1. Radio numérique : sortir de l'impasse
La radio numérique terrestre ‐ la RNT ‐ est dans l’impasse. Son lancement envisagé fin 2009
a été reporté, l’éventualité de son abandon n’est désormais plus taboue. Un troisième
rapport a été commandé par les pouvoirs publics pour statuer sur son devenir.
Pourquoi une telle valse‐hésitation ? S’agit‐il d’une réticence à tout changement du statut
quo actuel en bande FM ? Sans doute un peu, mais, avant tout, parce que l’accélération du
progrès technique remet en cause les fondements même du projet de RNT : le numérique,
c’est désormais Internet. La radio s’écoute sur Internet, c’est la radio IP, et la RNT n’apporte
plus de progrès décisif ; la mobilité, l’ADN de la radio, c’est également aujourd’hui l’Internet
mobile. Le projet RNT, incompatible avec l’Internet, perd chaque jour un peu plus de terrain
face au rouleau compresseur des Smartphones et autres terminaux mobiles, véritables
ordinateurs de poche connectés librement au réseau.
La RNT a été lancée en 1998 en norme DAB. Malgré les efforts des administrations pour
établir un cadre législatif, choisir une norme unique et dégager les bandes de fréquences
nécessaires, au détriment d’autres usages d’ailleurs, elle n’a décollé nulle part en Europe.
Son déploiement, lorsqu’il a été engagé, par exemple en Angleterre, est particulièrement
laborieux.
Pourquoi la démarche de la TNT (télévision) ne serait‐elle pas transposable à la radio (RNT) ?
Essentiellement parce que le succès de la TNT a reposé sur 3 piliers : un bénéfice majeur
pour le consommateur ; un parc de récepteurs existants adaptable à moindre coût ; et un
lancement conçu, il y a 10 ans, c’est‐à‐dire avant l’explosion d’Internet.
À contrario, la RNT n'accroît que marginalement l'offre de programmes. Pour la majeure
partie des auditeurs, sa zone de réception sera probablement inférieure à celle de la FM, en
particulier pour les radios de Radio France. Les 150 millions de récepteurs FM actuels ne
sont pas adaptables et les nouveaux postes RNT, outre leur prix, semblent sortis du Musée
de la Radio d’un ancien pays de l’Est.
Simultanément, l'Internet poursuit sa révolution à un rythme qui s’accélère, changeant nos
usages et nos attentes. C’est une transition massive à laquelle nous assistons et participons
en auditeurs actifs. Pour la radio, ce sont des offres de programmes qui se comptent en
dizaines de milliers, personnalisables à l'infini, partageables, et interactives… et qui se jouent
des frontières nationales.
Jusqu’à récemment encore la radio IP avait un fil à la patte : la nécessité d’une connexion au
réseau physique et le handicap de recourir à des terminaux centrés sur la bureautique,
inadaptés à l’écoute de la radio : nos traditionnels ordinateurs personnels. Or voici soudain
qu'explose l'Internet mobile lequel lève ce dernier obstacle : on n’a pas encore estimé tout
le potentiel des nouveaux terminaux mobiles appelés « Smartphones » qui regroupent
téléphone mobile, appareil photo, baladeur MP3, récepteur radio et télévision.
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2. Et dans ce domaine, les normes progressent grâce aux efforts conjugués d’une industrie qui
innove sans cesse ‐ qui ne connaît pas l’IPhone ou Android ? ‐ sans frein administratif, alors
que la RNT en est toujours à débattre du choix entre T‐DMB, DAB et DAB+.
L’Observatoire de l’Internet mobile mesure la rapidité de ces évolutions à des taux de
croissance vertigineux et avec un renouvellement du parc de terminaux qui s’accélère. Les
opérateurs suivent sous la pression de la concurrence, en lançant un flot continu d’offres
nouvelles, comme récemment les abonnements dits « quadruple play » qui associent
Internet domestique, radio, TV, téléphones fixe et mobile.
L'Internet mobile et la radio partagent le même ADN : une présence, sonore dans le cas de la
radio, partout avec soi, avec en plus l’atout de la radio qui permet d’utiliser son terminal
sans mobiliser son attention visuelle. Au plan économique aussi, puisque la radio sur IP sera
la première à tirer profit des capacités publicitaires évidentes de l’Internet, grâce au ciblage.
Comment peut‐on raisonnablement soutenir que la radio n’a pas d’avenir dans ce nouveau
monde numérique fixe ou mobile alors même qu’elle explose en inventivité, comme chacun
peut le constater : plateformes payantes, radios thématisées – localisées… ? S’il y a un lieu
d’innovation dans ce domaine radiophonique, c’est bien l’Internet et non la RNT avec les
quelques radios supplémentaires qui sont envisagées dans le projet en cours.
Venons‐en désormais aux objections de ceux qui, très légitimement, s’inquiètent de ce
nouveau cadre de développement.
La RNT est gratuite pour les auditeurs soutiennent‐ils, alors que la radio IP serait payante. Le
tout IP marquerait la fin d’un média démocratique, librement accessible à tous. Qu’en est‐il
réellement de cette objection ? D’abord, n’oublions pas que la radio FM, comme la radio IP,
utilise une source d'énergie électrique qui n'est gratuite ni pour l'une, ni pour l'autre. Mais
plus substantiellement, l’argument ignore que l’accès à l’Internet étant payé au forfait,
l’écoute de la radio IP n’entraîne pas de paiement supplémentaire pour l’usager. Et cela,
pour la réception sur terminal fixe, mais aussi pour la réception mobile. Il ignore aussi les
multiples points d’accès gratuit en Wi‐Fi … La radio n’a pas les mêmes exigences que la
télévision en termes de bande passante, donc pas de coûts particuliers significatifs. Bien sûr,
ce raisonnement ne vaut que si Internet est une liberté fondamentale et un bien commun, et
si les forfaits sont accessibles à tous comme des biens essentiels tels que l'eau ou
l'électricité. Gageons que ce sera le cas à l’avenir.
Autre argument : l'écoute de la RNT serait anonyme tandis que l’écoute de la radio IP serait
traçable. Le spectre d’une société totalitaire est parfois même agité. Curieux argument, car
chacun sait que si l’on peut certes tracer une écoute, en revanche, à l’exception de la
diffusion en ondes courtes émettant de l’étranger et désormais en déshérence, l’État
Léviathan peut contrôler les émissions de radio en bande FM, comme en RNT. Considérer
que la diffusion hertzienne est synonyme de liberté, alors même qu’elle nécessite des
autorisations publiques préalables, contrairement à la radio sur IP, est de toute évidence un
contresens.
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3. Bien sûr, subsiste la question de la protection des données personnelles pour tous les usages
sur Internet fixe ou mobile. Elle s’applique à la radio comme à l’ensemble des échanges
réalisés sur le réseau. Gageons là‐aussi que l’enjeu est tel que des solutions collectives
seront trouvées pour tous les usages de l’Internet et pas seulement de la radio.
Quant à la question de la neutralité des opérateurs de télécoms qui assurent la distribution
de la radio IP, et par conséquent peuvent, en théorie, favoriser telle radio par rapport à telle
autre, elle relève, ne l’oublions pas, désormais du contrôle de trois autorités : le CSA,
l’ARCEP et l’Autorité de la Concurrence. Quel que soit le succès relatif de la radio IP ou de la
RNT, il est faux de dire que le cadre concurrentiel échappe à tout contrôle. Seuls les angles
d’approche diffèrent. Dans le cas de la RNT, comme de la TNT, le contrôle se fait en amont,
alors que dans l’Internet, il se fait ex post mais dans le cadre des normes législatives
préétablies. Il serait extraordinaire de privilégier un dispositif fermé, régulé (spectre
hertzien) à une technologie ouverte, à multiples entrées (Internet). Faut‐il oublier les
controverses sur l’égalité de traitement dans la répartition des fréquences FM, pour
considérer que le monde antérieur est plus ouvert à la création, au pluralisme et à la
diversité avec 30 à 50 radios, qu’un univers où chacun peut prendre l’initiative de lancer son
propre modèle (Internet) ? Ils sont aujourd’hui des milliers à choisir la seconde option.
La question est posée aussi à propos des interfaces. C’est‐à‐dire le dispositif de dialogue
entre l’homme et la machine. Ces interfaces, à la manière d’iTunes d’Apple ne vont‐elles pas
orienter les choix des utilisateurs ? La réponse est oui, il faut considérer ces interfaces
comme des médias doués de la faculté de préférences éditoriales. Sur les terminaux
mobiles, l’interface est l’expression directe du logiciel d’exploitation de la machine. Où en
sommes‐nous en Europe ? Le pouvoir culturel des interfaces est un enjeu stratégique majeur
qui se résout par la concurrence des offres et qui s’inscrit dans le débat général d’une
politique industrielle des services sur Internet et plus globalement encore sur notre
souveraineté numérique.
L’expérience des années précédentes démontre qu’au‐delà des rapports de force à établir
entre gestionnaires de plateforme et éditeurs, sous le contrôle des pouvoirs publics, les
offres les plus innovantes trouvent toujours leur place dans le domaine de la radio et cela
sans difficulté. Il est en effet de l’intérêt de tous dans un environnement de concurrence, de
donner accès aux contenus les plus innovants. Sur Internet, le principal médiateur c’est le
public et l’accès de masse à ce public demeure les médias. C’est donc un nouveau modèle
symbiotique qui s’organise plus ouvert que jadis. Que chacun se rassure, Internet démode
tout, sauf le talent. Certaines radios ne s’y sont pas trompées et font preuve d’un regain
d’imagination pour leurs applications mobiles.
La radio sur IP conduit à remettre en cause la pertinence de nombre de nos réglementations.
La loi audiovisuelle a été conçue dans un milieu fermé, un aquarium, en quelque sorte, avec
comme base des réglementations, des obligations et des attributions discrétionnaires. En
contradiction avec cet univers, Internet, c’est l’océan, le grand large. Pour pousser l’analogie,
on pourrait dire que les deux, l’aquarium et l’océan, communiquent, que rien ne les rendra
étanche l’un de l’autre et qu’il vaut mieux s’intéresser à la vie au grand large qu’à un sous‐
ensemble non isolable, le monde hertzien national.
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4. Venons‐en à l’argument économique. Le coût de la diffusion en mode IP versus celui d’un
réseau hertzien en mode RNT. À première vue, la comparaison n’est pas favorable à la radio
sur IP : une diffusion nationale en IP reviendrait pour un réseau comme Skyrock qui
rassemble à chaque instant 300 000 auditeurs à près de 7 millions d’euros par an à comparer
à 5 millions pour une diffusion en RNT couvrant 90% du territoire. Mais dans 5 ans, qu’en
sera‐t‐il ? Le prix de la bande passante baisse d’environ 15 % par an et cela sans compter sur
les progrès de la compression numérique qui permet de réduire le débit nécessaire pour une
qualité équivalente. Dès 2015, les coûts des deux modes de diffusion se rejoignent. Mais
surtout … ils s’additionnent dès maintenant, car quel opérateur de radio diffusé par voie
hertzienne, demain par hypothèse en RNT, se priverait pour autant d’une reprise sur
Internet ? Le projet de RNT doit se concevoir en sachant que, d’ores et déjà, les éditeurs de
radio doivent investir sur leur diffusion en mode IP. Le choix est asymétrique. On peut
concevoir une radio IP sans diffusion numérique terrestre, l’inverse n’est plus possible.
Pour ce qui est des petits budgets, la réalité est inverse. Une diffusion RNT ‐ comme FM ‐ est
une diffusion à coût fixe qu’elle que soit le nombre d’auditeurs, son prix à l’auditeur est donc
inversement proportionnel à l’audience rassemblée. Les radios associatives en France
mobilisent 25 % des fréquences pour 4 % de l’audience et le coût total de cette diffusion est
en réalité particulièrement onéreux.
En revanche, en radio IP, la radio ne paye que son audience réelle, ouvrant la voie à un
enrichissement considérable de l’offre communautaire. Et si ce coût demeure cependant
une difficulté, il faut savoir que le service « Live Radio » d’Orange diffuse déjà gratuitement,
pour les radios comme pour les auditeurs, plus de 11 000 radios dont les radios associatives.
Leur modèle économique étant la publicité sur le lecteur virtuel. Toutes les radios qui le
souhaitent peuvent être diffusées gratuitement sur ce service.
Dans le même temps, la question de la norme de diffusion continue à se poser pour la RNT.
Pourquoi rester au T‐DMB initialement choisi et ne pas aller vers le DAB+, norme plus
récente ? Cette norme permet, à débit équivalent, d’accroître l’offre de 20 à 25 %, soit deux
à trois stations supplémentaires par zone de diffusion, tout en rabaissant d’un pourcentage
un peu moindre les coûts de diffusion. Il faut peut‐être attendre le T‐DMB+... !!! Le problème
de la RNT est que chaque nouvelle norme de diffusion implique de changer les récepteurs et
modifier les systèmes d’émission, voire les autorisations administratives.
La logique économique voudrait également que soit décidé, dès maintenant, l’arrêt de la
modulation de fréquence pour faire réussir la RNT et diminuer les coûts des éditeurs. Là
encore, la comparaison avec la TNT n’est pas correcte. La TNT est un bénéfice pour le public
et l’arrêt de la télévision analogique est par conséquent légitime, la RNT est, au contraire,
une régression en terme de qualité de diffusion par rapport à la FM et en termes de
programmes par rapport à la radio IP. Rien ne saurait la justifier.
Il fut dit aussi que l’argent public devait subvenir au déploiement de la RNT. Mais le rôle de
l’État est d’investir dans le long terme et donc dans des technologies lorsqu’elles sont
porteuses d’avenir et pas lorsqu’elles sont en fin de cycle. Aujourd’hui, par exemple, il serait
préférable d’investir dans un réseau national dédié exclusivement à l’Internet mobile.
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5. Et puis, quel paradoxe ! Certaines fréquences sont mises aux enchères et donnent lieu à
redevance pour l’Internet 3G par exemple… et d’autres connexes seraient subventionnées
par l’État pour la radio !! Un tel grand écart n’est guère justifiable alors que la priorité est
d’investir dans un réseau national dédié exclusivement à l’Internet mobile.
Que faire alors avec la bande III (174 à 223 MHz) et de la bande L (1,4 à 1,5 GHz)
partiellement dévolues aujourd’hui à la RNT ? Voilà ce qui pourrait être fait : sur la bande III
seraient déplacés les services de TNT adjacents à la bande GSM (900 MHz) exploités par les
télécoms ce qui libérerait environ 40 MHz de nouvelles « fréquences en or », un second
dividende numérique à mettre, ainsi que la bande L, aux enchères comme l’on déjà fait la
Grande Bretagne souvent cité en exemple, mais aussi comme le préparent les USA.
Cette bascule nécessite de lancer un « rescann » par les tuners TNT. Cette opération n’est
pas exceptionnelle et il faudra apprendre à la gérer puisque qu’elle est indispensable à
chaque modification de l’offre : changement de dénomination de chaines, d’opérateur, de
canal, de numérotation …
La puissance publique s’est fait un devoir d’accompagner le changement des industries
culturelles : la presse, le livre, le cinéma, le spectacle vivant, le logiciel, le jeu vidéo et même
la télévision lors de sa transition vers la TNT ont été aidées. La radio est la grande absente de
cette prodigalité. Bien contraire, elle a subi ces dernières années la perte des secteurs
réservés comme la distribution ainsi que l’accroissement des droits musicaux. Il est temps
d’aider la radio. Pourquoi ne pas créer un fonds de modernisation de la radio, en tenant
compte du fait que la cession des fréquences de la bande III et de la bande L devrait
permettre à l’État de dégager des recettes nouvelles ?
Et comment aider la radio ? En premier lieu, le secteur associatif : la nouvelle génération
d’opérateurs organiseraient, grâce à ce fonds, de nouvelles modalités de soutien et de
service. En second lieu, les opérateurs commerciaux trouveraient un appui complémentaire
pour affronter un changement sans précédent.
Plus généralement, le Fonds financerait une vraie réforme du plan de fréquences FM. Car
loin d’être dépassée, la modulation de fréquence est un des meilleurs moyens de couvrir le
territoire et ce encore pour de longues années. Il faut cependant se libérer de l’héritage
historique du plan initial, jusqu’à présent aménagé à la marge, pour le repenser
globalement.
Pour répondre aux questions posées, une loi sur la radio du futur s’impose. Elle s’articulera
avec des textes en cours d’élaboration sur la neutralité des réseaux et la vie privée
numérique notamment, instaurera le fonds de modernisation de la radio et ses missions et
réglera le sort de la bande III. L’ajustement démographique des seuils anti‐concentration qui
préoccupent certains opérateurs devra être également abordé.
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6. Avec quel calendrier ? Il paraît clair que le législateur, à son initiative ou à celle du
gouvernement, devra à nouveau intervenir dans le domaine des médias numériques. Que ce
soit sur la transposition du Paquet Télécom imposée par Bruxelles, la neutralité des réseaux
et la protection de la vie privée, on ne pourra pas faire l’économie d’un débat. La radio du
futur y trouverait toute sa place.
Lorsqu’un auditeur écoute la radio, la provenance du signal lui importe peu. L’important
c’est de capter correctement. Demain l’auditeur ne saura pas s’il écoute sa radio en FM ou
en IP et son récepteur passera de l’un à l’autre au mieux des conditions du forfait. Le futur
est FM + IP mais un troisième mode diffusion peut se joindre à ce duo : la réception
satellitaire directe.
Une offre satellitaire européenne est en cours d’élaboration qui permettrait de servir 100 %
du territoire et de la population, rappelons que 15 millions de personnes en habitat
dispersés sont peu ou mal desservis par la diffusion terrestre. Cette offre associe un satellite
et des émetteurs relais au sol sur la bande S (2 à 4 GHz). Cette radio numérique satellitaire ‐
la RNS ‐ serait complémentaire des réseaux existants et serait utile dans les transports
puisqu’installée en première monte dans les véhicules automobiles.
Le duel entre le réel et la RNT est fini, le réel a gagné. Mais ce débat a permis d’ouvrir une
réflexion globale au moment même où la radio entre à nouveau en métamorphose. Il faut
s’en servir pour passer ensemble à la suite !
Sylvain Anichini
Consultant, ancien directeur général adjoint de Radio France
Pierre Bellanger
Fondateur, président de Skyrock
Marc Tessier
Président de Video Futur, ancien président de France Télévisions
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