre- prise comme Airbus, qui vend sa production en dollars mais paie ses salariés en euros, est forte- ment dépendante de l’évolution du cours euros/ dollars. Elle doit donc s’assurer que les avions commandés aujourd’hui à un prix exprimé en dollars lui permettront, quand ils seront livrés, de recevoir un montant qui, une fois converti en euros, couvre ses coûts. Pour ce faire, Airbus achète une assurance qui garantit un prix du dollar à une échéance donnée. La plupart du temps, ce sont les banques qui organisent ce type de montage, moyennant une commission. Ceci est la face noble des produits dérivés. Ces marchés sont aujourd’hui largement dé- voyés. Ce qui devait servir d’assurance est de- venu un outil pour réaliser des paris financiers. Ainsi, pour un baril de pétrole consommé, il s’en échange vingt à trente sur les marchés dérivés. 71
  • 73. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... Ces matières premières ne sont plus considé- rées comme des actifs réels nécessaires à la réalisation d’une production, mais comme des actifs financiers parmi d’autres, sur lesquels on peut spéculer. Le cas le plus emblématique de cette dérive est sans doute le marché des dérivés de cré- dit, les fameux CDS, supposés permettre de s’assurer contre la faillite d’une entreprise ou d’un État. Cet instrument est devenu une arme de spéculation massive contre les dettes des États. Ainsi, lors de la crise grecque, les banques et les fonds spéculatifs ont acheté des « CDS à nu ». Autrement dit, ils ont acheté une prime d’assurance contre le risque de faillite de la Grèce, alors qu’ils ne détenaient aucune obli- gation grecque. En même temps, ils vendaient à leurs clients des obligations grecques qu’ils ne possédaient pas, en s’engageant à livrer ces titres une semaine plus tard. En achetant des CDS à nu, la banque contribue à augmenter la demande de CDS sur la Grèce, et donc tire leur prix à la hausse. Quand le prix du CDS augmente, cela signifie que la perception du risque s’accroît. Ceux qui détiennent vrai- ment les obligations grecques demandent donc un taux d’intérêt plus élevé pour en acheter de nouvelles. Les obligations déjà émises ayant un taux d’intérêt fixe, c’est le prix de l’obligation qui baisse pour s’ajuster au nouveau taux. Si l’opé- ration réussit, la banque peut alors, au bout 72
  • 74. QUATRIÈME PARTIE de quelques jours, acheter l’obligation moins chère qu’elle ne l’a vendue à son client. Elle peut alors revendre les CDS à nu qu’elle avait ache- tés, en faisant même un second bénéfice. Bien sûr, l’opération ne marche pas à tous les coups. Mais lorsque ça fonctionne, c’est le jackpot sur le dos des États, qui voient leurs taux d’inté- rêt augmenter au point de rendre parfois leur financement difficilement soutenable. Il est évident que les problèmes de la Grèce, de l’Italie ou de l’Espagne ne se résument pas à une question de spéculation. Mais, parce que ces problèmes sont suffisamment graves, il n’est justement pas nécessaire de jeter de l’huile sur le feu. Notamment de la part de grandes banques qui ont largement été soute- nues par les États en 2008, et qui sont plus que jamais sous perfusion de la Banque centrale européenne. Quand cette forme de spéculation est apparue contre la Grèce au printemps 2010, elle a sus- cité un certain émoi qui a conduit la Commission européenne à proposer en septembre 2010 une loi pour qu’elle puisse être interdite, mais uni- quement en cas de grave crise. Bref… lorsqu’il est trop tard. J’étais le négociateur principal de cette loi pour le Parlement européen, et j’ai obtenu le soutien d’une majorité des députés pour aller beaucoup plus loin et interdire pure- ment et simplement les CDS à nu sur les dettes des États européens sur la base d’un principe 73
  • 75. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... simple : on ne peut pas s’assurer contre un risque que l’on ne détient pas. Or, acheter un CDS, qui est un produit d’assurance, sans dé- tenir d’obligations de l’État concerné, c’est bien s’assurer contre le risque des autres. Comme si je pouvais toucher une prime d’assurance en cas d’incendie d’une maison que je ne possède pas. De quoi donner des idées à certains pyro- manes… Dans la vraie vie, c’est bien entendu interdit. En finance, c’est autorisé. Du côté des États, seuls l’Allemagne et l’Au- triche soutenaient cette interdiction. La France était (courageusement !) neutre, le Royaume- Uni farouchement opposé. La négociation avec le Conseil s’annonçait donc difficile, d’autant que l’Italie et l’Espagne, les deux principaux États concernés par la vague de spéculation en 2011, étaient au départ hostiles à l’interdiction des CDS à nu pour ne pas « fâcher les mar- chés »… Au début de l’été 2011, la situation était donc proche du blocage : du côté du Parlement, il était hors de question de céder sur cette inter- diction, et du côté des États il n’y avait claire- ment pas de majorité pour la voter. La donne a changé avec la crise italienne de juillet 2011. En quelques jours, les taux d’intérêt italiens flambent. L’Italie interdit les ventes à dé- couvert et, à la rentrée de septembre, se révèle beaucoup plus ouverte à une interdiction des CDS à nu. Mais elle pose une condition : qu’en cas de tension sur sa dette (matérialisée, par 74
  • 76. QUATRIÈME PARTIE exemple, par une augmentation importante de ses taux d’intérêt), un État puisse les autoriser à nouveau. Cela peut paraître paradoxal, puisque l’interdiction est justement là pour protéger les États de la spéculation. Mais les Italiens ont un bon argument : les Européens sont les premiers au monde à interdire les CDS à nu. Si jamais cette décision se révélait contre-productive pour le financement des États déjà en situation de tension, ils doivent pouvoir revenir dessus dans les plus brefs délais, sans attendre que l’Union passe une nouvelle loi. Avec l’équipe de négociation du Parlement, j’ai accepté cette possibilité, car nous avons obtenu que l’État qui souhaite lever l’interdiction sur sa dette doive en référer à l’Autorité européenne des marchés financiers, qui aura 24 heures pour dire si cette décision lui semble justifiée ou non. Le dernier mot est donc européen, et aucun État ne peut utiliser abusivement cette exception. Une fois l’accord politique conclu, le Parlement et les États ont officiellement voté cette inter- diction en octobre 2011. Elle entrera totalement en vigueur en novembre 2012 dans les 27 États de l’Union, le temps pour la Commission et l’Autorité européenne des marchés financiers de rédiger les décrets d’application. L’issue de cette négociation est clairement une victoire car l’Europe montre la voie. C’est un premier pas important pour lutter contre la spéculation 75
  • 77. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... et l’utilisation abusive des produits dérivés par certains acteurs de marchés. Mais les produits dérivés ne font pas que contribuer à la spéculation sur certains mar- chés. Ils créent aussi des interconnexions opaques et multiples entre les différents acteurs financiers au niveau mondial. Ainsi, personne n’avait réellement conscience des engagements pris par l’assureur américain AIG vis-à-vis des banques européennes et américaines avant sa quasi-faillite. En effet, le marché des dérivés est largement de gré à gré ; autrement dit, les transactions se font de manière bilatérale, sans passer par un marché transparent. Les produits dérivés vont ainsi générer du risque supplé- mentaire pour le système dans son ensemble. Il est donc faux de dire que, d’un point de vue systémique, ils réduisent les risques. D’ailleurs, le développement de ces produits n’a pas fait diminuer la volatilité des marchés financiers. Comme souvent, les marchés partagent la res- ponsabilité des problèmes avec les politiques. Car, à la source de la volatilité des marchés à laquelle les produits dérivés apportent une fausse réponse, il y a une décision politique : la libéralisation financière. Autrement dit, le fait de confier aux marchés la fixation des prix, et no- tamment des prix des monnaies entre elles, les taux de change. À partir des années 1970, pour des raisons idéologiques liées à la vague néo- libérale, mais aussi parce que les chefs d’État 76
  • 78. QUATRIÈME PARTIE et de gouvernement étaient incapables de s’en- tendre sur un système de change fixe, ceux-ci ont préféré laisser le marché fixer le « bon » prix des monnaies. C’est aussi le cas pour certaines matières premières, dont le prix était fixé aupa- ravant par des contrats à long terme. À partir du moment où les prix ne sont plus déterminés par les responsables politiques, qui les modifiaient au maximum quelques fois par an, mais par des marchés qui les font varier toutes les minutes, la volatilité augmente. De ce fait, le risque microéconomique augmente, et apparaît le besoin de développer des ins- truments de couverture qui ne font, en réalité, que gérer l’incertitude généralisée créée par un système de prix mouvants reposant sur les seules lois du marché, sans aucune régulation par la puissance publique. Les produits dérivés remplissent donc mal, voire de manière contre- productive, une fonction que les politiques ont laissée aux seuls marchés.
  • 82. « Une taxe sur les transactions financières est mauvaise pour le fonctionnement des marchés » Pendant longtemps les banques se sont oppo- sées au principe même d’une taxe sur les tran- sactions financières (TTF), avec un argument simple : un tel impôt reviendrait à perturber le fonctionnement des marchés financiers. On peut difficilement dire le contraire puisqu’il est en partie fait pour cela, à savoir réduire les transactions ultra-court-termistes. La vraie question est donc de savoir si la diminution de ces transactions est négative ou pas… et pour qui. Plus il y a de transactions, plus ceux qui assurent leur aboutissement gagnent de l’argent en touchant diverses commissions. Il n’est donc pas étonnant de voir les sociétés qui gèrent les Bourses, comme Nyse Euronext à Paris, opposées à une telle taxe. De même, les banques qui réalisent un grand nombre d’opérations pour leur propre compte sur les marchés financiers, et qui de ce fait contribue- raient fortement à la TTF, ont toutes les raisons de s’y opposer. Rien de surprenant puisque au- cune entreprise privée ne souhaite être taxée. Mais ce n’est pas un argument recevable en 81
  • 83. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... soi pour un responsable politique, sinon il n’y aurait jamais eu d’impôts. « Une taxe sur les transactions financières sera en fait payée par les entreprises et les retraités » Faute de réussir à convaincre de la dangero- sité de la taxe pour le fonctionnement des mar- chés, l’industrie financière a fait évoluer son discours. Son nouvel argument est qu’en sou- tenant la TTF, nous, députés européens, ima- ginons taxer le secteur financier, alors qu’en fait ce sont les retraités et les entreprises qui, au final, payeront la taxe. En effet, les Bourses et les banques soutiennent qu’elles n’auront d’autre choix que de la facturer aux investis- seurs, comme les fonds de pension, ce qui réduira d’autant leur rendement et donc les pensions versés in fine. Cet argument est peu présent dans le débat français, car notre sys- tème de retraite ne s’appuie par sur des fonds de pension, mais il est au cœur du lobbying anti-TTF au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, par exemple. La réalité est que ceux qui ont le plus à perdre avec cette taxe sont ceux qui réalisent du tra- ding de haute fréquence (voir p. 66). Ces acteurs multiplient les transactions en achetant et en vendant des actions à très court terme. Une taxe sur chacune des transactions les concernerait 82
  • 84. CINQUIÈME PARTIE donc en premier lieu. C’est d’ailleurs pour cela que l’organisation de lobbying des sociétés de trading à haute fréquence (le Principal Traders Group aux États-Unis et son extension euro- péenne, le European Principal Traders associa- tion) a pour principal objectif de s’opposer à la TTF. Or, ces acteurs, qu’il s’agisse des banques ou de fonds indépendants, n’agissent pas pour le compte d’épargnants mais pour leur compte propre ; ce sont donc eux-mêmes les clients fi- naux. Ainsi, le coût de la taxe viendra avant tout amputer leurs propres profits. Pour les fonds de pension, qui sont des investisseurs de long terme, la taxe sera largement indolore. De plus, le coût unitaire des transactions a beaucoup baissé depuis plusieurs années grâce aux progrès techniques, et l’introduc- tion d’une TTF ne viendrait que marginalement augmenter ce coût. Et même si une petite part de la TTF était effectivement répercutée sur le client final, ce serait infime au regard des ré- munérations perçues par les gestionnaires de fonds, qui grèvent le rendement des fonds de pensions de 1,5 % des sommes investies par an. En outre, ceux qui n’ont pas de patrimoine financier ne sont par définition pas concernés. Et les épargnants qui en possèdent un qu’ils gèrent en « père de famille » devront s’acquit- ter de cette taxe de manière minime. De même pour les entreprises non-financières, dont la finalité n’est pas de spéculer sur les marchés, 83
  • 85. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... et qui devraient donc elles aussi n’être que faiblement impactées. Derrière la défense du petit retraité, les banques cherchent à déguiser la réalité, comme les défenseurs de la suppres- sion de l’impôt sur la fortune mettant en avant la veuve de l’île de Ré… pour mieux protéger les ultra-riches. « L’Europe ne peut pas mettre seule en place une taxe sur les transactions financières » En l’absence de consensus en faveur d’une TTF au niveau du G20, l’Europe, ou au moins un groupe d’États pionnier, semble prête à avancer. La Commission européenne, sous la pression de l’Allemagne, de la France et du Parlement européen, a mis sur la table en oc- tobre 2011 une directive pour créer une telle taxe au niveau de l’UE à 27. L’opposition du Royaume-Uni à cette initiative rend peu pro- bable une TTF dans toute l’Union européenne, car une telle décision relève de la règle de l’una- nimité. Autrement dit, il suffit qu’un seul État s’y oppose pour que la décision ne puisse être prise. Il sera donc probablement nécessaire de passer au « plan B », à savoir une taxe s’appli- quant uniquement aux pays membres de la zone euro. Une majorité d’entre eux sont favorables à une TTF, et l’opposition actuelle de quelques États comme les Pays-Bas, l’Irlande ou encore le Luxembourg ne semble pas insurmontable 84
  • 86. CINQUIÈME PARTIE car ils n’ont pas de place financière importante, à la différence de Londres9. Cette perspective inquiète les banques de la zone euro. Car si leurs dirigeants osent moins critiquer publiquement le principe même d’une taxe sur les transactions financières, ils s’accordent pour affirmer qu’une telle taxe ne peut être que mondiale, et que l’Union ne peut la mettre en place seule, au risque de voir les transactions quitter les places européennes. Un argument massue puisque, en cas de fuite des transactions, il n’y aurait plus rien à taxer ! La plupart du temps, l’exemple de la Suède est utilisé pour illustrer ce propos. En 1984, en ef- fet, ce pays a mis en place une TTF qui a eu pour conséquence de transférer à Londres la majeure partie de ses activités financières, car le système suédois permettait d’échapper à la taxe en passant des ordres auprès d’un courtier installé hors du pays. Des solutions existent pour éviter une telle fuite des transactions. Ainsi, la proposition de directive rédigée par la Commission évite ce piège. Elle prévoit que le bénéficiaire de la transaction sera taxé quel que soit le lieu de sa réalisation, dès lors qu’il réside dans l’Union européenne. Ainsi, si BNP Paribas décidait de transférer ses ordres de Paris à Zurich, elle continuerait d’être soumise à la taxe en tant que 9. Le Luxembourg est une place importante pour la banque privée, mais pas pour les Bourses. 85
  • 88. Sixième partie Finance Watch ou la naissance d’un contre-pouvoir
  • 90. En arrivant au Parlement européen en juin 2009, je savais bien entendu que la puis- sance de feu de l’industrie financière en ma- tière de lobbying était presque sans limites, et grande sa proximité avec les décideurs. Ainsi, le groupe d’experts en matière bancaire de la Commission européenne – dissout en oc- tobre 2011 –, dont la fonction était de conseiller celle-ci sur les réformes à accomplir, comptait 25 banquiers et 7 membres dont les principaux clients étaient l’industrie financière… sur un total de 42. Ces experts chargés de conseil- ler la Commission européenne avaient donc pour employeurs Goldman Sachs, Barclays, BNP Paribas ou encore Deutsche Bank… dont on voit mal comment elles pourraient promou- voir des réformes ambitieuses et contraires à leurs intérêts ! Je me suis donc fixé très vite des règles de relations avec les lobbies. La première est de rendre publiques toutes les rencontres que je peux avoir avec eux, ainsi que celles de mon équipe. Sur mon site Internet10, on trouve la liste de toutes les organisations que j’ai rencontrées, et l’objet de ces rendez-vous. 10. www.europeecologie.eu/-Pascal-Canfin 89
  • 91. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... La deuxième règle est d’utiliser les lobbyistes les uns contre les autres. Autrement dit, cher- cher à obtenir d’eux des contre-arguments aux positions avancées par d’autres lobbyistes défendant des intérêts opposés. Ainsi, j’ai com- mencé fin 2011 la négociation de la directive encadrant le droit des transactions financières. C’est un sujet sur lequel les intérêts des socié- tés de Bourse, comme Nyse Euronext qui gère la Bourse de Paris, sont opposés à ceux des banques, qui veulent capter les transactions à leur profit en développant des marchés paral- lèles aux Bourses. Il est donc intéressant de recevoir les uns pour écouter leurs arguments… et les faire parler des autres. La troisième règle est bien sûr d’opérer un « tri sélectif » des demandes, car je pourrais passer mon temps à recevoir des lobbies tant les sollicitations sont fréquentes. Or, les argu- ments sont finalement souvent les mêmes, et autant les entendre une fois est utile pour les connaître et éventuellement pouvoir s’y oppo- ser, autant avoir toujours sa porte ouverte est contre-productif. Enfin, je me suis imposé une dernière règle : rencontrer autant que possible des profession- nels de la finance, et notamment ceux qui me sollicitent de manière informelle, afin de sortir de la langue de bois des lobbyistes bruxellois. Un certain nombre de financiers, certes mino- ritaires, souhaitent que les règles changent. Ils 90
  • 92. SIXIÈME PARTIE ont été choqués par la façon dont leurs banques ont été sauvées, directement ou indirectement, par les États, sans que cela n’entraîne une pro- fonde modification des règles. Ces personnes connaissent parfaitement les rouages des mar- chés financiers et sont donc une source indis- pensable pour me permettre de me forger une opinion juste et d’opérer un tri dans les argu- ments des lobbyistes officiels. À ces quatre règles j’aurais voulu en ajouter une cinquième : rencontrer les ONG qui assurent un contre-lobbying. Mais j’ai vite perçu à quel point les contre-pouvoirs capables d’exercer cette action n’existaient pas en matière finan- cière. Où étaient les Amnesty International ou les Greenpeace de la finance ? En matière envi- ronnementale, par exemple, des ONG comme le WWF ou le Bureau européen de l’environne- ment (qui rassemble 140 organisations euro- péennes) jouent un rôle de contre-lobbying. Lors des négociations des textes européens sur le climat, les normes de pollution de l’eau, ou encore l’encadrement de l’industrie chimique, elles rencontrent les décideurs publics, dé- construisent les arguments des grandes en- treprises, proposent des amendements… En matière de réglementation financière, personne ne s’acquittait de ce rôle. Je me suis alors tourné vers d’autres dépu- tés européens, comme Pervenche Berès, an- cienne présidente socialiste de la commission 91
  • 93. CE QUE LES BANQUES VOUS DISENT... des Affaires économiques et monétaires du Parlement, ou Jean-Paul Gauzès, coordinateur du groupe conservateur sur les questions éco- nomiques, pour leur demander s’ils partageaient ce constat et désiraient changer la donne. Fort de retours positifs, j’ai initié en juin 2010 un appel transpartisan avec une vingtaine de dé- putés de cinq groupes politiques du Parlement (Verts, socialistes, conservateurs, libéraux et gauche communiste) issus de plusieurs pays européens, tous en charge des principaux textes d’encadrement de la finance au sein de la commission des Affaires économiques et monétaires. Cette initiative est originale : il est courant de voir la société civile interpeller les responsables politiques, le contraire est moins fréquent ! Pourtant, cet appel de députés vise bien les syndicats, les ONG, les organisations de consommateurs… avec un message simple : ne laissez plus l’industrie financière disposer d’un monopole sur le lobbying, organisez-vous pour peser. Publié la même semaine dans différents pays européens, cet appel ne passe pas inaperçu. En France, en Allemagne, au Royaume-Uni, à Bruxelles, un dialogue s’engage entre les dépu- tés signataires et les organisations de la so- ciété civile européenne. Chacune a de bonnes raisons de ne pas avoir agi jusqu’à présent : la finance n’est pas leur cœur de métier, elles trouvent que c’est trop compliqué et n’ont pas 92