Problème environnementaux et développement durable
Les évolutions de la gouvernance des activités nucléaires
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Tel : 33 (1) 48 01 88 77
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Les évolutions de la gouvernance des
activités nucléaires
Rapport final de l’enquête
Gilles Hériard Dubreuil, Matthieu Ollagnon
Version du 15 juillet 2009
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Sommaire
Introduction 3
Synthèse des conclusions de l’Etude 8
Chapitre 1 - Les vecteurs de changement de la Gouvernance des activités
nucléaires dans le contexte international et national 18
Un paysage énergétique mondial en évolution 18
Vers des pôles industriels nucléaires transnationaux ? 21
Des pressions internationales en faveur d’une sûreté fondée sur un cadre de
normes et de standards définis au niveau international 24
L’élargissement de l’Union Européenne 27
Un cadre réglementaire international qui affirme la place de la société civile 31
La loi TSN et la nouvelle ASN : des questions sur l’émergence d’un nouvel
équilibre institutionnel 33
Débat public et problématiques nucléaires 37
Le Grenelle de l’environnement 39
Chapitre 2 - Les indices d’un changement de la relation entre nucléaire et
société 41
Une genèse en France après-guerre dans un cadre national et militaire 41
Facteurs d’évolution et attentes de changement 47
Le développement de pratiques de dialogue critique 52
Chapitre 3 – Les processus d’instruction citoyenne et la médiation technique.
56
Les processus d’instruction citoyenne. 57
La médiation technique, interface entre questions citoyennes et problématiques
techniques nucléaires. 64
Les pistes pour répondre au besoin de médiation technique. 66
L’apport d’une construction pluraliste d’expertise 71
La contribution des CLI et de leur fédération, L’ANCLI, au dialogue critique et aux
processus d’instruction citoyenne 73
Les CLI : acteurs en devenir dans la gouvernance des activités nucléaires 76
Eléments de conclusion 79
Annexe 1. Liste des personnalités auditées 87
Annexe 2. Synthèse historique : l’IRSN face aux évolutions de la gouvernance
des activités nucléaires 88
Annexe 3 : glossaire des noms et acronymes employés dans l’étude 137
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Introduction
L’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) a engagé en 2006 une
réflexion prospective sur les évolutions de la gouvernance des activités nucléaires et
radiologiques. Pour l’IRSN, l’objectif de cette réflexion est double. Il est d’une part de
préciser les valeurs et les principes qui ont présidé aux changements intervenus ces
dernières années sur le plan juridique et institutionnel. Il est d’autre part d’identifier
les possibles vecteurs de changements futurs et leurs éventuelles incidences sur les
métiers de l’Institut et sur les conditions d’exercice de ces métiers.
La première phase de l’étude
A cet effet, une première phase de réflexion a été menée en interne dès 2006. Une
analyse chronologique des évolutions du dispositif français depuis le lancement du
programme nucléaire a notamment été réalisée par Mutadis à la demande de l’IRSN
sur la base d’une recherche documentaire et d’un ensemble d’entretiens conduits
auprès de responsables de l’Institut. Celle-ci a donné lieu à la rédaction d’une
synthèse historique, présentée en janvier 2007 à la direction générale de l’IRSN : “La
mise en place du dispositif de gouvernance des activités nucléaires en France :
1945-2007 – Synthèse“ (voir en annexe).
Cette synthèse historique retraçait les évolutions du dispositif de gouvernance des
activités nucléaires depuis la création du Commissariat à l’énergie atomique en
1945. Lors de sa mise en place, en effet, le CEA réunissait en effet l’ensemble des
fonctions de gouvernance du nucléaire. Par la suite, ce noyau initial s’est
progressivement scindé sur le plan institutionnel en trois pôles distincts de contrôle,
d’exploitation et d’expertise. Ce processus s’est accompagné d’une progressive
montée en puissance d’acteurs de la société civile qui tendent à se constituer
progressivement comme un quatrième pilier de la gouvernance et du suivi des
activités nucléaires.
Ce premier diagnostic, par la modification de perspective sur le système nucléaire et
les enjeux qu’il mettait en évidence appelait un approfondissement dans la mesure
où il reposait essentiellement sur des entretiens réalisés auprès de personnes de
l’IRSN.
La seconde phase de l’étude
Dans cette perspective, l’IRSN a souhaité bénéficier du point de vue de
personnalités extérieures qui soient à même de compléter cette analyse, du fait de
leur expérience professionnelle ou de leur engagement politique ou associatif.
La réalisation de cette enquête a été confiée à Mutadis, qui a procédé à l’audition de
27 personnes hors du premier cercle des affaires nucléaires. Celles-ci ont été
choisies en fonction de leurs implications diverses (gouvernement, administration,
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institutions internationales, presse, expertise, élus territoriaux, associations) et pour
leur expertise et leur expérience sur les questions de risque (nucléaire ou non – voir
liste en annexe 1).
Méthodologie de l’étude
Les auditions ont été réalisées entre fin 2007 et mi 2008. A chaque personnalité
interrogée a été remis un exemplaire du rapport de la première phase de l’étude. Les
entretiens étaient structurés de façon ouverte autour de trois axes :
• l’identification des vecteurs de changement (internes ou externes à la France)
qui sont susceptibles d’affecter ce dispositif français et leurs possibles
impacts.
• l’évaluation de la qualité du dispositif de suivi actuel des activités nucléaires
ainsi que de ses vulnérabilités et de ses faiblesses,
• l’appréciation du rôle et de la contribution spécifique des différentes catégories
d’acteurs traditionnels (notamment de l’expert public qu’est l’IRSN) et de la
société civile,
Chaque entretien, confidentiel, a donné lieu à un compte-rendu détaillé. C’est à
partir de ce matériau qu’a été engagée une étape d’analyse et de rédaction donnant
lieu au présent document lequel est une synthèse des différents entretiens. Celle-ci
est construite autour des grands axes qui se sont dégagés au cours du processus de
discussion.
Arrière plan théorique de l’étude
Mutadis est un groupe de recherche et de conseil créé en 1991. Son domaine de
recherche et d’étude concerne les problématiques de gouvernance des activités à
risques. Une réflexion conduite dans la durée et la participation à de nombreux
processus de recherche coopératifs ont permis à Mutadis d’aborder les
problématiques de gouvernance à partir d’un cadre théorique constitué au fil de ses
travaux. Différents concepts et références sociologiques, politiques ou
philosophiques sont mobilisées. Pour une bonne compréhension du contexte
d’élaboration de cette étude, quelques-uns de ces concepts sont présentés ci-
dessous dans la mesure où ils ont bénéficié à la présente étude, sans cependant en
déterminer les objectifs ou les orientations.
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Un premier concept, employé de façon récurrente, est celui de “gouvernance“. Celui-
ci a en particulier été défini dans le cadre du projet européen de recherche Trustnet
In Action1
:
La gouvernance n’est pas un substitut au gouvernement de l’Etat-nation
traditionnel. Il s’agit plutôt d’un régime alternatif applicable à un large champ
d’activités et d’organisations. Comme le dit Rosenau : “la gouvernance est
plus un phénomène englobant et diffus qu’une forme de gouvernement. Elle
embrasse les institutions gouvernementales, mais subsume aussi des
mécanismes informels et non gouvernementaux par lesquels ces personnes
et organisations peuvent avancer, satisfaire leurs besoins et combler leurs
manques dans leurs champs respectifs”.
De même Gerry Stocker identifie cinq aspects de la gouvernance : “(1) La
gouvernance concerne une gamme d’organisations et d’acteurs, mais non pas
l’ensemble de ceux qui appartiennent à la sphère gouvernementale. (2) Elle
modifie les rôles et les responsabilités respectives des acteurs publics et
privés traditionnels tels qu’ils sont établis par les paradigmes traditionnels de
la construction de politiques (3) Elle implique l’interdépendance entre les
organisations et acteurs engagés dans l’action collective dans des contextes
au sein desquels aucun n’a les ressources nécessaires et la connaissance
pour traiter la question seul (4) Elle met en jeu des réseaux autonomes
d’acteurs (5) Un principe-clé est que ces actions peuvent être conduites sans
avoir nécessairement le pouvoir ou l’autorité de l’Etat.“
Les conclusions de TRUSTNET définissent ainsi une participation inclusive, qui doit
être différenciée du principe de subsidiarité, dans laquelle les acteurs ont
l’opportunité de participer à des degrés variés à la structure de pouvoir (local,
régional, national, international) au sein de laquelle sont prises les décisions qui
influencent leur vie.
Un autre élément important concerne le débat autour du concept “d’activités et
d’affaires publiques2
“. Il est fréquent d’entendre par “affaires publiques“ ou “sphère
publique“ le champ des affaires pris en charge par l’Etat ou par les acteurs politiques
et administratifs. Dans une telle optique, la gouvernance des activités nucléaires,
comme celle d’autres activités à risques, est essentiellement axée sur la sphère
d’action administrative et politique. Dans cette approche, de fait, c’est l’autorité
politique ou administrative qui fait émerger les questionnements ou les problèmes et
c’est par rapport à celle-ci que se construit la légitimité d’autres acteurs à intervenir.
-
1
G. HÉRIARD DUBREUIL, T. BANDLE, O. RENN (Dir.), Trustnet In Action (TIA), Final
Scientific report, 2007, http://www.trustnetinaction.com/IMG/pdf/TIA-Final_Report.pdf
-
2
J. DEWEY, The Public and Its Problems, New York: Holt, 1927; London: Allen & Unwin,
1927, republished as The Public and Its Problems: An Essay in Political Inquiry, Chicago:
Gateway, 1940.
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Une autre approche considère les affaires publiques essentiellement du point de vue
des interactions sociales. Celle-ci, dite pragmatique, met l’accent sur le fait qu’une
activité acquiert une dimension publique à partir du moment où elle a des
conséquences pour d’autres personnes ou groupes que ceux qui la mettent en
oeuvre. Dans cette optique, les affaires publiques sont comprises comme une forme
de champ intermédiaire au sein duquel les acteurs se rencontrent ou s’affrontent
pour traiter des problèmes qui les concernent, qu’ils les subissent ou qu’ils en soient
la cause. L’Etat, l’administration et les acteurs politiques, bien que disposant de
prérogatives et d’attributs particuliers, y apparaissent alors comme des participants
parmi d’autres, la légitimité se construisant par une reconnaissance mutuelle des
acteurs. Cette approche permet en particulier de comprendre les processus de
naissance et d’institutionnalisation de problématiques émergentes. Dans le cas
particulier de cette étude, cette approche a été mobilisée pour intégrer dans une
même analyse des processus impliquant à la fois la société civile et des acteurs
institutionnels.
Le concept d’autonomie est également essentiel dans l’arrière plan théorique utilisé
par Mutadis. Celui-ci recouvre la capacité d’un individu ou d’un groupe à élaborer ses
propres choix et normes au sein des interactions sociales nécessaires à la vie
humaine. Dans cette perspective, la relation sociale n’est pas synonyme de rapport
de domination ou d’aliénation obligatoire d’un acteur par un autre. Elle est perçue
comme une dimension de l’environnement humain, au même titre que l’air ou la
lumière. C’est-à-dire que des acteurs partageant des relations sociales n’entrent pas,
de facto, dans une configuration qui leur ferait perdre leur capacité à décider ou agir
par eux-mêmes. En ce sens, ce concept tend à s’opposer à celui d’indépendance,
compris comme appelant au préalable un isolement relationnel.
Dans la suite du concept d’autonomie, l’idée que le conflit porte en lui une dimension
de socialisation est une part importante de l’arrière plan théorique de Mutadis.
Développé dans les travaux de G. Simmel3
, ce point de vue considère le conflit
comme un processus social normal. L’ignorance de celui-ci ou sa mise à l’écart
tendent en particulier à produire plus d’effets négatifs que positifs. De ce point de
vue, les processus de dialogue organisés, tout en étant légitimes et nécessaires, ne
sont qu’une des façons possibles de réguler une société démocratique.
Dans une société traversée de multiples conflits, la mobilisation de contre-pouvoirs
par les divers acteurs est un élément de crédibilisation de leur action. Pour
appréhender cela, Mutadis s’appuie en particulier sur le travail conceptuel effectué
par un chercheur américain, M. Fung4
. Ce dernier a en outre mis l’accent sur le fait
l’emploi de contre-pouvoirs par les acteurs impliqués est souvent nécessaire pour
-
3
G. SIMMEL, Le conflit, Ed. Circé, Paris, 1995 (Traduit de l’allemand par Sibylle Muller).
-
4
FUNG, E.O. WRIGHT, « Le contre-pouvoir dans la démocratie participative et délibérative »,
in M.H. BACQUE, H. REY, Y. SINTOMER, Gestion de proximité et démocratie participative,
Paris, La découverte, 2005.
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donner une crédibilité et une influence aux processus et aux positions
participatives/délibérative.
Un dernier concept, enfin, a été mobilisé dans l’élaboration de ce rapport, celui
d’enquête sociale. Il est en effet fait référence à des formes de mobilisation d’acteurs
de la société autour de l’investigation de questions ayant, entre autres, des
dimensions techniques. Les travaux de chercheurs comme John Dewey (USA) ont
fourni des éléments d’architecture théorique permettant d’appréhender ces
processus à travers le concept d’enquête sociale (social inquiry). Celui-ci permet de
désigner un processus par lequel des acteurs de la société civile interagissent
ensemble pour explorer une question donnée dans un contexte où leur équilibre de
vie est affecté. L’enquête sociale se place, du point de vue des participants, dans
une perspective stratégique visant à une modification d’une situation particulière. Elle
contribue, par l’expérimentation de nouvelles relations entre acteurs, à faire émerger
de nouvelles configurations sociales et à la co-construction de problématiques
partagées. On retrouvera des déclinaisons de ce concept dans les réflexions
relatives aux actions de la société civile et qui sont présentées dans les pages qui
suivent.
Les problématiques de gouvernance du nucléaire dépassent très largement le simple
cadre électronucléaire. En particulier, la multiplication des incidents dans le cadre
hospitalier laisse entrevoir l’émergence dans le domaine médical d’un nouveau
champ de tension dans la gouvernance des questions de radioprotection.
Sans se concentrer exclusivement sur le champ électronucléaire, le présent rapport
se situe cependant dans la continuité de la première phase de l’étude. Celle-ci portait
essentiellement, à partir de la question des installations nucléaires, sur des
problématiques génériques de la gouvernance des activités nucléaires. De fait, si la
question du nucléaire médical et celles qui lui sont connexes seront fréquemment
évoquées, elles le seront - pour des raisons de méthodologie - au fil du texte plus
que de façon séparée.
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Synthèse des conclusions de l’Etude
Cette étude s’inscrit dans une réflexion engagée début 2006 sur les évolutions de la gouvernance des activités
nucléaires en France par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire.
La première phase de cette réflexion menée en 2006 et 2007 a porté sur l’identification des principaux enjeux de
la gouvernance des activités nucléaire, réalisée dans le cadre d’une rétrospective historique des différentes
étapes et des débats qui ont présidé à sa mise en place. Réalisée sur une base documentaire et à partir de
contributions internes à l’IRSN, cette synthèse historique (voir en annexe) présente l’enchaînement des décisions
et la logique relativement constante qui a présidé à cette évolution.
Dans une seconde phase, un approfondissement de cette réflexion a été réalisé à partir de l’audition d’une
trentaine de personnalités extérieures à l’IRSN. Parallèlement, un retour d’expérience participatif a été réalisé en
partenariat avec l’ANCLI concernant la contribution des Commissions locales d’information à la gouvernance des
activités nucléaires.
Les résultats de ce travail d’audit présentés dans le cadre de ce rapport comportent trois volets. Le premier
concerne les facteurs de changement internationaux et nationaux qui ont été mis en évidence dans le cadre des
entretiens. Le second volet concerne plus particulièrement les interactions entre le système institutionnel
nucléaire (opérateur, recherche, expertise, contrôle) et la société civile et leurs évolutions. Le troisième volet
concerne plus spécifiquement les dynamiques de changement identifiées dans le cadre de ces interactions qui
s’articulent autour des notions de dialogue critique, d’instruction citoyenne, de médiation technique et d’expertise
pluraliste.
Les facteurs de changement internationaux
Les personnes interrogées ont identifié différents facteurs de changements internationaux susceptibles d’avoir un
impact significatif sur la gouvernance des activités nucléaires en France (sans cependant qu’un consensus
s’établisse sur les effets particuliters de ces vecteurs de changement dont les conséquences semblent pour
partie déterminées par les orientations futures des acteurs concernés).
Le nouveau paysage énergétique mondial serait en premier lieu à l’origine d’une possible relance de l’énergie
nucléaire au plan mondial après une longue période de stagnation. Une nouvelle donne concernant l’industrie
nucléaire et d’une vraisemblable structuration de celle-ci à partir de pôles industriels internationaux est donc
envisageable. Cette évolution constitue une rupture avec la période passée dans laquelle cette industrie s’était
généralement développée dans les cadres nationaux, souvent en lien avec le développement de composantes
de défense nucléaire dans le contexte de l’après-guerre.
Cette situation prend place dans un contexte de mondialisation économique et de progressive libéralisation des
marchés de l’énergie qui pourrait se traduire notamment par une privatisation des opérateurs nucléaires publics
et par l’avènement d’une situation de concurrence sur le marché français où pourraient intervenir plusieurs
opérateurs nucléaires français et étrangers.
Parallèlement, les personnes interrogées rendent compte de pressions internationales en faveur d’une évolution
des cadres réglementaires nationaux de sûreté vers une forme de certification internationale qui serait à même
d’accompagner l’internationalisation de l’industrie nucléaire en réduisant les coûts qui sont associés au maintien
des cadres nationaux de sûreté et d’expertise.
L’élargissement de l’Union Européenne avec l’arrivée de nouveaux pays Est européens dotés de leur propres
unités nucléaires développées dans un contexte soviétique et post-soviétique a été parallèlement à l’origine d’un
débat sur l’opportunité de création d’un cadre européen de sûreté dans laquelle la Commission Européenne s’est
d’abord trouvé dans un conflit de compétence avec les autorités nationales de sûreté nucléaire.
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Cette question de l’opportunité d’un cadre européen de sûreté reste aujourd’hui en débat. Elle a néanmoins
contribué à accréditer l’idée qu’il pourrait être opportun d’établir un niveau de coordination européen en matière
de sûreté nucléaire, autour duquel sont engagés différents travaux et réflexions.
De façon générale, les personnes interrogées voient dans les facteurs de changement internationaux la source
possible d’un profond bouleversement dont l’impact sur le niveau de sûreté n’est pas clairement déterminé. Les
conséquences de la concurrence et d’une montée des exigences de compétitivité dans l’univers de la sûreté, de
la protection de l’homme et de l’environnement posent question. De la même façon, les conséquences des
possibles formes de “privatisation“ du nucléaire public sur le niveau de transparence de cette activité sont encore
peu claires.
Les acteurs de la société interrogés voient dans ces possibles changement autant de menaces que
d’opportunités. Cette opinion se fonde d’une part sur les insatisfactions exprimées vis-à-vis de la place
actuellement assignée à la société civile dans le contexte français (voir plus loin) et les opportunités que
pourraient constituer cette nouvelle donne pour la société civile (pour autant que celle-ci se donnerait les moyens
de les saisir). Ce sentiment se double d’une inquiétude liée aux conséquences possibles d’une
internationalisation de la sûreté qui conduirait à éloigner plus encore celle-ci du champ de compréhension et
d’influence de la société civile et plus particulièrement des acteurs locaux riverains des activités nucléaires.
Ces différents facteurs de changement s’accompagnent enfin de l’émergence d’un cadre politique, et juridique
international qui affirme la place de la société civile dans les processus de décision dont les conséquences sont
susceptibles d’affecter l’environnement et la santé humaine (Déclaration de Rio, Convention d’Aarhus et ses
transpositions en droits nationaux et communautaires). Les effets de ce nouveau cadre ne sont, aux dires des
personnes interrogées, pas encore clairement perceptibles.
Les facteurs de changement nationaux
Enfin différents facteurs de changement sont identifiés dans le contexte national français. En particulier,
l’avènement d’un cadre légal (loi TSN du 13 juin 2006), dans un contexte marqué par une évolution sensible des
relations entre la société et l’Etat, est souligné comme un facteur potentiel de changement dont les
conséquences ne sont pas encore pleinement déployées.
La création d’une autorité de sûreté indépendante (ASN) est notée par certains comme une évolution qui pourrait
permettre une évolution favorable de la gouvernance des activités nucléaires dans la mesure où elle contribue à
éloigner les acteurs du contrôle de l’influence du politique et de l’industrie. D’autres voient au contraire dans cette
loi et dans la création de l’ASN un risque de perte de contrôle démocratique sur la sûreté, en mettant celle-ci à
distance du politique.
De même, le nouveau cadre de responsabilité en matière d’information et de transparence sur le nucléaire
semble pour certains ouvrir la voie à un renforcement du rôle de la société dans les processus de décision.
D’autres, au contraire, voient dans différents indices (quota de 50% d’élus dans les CLI, au détriment du monde
associatif, par exemple) les signes d’une refermeture de ces processus de décision. D’une façon générale, les
analyses mettent l’accent sur l’importance des stratégies des différents acteurs en présence et en particulier sur
l’importance d’une confirmation par les acteurs publics de la volonté de l’Etat d’ouvrir ces processus de décision
à la participation.
Dans cette perspective de participation démocratique, les personnes interrogées évoquent également le contexte
français avec la nouveauté qu’a constitué la mobilisation de la procédure de débat public (CNDP) dans le
contexte nucléaire (débat EPR et débat sur la gestion des déchets radioactifs) ainsi que l’organisation plus
récente par le gouvernement du Grenelle de l’environnement dont l’influence possible sur le champ nucléaire est
évoqué malgré le fait que les problématiques nucléaires aient été exclues du champ des débats. Tout en
évoquant les apports de ces démarches, les personnes interrogées soulignent les limites de ces processus et
plus particulièrement leur déficit d’articulation avec les processus de décision et l’absence de garantie pour les
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acteurs de la société engagés dans ces processus quant à une “prise en considération“ effective de leurs avis et
des résultats de la consultation démocratique.
Les interactions entre le système nucléaire et la société civile
Le second volet de cette étude concerne plus particulièrement les interactions entre le système institutionnel
nucléaire (opérateur, recherche, expertise, contrôle) et la société civile. Il porte, d’une part, sur la description de
la façon dont se sont construites dans le contexte français les relations entre le système nucléaire et la société. Il
concerne, d’autre part, les vecteurs de changement (internes) qui sont identifiés par les personnes interrogées.
Celles-ci soulignent la singularité du dispositif nucléaire dans le paysage français et qui repose, selon eux, sur
plusieurs facteurs. Elle est liée à son origine militaire dans le contexte de l’après-guerre. Elle vient également de
la place occupée par la question du risque et de la sûreté qui a été jugée vitale dès les origines de cette activité.
Il découle de cette situation une forme “d’isolement“ du nucléaire français ainsi qu’une relative homogénéité
culturelle, fondée sur les valeurs techniques. Il est relevé également l’existence d’une forte proximité entre les
membres de cette communauté de techniciens et d’experts dont la mobilité s’effectue essentiellement dans le
cadre restreint des institutions nucléaires. Cette caractéristique endogamique d’un “monde nucléaire“ orienté vers
la performance technique est, pour un grand nombre de personnes interrogées, à l’origine d’une difficulté à
intégrer la pluralité des logiques portées par les acteurs de la société civile. Elle est également à l’origine d’une
faible visibilité des activités nucléaires hormis certaines périodes de crise.
De façon parallèle, les personnes interrogées font état de l’existence de pressions exercées très tôt par des
acteurs de la société civile sur le système nucléaire. Ces interactions s’inscrivent le plus souvent à leur origine
dans une perspective antinucléaire et souvent conflictuelle. Ces mouvements prennent leur source dans la
contestation de la force de frappe nucléaire française, puis dans celle du plan Mesmer dans les années 70. Les
réactions sociétales aux accidents de Three Miles Island, puis de Tchernobyl viennent relayer ce mouvement
avec notamment la montée en puissance d’autres catégories d’acteurs plus axés sur les dimensions
environnementales ou sur des exigences de transparence démocratique. Une caractéristique de ces interactions
est qu’elles ont été engagées à l’initiative de ces acteurs de la société. Cette contribution de la société civile fera
l’objet d’une reconnaissance tardive de la part des pouvoirs publics.
Les personnes interrogées évoquent ainsi l’existence d’un clivage historique entre le système nucléaire et la
société civile dans le contexte français. Leur description fait intervenir d’un côté un système nucléaire peu visible,
dont les acteurs (techniciens, experts) sont regroupés autour d’un projet fortement cohésif. De l’autre, il fait
intervenir un petit nombre de militants fortement mobilisés contre ce projet nucléaire qui revendique très tôt un
droit de regard sur ces activités nucléaires qui sauf à l’occasion de temps de crise suscitent plutôt l’indifférence
du reste de la société. Cette situation est héritée de l’histoire et semble placer les acteurs du dispositif nucléaire à
l’extérieur d’une société dont ils font en réalité partie. Elle revêt donc un caractère paradoxal.
Les personnes interrogées voient dans ce clivage historique l’origine d’une forme de surdétermination des
relations qui se construisent encore aujourd’hui entre le système nucléaire et la société. Celle-ci tend à faire
prédominer des règles implicites d’interaction qui tendraient à regrouper, d’un côté, ceux qui sont dedans et sont
assimilés au camp des “pour“ et, de l’autre côté, ceux qui sont dehors, les acteurs de la société mobilisés
“contre“ le nucléaire.
Cette représentation polarisée ne rend pas compte pour les personnes interrogées de la diversité des positions
et des objectifs des acteurs qui interviennent de façon plus ou moins visible aussi bien au sein de la société civile
qu’au sein du système nucléaire ou à l’interface des deux.
En particulier, un enjeu clé semble avoir résidé, pour les acteurs de la société, dans l’acquisition d’une culture
technique face à un système nucléaire dominé par la légitimité technique. Dans cette perspective, la contribution
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des associations à caractère scientifique et technique est reconnue. Leur crédibilité se fonde sur leur
compétence et sur leur capacité à effectuer un suivi approfondi des dossiers techniques dont elles se saisissent.
Facteurs d’évolution et attentes de changement
Certains entretiens mettent en avant l’émergence d’une nouvelle configuration avec la montée des
problématiques de santé environnementale. Dans les années 70, la sûreté des installations nucléaires était
envisagée comme l’enjeu majeur de la gouvernance des activités nucléaires. Après l’accident de Tchernobyl et
les problématiques de contamination qui lui sont associées, les enjeux semblent se déplacer progressivement de
l’intérieur des centrales vers l’extérieur (leur environnement territorial et humain). Ce mouvement va placer de
nombreux acteurs dans une position nouvelle vis-à-vis des activités nucléaires et ouvrir la voie à une
multiplication des interactions entre la société et le système nucléaire.
L’émergence d’un enjeu de sécurité environnementale et sanitaire, mobilisant les acteurs territoriaux va
permettre un renouvellement de la nature et de la densité des interactions entre le système nucléaire et la
société. Le nucléaire n’apparaît plus alors comme étant seulement l’affaire des acteurs du système nucléaire. Il
tend à devenir une affaire publique.
Ce mouvement tend à opérer un retour sur les questions environnementales par le biais des problématiques de
santé en leur donnant une actualité et une sensibilité nouvelle. Ces formes de mobilisation mettent en évidence
l’apport d’un suivi citoyen intégrant aussi bien l’ensemble des dimensions de risque qu’une perspective
patrimoniale de long terme vis-à-vis du territoire et de la santé. Cette montée des problématiques
environnementales et sanitaires dans la société est en particulier à l’origine de nouvelles attentes de
transparence vis-à-vis du suivi des activités nucléaires.
Face à ces évolutions, la polarisation historique des relations entre le système nucléaire et la société constitue
néanmoins un frein au développement et à la qualité des interactions entre le système nucléaire et la société. Cet
état de fait apparaît insatisfaisant pour une majorité d’acteurs rencontrés. Il est à l’origine d’un malaise qui
appelle un recalage des relations et du cadre de relation entre les différents acteurs à l’intérieur et à l’extérieur du
système nucléaire. Face à cette crise de la polarisation, nombre d’acteurs expriment la demande d’un chemin de
changement sans nécessairement pouvoir faire état d’une stratégie claire.
Certaines personnes interrogées observent le fait que cette situation de polarisation est favorisée par l’absence
d’espace de dialogue démocratique sur la justification des activités électronucléaires qui permettraient d’aborder
cette question, non pas comme un enjeu idéologique, mais comme une dimension d’une problématique
énergétique globale, complexe et multidimensionnelle.
Indépendement d’un débat sur la légitimité même du nucléaire, la nécessité d’un renforcement de la vigilance de
la société concernant aussi bien la sûreté des installations que leurs impacts réels (rejets, contamination) ou
potentiels (accidents) est évoquée. Si la qualité de l’organisation de la sûreté en France est très souvent
reconnue par les personnes interrogées, celles-ci observent que les marges de progrès résident aujourd’hui
surtout dans le développement d’une vigilance sociétale, au plan national comme au plan territorial, susceptible
d’exercer une pression effective sur les acteurs chargés de la gestion des risques.
De nombreuses personnes interrogées sont donc en attente d’une évolution des relations entre le système
nucléaire et la société. Il s’agirait de construire des débats et des interactions moins idéologiques, plus concrètes,
plus approfondies qui pourraient se traduire par un impact réel et significatif de la société sur les orientations et
sur les décisions. Cette influence de la société est attendue aussi bien dans des débats sur les choix de politique
énergétique que sur la question de la sûreté, de la protection de l’homme et de l’environnement.
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Le développement des pratiques de dialogue critique
Un autre aspect déterminant des évolutions de la gouvernance des activités nucléaires est susceptible de
provenir des interactions résultant de démarches engagées de façon autonome par des acteurs de la société
civile (“processus d’instruction citoyenne“ - voir plus loin). Dans ces démarches, les citoyens se donnent les
moyens de suivre par eux-mêmes des questions qu’ils ont identifiées comme importantes et sur lesquelles ils
jugent nécessaire d’exercer une action citoyenne. L’émergence des processus d’instruction citoyennes, qui
sortent par définition d’un cadre précontraint par les institutions, permet l’émergence de formes spécifiques
d’interactions entre les différentes catégories d’acteurs concernés que nous désignons sous la forme de
“dialogue critique“.
La multiplication des démarches d’instruction citoyenne permettent en effet aux acteurs de la société d’accumuler
des ressources stratégiques pour agir ensuite sur la situation et créer les conditions du dialogue critique en
mobilisant si nécessaire des formes de contre-pouvoir. Elles leur permettent en effet de construire avec les
autres acteurs un rapport de force bien compris permettant l’expression de la critique ou du dissensus. Compte
tenu des facteurs de changement évoqués ci-dessus, ces formes de dialogue critique pourraient être appelées à
se développer. Cette extension ne devrait se pas limiter au champ nucléaire et pourrait englober l’ensemble des
problématiques environnementales territoriales, comme le laissent présager les mouvements citoyens observés
dans le champ de la santé environnementale.
L’expression de la critique et du dissensus tout comme la mobilisation éventuelle du conflit sont constitutives de
ce type d’interactions. Il ne s’agit pas pour les acteurs de la société de se regrouper autour d’une “bonne gestion
des activités nucléaires“. Il s’agit plutôt de contribuer à un enjeu partagé de sécurité publique comme un élément
de la qualité de vie. Une contribution de la société (vigilance, pression sociale) est alors perçue comme
nécessaire pour maintenir et accroître la sécurité publique.
La montée en puissance de la société civile et en particulier des acteurs locaux dans les processus de décision
est cependant identifiée comme un possible vecteur de réagencement, même si de multiples difficultés sont
notées. La visibilité des indices d’un tel changement reste cependant faible au niveau national, même si
beaucoup attestent de l’existence, au plan local, de pratiques qui vont dans ce sens, pour certaines depuis de
nombreuses années.
L’importance des processus d’instruction citoyenne
Une dimension clé de ce dialogue critique réside dans la capacité des citoyens (acteurs locaux, associations
locales, nationales et internationales, simples citoyens) à engager des processus d’instruction citoyenne à travers
lesquels ils instruisent ensemble des questions qu’ils ont identifiées comme importantes.
Les “processus d’instruction citoyenne“ sont des démarches à travers lesquels les acteurs de la société se
dotent, à des degrés divers, des moyens leur permettant d’investiguer des questions qui les préoccupent. Ces
processus peuvent se dérouler dans un cadre négocié ou être de nature conflictuelle. Ils se déterminent par la
conjonction de l’autonomie des acteurs et de l’investigation d’un objet de préoccupation de nature publique
(souvent caractérisé dans le domaine nucléaire par une forte dimension technique). Ces processus permettent
aux acteurs de la société :
• d’instruire des questions concrètes qui leur paraissent importantes ;
• de mobiliser des compétences (techniques et stratégiques) pertinentes et fiables (en termes de qualité
scientifique et en termes de confiance) qui sont nécessaires ;
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• de traduire leurs questions dans les codes scientifiques, techniques et réglementaires qui régissent les
activités nucléaires, à travers un processus dit « de médiation technique » (traduction entre des
langages différents) ;
Les processus d’instruction citoyenne ne visent pas la connaissance pure mais au contraire à un impact sur une
situation concrète. Ils sont souvent motivés par une perspective de défense des intérêts de la vie, dans une
perspective patrimoniale vis-à-vis d’un territoire. Ces processus ne présupposent pas un accord préalable entre
les acteurs initiateurs du processus et les autres parties prenantes pour être mis en œuvre.
Ils peuvent s’accompagner de la mobilisation de contre-pouvoirs nécessaires au bon déroulement de ces
processus. Ceux-ci incluent, entre autres, les médias, le recours aux élus, les CLI, les recours légaux, etc.
L’objectif est alors de maximiser l’impact des processus d’instruction citoyenne en usant pour cela de toutes les
possibilités offertes par une situation donnée.
Les processus d’instruction citoyenne requièrent pour se développer l’engagement autonome d’acteurs de la
société. Il est également indispensable pour ces acteurs de pouvoir investiguer les dimensions techniques d’un
problème et donc de construire les compétences nécessaires.
Cette montée en compétence est la condition indispensable pour que les acteurs de la société civile
puissent établir la connexion entre des problématiques variées (locales, techniques, politiques, juridiques et
sociales) et acquérir une autonomie de jugement dans le champ technique. Cette autonomie cognitive est
corrélative de l’autonomie stratégique et politique. En effet, l’un des obstacles majeurs à l’entrée de non-
spécialistes dans les questions nucléaires est le coût d’entrée exorbitant nécessaire pour accéder à la technique
et intégrer celle-ci dans le questionnement des citoyens.
Une forme de “fatigue“ se fait rapidement sentir chez les acteurs de la société civile qui s’investissent sur des
thématiques sur lesquelles il s’avère qu’ils n’ont aucune influence. Il est apparaît donc important de pouvoir en
évaluer l’impact de façon visible, en rendant compte autant que possible de la façon dont les contributions des
uns et des autres ont été suivies ou non d’effets et pourquoi. Cet impact est lié à la capacité des acteurs de la
société civile a mettre en œuvre des stratégies efficaces et réalistes.. La capacité des acteurs de la société à tirer
parti de leur environnement social et institutionnel pour faire vivre le processus d’instruction citoyenne est à ce
titre un enjeu important.
La médiation technique et la construction pluraliste d’expertise
La montée en compétence des acteurs de la société civile dans le cadre de l’instruction citoyenne est corrélative
d’un autre enjeu qui est, pour les acteurs de la société civile, de pouvoir transformer une question ou une
inquiétude en “problème“ pouvant donner lieu à une prise en charge stratégique. Il est pour cela nécessaire
d’assurer une interface qui permette l’intégration par ces acteurs des registres cognitifs (ce qui vise à être vrai –
comme par exemple les réalités scientifiques et techniques) et des registres normatifs (éthiques ou politiques : ce
qui vise à être bon, souhaitable). Celle-ci permet la construction de sens partagée dans le contexte de
problématiques fortement techniques.
Ce processus de traduction des questions citoyennes dans les codes scientifiques, techniques et réglementaires
est une véritable fonction de médiation. Cette médiation entre divers registres est alors au service de la
construction d’un processus d’investigation qui pourra alors comprendre des dimensions humaines et techniques.
L’expert proche de la société est alors à même d’exercer ce que l’on appellera ici une fonction de “médiation
technique“.
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La médiation technique permet aux acteurs de la société civile d’investir des processus de décision ou des
questions qui les intéressent sans sacrifier leurs intérêts propres à la légitimité technique.
La mise en œuvre d’une médiation technique repose sur l’existence d’experts, de groupes ou de réseau
d’experts ou d’institutions d’expertise crédibles (sur le plan scientifique et technique), autant que possible
indépendants (des opérateurs plus particulièrement) et proches (des citoyens, des acteurs locaux et de leurs
valeurs). La présence d’acteurs de médiation technique dans les rangs de la société est alors identifiée comme
un enjeu de confiance sociale.
Dans le contexte des activités nucléaires, un paysage de l’expertise s’est construit en France avec l’émergence
d’une expertise industrielle et d’une expertise publique. Une expertise associative territoriale ou nationale a, de
plus, historiquement exercé une fonction de médiation technique vis-à-vis de la société.
Un risque d’attrition de ce vivier historique des experts associatifs est évoqué par les personnes interrogées, et
dans un contexte où les sollicitations augmentent. La perte d’un patrimoine d’expérience est en particulier
redouté, faute d’une transmission intergénérationnelle. Cette situation conduit la plupart des personnes
interrogées à s’interroger sur les conditions d’une pérennisation et du développement du potentiel de médiation
technique.
La diversification et le développement d’une expertise distribuée dans le corps social représente donc un enjeu
majeur. Différentes pistes sont évoquées par les personnes interrogées pour répondre à ce besoin identifié
d’expertise et de médiation technique. Le développement d’une expertise associative proche du citoyen et
s’inscrivant dans la continuité humaines et territoriales semble être un enjeu essentiel. Parallèlement, la
possibilité que les universités constituent au sein des régions de véritables pôles d’expertise connectés aux CLI
est également évoquée.
Le développement de nouveaux modes de financement apparaît au cœur de toute stratégie de développement
de l’expertise distribuée dans la société. A ce titre, différentes possibilités sont évoquées. Les personnes
interrogées évoquent la nécessité de l’ouverture d’un marché de l’expertise, par l’injection de fonds publics et par
la diversification des commandes. Ceci pourrait être une conséquence de la loi du 13 juin 2006 et de la
redistribution aux CLI du produit d’une taxe dédiée. De façon générale, l’existence d’une ou plusieurs fondations
permettant de centraliser et de distribuer des fonds de façon indépendante a été largement identifiée comme un
élément pouvant favoriser le développement d’une expertise distribuée dans la société et celui d’une recherche
prenant en compte les attentes sociales. Une possible montée en puissance de l’OPECST dans le domaine
nucléaire est également évoquée, avec la création d’une fondation, sous l’égide du Parlement, dédiée au
financement d’expertise et à la préparation des débats avec la société sur les questions nucléaires.
Par ailleurs, la contribution du Haut Comité à la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire, comme
commanditaire d’expertise à la demande de la société et lieu de dialogue critique entre les différentes parties
prenantes est une option envisagée. De même, apparaît l’idée d’une montée en puissance des collectivités
territoriales et plus particulièrement des Conseils généraux, notamment chargés de la présidence des CLI autour
des sites nucléaires.
Le recours de la société à l’expertise publique nucléaire qui représente le principal vivier d’experts disponibles
aujourd’hui semble incontournable à court, moyen terme. En effet, le risque d’attrition du vivier d’experts présents
dans la société et la prise en compte du temps nécessaire à la formation de nouveaux experts laissent entrevoir
une période de rareté. La force de travail et les savoir-faire des acteurs de l’expertise publique devraient apporter
à cette occasion une contribution aux processus d’instruction citoyenne et assurer une forme de relais vers une
situation où l’expertise serait plus diversifiée.
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Pour autant la capacité des experts publics à exercer des fonctions de médiation technique requiert, au-delà
d’une crédibilité scientifique et technique et de la présomption d’indépendance, une proximité des acteurs de la
société, un partage de valeurs et des relations construites dans la durée au fil des expériences et des
engagements réciproques. Par ailleurs, un organisme comme l’IRSN n’est pas nécessairement gréé (en termes
de ressources humaines et financières) pour assurer une présence systématique sur le terrain, à l’échelle du
territoire national, du type de celles que requiert le développement de la médiation technique.
Dans cette perspective, se dessine une mission possible de l’expert public qui serait d’accompagner le
développement de cette médiation technique dans la société, d’assurer des conditions favorables au
développement de celle-ci, par des transferts de connaissances, par la formation, par le développement
d’opérations exemplaires susceptibles d’être appropriées et diffusées sur l’étendue du territoire national par les
organismes intéressés.
Les personnes interrogées observent que les enjeux attachés à l’expertise (dans la perspective du dialogue
critique) ne concernent pas seulement la diversification des instances d’expertise mais également les modalités
de mise en dialogue de ces expertises. En effet, le dialogue critique met en jeu, par nature, plusieurs logiques
cognitives et souvent plusieurs catégories d’intérêts. Il peut bénéficier ainsi non seulement d’une confrontation
mais également d’une véritable construction pluraliste d’expertise. C’est d’ailleurs à travers ce type de processus
que peuvent être mis à jour et reconnus les prémices des différentes expertises disponibles (connaissances
disponibles, incertitudes, absence de connaissance, hypothèses palliant les déficits de connaissance, valeurs
implicites des différentes sources d’expertise, alternatives et options implicites, etc).
La contribution des CLI et de l’ANCLI au dialogue critique
Les CLI et leur fédération, l’Association Nationale des CLI (ANCLI), ont été fréquemment évoquées dans les
entretiens, tant pour leur nouveau statut dans le paysage nucléaire français que pour leur valeur d’interface entre
la société civile et les acteurs du système nucléaire. Les CLI ont une position particulière à la jonction du monde
industriel électronucléaire, de dimension nationale, et du territoire qu’elle représentent. Cette spécificité est
également organique : elles sont dans leur genèse, à la fois une émergence du territoire (bottom up) et le résultat
d’une construction institutionnelle (top down). L’ANCLI a, pour sa part, vocation à connecter au niveau national
ce niveau local, mais sans que l’un des deux niveaux ne prenne le pas sur l’autre.
Les CLI ont une capacité à mobiliser les ressources (techniques, financières et juridiques) qui sont nécessaires à
l’instruction des questions citoyennes portées par leurs membres (ou en tous cas par certains membres qui vont
alors mobiliser la CLI dans cette perspective). Dans cette perspective, les personnes interrogées évoquent
plusieurs contributions significatives des CLI dans le contexte des processus d’instruction citoyenne et dans la
perspective de l’établissement d’un dialogue critique.
En premier lieu les CLI permettent aux acteurs de la société de contribuer faire émerger et légitimer des
questions sur la place publique, questions qui (sinon) n’auraient pas trouvé de relais. Elles ont également
vocation à être un lieu d’échange où des discussions relatives au suivi des installations nucléaires de base (INB)
puissent avoir lieu publiquement. Elles peuvent également contribuer à l’information des citoyens dans des
termes qu’il comprennent et puissent mettre en perspective avec leurs préoccupations propres. A ce titre, elles
peuvent être un outil permettant la conduite de contre-expertises et la confrontation des analyses.
Les CLI : acteurs en devenir dans la gouvernance des activités nucléaires
Il est encore difficile de conduire sur les CLI une analyse définitive. Ces institutions sont encore en devenir tout
comme leur place dans la gouvernance des activités nucléaires. Leur périmètre d’action semble même encore en
cours d’élaboration, tandis que la construction de leur autonomie constitue un enjeu majeur.
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Il apparaît également que l’un des enjeux principaux des CLI sera la construction de leur autonomie, que leur
positionnement singulier ne peut permettre de construire autrement que dans l’interaction. A contrario, de par
leur position à l’interface de la société et du système nucléaire, les CLI semblent être à même de contrebalancer
des influences trop fortes (dans un sens ou dans un autre) et d’ouvrir ainsi la voie au dialogue critique évoqué
plus haut. L’autonomie des CLI apparaît dans bien des cas à construire et non pas acquise a priori.
Un autre enjeu évoqué pour les CLI et l’ANCLI est celui de la perennité de leur contribution et de la forme que
celle-ci prendra à l’avenir. Les personnes interrogées évoquent en particulier la période faisant suite au vote de la
loi du 13 juin 2006 comme étant une période de transition et de calage du système de gouvernance des activités
nucléaires français. La façon dont celles-ci vont se saisir de la définition de leur périmètre par le législateur
apparaît encore ouverte. Si les CLI sont dédiées par leur définition légale au suivi des installations nucléaires,
l’esprit et le but dans lequel ce suivi peut s’effectuer reste encore ouvert et largement lié à la façon dont les
acteurs interprèteront leur rôle et leur mission.
L’accès à la définition des choix stratégiques apparaît également comme un élément d’incertitude quant au
périmètre futur des CLI et de l’ANCLI. Dans le cas de l’ANCLI, les groupes permanents créés par cette fédération
sur des thématiques particulières ont pour objet de permettre aux CLI une montée en compétence et en influence
sur ces questions au plan local comme national voire international. L’enjeu est alors de faire entendre une voix
compétente et nourrie localement aux niveaux nationaux et internationaux.
Instruction citoyenne, dialogue critique et expertise pluraliste : vers une évolution des paradigmes de
l’action collective.
Un axe majeur de cette étude est donc l’identification et la conceptualisation de l’existence de processus
d’instruction citoyenne et des trois dimensions constitutives de leur vitalité : autonomie des acteurs, compétence
(permettant d’aborder les dimensions technique des problèmes), et ressources stratégiques (permettant d’influer
sur une situation donnée). C’est de l’emploi de ces processus d’instruction citoyenne et de leur multiplication que
tend à émerger un nouveau cadre d’interaction entres acteurs intéressés aux affaires nucléaires, celui du
dialogue critique.
Une condition des processus d’instruction citoyenne réside dans l’existence de formes de “médiation technique“
qui vont rendre possible la montée en compétence des acteurs de la société. Ceux-ci vont ainsi pouvoir
construire leur questionnement d’une façon qui leur semble adéquate et évaluer les expertises des institutions
qui leur sont proposées.
Des formes d’expertise pluraliste qui rendent en particulier possible le dialogue entre les différentes formes
d’expertise mobilisées (y compris celles qui ont été élaborées dans le cadre de l’instruction citoyenne) semble par
ailleurs appelé à se développer. Dans ce contexte, celles-ci semblent appelées à prendre une importance
accrue.
Sous la pression conjuguée des vecteurs de changement identifié précédemment et de ces nouveaux outils de
mobilisation des citoyens, des évolutions du dispositif de gouvernance des activités nucléaires se dessinent. De
façon plus générale, même, c’est une évolution des formes de l’action collective et de la place de l’Etat et de ses
agents dans ce dispositif qui s’esquisse.
En effet, on tend à passer d’une gouvernance déléguée à un système administratif et étatique d’intérêt général
où la contribution de la société reste extérieure et périphérique à une forme de gouvernance démocratique qui
donne toute sa place à une contribution citoyenneà la définition et la prise en charge des affaires publiques et
plus particulièrement à la vigilance et à la sûreté dans le contexte nucléaire.
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Dans cette perspective, l’autonomie, la compétence et la capacité des acteurs de la société sont des éléments de
vitalité démocratique. Les formes “sauvages“ de participation trouvent leur place dans cette forme émergente de
gouvernance tout comme les processus institutionnalisés de consultation. L’existence d’une pluralité d’acteurs,
avec des positions construites et différenciées, susceptibles de porter l’existence d’un dialogue critique constitue,
dans cette perspective, un élément spécifique de qualité et de vitalité de la gouvernance. Il ne s’agit pas
nécessairement de rechercher un consensus mais plutôt de favoriser l’existence de tensions fécondes fondées
sur la pluralité et l’expression des différences, à travers le respect de l’autonomie des acteurs et la recherche de
situations équitables d’interaction avec la société.
Cette gouvernance suppose l’existence durable de groupes d’acteurs de la société compétents et influents
autour de chaque type d’activité, susceptibles de s’engager dans l’instruction citoyenne des questions qu’ils
portent et dans un “dialogue critique“ avec les institutions. L’étude souligne le caractère essentiel de la médiation
technique et de l’expertise pluraliste dans ces processus.
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Chapitre 1 - Les vecteurs de changement de la
Gouvernance des activités nucléaires dans le contexte
international et national
Le système nucléaire français et ses modalités de gouvernance sont, d’après les
personnes interrogées, particulièrement exposés à l’influence de possibles
évolutions internationales. L’hypothèse de modifications du paysage énergétique
mondial, la perspective d’une pénurie des ressources énergétiques fossiles avec ses
enjeux économiques et géopolitiques, la problématique du changement climatique,
sont en particulier évoquées comme de possibles vecteurs de changement.
Corrélativement, l’émergence probable de pôles nucléaires transnationaux semble
également susceptible d’influer sur le devenir du système français de gouvernance
des activités nucléaires et sur sa philosophie.
D’un point de vue global, il est fait état de pressions internationales fortes et
constantes visant à l’établissement d’un référentiel normatif international de sûreté
nucléaire susceptible d’accompagner l’internationalisation de l’industrie nucléaire.
Les conséquences du processus d’élargissement de l’Union Européenne semblent
également pouvoir exercer une influence sur la pratique et les équilibres français
entre les acteurs intervenants dans le domaine nucléaire. Un autre vecteur de
changement évoqué dans les entretiens concerne l’émergence d’un droit à
l’information et à la participation au plan international et national, notamment dans le
champ nucléaire avec le développement de pratiques institutionnelles de débat et de
dialogue autour des activités porteuses d’impacts pour l’homme et pour
l’environnement.
Si l’ensemble des personnes interrogées s’accordent sur l’existence de vecteurs de
changement dans le contexte international, aucun consensus ne se dégage quant à
leur impact sur la gouvernance des activités nucléaires. Il est même notable que les
mêmes personnes peuvent voir dans un même vecteur de changement autant
d’opportunité que de menaces pour le dispositif de gouvernance des activités
nucléaires. Il semble en outre que les évolutions envisageables puissent dépendre
fortement des stratégies des différents acteurs concernés face à cette situation
évolutive.
Un paysage énergétique mondial en évolution
La raréfaction des ressources fossiles, l’instabilité du contexte géopolitique, la
menace du changement climatique (et les actions préventives qui en découlent) et la
nécessité pour les Etats d’assurer leur indépendance énergétique contribuent à
nourrir l’hypothèse d’un processus de relance de la construction nucléaire, cette
dernière étant largement perçue comme une énergie de souveraineté. De la même
façon, la perspective de renouvellement d’un parc vieillissant est évoquée dans les
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pays historiquement engagés dans la production d’énergie nucléaire comme la
France.
L’hypothèse d’une relance nucléaire après une période de stagnation est très
largement perçue dans les entretiens comme pouvant avoir une influence sur la
gouvernance des activités nucléaires en France par la modification des équilibres
existants.
Une remise en cause des anciens équilibres ?
La gouvernance des activités nucléaires s’est structurée depuis l’après guerre5
autour de trois piliers (exploitation, autorités de sûreté, expert public). Cette
gouvernance est également caractérisée par certaines relations entre le système
nucléaire et la société (voir troisième partie) dont l’équilibre s’est progressivement
construit depuis une vingtaine d’années.
La plupart des personnes interrogées considèrent que l’hypothèse d’une relance du
nucléaire pourrait conduire à des modifications sensibles des équilibres qui
caractérisent aujourd’hui la gouvernance des activités nucléaires.
La plupart des personnes interrogées observent néanmoins qu’un processus de
décision comme celui qui a accompagné la mise en œuvre du plan Messmer des
années 1970 serait impensable aujourd’hui. Une telle approche technicienne et
administrative serait, selon elles, inadaptée au nouveau paysage qu’offre aujourd’hui
la société française. Dans cette perspective, certaines d’entre-elles, tout en
reconnaissant les apports des récents débats publics CNDP dans le domaine
nucléaire (voir plus loin), soulignent néanmoins les limites d’un processus de
décision où la concertation s’est largement construite a posteriori (l’EPR).
Une opportunité de réflexion sur la sûreté
La perspective d’une éventuelle relance du nucléaire pourrait, pour certaines
personnes interrogées, constituer une fenêtre d’opportunité pour un réexamen et une
renégociation globale et intégrée des conditions d’exercice des activités nucléaires.
Ce réexamen pourrait aussi bien concerner les futurs équipements que la question
des conditions du prolongement de la durée de vie de certaines installations
actuelles. De même, il devrait être l’occasion d’un approfondissement des modalités
de gestion des déchets radioactifs, des concepts qui président à la gestion
accidentelle et post-accidentelle. La mise en place d’un cadre de gouvernance plus
ouvert aux interactions avec la société pourrait également constituer l’une des enjeux
5
Voir en annexe, la synthèse historique de la mise en place du dispositif de gouvernance des activités
nucléaires : 1945 - 2007
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de cette évolution, même si plusieurs personnes interrogées voient au contraire dans
cette possible évolution la menace d’une refermeture du système nucléaire. La
récente redéfinition des missions de l’autorité de sûreté comme celui du statut des
commissions locales d’information semblent ainsi difficilement dissociables des
décisions concernant la construction de nouvelles unités (EPR)
Un vecteur d’ouverture
Plusieurs personnes interrogées suggèrent qu’une éventuelle relance nucléaire au
plan international et notamment en Europe pourrait s’accompagner d’un
renforcement des exigences des populations en matière d’information et de
participation dans des pays marqués par une ancienne tradition démocratique
comme dans les nouveaux Etats membres. Différentes solutions institutionnelles
pourraient être ainsi élaborées dans plusieurs contextes politiques et culturels qui
pourraient, par ricochet, impacter les modalités de gouvernance des activités
nucléaires en France.
En particulier, il est souligné qu’une relance nucléaire en Grande Bretagne ou en
Allemagne ne se ferait vraisemblablement pas sur le modèle de gouvernance
français6
. Le retour d’expérience sur la France pourrait se faire par exemple dans un
cadre intergouvernemental, mais également dans le cadre de relations entre acteurs
de la société civile ou dans le cadre des institutions internationales. Une personne
interrogée indique ainsi que : “en Finlande, le chantier EPR se passe mal et les
Finlandais ont été très attentifs et très désagréablement surpris de la façon dont
AREVA a géré les choses pour l’EPR de Flamanville. Ils se sont interrogés sur les
difficultés d’AREVA en France. Et Greenpeace, a contrario, a beaucoup mis en avant
les problèmes de l’EPR en Finlande pour faire pression sur AREVA en France.“
De fait, dans un monde où les associations, les flux d’hommes et d’idées sur les
pratiques de gouvernance tendent de plus en plus à se connecter sur un mode
transnational, il apparaît probable que les débats et les événements ayant lieu dans
un pays devraient d’une façon ou d’une autre avoir un effet sur les nations voisines.
6
Comme semble en témoigner le récent document cadre de la gestion des déchets radioactifs (“Managing
Radioactive Waste Safely“ (MRWS) – juin 2008) qui prend appui sur les récentes expériences belges et slovènes
en matière de processus de recherche de site pour des installations de gestion des déchets radioactifs)-
http://www.defra.gov.uk/environment/radioactivity/mrws/pdf/white-paper-final.pdf
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Vers des pôles industriels nucléaires transnationaux ?
L’industrie nucléaire est souvent liée historiquement aux programmes militaires (en
France ou en Grande Bretagne, par exemple) qui ont été mis en place par les Etats
dans des cadres nationaux après la guerre. Les personnes interrogées considèrent
qu’une éventuelle relance du nucléaire tendrait au contraire à s’inscrire dans un
cadre transnational. L’émergence de champions industriels transnationaux est en
particulier envisagée. Cette évolution se place dans la perspective d’une
libéralisation du marché de l’énergie et de sortie du monopole des exploitants
français. Dans un contexte de forte compétition, cette éventualité ne peut manquer
d’avoir une influence importante sur les pratiques et la philosophie de gouvernance
des activités nucléaires.
Vers des champions transnationaux
La dimension mondiale pressentie d’un éventuel mouvement de relance de la
construction dans le domaine nucléaire appellerait de la part des constructeurs qu’ils
puissent s’insérer dans un cadre hautement concurrentiel. Il deviendrait alors encore
plus nécessaire qu’ils aient la capacité technique et industrielle de proposer et de
construire en grand nombre des produits de qualité toujours croissante. De fait, aux
dires de certaines personnes interrogées, seuls des champions transnationaux,
maîtrisant l’ensemble de la filière industrielle de construction d’une centrale nucléaire
paraissent à même de se développer. L’émergence de trois ou quatre pôles de
construction à dominante respectivement franco-allemande7
, nippo-américaine,
russe et éventuellement chinoise, est envisagée et devrait se traduire par la montée
en puissance de quelques opérateurs majeurs d’envergure mondiale.
Il ressort des entretiens qu’une telle évolution serait susceptible d’être à l’origine
d’une évolution des pratiques de gouvernance des activités nucléaires en France :
• En premier lieu en plaçant dans un cadre neuf la question du secret défense
et du secret commercial : comment par exemple, les acteurs du système de
régulation pourraient-ils effectuer un retour d’expérience public sur des
incidents impliquant des technologies relevant du secret commercial ? De la
même façon, comment des recherches ou des travaux d’expertise relevant du
secret de défense pourraient-ils être transmis à des industriels largement
impliqués à l’étranger ?
• La sûreté dépend largement en France d’une tradition de dialogue technique
de proximité entre des opérateurs, des experts et une autorité partageant des
7
Les entretiens ont été conduits avant la séparation d’AREVA et de Siemens.
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éléments de culture communs : cela sera-t-il possible avec des industriels
étrangers ?
• Contrairement aux objets de consommation courante, la conception même
des installations nucléaires est marquée par des options et des choix qui
s’effectuent dans un contexte politique, éthique et culturel particulier qui
comporte dans chaque pays des spécificités qui sont susceptibles d’être
remises en cause dans d’autres contextes nationaux.
• Le mouvement de construction de centrales nucléaires dans des pays
étrangers, en particulier ceux ne disposant pas d’une pratique démocratique
ancrée (Lybie par exemple), conduit à poser la question de la qualité de
“l’environnement citoyen“ et sa contribution à la qualité du suivi des activités
nucléaires ; plusieurs personnes évoquent le fait que ce mouvement et les
débats qui l’entourent conduisent à mettre en évidence la nécessité de contre-
pouvoirs dans les dispositifs de gouvernance de ces activités, notamment
dans la société civile, comme un élément incontournable d’une culture de
sûreté.
La libéralisation : quels effets d’une concurrence accrue ?
Un éventuel mouvement de relance nucléaire ainsi que l’émergence de pôles
industriels transnationaux devrait s’accompagner en Europe d’un processus de
libéralisation du marché de l’énergie. Cette perspective s’accompagne de
nombreuses questions pour les personnes interrogées.
Celles-ci évoquent en premier lieu le risque de dégradation de la sûreté des
installations comme effet possible d’une pression concurrentielle accrue. Une priorité
mise sur la recherche de rentabilité pourrait se traduire par une réduction des coûts
notamment dans le domaine de la sûreté ainsi que dans celui de la protection de
l’homme et de l’environnement. Ce mouvement aussi bien concerner les choix
effectués lors la conception que les conditions d’exploitation. Il pourrait également
affecter l’expertise de sûreté et la recherche correspondante.
De la même façon, ce mouvement pose la question de la “privatisation“ de questions
jusqu’alors considérées comme publiques. En effet, jusqu’à il y a peu les acteurs
scientifiques et industriels du nucléaire en France étaient en grande partie des
acteurs publics. A ce titre, leurs orientations stratégiques intéressaient la Nation. La
privatisation et la libéralisation du marché de l’énergie pourraient tendre à changer
cet état de fait, une entreprise privée n’ayant à rendre compte de ses choix
stratégiques que dans la mesure où ils sont susceptibles d’affecter clairement et
directement la population. L’une des personnes interrogées évoque à ce titre
l’exemple du débat public sur l’EPR : “Le point principal qui aurait du être débattu
était la pertinence de l’EPR pour maintenir la capacité nucléaire française et celui-ci
n’a pas été discuté ; du point de vue d’EDF cela était de son ressort comme relevant
de sa stratégie industrielle propre ; la légitimité du projet était interrogeable du point
22
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de vue des pouvoirs publics dans le contexte actuel (même si elle ne l’a pas été dans
les faits). Elle ne le serait probablement pas dans un contexte où EDF serait
privatisé, sa stratégie devenant un objet privé“ 8
.
Certains entretiens, cependant, mettent en avant le fait que l’arrivée de plusieurs
exploitants et industriels en France pourrait avoir pour effet de briser la cohésion
culturelle et institutionnelle du système nucléaire national. Elle pourrait ainsi
contribuer à l’ouverture du système à l’occasion de l’insertion de nouveaux acteurs
amenant avec eux une culture neuve. Ainsi, l’une des personnes interrogées déclare
que l’arrivée d’opérateurs d’électricité en France “est une révolution. Les
associations sont demandeuses de concurrence dans le champ nucléaire. A long
terme, le monopole d’Etat disparaîtra.“. La possibilité d’une amélioration substantielle
de la transparence et des relations avec les acteurs de la société comme
conséquence de cet éventuel rééquilibrage des forces en présence est ainsi évoqué.
Questions pour les acteurs locaux
L’éventuelle “privatisation“ de la question nucléaire, celle-ci devenant une
problématique industrielle, commerciale et économique (non politique) dans une
économie globalisée, semble en particulier s’accompagner du fait que cette question
pourrait échapper de plus en plus à la société et aux acteurs locaux.
Un autre facteur de changement est perçu comme pouvant être à l’origine d’un
renforcement de cette mise à distance (de la société et des Etats) des activités
nucléaires. Il s’agit de la certification internationale des technologies nucléaires. En
effet, celle-ci devrait permettre à une technologie certifiée dans un pays d’être
développée dans un autre pays sans avoir à refaire le processus de certification déjà
établi dans le pays d’origine. Mais cette perspective, qui est développée dans la
section suivante, est également évoquée comme porteuse d’opportunités pour la
société dans la mesure où elle pourrait contribuer à objectiver et permettre la mise
en débat démocratique d’un dispositif de normes de conception et de conduite des
activités nucléaires. La conduite des activités nucléaires est en effet jugée largement
informelle en France (se construisant dans le dialogue technique entre les acteurs
institutionnels du nucléaire) et donc comme échappant dans une large mesure à
l’évaluation des acteurs externes.
8
Il est intéressant d’observer à cet égard la situation anglaise récente dans le contexte d’une relance nucléaire
menée par des opérateurs étrangers (dont EDF) et le fait que le gouvernement anglais a été obligé de reprendre
la procédure de concertation sur sa politique nucléaire sous l’impulsion d’une action juridique de Greenpeace qui
jugeait celle-ci non conforme à la convention d’Aarhus (et à ses transpositions légales européennes et
nationales).
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Des pressions internationales en faveur d’une sûreté
fondée sur un cadre de normes et de standards définis au
niveau international
Une des personnes rencontrées évoque un rapport de l’Agence de l’Energie
Nucléaire (AEN) de l’OCDE (Opinion collective - EGCO9
- mai 2007) qui concerne la
question de la gouvernance des activités nucléaires. Ce rapport recense les défis
pour l’avenir et en particulier identifie comme un enjeu clé l’équilibre entre une
gouvernance locale des activités nucléaires - qui apparaît de plus en plus importante
dans les processus de décision - et les normes internationales. Il ressort en effet de
la plupart des entretiens qu’une poussée des autorités américaines, relayées par de
nombreux opérateurs industriels, tend à l’établissement d’un cadre de normes et de
certification permettant aux industriels ayant certifié une technologie dans un pays de
l’exporter dans un autre sans avoir à reprendre le processus de certification dans son
entier. L’enjeu est alors de ne pas dupliquer le travail de certification à fournir d’un
pays à l’autre, en s’appuyant sur un cadre défini de façon internationale. Cette
tendance est largement corrélative des vecteurs identifiés précédemment, relance du
nucléaire, libéralisation des marchés et internationalisation des opérateurs
industriels.
Un processus déjà engagé
Ce mouvement de normalisation est en particulier engagé dans le cadre du
“Multinational Design Evaluation Program“ (MDEP) dont l’Agence de l’Energie
Nucléaire de l’OCDE (AEN) assure le secrétariat. Ce processus est, au dire des
responsables de l’AEN, “une initiative multinationale en vue de développer des
approches innovantes afin de mutualiser les ressources et les connaissances des
autorités de sûreté qui auront la responsabilité de l’évaluation réglementaire de
nouveaux réacteurs. Il comporte trois phases :
• La phase 1 concerne les réacteurs dont la conception est soumise à la
certification de l’Autorité de sûreté américaine (NRC) et qui sont en cours
d’instruction par d’autres Autorités de sûreté nucléaire. Pour l’heure, seul
l’EPR est concerné et fait l’objet d’une coopération entre l’ASN et l’Autorité de
sûreté finlandaise (STUK), d’une part et la NRC, d’autre part. Un protocole de
coopération a été signé en juin entre cette dernière et l’ASN.
• La phase 2 est menée parallèlement à la phase 1, cette phase a pour objectif
de faciliter l’analyse de sûreté des réacteurs de génération III. Il s’agit d’un
travail visant à faire converger les objectifs de sûreté, les critères, les codes et
9
Expert Group on the CRPPH Collective Opinion (http://www.nea.fr/html/rp/egco.html)
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les standards associés à l’analyse de sûreté d’un nouveau réacteur. Cela se
traduira également par la possibilité, pour une Autorité de sûreté nucléaire, de
s’appuyer sur une autre Autorité de sûreté pour le contrôle de la fabrication
des composants du réacteur.
• La phase 3 vise à la mise en oeuvre des produits de la phase 2 pour l’analyse
de sûreté des réacteurs de génération IV.10
»
Cette évolution pourrait contribuer à favoriser des synergies entre acteurs du
système nucléaire (pour par exemple financer et conduire des investigations). La
question se pose alors du point d’équilibre, et du lieu où réaliser cet équilibre, entre
normes d’applications universelles et situations locales. Plus encore, des questions
sur la philosophie de sûreté ainsi entendue ont été largement évoquées.
Quelle garantie de sûreté et de radioprotection ?
De façon générale, la sûreté est évoquée dans les entretiens comme ne pouvant se
circonscrire à un ensemble de normes. Elle se fonde, au moins dans le cadre
français, sur la nécessité d’un “dialogue technique“ entre les divers acteurs du
dispositif de gouvernance des activités nucléaires, dialogue visant moins au respect
de normes préétablies qu’au maintien effectif d’un haut niveau de sûreté. Ce
dialogue a cependant pour cadre un système relativement restreint, utilisant des
technologies nationales et connues. A ce titre, la montée en puissance d’une
philosophie de régulation fondée sur la norme apparaît comme pouvant se faire au
détriment du dialogue technique. Ceci amène un certains nombre de personnes
interrogées à poser la question des garanties de sûreté et de radioprotection
apportées par ce changement.
Cette évolution est alors susceptible de rejoindre en France ce que l’une des
personnes interrogées appelle « une logique COFRAC11
de sûreté par la norme »,
au sein de laquelle l’enjeu serait le respect ou non d’une norme technique sans
chercher à investiguer les véritables enjeux de sûreté au-delà de la problématique de
conformité.
Quelle place pour la société ?
L’éventualité d’un passage à la mise “en norme“ de la sûreté conduit certaines
personnes interrogées à demander si ce mouvement est de nature à favoriser
l’accès de la société aux choix et à leur mise en débat. En particulier, une
10
Source : ASN (http://www.asn.fr/sections/rubriquesprincipales/international/organisations/multinational-design-
evaluation-program)
11
Comité français d'accréditation (http://www.cofrac.fr)
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internationalisation de la certification ne met-elle pas celle-ci hors de portée des
acteurs nationaux et locaux, au préjudice de la compatibilité des normes avec les
contraintes et les exigences nationales et locales ?
La question est alors de savoir où se trouve l’équilibre entre les normes d’application
universelle et les situations locales. Les autorités nationales apparaissent également
questionnées par cette recherche d’un équilibre. Dans ce contexte, les normes
internationales sont évoquées comme pouvant constituer un point de référence,
l’enjeu étant ensuite d’évaluer la marge de subsidiarité envisageable au niveau
national et local. L’intégration de la place de la société lors du processus de
certification est par ailleurs évoquée. Comme le montre l’exemple d’autres domaines
d’activités comme celui de la gestion forestière12
, l’introduction de processus
participatifs à différents niveaux (international, nationaux, locaux) dans les processus
de certification pourrait permettre l’intégration des acteurs de la société, notamment
dans les territoires où seront concrètement mises en œuvre ces technologies.
A ce titre, la montée en puissance d’un cadre de sûreté fondé sur la norme et la mise
en œuvre d’un cadre international apparaît comme un vecteur important pouvant
exercer une influence sur la gouvernance des activités nucléaires en France. Le
“décrochage“ des acteurs locaux des problématiques effectives est en particulier
évoqué comme un risque réel que seraient néanmoins susceptibles de corriger
l’introduction de processus participatifs institutionnalisés aux différents niveaux de
décision.
12
On notera par exemple l’existence de processus participatifs de certification dans le champ de la gestion
forestière avec des mécanismes de concertation au plan international, nationaux et locaux (par massif forestier)
impliquant les différentes catégories d’acteurs concernés (Pan European Forest Certification – PEFC).
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L’élargissement de l’Union Européenne
Lors des négociations d’adhésion des pays de l’Est, il est apparu très vite que la
question de la sûreté nucléaire ferait partie des thématiques de la négociation. La
Commission européenne s’est alors penchée sur cette question dans la perspective
d’une remise à niveau de la sûreté nucléaire dans les Etats candidats à l’accession.
Cette situation représentait pour la Commission qui ne disposait pas de mandat
explicite sur les questions de sûreté, une opportunité d’élargir son champ de
compétence en y faisant rentrer non seulement les futurs Etats membres mais
également les anciens, rentrant par la même dans un champ potentiel de conflit de
compétence avec les autorités nationales de sûreté. Cette situation a contribué à la
création de l’organisation WENRA (1999) regroupant les autorités de sûreté ouest-
européennes, cependant que la Commission s’engageait dans une tentative
d’élaboration d’un cadre communautaire de sûreté, témoignant d’une importance
accrue de l’échelon européen dans la gouvernance des activités nucléaires.
Le processus d’évaluation et de remise à niveau des activités
nucléaires chez les nouveaux entrants et ses conséquences
Regroupées dans l’association WENRA, les autorités nationales ouest-européennes
ont alors procédé de leur propre initiative à une évaluation de la sûreté des
installations nucléaires des pays candidats ainsi que de leur cadre institutionnel et
réglementaire. Ce travail d’évaluation a été réalisé par les différentes autorités
membres de WENRA qui se sont donc réparties la tâche. Cette évaluation a ainsi été
réalisée selon les critères de sûreté de chaque autorité, rendant difficile l’intégration
des résultats des divers pays. Les évaluateurs se sont alors concertés pour réfléchir
à la création d’une méthode faisant consensus, donnant lieu à un rapport WENRA et
à un rapprochement des pratiques ainsi qu’à l’élaboration de références communes.
Parallèlement, la Commission Européenne élaborait un certain nombre d’éléments
visant à fournir un cadre normatif à l’échelle de l’Union (le « paquet nucléaire »). Ce
cadre s’est heurté aux traditions d’autonomie des autorités nationales ainsi que, pour
certains pays de l’Est, au refus de toute tutelle ou de toute délégation de pouvoir
remettant trop en cause leur indépendance. Cette initiative n’a donc pas recueilli
l’assentiment des Etats membres, elle donc été rejetée (juin 2004). Depuis cette
date, la production de propositions révisées par la Commission13
aurait reçu un
meilleur accueil de la part de certaines autorités nationales. En effet, un
encadrement communautaire respectant les responsabilités nationales semble
aujourd’hui perçu comme pouvant les aider dans l’accomplissement de leurs
missions, en particulier en introduisant des mécanismes de validations de certaines
13
Un projet de directive du 26/11/2008 sur la sûreté nucléaire est actuellement en cours d’examen.
27
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normes à l’échelle internationale. Cette évolution néanmoins est perçue dans
certains entretiens comme portant en germe une remise en cause de l’idée
d’indépendance du cadre national de régulation des activités nucléaires.
Equilibres et redondances entre les divers dispositifs de régulation
Pour certaines personnes interrogées, l’approche de WENRA tout en permettant un
processus construction “bottom up“ de meilleures pratiques européennes pourrait
être poursuivie dans le même cadre dans les années à venir sans nécessiter une
mobilisation des institutions communautaires. Certains interrogent cependant leur
légitimité dans un contexte où ces autorités se trouvent ainsi à la fois productrices de
normes et chargées de leur contrôle. Cette question a conduit la Commission, à la
demande du Conseil, à créer un groupe spécialisé chargé de définir les domaines
dans lesquels une contribution européenne aurait une valeur ajoutée. Ce groupe, le
Working Parties on Nuclear Safety (WPNS) est constitué de représentants des Etats
(dans la logique du respect d’une compétence nationale en matière de sûreté
nucléaire).
Les travaux du WPNS ont conduit à la création par la commission (à la demande du
Conseil) en 2007 du “groupe de haut niveau sur la sûreté nucléaire“ qui a pour
mission d’approfondir les pistes de travail identifiées par le WNPS et de progresser
dans la définition de ce que serait une valeur ajoutée communautaire dans la
définition de la sûreté. Les membres de WNPS ne font cependant pas partie de ce
groupe qui regroupe plutôt des représentants des autorités nationales de sûreté.
On voit donc ainsi que les prémisses d’un système, sinon de régulation, au moins de
coordination multi niveaux dans le champ de la sûreté nucléaire, sont en cours
d’élaboration dans l’Union Européenne en incluant à tous les niveaux les régulateurs
nationaux.
Quels compromis entre différents principes de gouvernance ?
Dans une déclaration de décembre 2002, Madame De Palacio, Commissaire, citait
ainsi l’arrêt de Cour européenne de justice du 10 décembre 2002 comme confirmant
la légitimité de la “Communauté à légiférer dans le domaine de sûreté des
installations nucléaire“, tout en reconnaissant “la compétence technique des autorités
de sûreté nationales“14
. L’adoption et la mise en oeuvre d’une forme d’harmonisation
européenne de sûreté nucléaire se heurte cependant à certaines considérations
comme par exemple :
14
Communication de Mme De Palacio du 19 décembre 2002, faisant référence à l’arrêt de la Cour de justice des
communautés européennes du 10 décembre 2002 dans l’affaire C29/99
(http://ec.europa.eu/energy/nuclear/safety/doc/2003_comm_ldp_fr.pdf).
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• le refus d’une centralisation européenne de la sûreté nucléaire motivée par
une souci de souveraineté ou même par le souci de la préservation d’un
niveau de sûreté acquis au niveau national,
• le motif que certaines autorités de sûreté nationales sont indépendantes et
qu’il n’est pas légitime de les contrôler,
• les résistances de certains pays qui pourraient, aux dires de certaines
personnes interrogées, avoir des difficultés à mettre à niveau leurs
installations (comme le Royaume Uni) dès lors que des standards
communautaires exigeants seraient définis.
Il apparaît donc qu’un compromis reste à élaborer au niveau européen. Selon
certains interlocuteurs, l’enjeu reste cependant l’établissement ou non de principes
minimaux et standardisés de sûreté nucléaire à l’échelle de l’Union Européenne. Les
questions de gouvernance sont parties intégrantes de cette question à travers en
particulier des principes comme l’indépendance de l’autorité de sûreté nationale, la
responsabilité première des opérateurs, etc.
L’implication de la société : une problématique émergente au
niveau européen
Cette montée en puissance des questions de sûreté nucléaire au plan européen
s’accompagne d’un développement des problématiques relatives à l’implication des
acteurs de la société. En particulier, pour de nombreuses personnes interrogées,
l’éventualité d’une relance du nucléaire semble difficilement envisageable sans
l’avènement de formes plus participatives de gouvernance de ces activités. Ainsi, le
groupe de haut niveau évoqué plus haut inclut-il, parmi ses trois groupes de travail,
un groupe consacré à la question de la transparence.
De la même façon, notamment dans la perspective ouverte par le troisième pilier de
la convention d’Aarhus (évoquée dans les chapitres suivants), l’accès à la justice
européenne apparaît comme un levier possible pour certains acteurs de la société
civile.
De fait, certaines personnes interrogées, notamment dans les rangs de la société
civile, voient dans l’accès au niveau européen une opportunité de participer plus en
amont aux choix et orientations qui pourraient présider à l’éventualité d’une relance
nucléaire, ceci au delà des possibilités d’accès à la justice qui répondent plus à une
logique défensive.
A ce titre, la mise en œuvre du Forum de l’énergie nucléaire européen par la
Commission Européenne voudrait procéder de cette démarche à savoir « d’ouvrir
une discussion publique sur le rôle du nucléaire, ses avantages et problèmes ».
Cette démarche apparaît comme une opportunité pour certains acteurs de la société
civile de contribuer à diffusion de bonnes pratiques au niveau européen mais
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également à la résolution de questions problématiques concernant les modalités
pratiques de mise en oeuvre des obligations de transparence et de participation de la
société dans le domaine nucléaire. Ce diagnostic est tempéré par une interrogation
constante de la part de ces mêmes acteurs sur le fait de savoir “s’il existe une réelle
volonté du gouvernement et des institutions européennes de faire participer la
société civile“. Plusieurs personnes évoquent en effet leur sentiment que les grandes
orientations européennes en matière nucléaire sembleraient avoir déjà été décidées
et la crainte que les possibilités d’investissement offertes à la société civile ne visent
que l’obtention d’un certain niveau d’acceptabilité plutôt qu’une réelle participation à
la décision.
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Un cadre réglementaire international qui affirme la place de
la société civile
Le 25 juin 1998, 39 Etats ouest-européens signaient à Aarhus, au Danemark, une
convention portant sur l’accès à l’information, la participation du public au processus
décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Celle-ci était adoptée
en application de l’article 10 de la déclaration de Rio pour la région Europe de la
Commission économique des Nations Unies. Ses champs d’application recouvrent :
• l’accès du public aux informations sur l’environnement (sans que celui-ci ait à
faire valoir un intérêt particulier) détenues par les autorités publiques, en
prévoyant notamment les conditions pratiques de l’accessibilité de ces
informations,
• la participation du public au processus décisionnels ayant des incidences sur
l’environnement (et en particulier concernant les activités nucléaires) et ceci
de telle façon que la participation du public puisse s’exercer dès le début
d’une procédure décisionnelle et que: “au moment de prendre la décision, les
résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en
considération“ (article 6, paragraphe 8),
• l’accès à la justice pour toute personne qui estime que sa demande
d’information a été indûment ignorée ou rejetée ou insuffisamment prise en
compte et ceci également en prévoyant les conditions pratiques d’accessibilité
à la justice.
En France : “la convention d’Aarhus, approuvée par la loi n°2002-285 du 28 février
2002 puis annexée au décret de publication du 12 septembre 2002, est donc entrée
en vigueur le 6 octobre 2002“15
.
Un pouvoir d’implication des citoyens à concrétiser
De fait, la convention d’Aarhus avec ses transpositions dans le droit communautaire
et dans les législations des Etats membres constitue un facteur potentiel de
changement des formes de participation de la société civile à la gouvernance des
activités nucléaires, en particulier dans le contexte français. Une des personnes
interrogées estime que : “les évolutions du système vont dans le bon sens. Il faut
maintenant attendre que ce qui est sur le papier soit effectivement appliqué. Si la
15
Source sur les aspects techniques de la convention d’Aarhus : Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du
Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire (http://www.ecologie.gouv.fr/Communication-la-
convention-d.html)
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convention d’Aarhus était appliquée à la lettre, la situation serait paradisiaque. Plus
largement, beaucoup de choses existent sur le papier, qui ne demandent qu’à être
concrétisées. Cette concrétisation n’est pas facile parce que tout le monde n’a pas
encore compris“.
Pour plusieurs personnes interrogées, les effets de la convention d’Aarhus et de ses
transpositions nationales, pour être juridiquement contraignants, restent encore
difficiles à mesurer. Il apparaît néanmoins qu’une révision du cadre juridique du
système de gouvernance du nucléaire sera vraisemblablement nécessaire. Un
participant évoque en particulier : “sa conviction que notre réglementation n’est pas
conforme aux engagements pris dans le cadre européen (Aarhus) et dans la charte
de l’environnement“. En particulier, la compatibilité entre ces nouvelles normes
juridiques et les règles françaises relatives au secret de défense pose question.
Vers une mise en œuvre impliquant l’ensemble des parties
prenantes
Par les possibilités effectives qu’elle susceptible d’apporter, la convention d’Aarhus
semble être à même de mobiliser un certain nombre d’énergies au sein de la société
civile mais également au sein des acteurs du système nucléaire dans la mesure où
l’avènement de formes participatives de gouvernance semble constituer une
tendance lourde qui dépasse le cadre nucléaire. Il apparaît donc qu’en permettant la
recherche d’information et d’influence, la convention d’Aarhus peut contribuer à
favoriser une gouvernance participative effective.
A contrario, d’autres acteurs émettent des réserves sur la mise en œuvre effective de
la convention d’Aarhus. En particulier, le volume de ressources, en termes de temps,
d’argent et d’expertise, nécessaires à la mise en œuvre d’un recours peut contribuer
à freiner certains acteurs. De la même façon, de nombreuses personnes évoquent la
question cruciale de l’impact des processus de participation sur les décisions et la
façon dont il sera tenu compte des obligations légales de “prise en considération“
des résultats de la participation au moment de la décision qui sont stipulées dans la
convention.
Il semble cependant que la mise en œuvre de la convention d’Aarhus implique plus
que la mobilisation de ressources juridiques mais suppose le développement de
pratiques innovantes, la création d’instances nouvelles de concertation et
l’engagement de processus d’expérimentation en vue d’élaborer progressivement le
corpus de pratiques et d’outils nécessaires à sa mise en œuvre.
Certains acteurs, en particulier, ont engagé une réflexion sur les modalités de sa
mise en œuvre et sur la création d’outils dédiés à celle-ci. L’une des personnes
interrogées évoque des réflexions portant sur “la création de comités permanents
d’information et de concertation avec le public qui pourraient être envisagés comme
une instance d’application de la convention d’Aarhus.“
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