Les systèmes complexes face au tsunami exponentiel du numérique. Valeur et véracité de la donnée.
1. 4E - Colloque GREC-O – 24 et 25 juin 2015
Les systèmes complexes face au tsunami exponentiel du numérique
Valeur et Véracité de la donnée
Thierry Berthier & Bruno Teboul
2. Thierry Berthier est Maitre de conférences en
mathématiques à l'Université de Limoges. Il effectue ses recherches
au sein de la Chaire de Cybersécurité & Cyberdéfense, Saint-Cyr -
Thales – Sogeti et est cofondateur du site d’analyse stratégique
EchoRadar et du blog Cyberland.
3. Bruno Teboul est Directeur Scientifique, R&D et Innovation du
groupe Keyrus, membre de la Gouvernance de la Chaire Data
Scientist de l’Ecole Polytechnique et enseignant-chercheur à
l'Université Paris-Dauphine.
4. Selon Gartner et IBM, les données
massives sont caractérisées par 6 V :
- Volume
- Variété
- Vélocité
- Visibilité
- Valeur
- Véracité
Nous allons évoquer la Valeur et la
Véracité d’une donnée
5. Premiers constats…
Les 4 V (Volume, Variété, Vélocité, Visibilité) sont
assez facilement mesurables.
Mesurer précisément la valeur et la véracité d’une
donnée, c’est en général un problème difficile.
Valeur et Véracité de la donnée dépendent
fortement du contexte et de l’instant d’évaluation.
La Valeur et la Véracité d’une donnée sont parfois
indépendantes.
6. Premiers constats…
Notre production atteindra les 40 Zo de données en
2020 ( 1 Zo = 10 puissance 21 octets ).
Nos projections algorithmiques volontaires ou
systémiques contribuent au déluge des données.
Elles témoignent de la fusion de l’espace physique
avec le cyberespace. L’information ubiquitaire
renforce cette tendance.
Les projections algorithmiques
des utilisateurs ont une valeur
pour le data scientist.
8. 1 – Valeur instantanée d’interprétation ou
valeur d’impact d’une donnée
9. Un zeste de formalisme…
Définition d’une donnée : C’est un ensemble fini de mots binaires.
Un mot binaire est une suite finie formée de 0 et de 1. On note
désormais D une donnée définie par :
D = {M1,M2,......,Mn} où les Mj sont des mots binaires avec Mj =
b1b2.....bk et bi = 0 ou 1.
Définition d’un contexte : On parlera de contexte C pour désigner
un ensemble d'infrastructures humaines, physiques et
algorithmiques liées entre elles par des relations et des transferts
d'information assurant une cohérence systémique globale. Un
contexte est constitué de groupements humains et de systèmes
physiques et algorithmiques assurant son interconnexion.
10. Valeur instantanée d’interprétation d’une donnée
Fixons maintenant la notion de valeur d’interprétation
instantanée d’une donnée D par un programme P
relativement au contexte C :
Val t ( D / P, C)
Si D est une donnée accessible au contexte C, et P un programme
prenant D en entrée et calculant P< D > sur un système de calcul S du
contexte, on notera alors Val t ( D / P, C) la valeur à l'instant t de D
relativement au contexte C et au programme P exploitant D sur C.
Val t ( D / P, C) est une valeur numérique instantanée, positive ou
nulle dépendant du contexte et du programme d'exploitation.
11. Un premier exemple illustrant la Valeur avec Véracité
La vente de données clients par Microsoft au FBI :
Le 21 janvier 2014, la SEA (Syrian Electronic Army) publie
sur son site web la copie de nombreuses factures Microsoft
envoyées au FBI ainsi que des listings de données
personnelles vendues. Celles-ci concernent les utilisateurs
d'Outlook ou de Skype et contiennent l'identité, l'identifiant,
l'adresse IP, le nom de compte en hotmail.com et le mot de
passe.
D'après les factures publiées par la SEA, le coût unitaire d'un
jeu de données concernant un utilisateur varie entre 50
dollars et 200 dollars en fonction du contenu transmis.
La véracité des données clients vendues était certifiée par Microsoft.
12. Un premier exemple illustrant la Valeur avec Véracité
La vente de données clients par Microsoft au FBI :
La valeur instantanée d'une
donnée client D vendue par
Microsoft au FBI vérifie :
Val t ( D / P, C) = 200 USD pour t >
0 sur le contexte de production
Microsoft.
P est un programme de
structuration (ou de mise au
format) et de lecture de la
donnée.
V0 est le coût de structuration, de
mise au format et de stockage de
la donnée pour Microsoft.
V1 désigne le prix de vente
unitaire par Microsoft au FBI.
V∞ est la valeur résiduelle de la
donnée.
13. Un second exemple illustrant la Valeur sans la Véracité
L’histoire du faux tweet de la SEA qui valait 136 milliards
Le 24 avril 2013, la SEA attaque le compte Twitter de l'agence Associated
Press (AP). Elle en prend momentanément le contrôle et publie à 13h07 le
message suivant : « Breaking : Two Explosions in the White House and
Barack Obama is injured »
Les 1.9 millions d'abonnés au compte Twitter d'Associated Press reçoivent
le faux message posté par la SEA en le considérant comme authentique. La
réaction des marchés financiers est presque immédiate : entre 13h08 et
13h10, l'indice principal de Wallstreet, le Dow Jones (DJIA) perd 145 points
soit l'équivalent de 136 milliards de dollars (105 milliards d'euros) en
raison notamment du trading haute fréquence (HFT) qui a interprété et
« réagi » au faux tweet. Les actions Microsoft, Apple, Mobil perdent plus
de 1% presque instantanément. Quelques minutes plus tard, Associated
Press reprend le contrôle de son compte et publie immédiatement un
tweet annonçant que le message précédent était un faux et qu'il résultait
du piratage de son compte.
14. Valeur d’impact sans véracité
Le faux tweet de la SEA qui valait 136 milliards de dollars
16. Valeur d’impact sans véracité
A l'instant t = 0, le tweet de la SEA est
publié sur le compte AP et reste
accessible et crédible durant quatre
minutes. A l'instant t1 , AP et la Maison
Blanche publient un démenti qui
annule immédiatement la valeur
instantanée de la donnée D.
V0 désigne la valeur de production et
d'insertion de la donnée sur le compte
d'AP. Cette valeur tient compte du coût
global du piratage du compte par la
SEA.
V1 est la valeur maximale de la donnée
avant la reprise de contrôle du compte
AP. Elle peut prendre en compte la
valeur d'impact du faux tweet sur les
marchés.
17. Valeur d’impact sans véracité
Ce que nous disent ces exemples :
La valeur d’impact d’une donnée peut être indépendante
de sa Véracité.
C’est bien la confiance que l’on accorde à une donnée qui
lui permet de fonder sa valeur.
Interroger la donnée, c’est d’abord évaluer la confiance
qu’elle suscite, mesurer sa véracité puis sa valeur sur un
contexte.
18. 2 – Valeur d’un ensemble massif de
donnée (approche par le gain)
20. Définir la valeur des données massives par le gain
L'idée : Pour un jeu de données massives D, on mesure le gain
obtenu sur une ligne de contrainte L après exploitation de D via un
système de calcul S. Une ligne de contrainte L pour une entreprise,
une institution ou un laboratoire peut être temporelle (le temps
nécessaire à un processus de production), spatiale (une distance,
une surface à prospecter). Elle peut concerner un effectif (le nombre
d'ingénieurs sur un projet) ou un coût de développement. Elle est
mesurée par CL(t).
Le gain obtenu sur la ligne de contrainte L après exploitation de D
par S s'écrit :
GL( D , S ) = CL ( après exploitation de D ) – CL ( avant exploitation de D )
21. Définir la valeur des données massives par le gain
La valeur du jeu de données D sur la ligne de contrainte L est
définie par le maximum des gains obtenus lorsque l'on fait varier le
système de calcul S (algorithmes et machines) :
VL( D ) = kL Max S ( GL( D , S ) )
Le facteur kL est une constante dépendant de la ligne de contrainte L.
C'est un coefficient de normalisation défini pour chaque ligne de
confiance. Si plusieurs lignes de contraintes sont impactées par le
traitement de D, kL peut aussi représenter le poids que l'on donne à
L par rapport aux autres lignes de contraintes. Il permet alors de
hiérarchiser les lignes de contraintes.
22. Définir la valeur des données massives par le gain
Notons que calculer la valeur précise de VL(D) reviendrait à faire
tourner tous les systèmes de calcul S sur l'ensemble de données D et
à sélectionner celui (ou ceux) qui produisent le meilleur gain sur L.
Il s'agit donc d'une définition asymptotique de la valeur d'un
ensemble de données avec laquelle on se contente d'une
approximation approchant VL(D) par valeurs inférieures.
Donnons à présent deux cas concrets pour lesquels on approche la
valeur d'un ensemble de données dans un contexte de traitement
big data.
24. L’exemple des éoliennes VESTAS
L‘analyse Big Data a permis à Vestas d’optimiser son processus
d’identification des meilleurs emplacements pour implanter ses éoliennes
. L’analyse des données a permis d’augmenter la production d’électricité
et de réduire les coûts énergétiques.
Grâce aux données massives, Vestas est en mesure de décrire avec
précision le comportement du vent et de fournir une analyse de
rentabilisation solide à ses clients.
Le système Big Data VESTAS (IBM) induit une réduction de 97 % du temps
de réponse sur les prévisions éoliennes passant de plusieurs semaines à
seulement quelques heures aujourd’hui. Il réduit le coût de production par
kilowattheure pour les clients et réduit le coût et l’encombrement
informatique avec une diminution de 40 % de la consommation
énergétique.
La base de données « Vestas-Eoliennes » atteint les 24 péta-octets .
25. L’exemple des éoliennes VESTAS
Le logiciel IBM InfoSphere BigInsights fonctionnant sur un système IBM
System x iDataPlex assiste VESTAS dans sa gestion des données
météorologiques et de localisation. Ainsi, l’entreprise a diminué la
résolution de base de ses grilles de données éoliennes qui passent d’une
aire de 27 x 27 kilomètres à 3 x 3 kilomètres après exploitation du jeu de
données. Ceci représente une réduction de 90% de l’incertitude. Ce gain
donne aux dirigeants un aperçu immédiat des sites potentiels
d’implantation d’éoliennes. La ligne de contrainte L est la résolution de
base des grilles de données (une surface) et le gain après exploitation du
jeu de données météo s’élève à :
GL( D , S ) = -720 Km2
(Ce qui représente 98 % de gain après traitement)
VL( D ) > 720 kL
27. L’exemple du Zoo de Cincinnati - Ohio
Le zoo de Cincinnati a mis en place une structure d'analyse Big Data
des données issues de capteurs et des données clients. L'image
globale en temps réel de la clientèle et son interprétation ont
permis d'augmenter de 25 % les dépenses des visiteurs, soit 350 000
dollars de recettes supplémentaires par an. La compréhension fine
des données clients a été appliquée à l'optimisation des ressources
humaines et a libéré du temps pour le personnel.
La ligne de contrainte L est la dépense annuelle des visiteurs et le gain
après exploitation de l’ensemble annuel des données client s’élève à :
GL( D , S ) = 350 000 usd
(ce qui représente 25 % de gain annuel après traitement)
VL( D ) > 350 000 kL .
29. La tentation des fausses données pour se protéger…
Selon le rapport Symantec 2015 sur la protection des données
privées :
57 % des européens se déclarent inquiets quant à la sécurité de leurs
informations personnelles.
81 % estiment que leurs données ont de la valeur (>1000 euros).
31 % n’hésitent plus à communiquer de fausses données
pour protéger leurs données personnelles.
30. Des applications pour créer de fausses données
Tromper les applications Android avec de fausses données !
Xprivacy est un outil qui permet de nourrir les applications Android avec de
faux contacts, de fausses coordonnées géographiques, de faux dictionnaires
user, de faux presses papiers, de faux historiques d’appels, de faux SMS…
L’objectif étant de créer de fausses données pour mieux protéger sa vie
privée.
31. Des applications pour créer de fausses données
Le site FakeNameGenerator permet de construire des bases de données
sous divers formats (MS SQL, MySQL,IBM DB2, Oracle,…) de 50 000
identités cohérentes incluant l’identité, l’âge, l’adresse, le métier, etc…
32. Les fausses données créées pour le Hacking
Un faux bordereau d’UPS pour susciter le clic vers un site malveillant ….
(donnée à faible complexité)
33. Les fausses données créées pour le Hacking
Un faux message de téléchargement d’un logiciel pour susciter le clic vers un site
malveillant …. (donnée à faible complexité)
34. Les fausses données créées pour le Hacking
Deux faux profils avec photo redondante créés sur LinkedIn… (faible complexité)
35. Données fictives et hacking
Dans une opération de hacking, la phase d’ingénierie sociale s’appuie de plus
en plus souvent sur la création d’un ensemble de données fictives.
L’objectif est d’installer la confiance auprès des cibles et de les pousser à
exécuter un code viral (malware,spyware, rançonware,…).
Un exemple emblématique : l’Opération Newscaster - NewsOnLine
36. L’OP Newscaster (forte complexité)
Newscaster est une opération de cyberespionnage attribuée à l’Iran
qui s’inscrit dans le durée (2012-2014) ciblant plus de 2000 personnes
(USA, Europe, Israël) , des officiers supérieurs de l’US Army, des
ingénieurs de l’industrie de l’armement, des membres du congrès, etc.
C’est une APT longue, structurée et furtive. La première phase de
l’opération s’est appuyée sur la construction d’un faux site web
d’information NewsOnLine, hébergé sur des serveurs US et supervisé
par une rédaction américaine fictive. Des contacts ont été noués avec
les futures cibles pour qu’elles participent à la rédaction d’articles du
site. Un noyau de profils fictifs américains (sur Facebook, Twitter,
LinkedIn) a été construit de toute pièce pour échanger avec les cibles.
La confiance s’installe durant près d’un an puis, les attaquants
profitent des échanges de fichiers d’articles pour injecter des spyware
sur les machines des cibles et collecter des données sensibles ou
classifiées.
38. Mesurer la confiance en une donnée ?
L'approche pragmatique consiste souvent à évaluer
la probabilité de véracité d'une donnée D
connaissant son émetteur, sa réputation et son
historique :
p( D vraie / Émetteur, Réputation, Historique)
39. Mesurer la confiance en une donnée ?
il faut désormais calculer cette probabilité en
tenant compte de l'éventualité d'une cyberattaque
sur D, soit :
p( D vraie / Émetteur, Réputation, Historique, p( Hacking(D) ) > 0 )
C’est cette probabilité qui permet d’exprimer la
confiance que l’on porte en une donnée.
40. Les futurs défis du Data Scientist
- Il faut évoluer vers la certification des données.
- Certifier une donnée, c’est augmenter sa valeur !
- L’analyse Big Data doit s’appuyer sur des données globalement
certifiées.
- Nous devons pouvoir détecter les corpus de données fictives pour
anticiper le hacking et les cybermanipulations.
- Il faut pour cela former des Data Scientists qui possèdent une vraie
culture de cybersécurité et croiser les compétences de sorte que les
deux derniers V (Volume et Véracité) occupent toute leur place.
- Il faut construire des infrastructures algorithmiques dans le Big
Data qui soient résilientes, antifragiles, capables d’évaluer en temps
réel la véracité et la valeur des données en streaming.
41. Les futurs défis du Data Scientist
L'antifragilité , concept introduit par Nassim Nicholas Taleb en 2013,
peut apporter une réponse efficace à la prolifération des données
fictives.
Dépassant les simples notions de résistance et de résilience,
l'antifragilité sous entend une amélioration régulière du système au fil
des chocs subis et une capacité à profiter de l'évènement aléatoire
pour se renforcer.
En matière numérique, l'antifragilité ne peut s'installer qu'à la suite
d'une montée en puissance du niveau d'intelligence artificielle
embarquée dans le système.
Finalement, la qualité de la donnée demeure subordonnée à
l'antifragilité du système qui la produit ou la traite.
42. Bibliographie
Report - European Commission, DG CONNECT « A European strategy on the data value chain », 2013
Report - European Commission, High Level Expert Group on Scientific Data, « Riding the Wave : How
Europe can gain from the rising tide of scientific data », october 2010,
IBM Report, « Vestas : Turning climate into capital with big data », 2011
IBM Big Data Report, « A collection of Big Data client success stories », pp117, 2012
IBM Report, « The Case for Business Analytics in Midsize Firms – Cincinnati Zoo »,pp 7-10, 2012
McKinsey Global Institute, « Big Data : The next frontier for innovation, competition, and productivity »,
May 2011
Rapport CIGREF «Enjeux business des données. Comment gérer les données de l'entreprise pour créer de la
valeur ? », octobre 2014.
TEBOUL B. « Former des bataillons de Data Scientists à l'Ecole Polytechnique », 16 octobre 2014, Silicon,
article en ligne,
http://www.silicon.fr/bruno-teboul-keyrus-polytechnique-chaire-data-scientist-99428.html
TEBOUL B. , AMRI T. « Les Machines pour le Big Data : Vers une Informatique Quantique et Cognitive »,
2014. <hal-01096689v2>
TALEB NN. "Antifragile : les bienfaits du désordre" , Editions Les Belles Lettres, 2013
43. Bibliographie
BERTHIER T., «Newscaster, l'opération iranienne », pp 12-14, Vérification sur Internet : quand les réseaux
doutent de tout, novembre 2014, Observatoire géostratégique de l'information, IRIS.
BERTHIER T., Cyberchronique – Décomposition systémique d'une cyberattaque, dissymétries et
antifragilité, Publications de la chaire de cyberstratégie CASTEX, janvier 2014
BERTHIER T., Sur la valeur d'une donnée, Publications de la Chaire de cyberdéfense Saint- Cyr-Sogeti-
Thales – mai 2014.
KEMPF O. et BERTHIER T. - « L'armée syrienne électronique : entre cyberagression et guerre de
l'information » RDN – revue de la défense nationale – « Guerre de l'information » Vol. mai 2014.
KEMPF O. et BERTHIER T. - « Ville connectée et algorithmes prédictifs », Actes de la conférence Digital
Polis 2015, Paris. (à paraître).
BERTHIER T. - « Projections algorithmiques et cyberespace » R2IE – revue internationale d'intelligence
économique – Vol 5-2 2013 pp. 179-195.
TEBOUL B. et BERTHIER T. - « Valeur et véracité de la donnée : enjeux pour l'entreprise et défis pour le
data scientist », préprint, Acte du colloque « La donnée n'est pas donnée, École Militaire, Paris, Editions
Cyberstratégie, Economica.