1. HANOUN MARCEL (1929- )HANOUN MARCEL (1929- )
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Les auteurs
Raphaël BASSANRaphaël BASSAN, critique et historien de cinéma
,
Contemporain de la Nouvelle Vague, Marcel Hanoun réalise son premier long-
métrage en 1958 mais demeure isolé, même si, au début, Jean-Luc Godard
loue, dans les Cahiers du cinéma, l'avènement de cet « outsider ». Ses
recherches ne seront, par la suite, prises en considération ni par les membres
issus du tronc central de cette galaxie (Rivette, Truffaut, Chabrol) ni par sa
branche dite « rive gauche » (Resnais, Varda, Marker), dont Hanoun se
rapproche pourtant par son goût de l'essai filmé. Il pratique un cinéma de
poésie où la forme prend souvent le dessus sur le récit. Ses films relèvent de
l' « abstraction narrative ». De cet ensemble se détache une composition
chorale et symphonique, les Quatre Saisons (L'Été, 1968 ; L'Hiver, 1969 ;
Le Printemps, 1970 et L'Automne, 1972). Soutenu par Jonas Mekas, qui le
considère comme le cinéaste français le plus important depuis Robert
Bresson, le milieu expérimental en fait, dans les années 1970, un de ses
mentors. Mais les difficultés financières l'obligent à poursuivre, à partir de
1988, son travail en vidéo. Il en émerge aussi des chefs-d'œuvre tel Jeanne,
aujourd'hui (2000).
Photographe et journaliste, Marcel Hanoun entre en cinéma vers 1955 avec
un documentaire sur Gérard de Nerval (Gérard de la nuit), suivi par un court-
métrage consacré à l'entrée des chars soviétiques à Budapest (Des hommes
qui ont perdu racine, 1956). Son premier long-métrage, Une simple histoire
(1958), prolonge cette veine documentaire tout en y insérant des
recherches sur le langage que l'auteur développera par la suite. Le film nous
montre, dans un registre proche de celui du néo-réalisme, le quotidien d'une
femme désargentée qui débarque à Paris avec sa fillette. Cette réflexion sur
les rejetés de la société – que l'auteur poursuit avec encore plus d'acuité à
partir des années 1990 – se double d'une mise en cause de la structure du
récit au moyen de distanciations multiples établies, d'une part, grâce au
recours au flash-back et, d'autre part, par la désynchronisation d'une voix-
off qui reprend les paroles prononcées par les acteurs sans que ces dernières
soient pour autant effacées.
Avec Octobre à Madrid (1964), le réalisateur signe le premier film qui va
servir de matrice à une partie importante de ses travaux : y domine la
réflexion sur l'outil caméra et l'écriture cinématographique, faisant fi de la
psychologie et de la continuité dramatique. Établi dans la capitale espagnole
pour réaliser quelques documentaires, Hanoun ébauche, sous nos yeux, les
2. diverses étapes d'un film en gestation. L'auteur transforme ses hésitations,
ses doutes, et les conditions difficiles de travail en matériaux constitutifs de
l'œuvre. Cette problématique se poursuit dans L'Hiver (1969), L'Automne
(1972) et Un film (autoportrait) (1983), et se trouve mêlée, avec d'autres
stratégies esthétiques, à une grande partie de sa filmographie.
Bien que documentariste à l'origine, Hanoun se refuse à confectionner des
reportages. Tous ses films sont cependant ancrés dans leur époque. Ainsi,
c'est un personnage imaginaire qui est mis en scène dans L'Authentique
Procès de Carl Emmanuel Jung (1967), film centré sur un criminel nazi. Le
fait-divers et ce qu'il dénonce sont vrais, même si le personnage est
imaginaire. À travers la mise en crise des procédés classiques d'organisation
cinématographique, appliquée ici à la peinture d'un refoulé particulièrement
puissant (la culpabilité face aux crimes de guerre), Hanoun bâtit une
esthétique faite de ruptures, de collages, et qui nécessite de la part du
spectateur un profond investissement personnel.
Les films d'Hanoun génèrent, d'une manière organique, un langage spécifique
qui subvertit les formes cinématographiques et leurs contenus. La tétralogie
des saisons décline toute la gamme des préoccupations hanouniennes : les
opus 1 (L'Été) et 3 (Le Printemps) sont des variations sur la vie et ses
symboliques, tandis que le 2 (L'Hiver) et le 4 (L'Automne) s'identifient à des
réflexions sur le cinéma. L'Été se focalise sur la vie de quelques personnages
en vacances au lendemain de Mai-68. Ce n'est pas un documentaire sur les
événements de cette période, mais la peinture d'états d'âme, le portrait
d'une génération. Pour Le Printemps, le cinéaste met en parallèle une double
histoire de chasse à l'homme et d'éveil sexuel d'une fillette qui se rejoignent
à la fin par le recours à un montage sophistiqué. Avec L'Hiver, c'est son
problème personnel, celui d'un réalisateur devant tourner une œuvre de
commande à Bruges, qu'il tente de résoudre, tandis que dans L'Automne, un
cinéaste et sa monteuse visionnent les rushes d'un film déjà tourné.
Hanoun souhaite faire un film, et rien d'autre. Il émonde les références
historiques si elles s'avèrent trop évidentes, comme il transforme les
éléments mythologiques ou littéraires en équivalences cinématographiques.
Ainsi, La Vérité sur l'imaginaire passion d'un inconnu (1974) est plus centré
sur la passion en général, celle du spectateur comme celle du cinéaste, que
sur celle du Christ. Travaillant sur les variations de l'écriture filmique, l'artiste
ne voit aucun inconvénient à ce que son sujet soit interprété alternativement
par un homme et par une femme. Le mythe d'Orphée connaît aussi
d'importantes réinterprétations dans La Nuit claire (1978). Pour Hanoun, le
mythe originel est un prétexte, une émulation à la création. Le spectateur
est à nouveau face à un travail en train de se faire : on voit les musiciens
répéter, les acteurs se maquiller, une voix-off donner des instructions, des
gens regarder un écran.
Si Octobre à Madrid ou L'Automne se veulent des réflexions sur la nature de
3. l'art que pratique le cinéaste, Le Regard (1976) et Un film (1983) sont deux
« autobilans » du trajet artistique de l'auteur. Le premier est très référentiel.
Tandis qu'une femme essaie de déchiffrer une toile de Breughel, son mari et
sa maîtresse proposent, par leurs ébats sexuels scandés par une multitude
de renvois culturels et une bande sonore très complexe, un complément
organique à sa quête. Avec Un film, Hanoun fait directement retour sur sa
carrière en explicitant sa démarche en compagnie d'amis parmi lesquels on
compte Alain Robbe-Grillet.
Peu aidé par la critique et les institutions, Hanoun est contraint, à partir de la
fin des années 1980, de poursuivre son travail en vidéo. Les événements qui
secouent l'ex-Yougoslavie et l'utilisation d'un médium léger changent
partiellement le rendu de ses bandes, mais il revient à certaines de ses
préoccupations, notamment sur la manière de représenter l'Histoire (Jeanne,
aujourd'hui, 2000, long-métrage dans lequel l'actrice déclame divers textes
et parvient à formaliser une vision fascinante de la Pucelle d'Orléans) ou le
fait-divers (L'Étonnement, 2004-2005, autour de l'affaire Marie Trintignant-
Bertrand Cantat).
Le cinéaste s'implique aussi dans l'actualité. En 1989, il tourne Otage, un
moyen-métrage consacré à Jean-Paul Kaufmann, détenu au Liban. C'est le
portrait d'un homme décomposé, à la recherche de repères... Dans Les
Amants de Sarajevo (1993), le vidéaste adapte des éléments de sa
mythologie personnelle à la brutalité des événements. En 2001, avec Le Cri,
il donne sa vision des attentats du 11 septembre.
Commencé en 1983 sur support film, Bruits d'amour et de guerre est achevé
en vidéo en 1997, et l'auteur se livre, à nouveau, à une réflexion sur
l'ontologie de son art. Un cinéaste et une monteuse visionnent et montent
les images laissées par un réalisateur ami disparu. C'est un film de guerre et
d'amour qui se passe dans un lieu indéterminé.