1. Le prestige des idées. Styles de
pensée et
dynamiquesréputationnelles
Gloria Origgi
CNRS – InstitutNicod
ENS – EHESS
origgi@ehess.fr
http://gloriaoriggi.blogspot.com
2. I see the temples of the deaths and the bodies of
Gods. I see the old signifiers.
Walt Whitman, Leaves of Grass, 1856.
C’estça ma tradition, j’enai pas d’autre
J.P. Sartre (1980,dernierentretien, 10 mars)
3. La Réputation:
• La réputationestune opinion favorable
oudéfavorableattachéeàquelq’unouàquelque
chose.
• D’un point de vueépistémologique, elleestune
relation entre un X (agent ou objet),
uneautorité et uneévaluation. L’évaluation par
l’autorité de X influence la réputation de X.
4. L’idée de réputationquej’aidéveloppée
:
Chaque corpus culturel (le vin, la littérature, les
réseaux des citations, les systèmes de
recommendations, les systèmes de notations)
contient des indicateursréputationnels plus
oumoinsfiables qui
cristallisentl’informationsociale et
historiquesurce corpus et
sontutiliséscommeraccourcis (proxies) de
confiance.
5. Réputationexterne vs. réputation
interne
• Réputationexterne:
c’estunepropriétéhistorique: la réputationest
la condensation des actions et transactions
passées.
• Réputation interne: la dynamique qui
mantient le prestige àl’interiéur d’un corpus.
6. Tour de force :
• Appliquermesrefléxionsdans le domaine de la
réputationà la question du prestige des idées.
• Créer un pont entre un débatclassique en
sociologie et philosophie des sciences sur le
“style de pensée” et la notion de prestige
d’une idée.
7. Qu’est-que la réputationd’une idée ?
• Les idéesn’ont pas de manières, ni de
qualitésmorales.
• Ellesn’ont pas de charisme,
mêmesiellespeuventêtreportées par des
autorités qui ont du charisme.
• Par contre, nous attachons un certain prestige
à des idées, qui influence
leurdynamiqueréputationnelle interne,
c’estàdirelleursurviedans des paradigmes de
pensée.
9. Style de pensée
• Oswald Spengler: “Le style occidental”
• Edmund Husserl: “Le style Galiléen : créer des
modèlesabstraits de la réalité physique
auxquels les scientifiquesdonnent plus de
réalitéqu’au monde sensible”
10. Ian Hacking, Language, Truth and
Reason:
Style: what brings in the possibility of truth and falsehood.
1. There are different styles of reasoning. Many of these are discernible in
our own history. They emerge at definite points and have distinct
trajectories of maturation. Some die out, others are still going strong.
2. Propositions of the sort that necessarily require reasoning to be
substantiated, have a positivity, being true or false, only in consequence
of the styles of reasoning in which they occur
3. Hence, many categories of possibility, of what may be true or false, are
contingent upon historical events, namely, the development of a certain
style of reasoning
4. It may then be inferred that there are other categories of possibility that
have emerged in our tradition
5. We cannot reason as to whether alternative systems are better or worse
than ours, because the propositions to which we reason get their sense
only from the method of reasoning employed. The propositions gave no
existence independent of the ways of reasoning towards them.
11. A.C. Crombie, Styles of Scientific
Thinking in the European Tradition
• Histoire “interne” des styles de pensée. Six
styles:
1. Axiomatique
2. Experimental
3. Hypothétique
4. Taxonomique
5. Probabiliste
6. Géneaologique
12. Arnold Davidson, Style of Reasoning, Conceptual
History and the Emergence of Psychiatry
• Trouver un compromis entre la définition de style
de pensée de Hacking et celled’ordre du discours,
oud’episteme de Foucault :
La production du discoursestà la fois controlee,
sélectionnée, organisée et distribuée par un
certain nombre de procedures qui ont pour role
d’en conjurer les pouvoirs et les dangers,
d’enmaîtriserl’événementaléatoire, d’enesquiver
la lourde, la redoubtable matérialité. (L’ordre du
discours : 11)
13. Quelssont les mécanismes de
formation des styles de pensée ?
• Heinrich Wöllflin: Renaissance et Baroque
(1988): polarisation.
14. Ludwik Fleck, Genèse et
développement d’un fait scientifique
• Première publication : 1935.
• Le livrerestelargement inconnu
• Travail indépendant de la sociologie de la
connaissance allemande de l’époque
(Mannheim, Lukacs)
• Etude de cas: la syphilis
16. La formation des idées
• Les mots ne sont pas àl’origine des noms pour les
choses et la connaissance ne repose, au
moinsàl’origine, sisur des
représentationsintellectuellespostérieuresouanté
rieures des phénomènes, nisur la mise en
adéquationd’idées avec de
quelconquesfaitsextérieurs. Les mots et les
idéessontàl’origine des équivalentssonores et
intellectuelsd’expériencesvécues, qui
sontdonnées en mêmes temps quecelles-ci.
Ceciexplique la signification magique des mots et
la signification dogmatique et religieuse des
phrases. (p. 54)
17. Formesstylistiques des
systèmesd’opinions
Unefoisformé, un
systèmed’opinionsparfaitementorganisé et
fermésurlui-même, possédant de
nombreusesparticularités et des nombreuses
relations, perduredans le temps, résistantà
tout ce qui le contredit (p.55)
18. Propriétés du style de pensée
1. Une remise en cause du systèmeapparaît impossible
2. Ce qui ne se conforme pas au systèmereste invisible
ou
3. Est passé sous silence, mêmesicelaestconnu, ou
encore
4. Estdéclaré, au prix d’effortsconsidérables,
commen’étant pas en contradiction avec le système.
5. On voit, décrit et représente des états des choses qui
correspondent aux vuedominantes, c’està dire qu’ils
en sont pour ainsi dire les réalisations – sans que les
droits des opinions opposéessoientpris en
considération (p. 55-56)
19. Définition de style de pensée
• Une perception
dirigéeassociéeàl’assimilationintellectuelle et
factuellecorrespondante de ce qui a
étéainsiperçu.
• Comme tout style, le style de penséerenvoieà la
foisà un étatd’espritparticulier et au travail qui
permet de donner corps àcetétatd’esprit: une
aptitude àressentir de manièresélective et un
autreàagir de manièrecorrespondante et dirigée.
20. Style et collectif de pensée
Commeilappartientàunecommunauté, le style
de penséesubit le renforcement social
caractéristique de toutes structures sociales. Il
devientunecontrainte pour les individus,
ildétermine “ce qui ne peut pas
êtrepenséeautrement”. Des époques
entièresviventalorssous la domination de cette
force contraignanteexercéesur la pensée (p.
173)
21. Foucault :
Certes, si on se place au niveaud’une
proposition, àl’intérieur d’un discours, le
partage entre le vrai et le faux
n’estniarbitraire, ni modifiable,
niinstitutionnel, ni violent. Maissi on se place
àuneautreéchelle, si on pose la question de
savoir quelle a été, quelleestconstamment,
àtraversnosdiscours, cettevolonté de vérité, le
type de partagealorsc’estpeutêtrequelque
chose comme un systèmed’exclusion (OD, p.
16)
22. Un idéologiepartagée:
• A’ l’intérieur d’un style de pensée, d’un
schémaconceptuel, d’uneépistéme, on ne
peutremettre en question la hiérarchie des idées,
l’ordre du discours, car notre perception même de la
réalité en estinfluencée.
• Débatrélativisme/réalisme (Science Wars): seulement
en se positionnant en déhors du style, en en
dévoilantsafonctionextrathéorique nous pouvonsvoir
les forces, les biais et les déterminationsculturelles de
ce style. A’ l’intérieur, le partage entre cequ’onpeut
dire et cequ’on ne peut pas dire estaccepté.
23. Style et réputation
• Est-ilnécessaire de “sortir” du style pour
l’observer?
• Le style des idéesdépend des réseaux de
confiance qui
stabilisentleurréputationdansunecommunauté
.
• Les indicateursréputationnelsque nous
employonssontnégotiables et
engagentnotreresponsabilitéépistémique.
24. Exemple: le style de pensée de la
recherchecontemporaine
• Le partage entre vrai et faux dans le style de la
recherchecontemporaine a un nom: peer-
review.
• L’autoritéquechaquechercheurattacheàcedisp
ositif engage saresponablité et saconnaissance
du dispositif.
• Biaisdans le système, différences entre les
communautésépistémiques, etc..
25. Conclusion:
• Un style de penséeest un
paysageréputationnelauquel on fait confiance
pour des bonnesou des mauvaises raisons. On
peut faire confiance aux
indicateursréputationnels pour des raisons de
conformisme, de comodité, de
déférenceàuneautoritéqu’on ne peut pas
mettre en question, d’attrait.
S’intérrogersurces raisons esttoujours
possible.