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1. Jeudi 01 mars 2012
Actualité à la Hune
De la Whitbread à la Volvo Ocean Race (3)
Whitbread 1989-90 : Charles Jourdan, 70 pieds précurseur
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• Publié le : 01/03/2012 - 00:07
Par Bernard Bilzic
Après la Whitbread, le 70 pieds Charles Jourdan a continué de courir pour son propriétaire, Sandro
Buzzi. Puis il est devenu Nicorette pour Simonis Voogd, puis Royal Blue pour Gunnar Ekdahl, non
sans avoir été optimisé.Photo @ Paul Todd Volvo Ocean Race
Dans cette grande aventure du tour du monde en équipage, les voiliers français ont été présents
lors de toutes les éditions de la Whitbread (avant qu’elle ne devienne la Volvo Ocean Race).
Panoramique de ces vingt années de participations hexagonales de 1973 à 1993. Premier volet
avec Gaël de Kerangat, équipier d’avant et barreur sur Charles Jourdan en 1989-1990…
Propos de Gaël de Kerangat recueillis par Bernard Bilzic.
2. Gaël de
Kerangat, l'ancien équipier de Charles Jourdan qui nous raconte l'édition 89-90 de la Whitbread
travaille aujourd'hui pour l'équipe de Groupama.Photo @ Yvan Zedda Sea & Co«Alain Gabbay
cherchait un équipier d’avant : à l’époque je naviguais sur Groupe Pierre 1er
avec Florence Arthaud et
je connaissais bien Patrick Morel qui était le project-manager du trimaran que nous préparions pour la
Route du Rhum 1990. Il m’a conseillé de prendre contact avec Gabbay et m’a présenté : j’ai essayé le
bateau qui venait juste de sortir du chantier, en septembre 1989, et qui avait installé sa base à La
Trinité-sur-Mer. Il m’a dit «OK» et j’ai rejoint l’équipage une semaine avant le départ en Angleterre.
Tout le monde découvrait Charles Jourdan qui était très atypique par rapport aux autres voiliers de la
Whitbread, puisque c’était l’époque des grands ketchs Steinlager et Fisher & Paykel. C’était le premier
ULDB (Ultra Light Deplacement Boat) de la course au tour du monde avec Fazisi, le voilier russe de la
même édition et dans une moindre mesure Fortuna, le voilier espagnol dessiné par Javier Visiers…
On s’est vite rendu compte que nous avions du mal dans le petit temps, mais dès que la brise rentrait au
portant, c’était un très bon bateau ! Charles Jourdan est un plan Guy Ribadeau-Dumas construit chez
Mag France par Nordhal Mabire : un des premiers voiliers à avoir été passé au four à 120°C, tout en
pré-imprégné carbone. La première étape commençait par du vent portant léger et on a constaté que les
Maxi-ketchs au débridé-travers et au largue étaient plus rapides avec leur spi d’artimon et leur
cathédrale de voiles. Mais au cap Finisterre, on a encaissé 45-50 nœuds de secteur Nord et on a
constaté que notre bateau était redoutable au portant dans la brise ! On allait plus vite que tous les
autres Maxi dès qu’il y avait plus de 25 nœuds de vent, avec Fortuna, qui était aussi plutôt léger pour
sa taille.
Une première étape laborieuse
Il y a eu beaucoup de petit temps sur la première étape entre Portsmouth et Punta del Este et en plus, on
s’est fait piéger dans le Pot au Noir que nous n’avons pas passé assez dans l’Ouest : on a pris une
«Valda» à l’arrivée en Uruguay… A l’époque, il y avait des Sat-Nav avec trois positions par jour, mais
c’était le tout début du GPS et peu de voiliers en étaient équipés. C’étaient encore les communications
par radio BLU avec les autres équipages qui permettaient de savoir où se positionnait la flotte. Chacun
donnait sa position qui n’était pas toujours réelle ! Pour la météo, on disposait d’un Nagrafax pour les
cartes isobariques mais aussi des premières images par satellites pour avoir les couvertures nuageuses,
mais ça ne marchait pas très bien…
On a commencé à s’amuser lors de la deuxième étape qui était très longue, puisqu’on avait l’Atlantique
Sud et l’océan Indien à traverser sans aucune limite Sud. Il y a des voiliers qui sont descendus jusqu’à
55° Sud et qui se sont plus ou moins fait piéger par les glaces. Avec Charles Jourdan, on a frisé le 52°
Sud pour passer sous les Kerguelen : on a été deuxième pendant un bon bout de temps derrière
Fortuna. Mais en remontant vers l’Australie, un anticyclone nous a barré la route et on a vu trois
bateaux nous passer à vue ! Nous étions tout de même quinze Maxi qui naviguions en temps réel. Mais
les ketchs étaient intouchables dans les petits airs dès qu’ils débridaient…
En fait, dès qu’on abattait au-delà du vent de travers dans la brise, on avait un blast reacher très efficace
qu’on pouvait aussi tangonner dans le très gros temps portatif. On a eu entre le cap de Bonne Espérance
et les Kerguelen plus de 50 nœuds de vent établi pendant quatre jours avec une mer très grosse : sous
blast reacher tangonné et un ris dans la grand-voile, le minimum de toile au portant que nous avons
3. porté sur le tour du monde, on allait vraiment vite ! Autrement, on tenait des spis lourds maxi avec une
mer correcte jusqu’à 45 nœuds réels. Ensuite, on pouvait porter selon l’état de la mer, un spi mini lourd
jusqu’à 55 nœuds de brise.
Album souvenirs Whitbread 1989-90 : cliquez sur l'illustration pour l'agrandir.Photo @ D.R.
Collection Gaël de Kerangat
Six jours dans la baston
On a pris une dépression pendant six jours qui nous a poussés de l’Atlantique Sud jusqu’aux
Kerguelen ! On pouvait garder la toile très longtemps parce que le bateau était très sain : nous ne
sommes jamais partis à l’abattée sur Charles Jourdan. On a fait des vracs en partant au lof, mais c’était
un bateau très sympa à barrer, très équilibré, très sensible, qui planait facilement : on a fait des surfs à
plus de 32 nœuds… Mais nous ne faisions pas de grandes moyennes comme le font les VO70
maintenant : on faisait 400 milles par jour parce que comme le bateau était léger, on partait au
planning, mais on s’arrêtait en bas des vagues contrairement à aujourd’hui. On est arrivé devant Perth à
vue avec The Card, mais devant, Merit et Rothman ont terminé en match-race avec une vingtaine
d’empannages pour se démarquer de seulement 28 secondes, après plus de 7 000 milles de course !
Florence Arthaud nous a rejoint pour les trois étapes du Sud : elle ne mollissait pas ! Elle était parmi
ceux qui attaquaient le plus. C’était sympa d’avoir une femme à bord… Dans la première dépression de
l’Atlantique Sud, Florence était à la barre alors que j’étais assis sur le plat bord à côté d’elle : sur une
vague pyramidale, j’ai fait un vol plané et j’ai atterri sur la barre en titane. J’avais un œuf sur le bras et
je n’ai pas pu barrer pendant une journée… C’était vraiment une grosse mer avec 60 nœuds de vent, au
point qu’une fois, Florence a refusé de descendre dans une vague tellement c’était abrupt ! On voyait
trois trains de vagues différents sur l’horizon quand nous étions en haut de la lame…
4. Les rencontres avec les baleines ont été nombreuses sur la route de Charles Jourdan, au point même de
provoquer une voie d'eau lors de la troisième étape - un épisode bien moins poétique que sur cette
illustration d'André Mechelynck.Photo @ D.R.
Abordage de baleine
André
Mechelynck, l'équipier belge du bord, a réalisé un journal du tour du monde 1989-90 à bord de Charles
Jourdan. (Disponible sur demande : andre.mechelynck@gmail.com)Photo @ D.R. La troisième étape a
été aussi fabuleuse : dès que nous avons passé le cap Leeuwin, on a eu 40 nœuds de vent et on a envoyé
le spi. On a pu doubler tous les Maxi pour être en tête de la flotte. Mais dès que le vent a molli, on a vu
Steinlager nous dépasser au vent à trente mètres avec tout dessus : reacher léger, trinquette, grand-
voile, voile d’étai, artimon… On ne pouvait rien faire contre ces bateaux.
Nous sommes passés au Sud de la Tasmanie et ensuite, au louvoyage, on a tapé une baleine à douze
nœuds ! Alain était à la barre et savait qu’il y avait des cétacés dans le coin : il en a vu un devant qui a
sondé et qui est ressorti sous le bateau… Ty Fred (Fred Dahirel) était à l’intérieur dans la cuisine et a
vu une étincelle bleue ! On a viré de bord tout de suite pour constater que le bordé était enfoncé sur
cinq mètres. On a eu de la chance parce que le choc a eu lieu au-dessus de la flottaison : on a pu
étanchéifier pour arriver en Nouvelle-Zélande. On en a vu plusieurs fois sur ce tour du monde : on a
touché une baleine avec la quille lors de la première étape avant le Brésil et j’ai en vu une à bosse sortir
5. entièrement à cent mètres devant moi ! Nordhal a dû venir de France avec un morceau de coque pour
faire un scarf à Auckland.
Charles Jourdan fait partie des légendes de la Whitbread qui se sont retrouvées à Alicante, au départ de
la Volvo, pour courir la régate qui leur était dédiée.Photo @ Ian Roman Volvo Ocean Race
Au milieu des tabulaires
Dans le Pacifique, on s’est fait surprendre plusieurs fois par des grains en pleine nuit : sous spi avec
trente nœuds de vent, la brise est montée à 50-60 nœuds ! En pleine journée, il y avait des grains
blancs, et je me suis retrouvé avec plus de 55 nœuds sous spi lourd mini, le speedomètre bloqué à 28
nœuds, alors que Gaby (Gabriel Guilly) et Jaco (Jacques Delorme) étaient en train de réparer l’étai
creux à l’avant. Ils n’entendaient rien alors que le bateau était monté sur un coussin d’air… Je me
souviens que les drosses de barre étaient tendues à l’extrême et je me suis dis qu’il ne fallait surtout pas
que je parte en vrille. On a essayé d’affaler avec le «martin breaker» (système d’ouverture à distance
du spi), mais finalement c’est le mousqueton Sparcaft qui a explosé…
On a vu de gros icebergs tabulaires dans le Pacifique : nous n’avions que le radar et la température de
l’eau pour penser qu’il y en avait. On était descendu à 60° Sud bien avant le cap Horn et on est passé
tout près d’Alain Gautier qui faisait le premier Vendée Globe ! C’était émouvant de discuter avec lui au
milieu de nulle part... Nous sommes passés troisièmes au Horn derrière Fisher & Paykel et Steinlager
avec Rothman juste derrière nous qui nous a dépassé dès que la brise a molli.
Un jour, Gabbay était en train de réparer le chauffage parce qu’il faisait vraiment froid : il était tout
noir, avec les chaussettes qui tentaient de sécher sur un fil, Rom (Romuald Favraud) qui cuisinait des
nouilles dans un nuage de vapeur, et Gaby et Florence qui fumaient comme des pompiers à la table à
carte. Marco (Marc Guillemot) est entré de son quart de pont : il est ressorti tout de suite, c’était
Napoli ! Après les Malouines, nous avons entendu un message de détresse de Martela qui perdait sa
quille. Merit était juste devant lui et nous, juste derrière. On s’est détourné pour voir le bateau à
l’envers avec les gars accrochés sur la coque ! Nous avons embarqué six équipiers dont Didier Gainette
qui avait fait la première étape avec nous, et Pierre Felhmann en a pris dix. Il restait trois jours de mer
et on n’avait déjà plus grand-chose à manger… Heureusement, on a eu du portant musclé pour finir et
les équipiers de Martela étaient aux anges quand ils ont barré Charles Jourdan !
6. Album souvenirs Whitbread 1989-90 : cliquez sur l'illustration pour l'agrandir.Photo @ D.R.
Collection Gaël de Kerangat
Un voilier précurseur
Charles Jourdan naît du crayon de Guy
Ribadeau-Dumas qui collabore avec Max-Philippe Couteau, Sandro Buzzi et Nordhal Mabire qui
veulent un bateau pour le BOC... et la Whitbread.Photo @ D.R. Guy Ribadeau-Dumas
7. Après la première étape, on savait qu’on ne pourrait jamais gagner. Même une étape, cela paraissait
difficile, parce que la quille était trop courte et que nous n’étions pas assez toilé pour les petits airs. Sur
toutes les allures de débridé en dessous de vingt nœuds, nous étions en retrait et dans le petit temps
aussi. Mais Charles Jourdan était tout de même l’ancêtre des premiers VOR60, parce que les Maxi
avec leurs trente tonnes dans le Sud, c’était quelque chose ! Nous, on a toujours pris du plaisir, sans
jamais se faire peur ni gros vrac.
Alain Gabbay est un très bon marin, remarquable barreur au portant, excellent skipper, ouvert,
intelligent, sachant se faire respecter tout en responsabilisant les équipiers. Il était hors quart avec le
navigateur, Gabriel Guilly qui avait fait le tour du monde sur Morbihan, la même année que moi sur
Gauloises 3. J’avais navigué avec lui sur Formule Tag, sur Pierre 1er
, fait des convoyages avec lui.
Avec Mickey (Yves Le Cornec), Jaco (Jacques Delorme), Flo (Florence Arthaud), Dédé (André
Mechelynck), Ty Fred (Fred Dahirel)… il y avait vraiment un équipage super sympa !
J’ai retrouvé le bateau à Alicante pour le départ de la Volvo Ocean Race 2010 avec une belle quille et
un mât rallongé de deux mètres et des spis en tête : il était devenu très à l’aise dans le petit temps…»
> Les commentaires de l’architecte, Guy Ribadeau-Dumas
«La genèse du bateau a surtout été travaillée avec Max-Philippe Couteau, Sandro Buzzi et Nordhal
Mabire. A l’origine, Max-Philippe voulait un bateau capable de courir le BOC et la Whitbread en
Maxi. La première esquisse devait facilement être raccourcie à 60 pieds après la course autour du
monde en équipage. Sandro Buzzi a voulu cofinancer le projet, pour finalement tout prendre en charge
avec les frères Wassmer, propriétaires de l’entreprise Charles Jourdan. Le bateau devant lui revenir
après la course, il n’a plus été question de BOC et j’ai fait passer la longueur à 22 m pour avoir la
même flottaison que les autres Maxis.
Quelques regrets :
- Le bateau était calculé avec un équipage plus nombreux pour donner plus de puissance, afin de
compenser l’absence de ballasts pour le BOC. Mais à 25 équipiers, c’était peut-être ingérable.
Lorsque Charles Jourdan a récupéré les dix équipiers de Martella, il a mis une heure à Merit sur la fin
de l’étape au bon plein.
- La question de ballasts ou de poids au vent était fondamentale. Les 60’ VOR, plus courts, ont montré
par la suite qu’ils marchaient mieux au près que les grands ketchs.
- On m’a imposé une section de mât au dessus de celle prévue.
- J’ai sous estimé l’avantage du gréement ketch, quoiqu’un peu influencé par les limites de budget.
- L’inertie de ceux qui auraient préféré un bateau comme les autres, qui ne réalisaient pas que sans ce
pari sur la légèreté, il n’y aurait pas eu de bateau.
Une inquiétude : la rigidité de la coque. J’ai joué à fond les moments d’inertie dans les calculs, pour
éviter tout risque de concentration de contrainte.
Un seul problème : une asymétrie du profil de safran qu’il a fallu refaire. Pour le reste, il faut louer
l’excellent travail de Nordhal et son équipe : le bateau navigue encore bien, après avoir largement
augmenté la voilure et le rappel du lest.
Il y a aussi eu une «mistoufle» de jauge IOR (ndlr : Steinlager et Fisher & Paykel ont fait du lobbying
pour que la jauge IOR de 1988 soit appliquée au lieu de la nouvelle jauge 1989) au désavantage des
derniers bateaux construits : Rothmans et Charles Jourdan.
J’espérais des conditions plus musclées dans le Sud. Charles Jourdan a passé une semaine en tête
quand le vent est monté, mais cela n’a duré qu’une semaine.
Après la Whitbread 1989-90, Sandro Buzzi a commandé un nouveau lest à bulbe et un nouveau mât à
la section prévue (Endeavour a plié le premier en prenant sa bôme dans le pataras).»
8. Plan de Charles Jourdan, 1989.Photo @ D.R. Guy Ribadeau-Dumas
> Équipage
Alain Gabbay
Frédéric Dahirel
André Mechelync
Caractéristiques de Charles Jourdan
(puis de Nicorette et Royal Blue)
> Charles Jourdan a ensuite été racheté par le Suédois Ludde Ingvall et optimisé par l’architecte sud-
africain Simonis Voogd sous les couleurs de Nicorette, remportant la Gotland Runt 1994 Architecte : Guy
Ribadeau-Dumas
Constructeur : MAG-Nordhal Mabire
Longueur de coque : 22,00 m (21,76 m)
Flottaison : 20,40 m (18,63 m)
Largeur : 5,29 m (5,32 m)
Tirant d’eau : 3,00 m (4,09 m)
Déplacement : 16 200 Kg (17 100 kg)
Voilure au près : 250 m² (254 m²)
Au portant : 410 m² (524 m²)
Surface GV : 145 m² (165 m²)
Surface génois : 105 m² (89 m²)
Surface spi : 250 m² (359 m²)
Rating IOR (IRC) : 69,36’ (1,455)
et la Fastnet Race en 1995 en temps réel et en temps compensé. De nouveau, l’ULDB gagne la Fastnet Race
1997 en temps compensé sous le nom de Royal Blue avec Gunnar Ekdahl.