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Les arpenteurs ouvreurs d’espaces
« Vivre c’est passer d’un espace à un autre, en essayant
le plus possible de ne pas se cogner »
(Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974)
Hugues Bazin et Naïm Bornaz,
avec la participation de Mohamed Larbes et Wesley Marcheron
(à paraître dans la revue Apantages en janvier 2014)
La liberté d’un mouvement sans intention
Les « traceurs » appartiennent à la
tribu des arpenteurs, trois d’entre
eux nous ouvrent quelques pentes
urbaines inexplorées à travers la tech-
nique et la philosophie du « parkour ».
La qualité de la déambu-
lation naît de son absence
de prétention. Il y a une
façon de parcourir que l’on
appelle « parkour » mais
qui n’est pas une expres-
sion artistique ou sportive
malgré toutes les tenta-
tives de le contraindre à un
engagement utilitariste et
mercantile. Si c’est un art,
il est sans qualité. Ce qui
nous détourne de l’essen-
tiel, il le refuse : la sophis-
tication pédante, la préten-
tion petite-bourgeoise à
bien faire, à bien finir. Tel
un art brut qui se forme
à travers les éléments
rebelles et grandit dans
le biotope des contres-es-
paces, il assume son ina-
chèvement perpétuel et
c’est sans doute pour cela
qu’il est un « art total ». Il
touche à toutes les dimen-
sions humaines. La liberté
même puise dans cette
absence d’intention initiale,
esthétique ou sociale. Ainsi
(Ph:HuguesBazin)
libéré de toute posture, de
toute construction de la
réalité, de toute assigna-
tion identitaire, le parkour
libère le corps et l’esprit qui
peuvent se consacrer à la
recherche du mouvement
juste dans une attention
exacerbée aux détails qui
nous entourent.
Habiter autrement
Alors que le passant habi-
tuel n’observe pas son
quotidien ou le traverse
dans une indifférence po-
lie, ici nous sommes dans
une manière d’habiter qui
épuise toutes les possibili-
tés d’un lieu sans prendre
possession de l’espace. La
déambulation ne décrit pas
un territoire, elle laisse une
trace, une présence que
l’œil exercé pourra recon-
naître. Le traceur traverse
des quartiers en recons-
truction ou en déshérence,
quadrillés ou en friche,
nets ou vagues, rugueux
ou lisses, sauvages ou
policés ; il les habite sans
discrimination par la simple
force de cette présence
humaine. Si le résident
dresse les rues comme au-
tant de frontières invisibles,
le traceur y voit autant de
chemins possibles d’une
autre manière d’habiter la
ville.
Notre traversée de la ban-
lieue de Paris nous a em-
menés au nord, au sud et
à l’ouest, à Saint-Denis,
Villejuif et Saint-Cloud,
croiser des univers qui ne
se croisent jamais. Ce qui
nous a fait passer d’une
ville à l’autre, puis à l’inté-
rieur de chacune d’une rue
à l’autre et d’un quartier à
l’autre, ce n’est pas la vo-
lonté de se rendre à un en-
droit, mais la déambulation
en elle-même. C’est ainsi
que les rencontres impro-
bables sont possibles.
Déambuler, c’est mettre
un pied devant l’autre et se
laisser aller au fil des rues,
au gré des intuitions des
traceurs (« ça a l’air bien
par-là ») et des rencontres
architecturales (obstacles)
et humaines (gardiens,
vigiles et autres résidents
nous chassant, mais aussi
passants nous observant,
nous encourageant ou
nous questionnant). Il ne
s’agit pas de s’approprier
un espace (privé ou pu-
blic), mais de le traverser,
de les traverser tous, de
les découvrir, d’en explo-
rer le mobilier urbain et les
possibilités qu’ils recèlent.
Le traceur n’a pas de terri-
toire; le monde est son ter-
rain de jeux, comme aimait
à le dire David Belle, fonda-
teur de la pratique. Aussi,
ce n’est pas à un lieu pré-
cis, à un endroit particulier
qu’il s’attache, mais à une
manière d’être à l’espace.
L’absence d’appropriation
territoriale rend possible la
rencontre : entre un prati-
quant de l’espace et l’es-
pace qu’il pratique, entre
êtres humains et mobilier
urbain, entre les traces
d’une conception architec-
turale, et celles laissées
par celui qui la détourne et
joue avec.
Plus l’usage d’un espace
est chargé d’attentes,
moins l’usager est à
l’écoute de ce que ses
sens lui renvoient de sa
rencontre avec l’espace,
ou de sa traversée. Il n’est
pas attentif à tout ce que
l’espace recèle et qu’il ne
saurait voir. La rencontre
entre usager et espace
dans la déambulation n’est
possible qu’à condition de
ne rien préméditer et de
se garder d’attendre quoi
que ce soit. Libéré de toute
attente, le traceur est ainsi
ouvert à toute découverte.
On ne fait donc pas que
traverser l’espace, mais
on l’observe avec atten-
tion, on l’interroge. C’est
pourquoi le parkour ne
connaît pas de frontières.
Il n’a que faire des munici-
palités, des quartiers, des
résidences, ainsi que des
noms qu’on leur a arbitrai-
rement donnés, car dans
toutes ces villes, dans tous
ces quartiers, il y a la pos-
sibilité d’une rencontre, de
mille rencontres. C’est cela
qui fait lien entre ces terri-
toires, et qui rend poreuses
à notre déambulation les
frontières qui les sépa-
rent. Et bien que la ren-
contre puisse advenir par-
tout, elle n’advient jamais
deux fois à l’identique.
Parce que chaque mur
est unique, et que chaque
agencement entre les élé-
ments urbains est différent,
comme chaque arbre a ses
branches et ramifications
propres. Il n’y a donc pas
de lieux de prédilection
pour le parkour ; il s’agit
simplement de parcourir la
ville à la recherche de nou-
velles opportunités.
Le geste juste
C’est sans doute cela
une pensée du mouve-
ment. On peut s’attacher
au « geste juste ». On est
dans ce qu’on fait, dans
le mouvement même, il
n’y a pas une construction
intellectuelle qui mène au
geste, mais au contraire,
c’est le mouvement qui
nous amène à réfléchir
à notre manière de vivre
d’espace en espace. On
pourrait appeler cela une
« pensée du corps » ou un
« corps pensant » à l’ins-
tar d’un art martial. C’est
à dire une pensée qui
nous permet de relier un «
proto mouvement » (ges-
tuelle du quotidien) à un «
méta mouvement » (mou-
vement social). C’est la
conscience -à travers cette
pratique- d’exprimer cet «
état du mouvement » qui,
comme une photographie,
nous offre un regard sur la
société dans un espace-
temps donné.
Si d’autres pratiques visent
la beauté du geste, ou sa
conformité selon un mo-
dèle donné, il n’est dans
le parkour question que de
justesse. Cela ne veut pas
dire que le mouvement est
facile puisqu’il se confronte
à la dureté des matériaux,
du sol, des murs, des
rambardes. Il s’agit d’ap-
prendre à les apprivoiser :
on les sent, on les caresse,
on les effleure, on s’égra-
tigne, on se frotte. Aussi,
il existe un certain nombre
de techniques de base
pouvant être mobilisées
dans diverses situations,
et évitant au traceur que la
rencontre avec le mobilier
urbain consiste systéma-
tiquement en un choc, en
une collision.
La créativité naît de cette
confrontation : pouvoir faire
face par l’ingéniosité aux
contrariétés de l’architec-
ture, aux conditions parfois
périlleuses des configu-
rations rencontrées. C’est
un art de l’adaptation, de
l’esquive, du détourne-
ment. Au fil des pas et des
obstacles, comment trou-
ver la (ou les) réponse(s)
appropriée(s) au problème
auquel on fait face, pro-
blème qu’on s’est d’ailleurs
soi-même posé -dans le
seul but d’en chercher la
solution- ?
Être créatif, c’est d’abord
trouver encore et toujours
de nouveaux problèmes à
résoudre, et ensuite trou-
ver les solutions. Et c’est là
que la justesse du geste in-
tervient: un geste figé que
l’on reproduit à l’identique
en toute situation ne sau-
rait faire face efficacement
à la pluralité des obstacles
et configurations qu’on ren-
contre. Il nous faut adapter
la technique au caractère
unique de chaque situa-
tion, ajuster le geste. Et
pour trouver la réponse
appropriée à une situation
donnée, c’est davantage
d’efficacité qu’il nous faut
nous soucier, plutôt que
d’esthétique. Car les murs
se moquent de la beauté.
Aussi joli soit-il, si le geste
n’est pas juste, il sera vain.
Il n’empêche que certains
y voient une dimension
esthétique, comme une
danse avec les murs ou un
ballet avec les barrières.
Mais si le geste évoque une
dimension esthétique, elle
n’est dans le parkour qu’in-
cidentielle et en aucun cas
intentionnelle. On ne fait
pas le geste pour qu’il soit
beau, mais pour qu’il soit
juste. De notre capacité à
mettre le plus parfaitement
possible en adéquation
nos capacités corporelles
avec la configuration par-
ticulière à laquelle on a
affaire et la technique
mobilisée dans ce cadre
-de cette justesse trouvée-
peut naître l’impression
de beau dans les yeux de
celui qui observe la scène.
Ici, la beauté ne se décrète
pas, elle découle de la jus-
tesse du geste par rapport
à une situation donnée et
de la fluidité avec laquelle
les mouvements sont com-
binés entre eux.
L’espace du jeu et le jeu de l’espace
Le parkour est donc une
invitation à découvrir l’es-
pace. C’est ce caractère
prospectif du mouvement
d’un perpétuel apprentis-
sage ludique qui fait de la
ville un immense terrain de
jeu. La conception techno-
cratique de la ville ne cesse
de réduire les espaces
à des fonctions. Il y a les
terrains de jeux où doivent
nécessairement jouer les
enfants et les bancs pour
les vieux qui les regardent.
Il y a les voies où l’on doit
circuler et les parkings où
l’on doit stationner. Les
œuvres publiques que l’on
doit admirer et les espaces
marchands où l’on doit
consommer. La déambula-
tion détourne très vite tous
ces lieux de leur attribu-
tion, faisant de la ville tout
entière un lieu sans attri-
bution, c’est-à-dire une
multitude d’endroits où tout
devient possible. Alors les
enfants -petits ou grands-
reprennent soudain le goût
de l’exploration libre, ou-
bliant de faire ce qu’on leur
dit de faire là où on leur dit
de le faire.
C’est un mode d’appren-
tissage jubilatoire qui
comporte sa propre régu-
lation des risques par une
maîtrise d’usage de l’es-
pace. Si le mouvement ne
connaît pas de direction
précise, c’est la confron-
tation aux formes qui lui
donne sa consistance
dans ce dialogue entre
le corps et les matériaux.
C’est une forme en devenir
ou en perpétuelle émer-
gence, à chacun de trouver
sa forme de mouvement,
entre mobilité spatiale,
mentale et sociale.
L’architecture
fluide de la ville
Le dialogue avec les
formes urbaines dévoile
la fluidité de leur architec-
ture. C’est exactement le
contraire de ce qu’on veut
nous faire croire. L’archi-
tecture serait constituée
de formes rigides, ina-
movibles, inatteignables,
bref, inhumaines. La ville
ne serait pas à nous, mais
aux mains de techniciens
qui nous disent ce qu’est
la ville sans la vivre eux-
mêmes.
Ce qu’expérimente la
déambulation du parkour,
c’est exactement le
contraire. Elle nous prouve
que la ville vit, qu’il existe
bien un dialogue avec les
matériaux. Certes ils ont
une consistance, ils ont
une dureté, mais ils ne
demandent qu’à se lais-
ser travailler. Déjà par le
regard : les murs n’appar-
tiennent-ils pas à ceux qui
les regardent ? C’est alors
que les murs ne sont plus
des barrières, mais des
échanges. Les formes ne
séparent pas, elles réu-
nissent, elles donnent
sens. C’est justement la
densité et la diversité des
liens que mesure l’intelli-
gence sociale. C’est peut-
être cela une architecture
fluide, quelque chose qui
nous rend un peu plus
intelligent collectivement
et déconstruit les stéréo-
types. Par ces interstices,
ces rebords, ces anfractuo-
sités, c’est un autre rapport
aux formes qui est envisa-
gé, c’est une autre ville qui
se construit. Les nouveaux
arpenteurs inventent la
ville en la mesurant.
Hugues BAZIN
bazin@recherche-action.fr
Naïm BORNAZ
l1consolable@l1consolable.com
www.parkour-literally.com
Région Parisienne, octobre 2013
www.recherche-action.fr/hugues-bazin

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Les arpenteurs ouvreurs d’espaces

  • 1. Les arpenteurs ouvreurs d’espaces « Vivre c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner » (Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974) Hugues Bazin et Naïm Bornaz, avec la participation de Mohamed Larbes et Wesley Marcheron (à paraître dans la revue Apantages en janvier 2014) La liberté d’un mouvement sans intention Les « traceurs » appartiennent à la tribu des arpenteurs, trois d’entre eux nous ouvrent quelques pentes urbaines inexplorées à travers la tech- nique et la philosophie du « parkour ». La qualité de la déambu- lation naît de son absence de prétention. Il y a une façon de parcourir que l’on appelle « parkour » mais qui n’est pas une expres- sion artistique ou sportive malgré toutes les tenta- tives de le contraindre à un engagement utilitariste et mercantile. Si c’est un art, il est sans qualité. Ce qui nous détourne de l’essen- tiel, il le refuse : la sophis- tication pédante, la préten- tion petite-bourgeoise à bien faire, à bien finir. Tel un art brut qui se forme à travers les éléments rebelles et grandit dans le biotope des contres-es- paces, il assume son ina- chèvement perpétuel et c’est sans doute pour cela qu’il est un « art total ». Il touche à toutes les dimen- sions humaines. La liberté même puise dans cette absence d’intention initiale, esthétique ou sociale. Ainsi (Ph:HuguesBazin)
  • 2. libéré de toute posture, de toute construction de la réalité, de toute assigna- tion identitaire, le parkour libère le corps et l’esprit qui peuvent se consacrer à la recherche du mouvement juste dans une attention exacerbée aux détails qui nous entourent. Habiter autrement Alors que le passant habi- tuel n’observe pas son quotidien ou le traverse dans une indifférence po- lie, ici nous sommes dans une manière d’habiter qui épuise toutes les possibili- tés d’un lieu sans prendre possession de l’espace. La déambulation ne décrit pas un territoire, elle laisse une trace, une présence que l’œil exercé pourra recon- naître. Le traceur traverse des quartiers en recons- truction ou en déshérence, quadrillés ou en friche, nets ou vagues, rugueux ou lisses, sauvages ou policés ; il les habite sans discrimination par la simple force de cette présence humaine. Si le résident dresse les rues comme au- tant de frontières invisibles, le traceur y voit autant de chemins possibles d’une autre manière d’habiter la ville. Notre traversée de la ban- lieue de Paris nous a em- menés au nord, au sud et à l’ouest, à Saint-Denis, Villejuif et Saint-Cloud, croiser des univers qui ne se croisent jamais. Ce qui nous a fait passer d’une ville à l’autre, puis à l’inté-
  • 3. rieur de chacune d’une rue à l’autre et d’un quartier à l’autre, ce n’est pas la vo- lonté de se rendre à un en- droit, mais la déambulation en elle-même. C’est ainsi que les rencontres impro- bables sont possibles. Déambuler, c’est mettre un pied devant l’autre et se laisser aller au fil des rues, au gré des intuitions des traceurs (« ça a l’air bien par-là ») et des rencontres architecturales (obstacles) et humaines (gardiens, vigiles et autres résidents nous chassant, mais aussi passants nous observant, nous encourageant ou nous questionnant). Il ne s’agit pas de s’approprier un espace (privé ou pu- blic), mais de le traverser, de les traverser tous, de les découvrir, d’en explo- rer le mobilier urbain et les possibilités qu’ils recèlent. Le traceur n’a pas de terri- toire; le monde est son ter- rain de jeux, comme aimait à le dire David Belle, fonda- teur de la pratique. Aussi, ce n’est pas à un lieu pré- cis, à un endroit particulier qu’il s’attache, mais à une manière d’être à l’espace. L’absence d’appropriation territoriale rend possible la rencontre : entre un prati- quant de l’espace et l’es- pace qu’il pratique, entre êtres humains et mobilier urbain, entre les traces d’une conception architec- turale, et celles laissées par celui qui la détourne et joue avec. Plus l’usage d’un espace est chargé d’attentes,
  • 4. moins l’usager est à l’écoute de ce que ses sens lui renvoient de sa rencontre avec l’espace, ou de sa traversée. Il n’est pas attentif à tout ce que l’espace recèle et qu’il ne saurait voir. La rencontre entre usager et espace dans la déambulation n’est possible qu’à condition de ne rien préméditer et de se garder d’attendre quoi que ce soit. Libéré de toute attente, le traceur est ainsi ouvert à toute découverte. On ne fait donc pas que traverser l’espace, mais on l’observe avec atten- tion, on l’interroge. C’est pourquoi le parkour ne connaît pas de frontières. Il n’a que faire des munici- palités, des quartiers, des résidences, ainsi que des noms qu’on leur a arbitrai- rement donnés, car dans toutes ces villes, dans tous ces quartiers, il y a la pos- sibilité d’une rencontre, de mille rencontres. C’est cela qui fait lien entre ces terri- toires, et qui rend poreuses à notre déambulation les frontières qui les sépa- rent. Et bien que la ren- contre puisse advenir par- tout, elle n’advient jamais deux fois à l’identique. Parce que chaque mur est unique, et que chaque agencement entre les élé- ments urbains est différent, comme chaque arbre a ses branches et ramifications propres. Il n’y a donc pas de lieux de prédilection pour le parkour ; il s’agit simplement de parcourir la ville à la recherche de nou- velles opportunités.
  • 5. Le geste juste C’est sans doute cela une pensée du mouve- ment. On peut s’attacher au « geste juste ». On est dans ce qu’on fait, dans le mouvement même, il n’y a pas une construction intellectuelle qui mène au geste, mais au contraire, c’est le mouvement qui nous amène à réfléchir à notre manière de vivre d’espace en espace. On pourrait appeler cela une « pensée du corps » ou un « corps pensant » à l’ins- tar d’un art martial. C’est à dire une pensée qui nous permet de relier un « proto mouvement » (ges- tuelle du quotidien) à un « méta mouvement » (mou- vement social). C’est la conscience -à travers cette pratique- d’exprimer cet « état du mouvement » qui, comme une photographie, nous offre un regard sur la société dans un espace- temps donné. Si d’autres pratiques visent la beauté du geste, ou sa conformité selon un mo- dèle donné, il n’est dans le parkour question que de justesse. Cela ne veut pas dire que le mouvement est facile puisqu’il se confronte à la dureté des matériaux, du sol, des murs, des rambardes. Il s’agit d’ap- prendre à les apprivoiser : on les sent, on les caresse, on les effleure, on s’égra- tigne, on se frotte. Aussi, il existe un certain nombre de techniques de base pouvant être mobilisées
  • 6. dans diverses situations, et évitant au traceur que la rencontre avec le mobilier urbain consiste systéma- tiquement en un choc, en une collision. La créativité naît de cette confrontation : pouvoir faire face par l’ingéniosité aux contrariétés de l’architec- ture, aux conditions parfois périlleuses des configu- rations rencontrées. C’est un art de l’adaptation, de l’esquive, du détourne- ment. Au fil des pas et des obstacles, comment trou- ver la (ou les) réponse(s) appropriée(s) au problème auquel on fait face, pro- blème qu’on s’est d’ailleurs soi-même posé -dans le seul but d’en chercher la solution- ? Être créatif, c’est d’abord trouver encore et toujours de nouveaux problèmes à résoudre, et ensuite trou- ver les solutions. Et c’est là que la justesse du geste in- tervient: un geste figé que l’on reproduit à l’identique en toute situation ne sau- rait faire face efficacement à la pluralité des obstacles et configurations qu’on ren- contre. Il nous faut adapter la technique au caractère unique de chaque situa- tion, ajuster le geste. Et pour trouver la réponse appropriée à une situation donnée, c’est davantage d’efficacité qu’il nous faut nous soucier, plutôt que d’esthétique. Car les murs se moquent de la beauté. Aussi joli soit-il, si le geste n’est pas juste, il sera vain. Il n’empêche que certains
  • 7. y voient une dimension esthétique, comme une danse avec les murs ou un ballet avec les barrières. Mais si le geste évoque une dimension esthétique, elle n’est dans le parkour qu’in- cidentielle et en aucun cas intentionnelle. On ne fait pas le geste pour qu’il soit beau, mais pour qu’il soit juste. De notre capacité à mettre le plus parfaitement possible en adéquation nos capacités corporelles avec la configuration par- ticulière à laquelle on a affaire et la technique mobilisée dans ce cadre -de cette justesse trouvée- peut naître l’impression de beau dans les yeux de celui qui observe la scène. Ici, la beauté ne se décrète pas, elle découle de la jus- tesse du geste par rapport à une situation donnée et de la fluidité avec laquelle les mouvements sont com- binés entre eux. L’espace du jeu et le jeu de l’espace Le parkour est donc une invitation à découvrir l’es- pace. C’est ce caractère prospectif du mouvement d’un perpétuel apprentis- sage ludique qui fait de la ville un immense terrain de jeu. La conception techno- cratique de la ville ne cesse de réduire les espaces à des fonctions. Il y a les terrains de jeux où doivent nécessairement jouer les enfants et les bancs pour les vieux qui les regardent. Il y a les voies où l’on doit circuler et les parkings où l’on doit stationner. Les
  • 8. œuvres publiques que l’on doit admirer et les espaces marchands où l’on doit consommer. La déambula- tion détourne très vite tous ces lieux de leur attribu- tion, faisant de la ville tout entière un lieu sans attri- bution, c’est-à-dire une multitude d’endroits où tout devient possible. Alors les enfants -petits ou grands- reprennent soudain le goût de l’exploration libre, ou- bliant de faire ce qu’on leur dit de faire là où on leur dit de le faire. C’est un mode d’appren- tissage jubilatoire qui comporte sa propre régu- lation des risques par une maîtrise d’usage de l’es- pace. Si le mouvement ne connaît pas de direction précise, c’est la confron- tation aux formes qui lui donne sa consistance dans ce dialogue entre le corps et les matériaux. C’est une forme en devenir ou en perpétuelle émer- gence, à chacun de trouver sa forme de mouvement, entre mobilité spatiale, mentale et sociale. L’architecture fluide de la ville Le dialogue avec les formes urbaines dévoile la fluidité de leur architec- ture. C’est exactement le contraire de ce qu’on veut nous faire croire. L’archi- tecture serait constituée de formes rigides, ina- movibles, inatteignables, bref, inhumaines. La ville ne serait pas à nous, mais
  • 9. aux mains de techniciens qui nous disent ce qu’est la ville sans la vivre eux- mêmes. Ce qu’expérimente la déambulation du parkour, c’est exactement le contraire. Elle nous prouve que la ville vit, qu’il existe bien un dialogue avec les matériaux. Certes ils ont une consistance, ils ont une dureté, mais ils ne demandent qu’à se lais- ser travailler. Déjà par le regard : les murs n’appar- tiennent-ils pas à ceux qui les regardent ? C’est alors que les murs ne sont plus des barrières, mais des échanges. Les formes ne séparent pas, elles réu- nissent, elles donnent sens. C’est justement la densité et la diversité des liens que mesure l’intelli- gence sociale. C’est peut- être cela une architecture fluide, quelque chose qui nous rend un peu plus intelligent collectivement et déconstruit les stéréo- types. Par ces interstices, ces rebords, ces anfractuo- sités, c’est un autre rapport aux formes qui est envisa- gé, c’est une autre ville qui se construit. Les nouveaux arpenteurs inventent la ville en la mesurant. Hugues BAZIN bazin@recherche-action.fr Naïm BORNAZ l1consolable@l1consolable.com www.parkour-literally.com Région Parisienne, octobre 2013 www.recherche-action.fr/hugues-bazin