1. 6
D’après sa racine latine, "motiver" consiste à mettre en
mouvement. « Cette notion vient du latin mobilis, lui-
même dérivé de movere, bouger », indique Zwi Segal,
co-fondateur de Motiva. L’enjeu consiste à identifier les
ressorts qui donnent envie de bouger « pour soi, pour
les autres, pour l’entreprise ». D’après les recherches
menées par Zwi Segal, l’élément clé est le niveau de
satisfaction d’un individu par rapport à ce qui est im-
portant pour lui. « Sur cette base commune, les sources
motivationnelles vont être plus ou moins différentes
d’une personne à l’autre », précise l’expert. En dehors
de quatre facteurs clés dans le monde du travail, plu-
sieurs éléments peuvent donc influencer le niveau de
motivation.
Premier point, la justice sociale : « Alors que la produc-
tivité a continué à augmenter, on observe en parallèle
un manque de confiance envers l’entreprise, avec un
impact négatif sur l’engagement ». Le deuxième phé-
nomène concerne les générations Y et Z, aux
« codes motivationnels différents, notamment le besoin
de feedbacks immédiats ». L’obsolescence accélérée
des compétences, nécessitant de se mettre à jour régu-
lièrement, entre également en compte. Autre facteur,
la révolution digitale est aussi « celle du partage », et
la transparence s’impose avec des effets contrastés
sur la motivation. « Les difficultés ou les échecs d’un
collaborateur sont rapidement connus par son réseau
relationnel en entreprise. » Enfin, la crise économique.
LA MOTIVATION EST
UNE COMPÉTENCE
QUI SE DÉVELOPPE
Si l’engagement est de nature émotionnelle, la motivation est d’ordre rationnel,
et il s’agit de jouer sur les deux tableaux pour permettre à chaque collaborateur
d’exprimer pleinement son talent. Deux experts de la motivation et un neuroscien-
tifique défendent des pistes d’action à la fois individuelles et collectives.
Les sources
motivationnelles
ont une base
commune mais
sont plus ou moins
différentes d’une
personne à l’autre.
“
” Zwi Segal
D.R.
NUMÉRO SPÉCIAL
2. 7
PAROLES D’EXPERTS
Pour Zwi Segal, « les salariés ont intégré cette réalité
qui influence les perspectives et les projections dans
l’avenir ».
QUATRE ÉTATS MOTIVATIONNELS
Si l’engagement et la motivation partagent des liens
très étroits, les deux dimensions ne sont pas de même
nature. « La compréhension de la relation salarié-entre-
prise ne se résume pas à l’engagement, il est préférable
d’adopter l’approche plus large des états motivation-
nels. » Ces états associent l’engagement, qui est de na-
ture émotionnelle (« Suis-je attaché à l’entreprise et fier
d’y travailler ? »), et la motivation, de nature rationnelle
(« Mes aspirations sont-elles satisfaites ? »). Il existerait
ainsi quatre états motivationnels possibles : satisfait/
engagé, soit « une histoire d’amour avec l’entreprise » ;
engagé/insatisfait, c’est-à-dire « un état de désillu-
sion » ; désengagé/démotivé, qui relève de « l’état de
séparation, même si elle n’est pas physique – c’est le
phénomène du zombie » ; et motivé/désengagé, que
Zwi Segal appelle « le mariage blanc, très fréquent dans
les entreprises high-tech aux États-Unis ».
En prenant uniquement en compte la dimension enga-
gement, une vision globale de la réalité est impossible.
L’expert cite en exemple une entreprise agro-
alimentaire où, « si 80 % des collaborateurs se sentent
effectivement engagés, une analyse plus poussée des
états motivationnels a révélé que seuls 42 % d’entre eux
vivent une histoire d’amour avec l’entreprise ».
AGIR SUR LES LEVIERS RH ET
MANAGÉRIAUX
Pour exprimer son potentiel, le collaborateur doit à la
fois être satisfait d’un point de vue motivationnel et dis-
poser des compétences nécessaires à sa fonction. Pour
Yves Duron, co-fondateur de Motiva et associé de Next-
modernity, « il est essentiel d’augmenter la satisfaction
motivationnelle des salariés, qui seront plus facilement
demandeurs d’outils et de formation pour développer
leurs compétences ». Plusieurs aspects de la politique
RH et managériale peuvent y contribuer. L’un d’eux
concerne les actions globales mises en œuvre suite aux
résultats des baromètres d’engagement. « Leur effica-
cité est limitée car chacun présente une combinaison
de ressorts de motivation qui lui est propre. Mieux vaut
s’intéresser à l’individu et à ses ressorts avant d’adopter
une vision globale du collectif en entreprise. »
Le management, en première ligne, est pourtant peu
formé à la question de la motivation. « Il est important
d’apprendre aux managers, mais aussi aux collabora-
teurs, à gérer et à développer leur motivation », estime
Yves Duron, qui rappelle également que « la motivation
n’est pas que l’affaire des DRH, c’est une responsabilité
collective dans laquelle direction générale, DRH, enca-
drement et salariés ont leur part ». En ce qui concerne
QUATRE LEVIERS DE MOTIVATION AU
TRAVAIL
Pour Zwi Segal, quatre éléments jouent un rôle important
dans l’engagement des salariés, « de façon plus ou moins
marquée d’un individu à l’autre » :
• L’indépendance, « et plus particulièrement l’autonomie
dans la décision et l’action » ;
• Le développement, pour « apprendre et grandir dans
l’entreprise » ;
• Le sens de l’action, « de ce que l’on fait au quotidien » ;
• Et l’appartenance, « le besoin d’appartenir à une com-
munauté, un projet ».
Une précision importante de Zwi Segal concerne la
reconnaissance : si elle est un élément important de la mo-
tivation, elle n’est pas très efficace lorsqu’elle est d’ordre
financier. « De nombreuses études indiquent que l’effet
de l’argent sur la motivation ne persiste généralement pas
au-delà de deux semaines.
Meaning is the new money ! »
Il est important
d’apprendre aux managers
et aux collaborateurs à
gérer et à développer leur
motivation.
Yves Duron
“
”
D.R.
3. 8
les politiques RH, une évolution souhaitable serait que
« l’approche centrée sur les compétences et la rému-
nération domine moins largement. Prendre en compte
la motivation permet d’attirer et de recruter des candi-
dats, de faciliter les mobilités, de développer les talents,
et plus largement d’assurer l’épanouissement et le bien-
être des salariés – qui sont source de performance ».
LE STRESS EST UN FREIN PUISSANT
La dimension organisationnelle n’est sans doute pas
la seule à prendre en compte. Pierre-Marie Lledo,
expert en neurosciences (Institut Pasteur et CNRS),
propose une approche beaucoup moins macro pour
s’intéresser… à notre cerveau. « Il est possible de l’aider
à se transformer pour faire émerger les motivations »,
estime le neurobiologiste, qui critique « la tyrannie de
la motivation permanente, qui n’est pas adaptée au
fonctionnement cérébral ». Un autre enseignement
des neurosciences concerne les facteurs émotionnels.
Comme le rappelle Pierre-Marie Lledo, « le stress est
un frein puissant » alors que d’autres émotions ont au
contraire un rôle stimulant. Si une action a abouti à un
résultat positif, le système de récompense (un réseau
de régions cérébrales) nous incite à recommencer.
Mais attention aux excès : « Tout plaisir ressenti avec
une période de désir préalable est une situation où le
libre-arbitre peut s’exprimer. Or les nouvelles géné-
rations ont tendance à rechercher le plaisir immédiat
sans désir préalable. La motivation dépend de notre
capacité à nous projeter dans le futur et à anticiper une
récompense ».
Elle est également le noyau dur d’un processus séquen-
tiel, décrit par Pierre-Marie Lledo : les émotions im-
pactent les comportements, qui à leur tour influencent
les pensées, et celles-ci modifient les émotions.
« Le cerveau reste extrêmement sensible à l’environ-
nement dans lequel il évolue tout au long de la vie »,
indique le scientifique, qui cite Goethe en guise de
conclusion – et de conseil : « Traitez les gens comme
s’ils étaient ce qu’ils devraient être, et vous les aiderez
ainsi à devenir ce qu’ils peuvent être ».
LE CERVEAU, ENTRE MÉMOIRE ET
ANTICIPATION
Le plaisir et la récompense s’expriment de façon singu-
lière dans le cerveau, comme le rappelle Pierre-Marie
Lledo : « Le talon d’Achille de nos souvenirs, c’est le plai-
sir : les succès ont du mal à se loger dans la mémoire,
qui s’encombre en revanche des échecs ». Dans le
présent, « chacun évolue en fonction de ses expériences,
qui influencent la confiance ou la défiance envers
autrui ». L’anticipation s’appuie sur la zone frontale du
cerveau, qui « nous permet de nous projeter dans le
futur pour simuler la récompense à venir ». L’anxiété, la
dépression ou le burn-out ont comme point commun
« la simulation de l’échec à venir ». Pour Pierre-Marie
Lledo, la projection dans le futur correspond au désir,
« que le manager doit parvenir à susciter. C’est sa pre-
mière mission ».
On peut aider le cerveau
à se transformer pour faire
émerger les motivations.
Pierre-Marie Lledo
“
”
Pierre-Marie Lledo
NUMÉRO SPÉCIAL
D.R.