Présentation de l'échange etwinning i-voix 2015-2016
Le pays igbo et sa littérature
1. Le pays igbo du Nigeria
et sa littérature
Françoise Ugochukwu
Open University & LLACAN
2. C’est la guerre du Nigeria (1967-70) qui a permis aux Français de
découvrir le pays igbo, au sud-est du Nigeria. Ses étudiants ont été
nombreux après la guerre à s’inscrire dans les universités françaises
et à y poursuivre des études doctorales. Plusieurs de ses écrivains -
Achebe, Ekwensi, Emecheta, Nwankwo, Nwapa, et plus récemment
Adichie, ont été traduits en français. Cette région anglophone a été
marquée par un contact privilégié avec la France ; c’est une terre de
mission qui depuis un siècle essaime dans le monde entier, et le
berceau de Nollywood, ce nouveau cinéma qui sert aujourd’hui de
modèle à toute l’Afrique. C’est également une pépinière d’écrivains
anglophones dont le plus connu en France est Chinua Achebe, dont
le premier roman a été au programme de l’agrégation d’anglais en
1980. Mais cette littérature est l’héritière d’une tradition et d’une
littérature en langue igbo, peu connue et très peu traduite, qui se
développe parallèlement.
4. Cinq Etats de la fédération: Abia, Anambra, Ebonyi, Enugu, Imo, et
une partie des Etats des Rivières et du Delta.
Le pays igbo du Nigeria : présentation
La seule région du pays à majorité chrétienne
Une pépinière d’écrivains anglophones
Un immense attrait pour l’éducation
13 universités / 107
Une pléiade de chercheurs émérites et de pionniers
Des artistes de renom international
Une place unique dans l’histoire politique mouvementée du
Nigeria : c’est l’ancienne République du Biafra (1967-1970)
Une importante diaspora, principalement implantée aux Etats-
Unis
5. Les débuts de la littérature écrite igbo
Avant la colonisation: À cette époque, les Igbo étaient en contact
constant avec leurs voisins, et l’influence de leur langue et de leur
culture s’exerçait bien au-delà des frontières du pays igbo.
Les travaux missionnaires: Les premiers missionnaires, ceux de
la CMS, s’installent à Onitsha, en pays igbo, en 1857, mais ils sont en
fait arrivés sur le territoire du futur Nigeria une vingtaine d’années
auparavant, avec l’expédition britannique de la Compagnie du Niger.
Après avoir surmonté un certain nombre de difficultés du fait des
dialectes, Ils se mettent à traduire le Nouveau Testament en igbo et à
rédiger des grammaires, des livres de lecture et des lexiques.
6. Peu après l’arrivée des commerçants et des administrateurs coloniaux
européens, l’anglais va être progressivement introduit puis imposé par
le biais des ordonnances et des Codes d’éducation coloniaux, renforcés
par les écoles et les activités missionnaires catholiques, surtout à partir
de l’installation de Mgr Shanahan. Cette influence va conduire les élites
igbo à considérer que l'usage de la langue locale les marquait comme
des arriérés, d’autant plus que l’anglais - et non plus l’igbo - était
devenu la langue de communication de la nouvelle classe moyenne,
celle des kotuma, les interprètes, les caissiers et les employés
subalternes de l’administration coloniale.
7. Les premiers romans en igbo
1)Omenuko de Pita Nwana (1933), récit inspiré par le succès du chef
à brevet Igwegbe Odum (1860?-1940) d’Arondizuogu, qui réussit à se
sortir de la pauvreté et à devenir immensément riche. Mais lorsqu’il
perd accidentellement tous ses biens dans l’écroulement d’un pont, il
vend ses porteurs et ses apprentis à des marchands d’esclaves pour
se renflouer. Plus tard, rongé par le remords, il fait tout pour réparer le
mal commis, rachète ces jeunes et, revenue dans son village, y
acquiert une réputation de bienfaiteur en distribuant sa richesse.
2)Ala Bingo de D.N.Achara (1937) a pour décor la même aire
géographique (Uzuakoli, Item). Le roman traite le thème du conflit de
générations, autour des relations interpersonnelles et des attitudes de
société, mais la seconde partie du récit se déroule dans le monde
surnaturel.
9. 3) Ije Odumodu jere de Léopold Bell-Gam (1963) est fortement
influencé par Omenuko. Le récit se déroule dans la seconde moitié
du dix-neuvième siècle. Son héros, Odumodu, d’humble origine,
réussit à monter dans l’échelle sociale et voyage à l’étranger
(Europe, Amérique du nord et Cuba). Maltraité par ses hôtes, il finit
par retourner chez lui et moderniser sa communauté.
Things Fall Apart / Le Monde s’effondre de Chinua Achebe
(1958/1966), récit de la réussite d’Okonkwo et de son exil, obtient
lors de sa sortie le prix Margaret Wrong et on en vend plus de
300,000 exemplaires dès les premières années.
10. N.B. Il faut remarquer que les premières publications en igbo,
Omen k , Akpa Ucheụ ọ et Udo Ka Mma ont toutes été le produit de
concours littéraires. Le manuscrit d’Omenuko par exemple a obtenu
le premier prix d’un concours littéraire visant à encourager la
production de récits en langues africaines et organisé par l’Institut
international des langues et des cultures africaines de Londres. Le
fait que ces concours se déroulent dans un contexte spécifique, ont
une date limite et sont récompensés par un prix, ne garantit pas
automatiquement la production d’œuvres littéraires sur le long
terme. L’organisation d’ateliers d’écriture ou de critique littéraire
peut elle-même gêner la créativité : les romans de Tony Ubesie, Isi
Akwu Dara N'Ala, J Obinnaụọ et autres, ont tous été écrits avant
qu’il aille à l’université, et il a plus tard confié que sa plume s’est
asséchée après ses cours d’esthétique littéraire.
11. La question de l’orthographe igbo
L’une des raisons du succès d’Omenuko est qu’on a réussi à le publier dans les
orthographes officielles successives : l’orthographe protestante, puis les autres. La
'grande' question de l’orthographe igbo s’est nourrie de la querelle entre la CMS et
l’Eglise catholique autour de l’alphabet igbo, querelle qui s’est longtemps
prolongée. En conséquence, de 1929 à 1961, la production littéraire en igbo est
restée quasi nulle, et les quelques ouvrages publiés sont restés inconnus. À
l’indépendance, le Gouvernement du Nigeria oriental nomma une commission
linguistique, chargée de résoudre le problème une fois pour toutes. Le document
de synthèse résumant le résultat de leurs délibérations quant à l’alphabet et à
l’orthographe à utiliser fut adopté par le ministère de l’Education et envoyé à tous
les établissements scolaires. Les progrès de la publication en igbo doivent en
outre beaucoup à Maaz Chiifuị , D k taọ ị Frederick Chiedozie gbal (1927-1990),Ọ ụ
qui, entre 1944 et 1992, facilita la publication en igbo et la diffusion d’une littérature
grandissante, encourageant l’utilisation de la langue pour l’écriture et le calcul, et
produisant dans les locaux de son imprimerie d’Onitsha, romans, pièces de théâtre
et manuels, recueils de contes et de proverbes.
12. L’Omenuko de Pita Nwana et son impact
Caractéristiques
On retrouve dans le roman un certain nombre de marqueurs culturels.
La tradition orale : la structure du roman modèle celle du conte ; le
conteur-auteur y est très présent; elle intègre l’interactivité qui caractérise
le contage, le ton didactique et l’usage des proverbes et adages, des
prières et des invocations de la religion traditionnelle.
L’histoire orale et la fiction : Importance des généalogies et de l’histoire
orale en pays igbo, bien avant l’arrivée des Européens.
Le culte du héros : la célébration du succès individuel, perçu comme
celui du groupe. Cf. le proverbe selon lequel « celui dont le frère est au
ciel ne va pas en enfer. »
13. L’influence missionnaire : reconnaissable au ton moral et à la
trame du récit, parallèle à celle de la parabole de l’enfant prodigue
et du roman allégorique de J.Bunyan, Pilgrim’s progress (1678).
Les progrès de la publication en igbo doivent en outre beaucoup à
Maaz Chiifuị , D k taọ ị Frederick Chiedozie gbal (1927-1990),Ọ ụ
qui, entre 1944 et 1992, facilita la publication en igbo et la diffusion
d’une littérature grandissante, encourageant l’utilisation de la
langue pour l’écriture et le calcul dès le primaire, et produisant
dans les locaux de son imprimerie d’Onitsha romans, pièces de
théâtre et manuels, recueils de contes et de proverbes.
14. Omenuko Okonkwo
Des hommes qui ont
réussi seuls
D’humble extraction
De famille pauvre
Des pères de famille
Quatre enfants Trois femmes Huit enfants
Dans le commerce Des réussites en agriculture
Etude comparée d’Omenuko de Pita Nwana et
du Monde s’effondre de Chinua Achebe
Personnages principaux
16. Omenuko Okonkwo
Une même histoire
Un pont qui s’effondre
Une enfance difficile
Une réussite acquise de
haute lutte
Un accident qui balaie
tout leur avoir
un homicide involontaire
Un village ami
Une fuite nocturne en
famille vers un refuge le village maternel
ancestral
Une vingtaine
Un séjour de plusieurs
années hors de chez
eux
sept
17. Omenuko Okonkwo
Un succès retrouvé là-
bas
Mais pas de satisfaction
Respect
communautaire
Nostalgie
Négociation du retour
sous conditions
Retour final prison, meurtre et
suicide
19. La société igbo dans les deux romans
Une communauté très organisée vivant et fonctionnant à trois niveaux:
• Au sein du village
• Au sein de l’Umunna, la parentèle paternelle
• Au sein de l’Ikwunne ou Nnamochie, la parentèle maternelle.
Au-delà de ces groupes, les Igbo entretiennent des alliances et des relations avec leur Mba – les
‘pays étrangers’ voisins.
• En pays igbo, la vie quotidienne est réglée autour de quatre cultes centraux :
• Ikengà – le culte de la main droite, symbole de la réussite individuelle gagnée à la force du
poignet (‘de ses mains’)
• Iru – le culte de la face, symbole de la force de la personnalité et de l’influence
• Ùhu – le culte du corps et de la langue, symboles du charme personnel et de l’éloquence
• kw nà ijeỤ ụ – le culte des jambes en mouvement, symbole du succès dans les entreprises.
La Société précoloniale traditionnelle
20. Cette société ne s’intéressait pas aux affaires d’argent : elle encourageait la
création, l’acquisition et le partage de la richesse. Le succès individuel y était
perçu comme bénéficiant au groupe entier, et reflétant les valeurs collectives –
goût du risque, courage et générosité. Ces valeurs étaient transmises à la fois
par l’exemple et par l’éloquence persuasive comprise comme l’expression d’une
forte personnalité et soutenue par la structure politique locale et le culte de l’Uhu.
Cette société n’était certes pas parfaite - l’igbo possède des mots pour toute une
série de crimes. Mais une fois leur auteur découvert, ces crimes étaient punis :
« Il y avait des confessions publiques, des exécutions, et des suicides en cas
d’atteinte grave aux lois régissant les relations avec Ala [la Terre]. » C’était aussi
une société remarquablement démocratique, comme le rappelle encore
Emenanjo : « même dans certains des royaumes igbo connus, le roi, en dépit de
la transmission de la couronne de père en fils, était plutôt traité comme un
président – on attendait de lui qu’il se préoccupe avant tout du bien de son
peuple, qu’il soit démocratique et républicain […]. Comme le dit l’adage, ‘ hàỌ
nwè ezè ma Èzè nwe hà [le peuple possède le roi mais le roi possède leỌ
peuple]’ » (Ahiajoku 2001)
21. Les premiers contacts et transactions avec la Compagnie royale du Niger
sont suivis par les expéditions coloniales punitives, les occupations et la
colonisation, puis l’implantation des sociétés missionnaires : la CMS en
1857 CMS, et la RCM en 1885.
Transition vers la société coloniale
Omenuko Le Monde
s’effondre
absents Les
missionnaires
Perçus comme des
envahisseurs
Des partenaires Les autorités
coloniales
Des ennemies
22. Le style des romans
Les deux romans, nourris d’oralité, adoptent une perspective historique et
une approche didactique dans leur présentation de la société igbo.
Omenuko est clairement influencé à la fois par la structure du conte oral
et par le modèle des livres de lecture missionnaires, comme le démontrent
la structure de la phrase, l’usage de proverbes, le style didactique, la
présence continuelle de l’auteur-narrateur et la présentation générale des
personnages.
23. Le Monde s’effondre présente un retour à la tradition orale après
des décennies caractérisées par le développement d’une littérature de
la ville. C’est un récit complexe caractérisé par un choix délibéré, celui
de mettre en scène la société traditionnelle, en même temps que par
une réflexion constante sur les personnages et l’impact de leurs actes
sur la société. L’auteur y a plié la langue anglaise pour lui permettre de
rendre compte de la culture, par tout un travail sur le vocabulaire et la
structure de la phrase, en même temps qu’il a imbibé la forme
européenne du roman de ce qui fait la beauté des récits traditionnels
igbo.
Le public visé est en relation avec le choix de la langue: Omenuko, en
igbo, était destiné à un lectorat interne, alors que Le Monde s’effondre,
écrit en anglais, était destiné en priorité à un lectorat d’abord européen
puis international.
24. L’avenir de la littérature en igbo
L’anglais s’est depuis longtemps positionné comme langue nigériane, avec un statut à
mi-chemin entre celui de langue seconde et celui de première langue étrangère, et les
Igbo continuent à le préférer à leur langue, percevant l’anglais, remanié et nigérianisé,
comme un passeport vers le monde extérieur. Le peu d’intérêt pour l’étude et la lecture
de l’igbo, aussi bien au sein des élites que parmi les communautés villageoises, a
longtemps découragé les éditeurs de publier les nombreux manuscrits qui leur étaient
soumis. Selon Emenanjo cependant, « Maazi Tony Uchenna Ubesie, le diegwu
[phénomène] de l’Ecole des études igbo de Lagos, a prouvé à la communauté
internationale des écrivains que l’igbo peut apporter sa contribution à tous les genres
littéraires, à toutes les tendances et aux productions radiotélévisées » (Ahiajoku 2001,
Owerri). S’il est vrai qu’après des décennies d’enseignement de l’igbo officiel à tous les
niveaux, cette langue a encore peu de lecteurs hors du système scolaire, le statut de la
langue igbo a beaucoup changé au sein des universités ces dernières années, et ce
changement d’attitude, perceptible sur l’Internet où se multiplient les sites igbo, a pour
corollaire une explosion de publications en igbo soutenue par éditeurs et imprimeurs
locaux, en même temps que la production de claviers et de logiciels igbo par Microsoft
est en passe de révolutionner le marché électronique de la langue comme sa
transmission par écrit.