« La recherche de la croissance l’a toujours emporté sur le souci de l’environnement, dénonce l’ingénieur Jean-Marc Jancovici dans son livre Dormez tranquille jusqu’en 2100 (Odile Jacob, 2015, 210 pages, 19,90 euros). Non seulement la croissance actuelle n’est pas plus verte que celle qui a précédé, mais, par certains aspects, elle l’est encore moins, notamment sur la consommation d’énergie. »
Le Monde Économie du 23 Novembre 2015 ( version abonnés) http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/11/23/la-croissance-verte-existe-t-elle_4815734_3234.html#HDmWSdwCfVsD0Bz7.99
Dossier de presse du plan d'apaisement de la circulation de la ville de Tours
La croissance verte existe t-elle ?
1. 23/11/2015 La croissance verte existe-t-elle?
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La croissance verte existe-t-elle?
LE MONDE ECONOMIE | 23.11.2015 à 14h03 • Mis à jour le 23.11.2015 à 14h21 | Par Valérie Segond
Croissance ou fraîcheur, faudra-t-il choisir ? Autrement dit, est-il possible de conjuguer croissance
économique et réduction des émissions de gaz à effet de serre comme le promet la 21e
conférence des Nations unies sur le climat (http://www.cop21.gouv.fr/) , qui doit se dérouler du
30 novembre au 11 décembre à Paris ?
« Croissance verte ». L’expression, née en 2005 à la conférence de Séoul, n’a pour l’heure pas
trouvé de contenu convaincant : « La recherche de la croissance l’a toujours emporté sur le souci
de l’environnement, dénonce l’ingénieur Jean-Marc Jancovici dans son livre Dormez tranquille
jusqu’en 2100 (Odile Jacob, 2015, 210 pages, 19,90 euros). Non seulement la croissance actuelle
n’est pas plus verte que celle qui a précédé, mais, par certains aspects, elle l’est encore moins,
notamment sur la consommation d’énergie. »
Pour lui, il ne saurait en être autrement. Car, depuis 1800, il existe un lien direct et consubstantiel
entre consommation d’énergie et croissance : la transformation des combustibles est cette potion
magique qui a décuplé l’efficacité du travail de l’homme.
Et l’économie mondiale est toujours dépendante du pétrole. « L’évolution du PIB suit celle de la
production de pétrole, écrit Jean-Marc Jancovici. C’est bien parce qu’il y a plus d’énergie
disponible que le PIB augmente, et non parce que le PIB augmente que l’énergie consommée
augmente. »
Faire croître le PIB, c’est polluer
« Une augmentation de 10 % de la consommation d’énergie par habitant a induit en moyenne une
hausse d’environ 6 % du PIB », ont conclu les économistes Gaël Giraud et Zeynep Kahraman en
analysant les données de plus de quarante pays depuis 1970. Même le secteur des services, cette
apparente dématérialisation de la production, est fortement consommateur d’énergie : « Les flux
physiques n’ont jamais été aussi élevés qu’aujourd’hui, y compris par personne », assure encore
Jean-Marc Jancovici.
Des panneaux photovoltaïques sur le toit d'un immeuble du quartier des Batignolles, à Paris. Bruno Levesque / IP3
PRESS/MAXPPP
2. 23/11/2015 La croissance verte existe-t-elle?
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« A ce jour, le découplage entre croissance et énergie s’est révélé impossible », confirme Philippe
Infographie Le Monde
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POUR FINANCER
LA
TRANSFORMATION
RADICALE DE
NOTRE MODE DE
VIE, IL FAUDRAIT
CRÉER DE LA
RICHESSE
Frémeaux, président de l’Institut Veblen, qui réunit économistes et sociologues de la
décroissance. Même lorsque l’on a amélioré l’intensité énergétique de nos économies, dit-il, la
consommation s’est portée de plus en plus sur des produits importés, lesquels contiennent une
énergie consommée qui n’est pas comptabilisée dans l’intensité énergétique nationale. » Ainsi,
cette dernière ne reflète-t-elle que partiellement le caractère énergivore de nos modes de vie et de
production.
Economiste en chef de l’Agence française de développement, Gaël
Giraud suggère qu’« une large partie des progrès réalisés par les pays
riches provient simplement du transfert de leurs usines vers le Sud »,
expliquant ainsi « l’absence de progrès significatifs à l’échelle mondiale ».
Consommer et produire, en un mot faire croître le PIB, signifierait donc
automatiquement polluer. Aussi lutter contre le réchauffement climatique
en réduisant la consommation d’énergie fossile est-il naturellement
assimilé à une contraction de l’activité. C’est précisément la peur de cette
équivalence qui a conduit nombre de pays à tergiverser devant la lutte
contre le réchauffement de la planète.
Condition sine qua non de la mobilisation
Au moment où plane la menace d’une grande stagnation économique, tout le monde redoute que
la politique climatique ne réduise le PIB par tête, creuse les inégalités et attise les extrémismes. Dit
autrement, la décroissance fait peur… tant que l’on n’a pas changé radicalement notre manière de
vivre, de produire et de comptabiliser la richesse.
Et pourtant, pour financer cette transformation radicale, il faudrait justement créer de la richesse.
Sans croissance, on voit mal le système financier se mobiliser sur le sujet. C’est pour éviter le
risque de l’inaction, dont le coût pourrait être prohibitif, que le thème de la « croissance verte »
s’est imposé comme un prérequis de tout discours sur le sujet.
« La stimulation de la croissance et la lutte contre le risque climatique ne sont pas simplement des
objectifs compatibles : elles peuvent être conçues pour se renforcer mutuellement », peut-on lire
dans le dernier rapport de la Commission sur l’économie et le climat, présidée par l’ancien
président mexicain Felipe Calderon et l’économiste britannique Nicholas Stern, intitulé La
Nouvelle Economie climatique (éd. Les Petits Matins, 224 p., 17 €).
Infographie Le Monde
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La possibilité de la croissance est même devenue la condition sine qua non de la mobilisation
mondiale. « Il faut mener une politique climatique qui accompagne et permette la croissance,
même si celle-ci pourra être différente dans sa composition », a souligné le commissaire européen
aux affaires économiques, Pierre Moscovici, lors d’une conférence organisée par l’association
française The Shift Project en octobre.
Objectifs ambitieux
Le renversement est tel que la politique climatique est subrepticement devenue, selon une
expression que l’on retrouve désormais dans la bouche de tous les patrons, « une formidable
opportunité pour relancer l’économie mondiale ». « Un monde décarboné et en croissance, c’est
possible », proclame Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain, dans un livre qu’il vient
de publier (Notre combat pour le climat, Le Passeur Editeur, 160 p., 16 €).
Alors, qui croire ? Quel sera l’impact de la transition énergétique sur la croissance ? Annonce-t-
elle une contraction de l’activité ou fait-elle figure de plan Marshall vert susceptible de relancer
l’économie mondiale ? L’analyse de la politique de transition de la France et de ses effets
attendus apporte quelques éléments de réponse.
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La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), promulguée en août, a
retenu des objectifs extrêmement ambitieux : une réduction des émissions de carbone de 40 %
en 2030, puis de 75 % en 2050, soit une division par quatre par rapport à leur niveau de 1990.
Une division par deux de la consommation d’énergie en 2050 par rapport à 2012, après un
passage par – 20 % en 2030. Sur la même période, une réduction de 30 % de la consommation
d’énergie fossile, pétrole, gaz et charbon. Une montée des énergies renouvelables à 23 % de la
consommation finale en 2020, puis à 32 % en 2030. Et la réduction de l’énergie nucléaire à 50 %
de la production électrique en 2025.
La France se condamne-t-elle ainsi à une contraction de son activité ? Car comment imaginer
qu’une division par deux de la consommation d’énergie soit sans effet sur l’activité économique ?
Pour atteindre ces objectifs, la politique de transition emprunte à deux trajectoires de
Infographie Le Monde
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« décarbonisation » de l’économie française.
Consommation d’énergie divisée par deux
La première, la plus ambitieuse, dite de l’« efficacité », vise une division par deux de la
consommation d’énergie entre 2010 et 2050, qui, selon la stratégie nationale bas carbone,
instaurée par la LTECV, viendrait à 60 % des gains d’efficacité dans l’habitat et le bâtiment, à 26 %
dans les transports et à 10 % seulement dans le système productif. Soit une réduction de la
consommation par tête de 2 % l’an d’ici à 2050, dont plus de la moitié de l’effort serait sans effet
récessif sur l’activité. C’est la voie privilégiée.
La seconde, dite de la « diversification » du mix énergétique, table surtout sur une réduction du
nucléaire à 50 % de la production d’électricité en 2025, avec une montée des énergies
renouvelables à 40 % en 2050, la baisse de la consommation d’énergie étant alors limitée à 20 %
d’ici à 2050. C’est la voie de secours.
Lire aussi : Les pays nordiques ont vingt-cinq ans d’avance (/economie/article/2015/11/23/les-pays-
nordiques-ont-vingt-cinq-ans-d-avance_4815740_3234.html)
Efficacité énergétique d’un côté, diversification des énergies « décarbonées » de l’autre. « Mais il
est probable que l’on devra combiner les deux stratégies, en particulier s’il s’avérait sur le
parcours que tous les objectifs d’efficacité énergétique n’étaient pas atteints – sachant qu’il sera
difficile de diviser par deux la consommation d’énergie d’ici à 2050 dans un pays où elle est déjà
relativement basse », assure Patrick Criqui, directeur du laboratoire Edden à Grenoble, qui a
analysé, avec Sandrine Mathy, les deux trajectoires dans un rapport pour le Deep
Decarbonization Pathways Project.
Les deux trajectoires reposent sur des investissements très importants, d’environ 20 milliards
d’euros par an d’ici à 2030, selon Patrick Criqui. Dans la première, celle de l’« efficacité », les
investissements devront être réalisés en majorité par les utilisateurs finaux, notamment pour isoler
leur logement et dans une moindre mesure pour circuler en véhicule électrique.
« Diversifier le mix »
Dans la seconde, celle de la « diversification » du mix énergétique, les investissements seraient
plutôt réalisés par les énergéticiens, dans le nucléaire de troisième génération, à savoir les
coûteux EPR, la biomasse et les réseaux de chaleur urbain. « Quel que soit le système choisi, la
France devra réinvestir dans son parc électrique car le parc nucléaire actuel doit être soit rénové
soit remplacé », dit Patrick Criqui. Ainsi, « diversifier le mix » relèverait en partie d’un transfert
d’investissements des énergies fossiles vers l’efficacité et les énergies « décarbonées ».
Mais, dans tous les cas de figure, les investissements à venir devraient tôt ou tard entraîner une
hausse des coûts de production de l’électricité, de 60 % à 70 % en 2050 par rapport à 2010, selon
les estimations de Patrick Criqui. « En cela, la France, qui bénéficie depuis vingt-cinq ans d’une
électricité nucléaire peu chère, va voir sa situation se normaliser par rapport à celle des autres
pays développés », assure-t-il.
Lire aussi : Trois leviers pour financer la grande transition (/economie/article/2015/11/23/trois-leviers-
pour-financer-la-grande-transition_4815737_3234.html)
Il est vrai que si tout se passe comme prévu, cette hausse du coût du kilowattheure devrait être
amortie par la baisse, de moitié à un quart, des dépenses énergétiques des ménages. Selon
l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe, les modèles économiques qui
intègrent le secteur énergétique concluent que la transition énergétique aura in fine un impact
faible sur la croissance, et plutôt un impact positif.
En tout cas, ils ne voient pas l’activité se contracter. Même s’il faut reconnaître que ces modèles
reposent sur des hypothèses de changements de mode de vie et de production radicaux, qui
répondent certes aux aspirations de la société, mais que l’Ademe voit se développer à grande
échelle, tels que la réduction des gaspillages, une consommation durable portant sur des produits
de qualité dotés d’une plus longue durée de vie, une large extension de l’économie circulaire, etc.
L’Ademe reprend ainsi dans ses hypothèses les préconisations des « décroissants » pour une vie
plus sobre.
Encore loin du plan Marshall
7. 23/11/2015 La croissance verte existe-t-elle?
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Encore loin du plan Marshall
Au total, sur les vingt-deux années de la projection, de 2014 à 2035, horizon retenu ici, il apparaît
que la LTECV apporterait un supplément de PIB d’environ 25 à 35 milliards d’euros par an à la
France. Une à deux années de croissance en 2035, soit 1 à 1,5 point de PIB au bout de vingt ans.
On n’est pas dans la décroissance, mais on est encore loin du plan Marshall. Une évaluation que
valident les travaux de Patrick Criqui.
En revanche, bonne nouvelle, la transition énergétique pourrait bien réduire notre déficit
commercial en réduisant les importations d’énergie, et surtout enrichir le contenu en emplois de la
croissance. Selon la stratégie nationale bas carbone, elle devrait permettre de créer, selon les
scénarios retenus, de 108 000 à 350 000 emplois supplémentaires par rapport à la tendance d’ici
à 2035, en particulier dans l’isolation des bâtiments et dans les énergies nouvelles. « Les
énergies renouvelables sont moins productives que les énergies fossiles, souligne l’économiste
Gaël Giraud, mais elles créent beaucoup plus d’emplois. La croissance verte sera une croissance
plus faible, mais plus riche en emplois. Sans doute est-ce l’occasion de changer les objectifs de
nos politiques économiques. »