1. 13 AVR 12
Hebdomadaire Paris
OJD : 67295
Surface approx. (cm²) : 681
N° de page : 36
26 RUE D'ORADOUR SUR GLANE
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MAIS OÙ EST DONC PASSÉ
LE LIBÉRALISME?
PRO DOMO Le discours libéral qui faisait partie ces dernières années des
thèmes majeurs de division de la classe politique a disparu des débats de la
campagne presidentielle. Pourquoi? Mathieu Laine, maître d'œuvre d'un
Dictionnaire du libéralisme qui vient de paraître, donne ses explications.
D'un point de vue libéral...
I prolongeait le mouvement d'idées initié
E
st-ce un effet de la crise écono-
mique - et d'identité - que traverse par le philosophe écossais David Hume,
qui impose l'empirisme contre la métaphy-
i
l'Europe ? En tout cas, le thème du
libéralisme - ultra, hyper, néo, sique, et par John Locke, qui montre la
classique... -, accusé d'être à la nécessité de repenser la politique à l'aune
source de tous les maux de la du droit naturel, inaliénable, de l'individu
France, n'est plus un sujet de polé- et du droit de propriété. Un autre célèbre
mique. La preuve, nul n'en parle dans la campagne Écossais, Adam Smith, dans son maître ouvrage
presidentielle. « Nicolas Sarkozy a prouvé qu'il n'était Recherches sur la nature et les causes de la richesse
pas libéral, et François Hollande, Jean-Luc Mélen- des nations, repense les lois de la production en avan-
chon et Marine Le Pen sont antilibéraux avec viru- tages comparatifs et montre combien le commerce
lence. Ils sont tous étatistes », soupire Mathieu Laine. international se substitue avantageusement aux
À la tête de la société de conseil Altermind, ce jeune guerres dans les rapports entre États.
professeur à Sciences-Pô publie cette semaine un Mais le libéralisme s'oppose surtout à un État om-
Dictionnaire du libéralisme aux éditions Larousse. niscient, qui dicte le bien pour l'individu. Cette
volonté de construire une société meilleure reste
Fruit de quatre ans de travail et de la collaboration
d'ailleurs l'alpha et l'oméga des
de soixante-cinq spécialistes de tous horizons, la
programmes des candidats à la I
parution de cet ouvrage de plus de 600 pages semble
présidence pour séduire les élec-
décalée dans la conjoncture politique. « J'ai voulu
teurs. Le prix Nobel d'économie
montrer que le libéralisme n'est pas la caricature que
Friedrich Hayek, juge, lui, que les
se plaisent à en faire ses détracteurs », se justifie-t-il.
actions des individus sont telle-
L'ouvrage, qui se veut pour le grand public, offre à la
ment complexes qu'il est impos-
fois des définitions daires des principaux théori-
sible a priori pour un pouvoir
ciens, politiques, concepts, événements historiques
central d'établir un ordre social
qui jalonnent l'histoire d'un concept qui, en France,
en considérant les citoyens
se réduit souvent à l'image du « renard libre dans le
comme des pions que l'on peut
poulailler ». Pourtant, le libéralisme a eu ses heures
de gloire dans l'Hexagone, notamment aux xvm6 et bouger à son gré. Hayek dénonce
ce « constructivisme » qui nuit à un ordre spontané
xixe siècles, à travers les figures de Frédéric Bastiat,
Turgot, Tocqueville, Montesquieu... d'organisation dont le marché, lieu où les individus
échangent des biens librement, serait l'exemple le
plus probant.
On soulignera que les thèmes qui dominent la cam-
pagne électorale ne sont pas tant le progrès écono-
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producteurs et ne craignent pas de promettre de
l'argent public à des secteurs lourdement dé-
ficitaires au nom d'une réindustrialisation décidée
au sommet de l'État. Ce dernier serait l'unique
levier à partir duquel il semble possible d'agir, sa
raison d'être n'est pas interrogée, sa neutralité
semble acquise.
Pourtant, en France, la dépense publique, qui
représente 56 % du PIB, mobilise la plus impor-
tante part de l'activité, un niveau inégalé dans
l'ensemble de la zone euro. Sans surprise, la réduc-
tion de la dette a disparu de la campagne. Cet aveu-
glement antilibéral se retrouve dans l'analyse de la MATHIEU
crise de 2008. Si le secteur financier a été montre LAINE
du doigt au travers des « subprimes », on omet tou- PROFESSEUR
jours de rappeler la source de ces produits ; la déci- à Sciences-Pô,
sion de l'Etat américain - conservateur comme s'essaie à montrer,
démocrate - de favoriser l'octroi de crédits ban- dans cette somme
caires au nom d'une noble cause - l'accès à la pro- critique sur
priété pour tous - mais au détriment de règles pru- l'histoire récente
dentielles. Cette prise de risque était garantie par du liberalisme
les organismes publics Freddie Mac et Fannie Mae, combien ce courant
et sans cette incitation, aucun organisme de prêt est riche, tant par
privé n'aurait accepté une si généreuse distribution. la diversite de ses
Sans parler du rôle des banques centrales et de leur acteurs que de ses
idees et debats
politique monétaire laxiste. internationaux,
De fait, l'État favorise l'aléa moral, qui se retrouve lom de la caricature
dans le too big to fail. Un organisme prend un risque mediatique
inconsidéré parce qu'il sait que l'Etat va le sauver. habituelle
C'est la raison pour laquelle les libéraux défendent
le marché privé plutôt que l'in- •» Dictionnaire
tervention de l'État. Les prises de
mique que la protection du ci- risques nécessitent une respon- du libéralisme.
toyen, avec à la clé la recherche
de boucs émissaires : les immi-
JJ De fait, l'État sabilité. Or, souvent, l'État per- Sous la direction
met de supprimer cette de Mathieu Laine,
grés, la Chine et sa concurrence favorise l'aléa responsabilité puisque les gou- Larousse,
déloyale, les riches, l'euro, moral, qui se vernements ne seront pas pour-
639 pages,
Bruxelles, les fonctionnaires...
Dans son premier grand meeting retrouve dans suivis. Et cette absence de res-
ponsabilité du secteur privé créé 28,50 euros.
de campagne en janvier, au Bour- le too big to fail.» par l'État conduit en retour à une
get, le candidat socialiste Fran- plus grande irresponsabilité de
çois Hollande avait même claire- l'État qui finance à crédit son sys-
ment désigné un « ennemi, qui n'a pas de nom, pas tème social sans les limites que lui imposeraient le
de visage, la finance ». « La campagne presidentielle marché. « C'est le "too public to fail" », ironise Ma-
est dominée par le protectionnisme et la sécurité, thieu Laine.
autrement dit par l'envie et la peur. En fait, on flatte
les plus bas instincts », déplore Mathieu Laine. a Grèce illustre cette situation
Paradoxalement, cette protection des citoyens par jusqu'à la caricature. Voilà un pays
le Welfare State (l'État-providence) est mise en qui a pu bénéficier de crédits euro-
question par l'endettement des pays européens et péens, qui ont été dilapidés par un
leurs difficultés à réduire leur déficit public. Le mo- État clientéliste (de droite comme
dèle social du Welfare State, qui a caractérisé à par-
tir des années 1960 les nations développées, connaît (dc gauche) qui, de surcroît, a falsifié
les comptes publics sans consé-
à présent ses limites. Financé à crédit, il doit être quences judiciaires. Si Ic peuple grec cst dans une
remis en cause, ce qui ouvre la situation aussi difficile en ce moment, il le doit •» Et aussi:
JJ Financé voie aux politiques d'austérité davantage à l'incurie et la corruption de ses gou- Néo-
actuelles. Quant au protection-
acredit, nisme, il n'a jamais été historique-
vernements qu'aux technocrates de Bruxelles, du
FMI, ou aux marchés financiers. Et la récente dé-
libéralisme^
le modèle social ment probant. Adam Smith déjà couverte sur l'île ionienne d'une concentration dè Serge Audier,
duWelfare State dénonçait ce système mercanti- exceptionnelle d'aveugles, parmi lesquels des chauf- Grasset,
liste, qui, s'il bénéficie aux pro- feurs de taxis, ne manquera pas d'évoquer la célèbre 630 pages,
doit être remis ducteurs et monopoles locaux définition de l'État de Frédéric Bastiat : « La grande 27 euros.
ainsi qu'au personnel politique à
en cause. » court terme, pénalise, en re-
fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de
vivre aux dépens de tout le monde. »
vanche, à long terme les consom- Au final, comment peut voter un libéral aux prési-
mateurs, autrement dit les indivi- dentielles?* Le problème du libéral est qu'il n'est ni
dus, qui sont la véritable source de la richesse d'un de gauche, ni de droite », résume Mathieu Laine, res-
pays. Car pour Smith, « c'est la consommation qui est tant fidèle à son credo de la prime de l'individu. Frie-
le seul but de toute production ». drich Hayek, qui ne se situait pas vraiment à gauche,
Un regard jeté sur ce qui est proposé dans la n'avait-il pas rédigé un article célèbre intitulé Pour-
campagne électorale en cours, permet de constater quoi je ne suis pas conservateur? W
que les candidats sont obsédés par la protection des ROBERT JULES
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