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Géoéconomie | Printemps 2010
Élément clé de la stratégie d’une organisation, la marque est aujourd’hui
au centre de toutes les préoccupations. Même les intellectuels, à l’instar du
philosophe Michel Serres  1
, se mettent à réfléchir au sujet. C’est dire si le
propos interpelle et éveille l’intérêt. Quelle que soit l’entreprise, quel que
soit le secteur d’activité, quel que soit le degré de maturité des marchés,
la marque devient un vecteur incontournable sur lequel il faut se pencher
quand on pense le monde économique. Les Business Schools ne coupent
pas à cette exigence marketing.
Dans un contexte en perpétuelle mutation, il leur faut désormais trouver les
moyens de se distinguer pour capter l’adhésion de leur public. Mieux : pour
conforter un avantage compétitif dans un espace concurrentiel fortement
exacerbé. Pas étonnant qu’elles fassent preuve de beaucoup d’efforts pour
1. M. Serres, Le Mal propre. Polluer pour s’approprier ?, Paris, éditions Le Pommier, 2008.
La marque dans les Business
Schools : un enjeu stratégique
Véronique Giardina
Responsable de la communication – ESCEM, École de management.
56
Véronique Giardina
imaginer, développer et protéger leur « capital de marque ». Comme si la
marque était la réponse par excellence pour s’affirmer et inventer une
relation unique avec ses interlocuteurs. La plus célèbre université américaine
a d’ailleurs mis en place un département de communication et de protection
de la marque chargé de « protéger et contrôler la marque Harvard à travers
le monde. […] Entre 500 000 et 1 million de dollars sont dépensés chaque
année pour traquer les violations de marque déposée  2
 ». C’est dire si le sujet
est sensible et essentiel pour l’avenir de l’institution. « Le nom de Harvard
est largement devenu générique », affirme Garrett Nelson, éditorialiste au
Harvard Crimson, le quotidien des étudiants. « Il suffit de regarder sur
Google le nombre d’analogies non autorisées : la Harvard des écoles pour
chiens, des prisons ou des coiffeurs, tous emploient la précieuse marque
pour indiquer qu’ils sont la crème de la crème dans leur discipline  3
 ». Plus
qu’une référence sémantique, la marque est donc devenue une référence
culturelle, symbolisant un univers à part ; une sorte de bulle dans laquelle
se retrouvent celles et ceux qui partagent les mêmes valeurs, qui habitent
les mêmes « mondes sensoriels », selon l’expression de l’anthropologue
américain Edward T. Hall  4
.
Qu’en est-il pour les écoles françaises ? Ont-elles aujourd’hui la possibilité
de se poser, de s’imposer comme marque référentielle ? La marque est-elle
la seule réponse possible à leur besoin – légitime – de se différencier ?
Toutes les écoles peuvent-elles prétendre être des marques ? Peuvent-elles
le devenir un jour ? En quoi le fait d’être (ou de ne pas être) une marque
change-t-il la dimension d’une institution ? Telles sont quelques-unes des
questions que l’on peut se poser.
Les écoles de commerce, les Business Schools, comme on les appelle
désormais, constituent pour la plupart des recruteurs la référence en
matière d’éducation. Nées sous l’impulsion des Chambres de commerce
et d’industrie pour répondre aux besoins des entreprises, elles reposent
sur un business model très différent de celui des universités. C’est
d’ailleurs ce qui constitue leur spécificité, elles sont à la fois business et
schools  5
. Autant dire qu’elles combinent des arguments qui les poussent
dans des directions sinon opposées du moins complémentaires. C’est
sans doute l’une des raisons qui en fait aujourd’hui un modèle unique,
souvent valorisé d’ailleurs comme un modèle d’excellence. Pourtant,
2.  « Les anciens de Harvard affichent la marque », Les Echos, n° 1218, 18 décembre 2007.
3.  Ibid.
4. E. Hall, La Dimension cachée, Paris, Le Seuil, 1971 [1966], p. 15.
5.  Voir à ce titre le livre d’O. Basso, P.-P. Dornier, J.-P. Mounier, Tu seras patron, mon fils,
Paris, Village Mondial, 2004.
57
La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique
loin de pouvoir se reposer sur leurs acquis, les Business Schools doivent
aujourd’hui s’interroger sur leur raison d’être, mais aussi sur leur devenir.
Car si elles continuent de figurer parmi les meilleurs pôles de formation en
France  6
, elles ne doivent pas négliger les mutations du marché en cours :
ouverture du champ de l’éducation à la mondialisation ; importance
croissante des accréditations internationales et, plus globalement, des
labels qualité ; professionnalisation de l’Université mais aussi création de
pôles universitaires de plus en plus structurés ; nécessité de développer
des expertises avec la création de laboratoires de recherche (académiques
et opérationnels) ; obligation de tenir compte des stratégies mises en
place par leur environnement direct ou indirect ; poids de plus en plus
important du réseau des anciens, véritable porte-parole de l’institution
dans les entreprises, à l’instar des anciens de Harvard qui « font eux-
mêmes la promotion de sa qualité tout au long de leur carrière  7
 », etc.
Les Business Schools sont en proie à une vraie réflexion, voire une vraie
(r)évolution. Il ne s’agit plus seulement pour elles de former les managers
de demain. Il s’agit aussi et avant tout de devenir un acteur déterminant
de la sphère économique. Presque un modèle pour comprendre le monde.
« I want Kellogg to be known not just as the best Business School in the
world but also the best Business School for the world  8
 », avait l’habitude
de dire Dipak Jain, Dean, jusqu’en 2009 de la célèbre université de
Kellogg. Une ambition qui pose d’emblée l’institution par rapport à la
place qu’elle occupe dans un espace donné (ici, le monde). Et donc qui
affiche la nécessité pour elle d’exister. C’est-à-dire d’être un tout chargé
de produire à la fois des valeurs et du sens  9
.
L’ouverture des frontières, le décloisonnement des entreprises, l’inter-
culturalité des équipes, l’internationalisation des recrutements, etc. ont
considérablement modifié aussi le champ de la formation et l’on assiste
aujourd’hui à une mondialisation de l’éducation. Fini le temps où l’on
étudiait près de chez soi. Aujourd’hui, on a le choix de partir plus loin dans
le pays ou même de traverser les frontières. De piocher et de comparer. Il
y a donc un vrai défi à relever pour les institutions qui doivent à la fois se
distinguer mais aussi rester dans la course pour continuer à exister. Mais
si la référence à la marque est une topique fréquemment entendue dans les
écoles, toutes n’ont pas, pour autant, les mêmes cartes à jouer.
6.  … En tout cas dans l’imaginaire collectif. Elles font d’ailleurs l’objet de nombreux
classements dans la plupart des grands titres de presse.
7.  « Les anciens d’Harvard affichent la marque », Les Echos, n° 1218, 18 décembre 2007.
8.  Global Focus, janvier 2008, p. 12.
9.  L’auteur parle de « moteur sémiotique » pour parler de la marque. Voir A. Semprini, La
Marque, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1995.
58
Véronique Giardina
La marque, une dimension conceptuelle
Parler de marque n’a pas toujours la même résonnance chez les uns
et chez les autres. Pour certains, la marque renvoie à un nom ; pour
d’autres, elle renvoie à une image, à des valeurs ; pour d’autres encore,
elle symbolise un signe de différenciation d’un produit ou d’un service…
En fait, « la marque est tout cela à la fois. Il n’y a pas de marque sans
produit, sans signes et sans image (représentation collective). La marque
est à la fois la partie et le tout : elle est le signe sur le produit ou service ;
mais elle est aussi la valeur globale évoquée avec des promesses de
satisfaction matérielles et immatérielles », résume Jean-Noël Kapferer  10
.
S’intéresser à la marque, c’est comprendre qu’elle n’est pas un élément
figé, stable, voire intangible, mais qu’elle s’inscrit dans une logique de
flux et de reflux permanents qui fait qu’elle peut installer une relation
interactive et mouvante, donc authentique, avec ses « consommateurs ».
Sa légitimité, « c’est la manière dont [elle] s’inscrit dans la mémoire
collective  11
 », confirme Renaud Degon.
La marque, même si elle résulte d’une multiplicité d’expériences
(voire d’interprétations), peut toutefois être abordée par cinq critères
fondamentaux, déterminants et constants :
— le temps : une marque ne s’installe pas dans l’instantanéité ; elle a
besoin de temps pour faire son chemin. Pour transmettre sa culture, sa
vision du monde, son univers et, finalement, raconter son histoire. Car
toutes les marques (si ce sont des marques et pas seulement des noms
commerciaux) racontent une histoire. La leur. Celle qu’elles ont élaborée,
pas après pas, celle qui fait que ce sont elles et pas une autre ;
— l’espace : une marque s’appréhende dans un environnement donné,
à la fois interne et externe. Sur le plan externe, il s’agit de créer de la
fidélité et de l’attachement chez le consommateur. La marque a-t-elle
la capacité d’éveiller sa curiosité, mais aussi de réveiller son sentiment
d’appartenance à une communauté ? La force de la marque, c’est de figurer
une relation one to one alors qu’elle renvoie à une relation collective.
« La notoriété n’a de valeur que si elle est partagée  12
 », souligne Kapferer.
Et c’est bien là toute l’ambiguïté de la marque : touchant chacun de
nous au cœur de notre intimité, elle nous touche tous au cœur de notre
10.  J.-N. Kapferer, Les Marques à l’épreuve de la pratique, Paris, éditions d’organisations,
2003 (2e
 éd.), p. 15.
11.  R. Degon, La Marque relationnelle, Paris, Éditions Vuibert, 1998, p. 29.
12.  J.-N. Kapferer, Ce qui va changer les marques, Paris, éditions d’organisation, 2002,
p. 144.
59
La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique
extériorité. La notion d’espace renvoie aussi à un marché, un cadre de
concurrence. Enfin, la marque doit aussi se vivre et se penser en interne.
Chaque individu, dans une organisation, a un rôle à jouer : tous, du
vendeur à l’acheteur, de l’assistante au directeur général, du comptable
au directeur des ressources humaines, ont des points de connexion avec
le monde extérieur. Tous sont donc en mesure d’influer sur le devenir
de la marque ;
— la promesse de marque : qu’est-ce qui fait que certaines marques
suscitent l’adhésion et d’autres pas ? Leur aptitude à nous emmener dans
un monde qui nous fascine, nous réjouit ou nous intrigue. Leur faculté
à nous donner une satisfaction immédiate, même si elle est parfois
irrationnelle. Une attirance qui tient parfois à ce « je-ne-sais-quoi »
défini par Vladimir Jankélevitch  13
qui est difficilement descriptible et
exprimable mais qui est bien réel et qui nous pousse à adopter une marque
plutôt qu’une autre. Cela déborde toujours le cadre de considérations
fonctionnelles, techniques et instrumentales du et des produits  14
.
La marque, pour exister, implique donc un « contrat de marque » ou
« promesse de marque » : il faut qu’elle puisse, de manière tacite, évoquer
l’adhésion immédiate et irréfutable du consommateur ;
— le sens : la marque doit donner du sens, apporter un plus, voire
un surplus symbolique qui fait que l’individu, le consommateur, se
sente interpellé, presque « investi » par elle. Elle doit apporter ce que
l’on appelle communément de la « valeur ajoutée ». Autrement dit, un
supplément d’âme, un emballage additionnel qui habille la relation
(qu’elle soit marchande ou non) qu’elle entend entretenir avec ses cibles.
La marque doit donc proposer des manières de voir, de faire mais aussi
de vivre qui entre en résonance avec la personnalité du consommateur.
Le sens de la marque ou l’essence de la marque, c’est sa capacité à
révéler ces valeurs ;
— le(s) signe(s) : pour exister, la marque doit se parer de « signes »
distinctifs qui la rendent identifiable et reconnaissable entre toutes. Ces
signes peuvent être de différentes natures : visuelles, textuelles, sonores,
olfactives et gustatives dans certains cas, tactile dans d’autres. C’est
la combinatoire de ces différents éléments qui contribue à ce qu’on
appelle « l’identité de marque ». C’est-à-dire tout ce qui fait que cette
marque est singulière : le nom (et ce qu’il évoque), le logo, l’emblème,
la manière de dire (le style narratif), la façon de prendre place dans un
environnement donné, etc.
13.  V. Jankélévitch, Le « Je-ne-sais-quoi » et le « Presque-rien ». La manière et l’occasion,
tome I, Paris, Le Seuil, 1980.
14.  Voir G. Lewi, dans A. Semprini, op. cit., 1995, p. 49.
60
Véronique Giardina
La marque appliquée aux Business Schools : une réalité
objective
Des critères mesurables
À partir d’une étude qualitative, réalisée dans le cadre d’une thèse
professionnelle à l’ESSEC  15
, nous avons tenté de comprendre à quoi
renvoie la notion de marque dans les Business Schools mais également
de définir les éléments clés rattachés à ce concept. L’identité (intégrant
l’histoire, le nom mais aussi le territoire), la communauté (et notamment
la communauté des anciens, mais aussi les prescripteurs, les classements),
la façon d’occuper l’espace public (par le biais du directeur général mais
également des professeurs, sur des sujets clés, en gérant au mieux les
relations presse), des valeurs fortes (à travers une promesse de marque
effective, des contenus, une gamme de programmes incluant le plus souvent
le MBA, l’affichage de spécialisations mais aussi la volonté de dépasser le
cadre purement formel des programmes pour donner du sens à la formation
au management, la recherche et l’international), une unité (cohérence des
programmes, cohérence des outils, cohérence interne, place accordée à
la communication), mais aussi l’importance du budget... contribuent à
positionner l’institution en tant que marque… ou pas.
Pour autant, la marque est-elle la seule alternative permettant aux
Business Schools d’exister ? Nous ne pouvons l’affirmer. Aujourd’hui, toutes
les écoles n’ont pas nécessairement développé l’ensemble de ces attributs
ou bien elles ne les ont développés qu’en partie, et continuent pourtant
à revendiquer leur rang dans cet environnement fortement concurrentiel.
Si on les observe, on constate qu’elles ont, au cours de ces deux dernières
décennies, énormément changé. Plus de programmes, plus de moyens, plus
d’ouverture sur l’international, sur l’entreprise et, plus globalement, sur
leur milieu, plus de valeur ajoutée donnée aux contenus pédagogiques,
plus d’échanges avec d’autres filières, d’autres disciplines, plus d’animation
pour faire vivre la communauté des anciens, plus de valorisation de leurs
activités à travers la mise en place de politiques de communication, etc. Les
écoles ont, pour la plupart, modifié leur façon d’être et de s’affirmer dans un
environnement de plus en plus large. Il ne s’agit plus seulement de vendre
15.  Dans le cadre de cette étude-terrain, une quinzaine d’entretiens ont été réalisés avec
des directeurs d’écoles, des directeurs du marketing, des journalistes, le directeur général
de l’EFMD, un directeur d’agence de communication, une directrice d’agence de presse, un
dirigeant d’entreprise et le directeur général délégué enseignement/recherche/formation de
la CCIP.
61
La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique
des produits mais aussi d’apporter un regard nouveau – parfois décalé – sur
l’entreprise. Il ne s’agit plus seulement de compiler des programmes mais
aussi de mener une réflexion sur l’organisation, la stratégie, le management.
De la technique, on est passé au conceptuel. La formation n’est plus seulement
un « bagage » donnant des outils pour pouvoir exercer un métier ; elle
est une ouverture intellectuelle permettant de proposer une autre manière
d’appréhender le monde.
On est très loin, dès lors, des objectifs définis par les Chambres de
commerce lorsqu’elles ont mis en place les écoles de commerce vers la fin
du XIXe
 siècle. Il s’agissait alors de donner aux entreprises des clés pour
faire face à l’industrialisation naissante et pouvoir répondre à des besoins
précis et définis. Aujourd’hui, les temps ont changé ; les entreprises aussi. « La
mondialisation du commerce, des entreprises et des échanges a pour résultat
qu’aucun pays aujourd’hui n’est exclu du jeu. Or, pour rester concurrentiel,
il leur faut non seulement de l’innovation technologique mais aussi des
managers compétents afin d’accompagner cette innovation », affirme Dan
LeClair, vice-président de l’Association to Advance Collegiate Schools of
Business (AACSB)  16�
. La « boîte à outils » ne suffit plus ; il faut s’ouvrir à
d’autres champs disciplinaires, faire appel à d’autres logiques.
On comprend mieux alors pourquoi toutes les écoles cherchent à se
positionner comme marques même si elles ne sont pas toutes au même stade
de développement et de réflexion. Ce constat nous conduit à proposer un
schéma narratif s’articulant autour de quatre temps, plus ou moins longs,
plus ou moins forts, plus ou moins évidents aussi, qui pourraient illustrer
le cheminement potentiel des Business Schools. S’appuyant sur l’histoire,
sur les mutations de nos sociétés, sur l’évolution de nos modes de vie et de
pensée, sur les progrès et les changements du monde économique, etc., ce
schéma nous invite à envisager la marque non pas seulement comme une
fin en soi (être ou ne pas être une marque) mais plutôt comme une étape
transitoire provenant d’un « avant » et menant vers un « après ».
Le schéma narratif : les quatre temps
Le temps de la Marchandise
À leur naissance, les Business Schools n’avaient d’autres finalités que
de favoriser le développement du négoce. En cela, elles portaient d’ailleurs
16.  « Le MBA, un diplôme qui a conquis le monde », Les Echos, n° 20188, 6 juin 2008.
62
Véronique Giardina
bien leur nom. Nul besoin de se cacher derrière des mots, elles affichaient
immédiatement leur vocation : être des écoles de commerce. Généralement
« mono-produit » avec un programme Grande École, ces « entreprises
éducatives » géraient leur fonds pédagogique comme une « marchandise »,
en s’appuyant sur un principe communicationnel de base : la réclame.
Pragmatique, fonctionnelle, la publicité n’avait pas d’autres objectifs que
d’afficher clairement : « ici, on vend ce produit ». Pas de métaphores,
pas de sens caché ; pas même de subjectivité ; la communication des
écoles était brute, directe, facilement préhensible. De la même façon, la
pédagogie reposait sur une démarche simple, concrète : transmettre des
connaissances, donner des bases et des règles élémentaires, presque des
recettes pour appréhender la comptabilité, la finance, le marketing, les
systèmes d’information, les ressources humaines ou encore la logistique.
Venant sans bagage théorique, l’étudiant repartait avec une valise pleine
de formules et de préceptes, lui permettant d’acquérir des méthodes pour
se lancer à l’assaut d’un métier. Compartimentés, les cours pouvaient
s’enchaîner l’un après l’autre dans une espèce de mécanique permettant
de faire tourner la machine économique.
L’institution n’avait d’autres ambitions que de fournir les outils
fondamentaux pour former des cadres opérationnels et pragmatiques.
Chacune d’entre elles se délimitait à un espace géographique donné, presque
normé, s’appuyant le plus souvent sur des villes, quels que soient leur taille
et leur statut (ESC Amiens, ESC Lyon, ESC La Rochelle, etc.)
Le temps du Produit
Soumises à un impératif de rentabilité économique, les écoles ont ensuite
élargi leur offre de formations en développant de nouveaux programmes,
notamment à destination des bacheliers (bachelor) et des cadres en activité
(executive education). Dans un espace concurrentiel de plus en plus dense,
elles ont commencé à vouloir afficher leurs atouts, en misant notamment
sur une publicité descriptive, fondée sur des chiffres, sur des faits, sur une
réalité objective. Il s’agissait avant tout de pouvoir affirmer haut et fort qui
elles étaient et ce qu’elles proposaient.
Dans ce contexte, elles se sont mises à offrir une palette de produits, à
diversifier leur recrutement aussi, à la fois d’étudiants et de professeurs. Les
écoles de commerce ont commencé à « décloisonner » leurs programmes, à les
enrichir de nouvelles combinatoires, à articuler différentes disciplines pour
offrir un contenu plus large, moins figé aussi. Les étudiants ont commencé
63
La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique
à pouvoir faire des choix, à « composer un parcours à la carte », à explorer
de nouvelles voies, à vivre des expériences spécifiques, presque sur mesure,
mais aussi plus globalement à s’approprier leur formation dans une espèce
de dynamique enthousiasmante.
Les écoles, certaines plus vite que d’autres, ont commencé à s’interroger
sur leur mission, sur leur rôle et sur leurs ambitions. Certaines ont fait évoluer
leur nom, sortant peu à peu du cadre normé des sémantiques habituelles,
allant parfois jusqu’à s’affranchir des frontières géographiques permettant
de les localiser (Audencia par exemple).
Le temps de la Marque
Depuis une dizaine d’années, les écoles de commerce ont peu à peu délaissé
cette notion originelle de « commerce » pour faire place à une notion plus noble,
le « management ». Comme s’il fallait cesser de penser l’entreprise à travers un
magma de « silos fonctionnels  17�
 » (le marketing, la finance, etc.) mais plutôt
essayer de la voir à travers un prisme de « polarités multidirectionnelles »,
permettant de s’interroger sur la réalité et la finalité de l’économie.
Les écoles, peu à peu, se sont ouvertes à d’autres champs disciplinaires,
mêlant des enseignements de gestion à des cours de culture générale,
de sciences politiques, d’histoire, de droit, de psychologie, d’éthique, de
sémiologie ou encore de développement durable ou de développement
personnel, dans une espèce de dialectique ouverte et constructive. Il ne
s’agit plus seulement d’apporter aux étudiants des contenus mais aussi
de réveiller leur envie de s’interroger, de réfléchir autrement que par des
schémas normatifs pour pouvoir faire face aux réalités de notre monde en
mutation. La pédagogie évolue également, s’inspirant du réel et des cas
d’entreprises. « Le business case est un outil formidable. Nous ne sommes pas
là pour former les meilleurs comptables ou les champions du marketing mais
les meilleurs généralistes, explique Nancy Koehn, historienne et professeur
à Harvard Business School depuis 1991  18
 ». Le temps de la marque, c’est
aussi celui de l’émotion par opposition à celui de la raison qui caractérise le
temps du produit. Les écoles, avec plus ou moins de réussite, aspirent à autre
chose qu’à être des producteurs de programmes ; elles misent aujourd’hui
sur des valeurs.
17.  Terme utilisé par T. Durand, S. Dameron, The Future of Business Schools, Scenarios and
Strategies for 2020, Houndmills, UK, New York, Palgrave Macmillan Edition, 2007.
18.  D. Barroux, « Harvard : le “business” à bonne école », Les Echos, n° 20188, 6 juin
2008.
64
Véronique Giardina
Certaines ont donc franchi le pas d’une communication détachée des
produits : c’est « le sens du management » d’Audencia, « ici, vous verrez
les mondes autrement » d’Euromed, ou encore « bien + que le savoir », la
nouvelle signature de l’ESCEM.
Le temps de la « Religion »
Le terme « religion », dans le contexte des Business Schools, peut paraître
surprenant. Pourtant, à bien y regarder, le vocable n’est pas si décalé…
Parlant de son entreprise, Steeve Jobs, le fondateur d’Apple, avait coutume
d’afficher, de façon presque dogmatique, sa devise : « plus qu’une marque,
une religion ». La marque, ici, rayonne d’une telle force qu’elle est un
« substitut symbolique » selon l’expression de Benoît Heilbrunn  19
, venant
combler un manque, venant alimenter une communauté. En se rassemblant,
les clients (les « fidèles »), les cibles finissent par se ressembler. La marque
déborde donc de sa fonction, elle s’apparente au « concept de “reliance”,
à savoir “ce qui englobe tout ce qui fait communiquer, associe, solidarise,
fraternalise : elle s’oppose à tout ce qui fragmente, disloque, disjoint, brise
toute communication, renferme. La reliance doit être, comme la religion,
ce qui relie […]”  20
 »
Pour les écoles de management, c’est une étape supplémentaire qui dépasse
le seul stade de la marque. La religion, c’est ce qui permet de s’unir, de
se rejoindre dans une sorte de communion vibrante. Rien ne vient ternir
la puissance du réseau qui s’alimente de ses richesses intérieures. Il y a,
à ce stade, quelque chose de l’ordre du sacré qui invite non seulement à
respecter mais aussi à porter la bonne parole tel un messie. La communauté
est active et s’engage dans une espèce de voyage panoramique surplombant
le monde, qui contribue à faire rayonner l’institution au-delà des frontières
et du temps. L’exemple le plus frappant est celui d’Harvard qui parvient
à fédérer un réseau de plus de 90 000 diplômés portant haut et fort les
couleurs de l’école. De Jeff Immelt, le patron de General Electric à Michael
Bloomberg, maire de New York et fondateur de l’agence Bloomberg, en
passant par Jamie Dimon (JP Morgan), Rick Wagoner (General Motors)
ou encore George W. Bush, les anciens investissent tous les champs de
l’économique et du politique, permettant de diffuser aux quatre coins de
la planète l’image de leur école.
19.  A. Semprini, op. cit., 1995.
20.  B. Heilbrunn, op. cit., p. 124-125, citant E. Morin, S. Naïr, Une Politique de la civilisation,
Paris, éditions Arléa, 1997, p. 183.
65
La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique
Autre facteur distinctif dans ce quatrième temps du schéma narratif :
la pédagogie ouvre de nouvelles perspectives, en proposant une critique
du management. Il ne s’agit plus seulement de picorer des bribes de sens
en piochant dans d’autres disciplines ; il s’agit ici de se poser au-dessus
du management, de donner une interprétation nouvelle – méta – de la
lecture de l’entreprise. C’est HEC qui propose par exemple une chaire
d’alter-management ou Harvard qui émet des thèses nouvelles sur les
organisations et notamment les Business Schools. Ainsi en est-il du livre
de Rakesh Khurana, spécialiste du comportement et des organisations et
professeur à Harvard, qui n’hésite pas à remettre en cause les modèles
existants. Et c’est cela qui est spécifique dans ce temps de la religion :
tout est possible, rien n’a de limites. « Notre challenge n’est pas d’attirer
des étudiants du monde entier. Notre challenge est de leur donner un
enseignement valable pour le monde entier  21
 », explique Krishina Palepu,
professeur à Harvard.
21.  Les Echos, n° 20188, 7 juin 2008.
66
Véronique Giardina
Conclusion : la marque, un repère pour trouver sa place
Intimement lié à l’évolution du contexte politique, social, économique,
technologique, dans lequel se trouvent les Business Schools, le schéma
proposé invite à penser différemment la notion de marque. Il n’y a pas,
d’un côté, les écoles qui se contentent de vendre leurs programmes comme
on « vend des petits pois  22
 » et, de l’autre, celles qui misent tout sur leur
mythe en oubliant en chemin leurs produits.
Chaque école, avec son univers, ses forces et ses faiblesses, ses codes et
ses projets, sa culture et ses ressources, s’inscrit dans un espace plus ou
moins contigu de celui de la marque. Le temps de la marque devient donc
un repère capital auquel les Business Schools se réfèrent, leur permettant
de se situer dans un temps et un espace donnés ; une sorte de fil rouge les
éclairant sur le chemin à suivre, les choix à faire. Il n’y a pas de position
légitime ou illégitime ; il n’y a que des positions particulières s’appuyant
sur des histoires singulières.
« Pour pouvoir devenir marque, il faut d’abord faire ses preuves en tant
que produit », insiste Kapferer  23
. Beaucoup d’écoles en France ont dépassé
ce que nous avons appelé « le temps du Produit ». Pour autant, elles ne
sont pas toutes des « marques ». Certains critères – importants  24
 – leur
manquent pour atteindre ce « seuil ». D’autres – très peu – ont dépassé ce
stade et s’enrichissent de toutes les étapes qu’elles ont traversées. En fait,
plus elles sont loin sur le schéma narratif, plus elles débordent le temps de
la marque, et plus elles peuvent se permettre de faire des va-et-vient, de
voyager à travers les strates temporelles de leur histoire. C’est le cas d’HEC
par exemple, qui a fortement investi pour composer un univers unique,
identifiable, auréolé d’espoir et de foi tant il symbolise l’excellence et le
prestige, mais qui ne néglige pas pour autant ses basiques.
Le sujet de la marque dans les Business Schools est complexe et ne se
résume pas à une approche purement communicationnelle. Certaines, en
changeant de noms, peuvent espérer changer de statut  25
. Ce n’est pas
22.  Selon l’expression utilisée par E. Tissier-Desbordes, directrice de marque à l’ESCP Europe,
lors de l’étude.
23.  J.-N. Kapferer, op. cit., 2003, p. 46.
24. Notamment le budget…
25.  Voir la fusion du CERAM et de l’ESC Lille annoncé en juin 2009 et dont le nom, SKEMA
(littéralement « Schools of Knowledge Economy and Management »), a été « révélé » en
novembre 2009.
67
La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique
nécessairement vrai. Il faut, nous l’avons vu, faire appel à d’autres vecteurs
qui touchent d’autres sensibilités.
Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise place. Il y a en revanche de bonnes
ou de mauvaises stratégies. Se penser régionale, nationale ou internationale
ne renvoie pas aux mêmes réalités. Ni aux mêmes prises de risques. Et
encore moins aux mêmes actions. Il faut que les Business Schools soient
cohérentes et lucides non seulement sur ce qu’elles sont aujourd’hui mais
plus encore sur ce qu’elles veulent être demain. C’est là tout l’enjeu des
politiques qu’elles devront/pourront conduire, et la réflexion sur la marque
fait indéniablement partie du jeu.
Résumé
Le modèle éducatif a fortement évolué au cours de ces dernières années. Ouverture du système à
l’international, mise en place de procédures qualité et de « normes académiques », rapprochement
étroit avec le monde de l’entreprise, élaboration de stratégies de développement conférant aux
institutions un statut spécifique, publication récurrente de « classements » jouant un rôle dans la
hiérarchie des écoles, création de pôles universitaires régionaux devenant actifs et susceptibles
de modifier l’espace concurrentiel, recherche constante d’axes d’excellence pouvant servir à
la connaissance, voire à la reconnaissance des entreprises éducatives. Les Business Schools
ont désormais, chacune individuellement, et par-delà l’analyse contextuelle pouvant être faite
collectivement, une carte à jouer. La marque est donc un sujet prioritaire pour l’ensemble des
écoles qui savent à présent qu’il leur faut trouver un moyen de se démarquer pour se faire
remarquer. Même si elles n’adoptent pas toutes la même aptitude…
Abstract
The educational model has greatly changed over the last ten years. The system has become more
international with the implementation of quality procedures through “academic standards”,
close corporate relations, the elaboration of development strategies giving institutions a specific
status, publication of frequent “rankings” which inevitably play a role in the hierarchy of
schools, the creation of active regional university centers likely to alter competition, constant
search for lines of excellence allowing educational institutions to be known and recognized.
Business Schools individually and collectively have a card to play. A brand is therefore a priority
subject for all Business Schools that realize that they have to find a way of distinguishing
themselves from the others in order to be noticed even if they do not all have the same capacity
to do so.
35 euros | 736 pages | 978-2-36159-000-0
à paraître le 16 avril 2010
www.choiseul-editions.com
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Giardina

  • 1. Géoéconomie | Printemps 2010 Élément clé de la stratégie d’une organisation, la marque est aujourd’hui au centre de toutes les préoccupations. Même les intellectuels, à l’instar du philosophe Michel Serres  1 , se mettent à réfléchir au sujet. C’est dire si le propos interpelle et éveille l’intérêt. Quelle que soit l’entreprise, quel que soit le secteur d’activité, quel que soit le degré de maturité des marchés, la marque devient un vecteur incontournable sur lequel il faut se pencher quand on pense le monde économique. Les Business Schools ne coupent pas à cette exigence marketing. Dans un contexte en perpétuelle mutation, il leur faut désormais trouver les moyens de se distinguer pour capter l’adhésion de leur public. Mieux : pour conforter un avantage compétitif dans un espace concurrentiel fortement exacerbé. Pas étonnant qu’elles fassent preuve de beaucoup d’efforts pour 1. M. Serres, Le Mal propre. Polluer pour s’approprier ?, Paris, éditions Le Pommier, 2008. La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique Véronique Giardina Responsable de la communication – ESCEM, École de management.
  • 2. 56 Véronique Giardina imaginer, développer et protéger leur « capital de marque ». Comme si la marque était la réponse par excellence pour s’affirmer et inventer une relation unique avec ses interlocuteurs. La plus célèbre université américaine a d’ailleurs mis en place un département de communication et de protection de la marque chargé de « protéger et contrôler la marque Harvard à travers le monde. […] Entre 500 000 et 1 million de dollars sont dépensés chaque année pour traquer les violations de marque déposée  2  ». C’est dire si le sujet est sensible et essentiel pour l’avenir de l’institution. « Le nom de Harvard est largement devenu générique », affirme Garrett Nelson, éditorialiste au Harvard Crimson, le quotidien des étudiants. « Il suffit de regarder sur Google le nombre d’analogies non autorisées : la Harvard des écoles pour chiens, des prisons ou des coiffeurs, tous emploient la précieuse marque pour indiquer qu’ils sont la crème de la crème dans leur discipline  3  ». Plus qu’une référence sémantique, la marque est donc devenue une référence culturelle, symbolisant un univers à part ; une sorte de bulle dans laquelle se retrouvent celles et ceux qui partagent les mêmes valeurs, qui habitent les mêmes « mondes sensoriels », selon l’expression de l’anthropologue américain Edward T. Hall  4 . Qu’en est-il pour les écoles françaises ? Ont-elles aujourd’hui la possibilité de se poser, de s’imposer comme marque référentielle ? La marque est-elle la seule réponse possible à leur besoin – légitime – de se différencier ? Toutes les écoles peuvent-elles prétendre être des marques ? Peuvent-elles le devenir un jour ? En quoi le fait d’être (ou de ne pas être) une marque change-t-il la dimension d’une institution ? Telles sont quelques-unes des questions que l’on peut se poser. Les écoles de commerce, les Business Schools, comme on les appelle désormais, constituent pour la plupart des recruteurs la référence en matière d’éducation. Nées sous l’impulsion des Chambres de commerce et d’industrie pour répondre aux besoins des entreprises, elles reposent sur un business model très différent de celui des universités. C’est d’ailleurs ce qui constitue leur spécificité, elles sont à la fois business et schools  5 . Autant dire qu’elles combinent des arguments qui les poussent dans des directions sinon opposées du moins complémentaires. C’est sans doute l’une des raisons qui en fait aujourd’hui un modèle unique, souvent valorisé d’ailleurs comme un modèle d’excellence. Pourtant, 2.  « Les anciens de Harvard affichent la marque », Les Echos, n° 1218, 18 décembre 2007. 3.  Ibid. 4. E. Hall, La Dimension cachée, Paris, Le Seuil, 1971 [1966], p. 15. 5.  Voir à ce titre le livre d’O. Basso, P.-P. Dornier, J.-P. Mounier, Tu seras patron, mon fils, Paris, Village Mondial, 2004.
  • 3. 57 La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique loin de pouvoir se reposer sur leurs acquis, les Business Schools doivent aujourd’hui s’interroger sur leur raison d’être, mais aussi sur leur devenir. Car si elles continuent de figurer parmi les meilleurs pôles de formation en France  6 , elles ne doivent pas négliger les mutations du marché en cours : ouverture du champ de l’éducation à la mondialisation ; importance croissante des accréditations internationales et, plus globalement, des labels qualité ; professionnalisation de l’Université mais aussi création de pôles universitaires de plus en plus structurés ; nécessité de développer des expertises avec la création de laboratoires de recherche (académiques et opérationnels) ; obligation de tenir compte des stratégies mises en place par leur environnement direct ou indirect ; poids de plus en plus important du réseau des anciens, véritable porte-parole de l’institution dans les entreprises, à l’instar des anciens de Harvard qui « font eux- mêmes la promotion de sa qualité tout au long de leur carrière  7  », etc. Les Business Schools sont en proie à une vraie réflexion, voire une vraie (r)évolution. Il ne s’agit plus seulement pour elles de former les managers de demain. Il s’agit aussi et avant tout de devenir un acteur déterminant de la sphère économique. Presque un modèle pour comprendre le monde. « I want Kellogg to be known not just as the best Business School in the world but also the best Business School for the world  8  », avait l’habitude de dire Dipak Jain, Dean, jusqu’en 2009 de la célèbre université de Kellogg. Une ambition qui pose d’emblée l’institution par rapport à la place qu’elle occupe dans un espace donné (ici, le monde). Et donc qui affiche la nécessité pour elle d’exister. C’est-à-dire d’être un tout chargé de produire à la fois des valeurs et du sens  9 . L’ouverture des frontières, le décloisonnement des entreprises, l’inter- culturalité des équipes, l’internationalisation des recrutements, etc. ont considérablement modifié aussi le champ de la formation et l’on assiste aujourd’hui à une mondialisation de l’éducation. Fini le temps où l’on étudiait près de chez soi. Aujourd’hui, on a le choix de partir plus loin dans le pays ou même de traverser les frontières. De piocher et de comparer. Il y a donc un vrai défi à relever pour les institutions qui doivent à la fois se distinguer mais aussi rester dans la course pour continuer à exister. Mais si la référence à la marque est une topique fréquemment entendue dans les écoles, toutes n’ont pas, pour autant, les mêmes cartes à jouer. 6.  … En tout cas dans l’imaginaire collectif. Elles font d’ailleurs l’objet de nombreux classements dans la plupart des grands titres de presse. 7.  « Les anciens d’Harvard affichent la marque », Les Echos, n° 1218, 18 décembre 2007. 8.  Global Focus, janvier 2008, p. 12. 9.  L’auteur parle de « moteur sémiotique » pour parler de la marque. Voir A. Semprini, La Marque, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1995.
  • 4. 58 Véronique Giardina La marque, une dimension conceptuelle Parler de marque n’a pas toujours la même résonnance chez les uns et chez les autres. Pour certains, la marque renvoie à un nom ; pour d’autres, elle renvoie à une image, à des valeurs ; pour d’autres encore, elle symbolise un signe de différenciation d’un produit ou d’un service… En fait, « la marque est tout cela à la fois. Il n’y a pas de marque sans produit, sans signes et sans image (représentation collective). La marque est à la fois la partie et le tout : elle est le signe sur le produit ou service ; mais elle est aussi la valeur globale évoquée avec des promesses de satisfaction matérielles et immatérielles », résume Jean-Noël Kapferer  10 . S’intéresser à la marque, c’est comprendre qu’elle n’est pas un élément figé, stable, voire intangible, mais qu’elle s’inscrit dans une logique de flux et de reflux permanents qui fait qu’elle peut installer une relation interactive et mouvante, donc authentique, avec ses « consommateurs ». Sa légitimité, « c’est la manière dont [elle] s’inscrit dans la mémoire collective  11  », confirme Renaud Degon. La marque, même si elle résulte d’une multiplicité d’expériences (voire d’interprétations), peut toutefois être abordée par cinq critères fondamentaux, déterminants et constants : — le temps : une marque ne s’installe pas dans l’instantanéité ; elle a besoin de temps pour faire son chemin. Pour transmettre sa culture, sa vision du monde, son univers et, finalement, raconter son histoire. Car toutes les marques (si ce sont des marques et pas seulement des noms commerciaux) racontent une histoire. La leur. Celle qu’elles ont élaborée, pas après pas, celle qui fait que ce sont elles et pas une autre ; — l’espace : une marque s’appréhende dans un environnement donné, à la fois interne et externe. Sur le plan externe, il s’agit de créer de la fidélité et de l’attachement chez le consommateur. La marque a-t-elle la capacité d’éveiller sa curiosité, mais aussi de réveiller son sentiment d’appartenance à une communauté ? La force de la marque, c’est de figurer une relation one to one alors qu’elle renvoie à une relation collective. « La notoriété n’a de valeur que si elle est partagée  12  », souligne Kapferer. Et c’est bien là toute l’ambiguïté de la marque : touchant chacun de nous au cœur de notre intimité, elle nous touche tous au cœur de notre 10.  J.-N. Kapferer, Les Marques à l’épreuve de la pratique, Paris, éditions d’organisations, 2003 (2e  éd.), p. 15. 11.  R. Degon, La Marque relationnelle, Paris, Éditions Vuibert, 1998, p. 29. 12.  J.-N. Kapferer, Ce qui va changer les marques, Paris, éditions d’organisation, 2002, p. 144.
  • 5. 59 La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique extériorité. La notion d’espace renvoie aussi à un marché, un cadre de concurrence. Enfin, la marque doit aussi se vivre et se penser en interne. Chaque individu, dans une organisation, a un rôle à jouer : tous, du vendeur à l’acheteur, de l’assistante au directeur général, du comptable au directeur des ressources humaines, ont des points de connexion avec le monde extérieur. Tous sont donc en mesure d’influer sur le devenir de la marque ; — la promesse de marque : qu’est-ce qui fait que certaines marques suscitent l’adhésion et d’autres pas ? Leur aptitude à nous emmener dans un monde qui nous fascine, nous réjouit ou nous intrigue. Leur faculté à nous donner une satisfaction immédiate, même si elle est parfois irrationnelle. Une attirance qui tient parfois à ce « je-ne-sais-quoi » défini par Vladimir Jankélevitch  13 qui est difficilement descriptible et exprimable mais qui est bien réel et qui nous pousse à adopter une marque plutôt qu’une autre. Cela déborde toujours le cadre de considérations fonctionnelles, techniques et instrumentales du et des produits  14 . La marque, pour exister, implique donc un « contrat de marque » ou « promesse de marque » : il faut qu’elle puisse, de manière tacite, évoquer l’adhésion immédiate et irréfutable du consommateur ; — le sens : la marque doit donner du sens, apporter un plus, voire un surplus symbolique qui fait que l’individu, le consommateur, se sente interpellé, presque « investi » par elle. Elle doit apporter ce que l’on appelle communément de la « valeur ajoutée ». Autrement dit, un supplément d’âme, un emballage additionnel qui habille la relation (qu’elle soit marchande ou non) qu’elle entend entretenir avec ses cibles. La marque doit donc proposer des manières de voir, de faire mais aussi de vivre qui entre en résonance avec la personnalité du consommateur. Le sens de la marque ou l’essence de la marque, c’est sa capacité à révéler ces valeurs ; — le(s) signe(s) : pour exister, la marque doit se parer de « signes » distinctifs qui la rendent identifiable et reconnaissable entre toutes. Ces signes peuvent être de différentes natures : visuelles, textuelles, sonores, olfactives et gustatives dans certains cas, tactile dans d’autres. C’est la combinatoire de ces différents éléments qui contribue à ce qu’on appelle « l’identité de marque ». C’est-à-dire tout ce qui fait que cette marque est singulière : le nom (et ce qu’il évoque), le logo, l’emblème, la manière de dire (le style narratif), la façon de prendre place dans un environnement donné, etc. 13.  V. Jankélévitch, Le « Je-ne-sais-quoi » et le « Presque-rien ». La manière et l’occasion, tome I, Paris, Le Seuil, 1980. 14.  Voir G. Lewi, dans A. Semprini, op. cit., 1995, p. 49.
  • 6. 60 Véronique Giardina La marque appliquée aux Business Schools : une réalité objective Des critères mesurables À partir d’une étude qualitative, réalisée dans le cadre d’une thèse professionnelle à l’ESSEC  15 , nous avons tenté de comprendre à quoi renvoie la notion de marque dans les Business Schools mais également de définir les éléments clés rattachés à ce concept. L’identité (intégrant l’histoire, le nom mais aussi le territoire), la communauté (et notamment la communauté des anciens, mais aussi les prescripteurs, les classements), la façon d’occuper l’espace public (par le biais du directeur général mais également des professeurs, sur des sujets clés, en gérant au mieux les relations presse), des valeurs fortes (à travers une promesse de marque effective, des contenus, une gamme de programmes incluant le plus souvent le MBA, l’affichage de spécialisations mais aussi la volonté de dépasser le cadre purement formel des programmes pour donner du sens à la formation au management, la recherche et l’international), une unité (cohérence des programmes, cohérence des outils, cohérence interne, place accordée à la communication), mais aussi l’importance du budget... contribuent à positionner l’institution en tant que marque… ou pas. Pour autant, la marque est-elle la seule alternative permettant aux Business Schools d’exister ? Nous ne pouvons l’affirmer. Aujourd’hui, toutes les écoles n’ont pas nécessairement développé l’ensemble de ces attributs ou bien elles ne les ont développés qu’en partie, et continuent pourtant à revendiquer leur rang dans cet environnement fortement concurrentiel. Si on les observe, on constate qu’elles ont, au cours de ces deux dernières décennies, énormément changé. Plus de programmes, plus de moyens, plus d’ouverture sur l’international, sur l’entreprise et, plus globalement, sur leur milieu, plus de valeur ajoutée donnée aux contenus pédagogiques, plus d’échanges avec d’autres filières, d’autres disciplines, plus d’animation pour faire vivre la communauté des anciens, plus de valorisation de leurs activités à travers la mise en place de politiques de communication, etc. Les écoles ont, pour la plupart, modifié leur façon d’être et de s’affirmer dans un environnement de plus en plus large. Il ne s’agit plus seulement de vendre 15.  Dans le cadre de cette étude-terrain, une quinzaine d’entretiens ont été réalisés avec des directeurs d’écoles, des directeurs du marketing, des journalistes, le directeur général de l’EFMD, un directeur d’agence de communication, une directrice d’agence de presse, un dirigeant d’entreprise et le directeur général délégué enseignement/recherche/formation de la CCIP.
  • 7. 61 La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique des produits mais aussi d’apporter un regard nouveau – parfois décalé – sur l’entreprise. Il ne s’agit plus seulement de compiler des programmes mais aussi de mener une réflexion sur l’organisation, la stratégie, le management. De la technique, on est passé au conceptuel. La formation n’est plus seulement un « bagage » donnant des outils pour pouvoir exercer un métier ; elle est une ouverture intellectuelle permettant de proposer une autre manière d’appréhender le monde. On est très loin, dès lors, des objectifs définis par les Chambres de commerce lorsqu’elles ont mis en place les écoles de commerce vers la fin du XIXe  siècle. Il s’agissait alors de donner aux entreprises des clés pour faire face à l’industrialisation naissante et pouvoir répondre à des besoins précis et définis. Aujourd’hui, les temps ont changé ; les entreprises aussi. « La mondialisation du commerce, des entreprises et des échanges a pour résultat qu’aucun pays aujourd’hui n’est exclu du jeu. Or, pour rester concurrentiel, il leur faut non seulement de l’innovation technologique mais aussi des managers compétents afin d’accompagner cette innovation », affirme Dan LeClair, vice-président de l’Association to Advance Collegiate Schools of Business (AACSB)  16� . La « boîte à outils » ne suffit plus ; il faut s’ouvrir à d’autres champs disciplinaires, faire appel à d’autres logiques. On comprend mieux alors pourquoi toutes les écoles cherchent à se positionner comme marques même si elles ne sont pas toutes au même stade de développement et de réflexion. Ce constat nous conduit à proposer un schéma narratif s’articulant autour de quatre temps, plus ou moins longs, plus ou moins forts, plus ou moins évidents aussi, qui pourraient illustrer le cheminement potentiel des Business Schools. S’appuyant sur l’histoire, sur les mutations de nos sociétés, sur l’évolution de nos modes de vie et de pensée, sur les progrès et les changements du monde économique, etc., ce schéma nous invite à envisager la marque non pas seulement comme une fin en soi (être ou ne pas être une marque) mais plutôt comme une étape transitoire provenant d’un « avant » et menant vers un « après ». Le schéma narratif : les quatre temps Le temps de la Marchandise À leur naissance, les Business Schools n’avaient d’autres finalités que de favoriser le développement du négoce. En cela, elles portaient d’ailleurs 16.  « Le MBA, un diplôme qui a conquis le monde », Les Echos, n° 20188, 6 juin 2008.
  • 8. 62 Véronique Giardina bien leur nom. Nul besoin de se cacher derrière des mots, elles affichaient immédiatement leur vocation : être des écoles de commerce. Généralement « mono-produit » avec un programme Grande École, ces « entreprises éducatives » géraient leur fonds pédagogique comme une « marchandise », en s’appuyant sur un principe communicationnel de base : la réclame. Pragmatique, fonctionnelle, la publicité n’avait pas d’autres objectifs que d’afficher clairement : « ici, on vend ce produit ». Pas de métaphores, pas de sens caché ; pas même de subjectivité ; la communication des écoles était brute, directe, facilement préhensible. De la même façon, la pédagogie reposait sur une démarche simple, concrète : transmettre des connaissances, donner des bases et des règles élémentaires, presque des recettes pour appréhender la comptabilité, la finance, le marketing, les systèmes d’information, les ressources humaines ou encore la logistique. Venant sans bagage théorique, l’étudiant repartait avec une valise pleine de formules et de préceptes, lui permettant d’acquérir des méthodes pour se lancer à l’assaut d’un métier. Compartimentés, les cours pouvaient s’enchaîner l’un après l’autre dans une espèce de mécanique permettant de faire tourner la machine économique. L’institution n’avait d’autres ambitions que de fournir les outils fondamentaux pour former des cadres opérationnels et pragmatiques. Chacune d’entre elles se délimitait à un espace géographique donné, presque normé, s’appuyant le plus souvent sur des villes, quels que soient leur taille et leur statut (ESC Amiens, ESC Lyon, ESC La Rochelle, etc.) Le temps du Produit Soumises à un impératif de rentabilité économique, les écoles ont ensuite élargi leur offre de formations en développant de nouveaux programmes, notamment à destination des bacheliers (bachelor) et des cadres en activité (executive education). Dans un espace concurrentiel de plus en plus dense, elles ont commencé à vouloir afficher leurs atouts, en misant notamment sur une publicité descriptive, fondée sur des chiffres, sur des faits, sur une réalité objective. Il s’agissait avant tout de pouvoir affirmer haut et fort qui elles étaient et ce qu’elles proposaient. Dans ce contexte, elles se sont mises à offrir une palette de produits, à diversifier leur recrutement aussi, à la fois d’étudiants et de professeurs. Les écoles de commerce ont commencé à « décloisonner » leurs programmes, à les enrichir de nouvelles combinatoires, à articuler différentes disciplines pour offrir un contenu plus large, moins figé aussi. Les étudiants ont commencé
  • 9. 63 La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique à pouvoir faire des choix, à « composer un parcours à la carte », à explorer de nouvelles voies, à vivre des expériences spécifiques, presque sur mesure, mais aussi plus globalement à s’approprier leur formation dans une espèce de dynamique enthousiasmante. Les écoles, certaines plus vite que d’autres, ont commencé à s’interroger sur leur mission, sur leur rôle et sur leurs ambitions. Certaines ont fait évoluer leur nom, sortant peu à peu du cadre normé des sémantiques habituelles, allant parfois jusqu’à s’affranchir des frontières géographiques permettant de les localiser (Audencia par exemple). Le temps de la Marque Depuis une dizaine d’années, les écoles de commerce ont peu à peu délaissé cette notion originelle de « commerce » pour faire place à une notion plus noble, le « management ». Comme s’il fallait cesser de penser l’entreprise à travers un magma de « silos fonctionnels  17�  » (le marketing, la finance, etc.) mais plutôt essayer de la voir à travers un prisme de « polarités multidirectionnelles », permettant de s’interroger sur la réalité et la finalité de l’économie. Les écoles, peu à peu, se sont ouvertes à d’autres champs disciplinaires, mêlant des enseignements de gestion à des cours de culture générale, de sciences politiques, d’histoire, de droit, de psychologie, d’éthique, de sémiologie ou encore de développement durable ou de développement personnel, dans une espèce de dialectique ouverte et constructive. Il ne s’agit plus seulement d’apporter aux étudiants des contenus mais aussi de réveiller leur envie de s’interroger, de réfléchir autrement que par des schémas normatifs pour pouvoir faire face aux réalités de notre monde en mutation. La pédagogie évolue également, s’inspirant du réel et des cas d’entreprises. « Le business case est un outil formidable. Nous ne sommes pas là pour former les meilleurs comptables ou les champions du marketing mais les meilleurs généralistes, explique Nancy Koehn, historienne et professeur à Harvard Business School depuis 1991  18  ». Le temps de la marque, c’est aussi celui de l’émotion par opposition à celui de la raison qui caractérise le temps du produit. Les écoles, avec plus ou moins de réussite, aspirent à autre chose qu’à être des producteurs de programmes ; elles misent aujourd’hui sur des valeurs. 17.  Terme utilisé par T. Durand, S. Dameron, The Future of Business Schools, Scenarios and Strategies for 2020, Houndmills, UK, New York, Palgrave Macmillan Edition, 2007. 18.  D. Barroux, « Harvard : le “business” à bonne école », Les Echos, n° 20188, 6 juin 2008.
  • 10. 64 Véronique Giardina Certaines ont donc franchi le pas d’une communication détachée des produits : c’est « le sens du management » d’Audencia, « ici, vous verrez les mondes autrement » d’Euromed, ou encore « bien + que le savoir », la nouvelle signature de l’ESCEM. Le temps de la « Religion » Le terme « religion », dans le contexte des Business Schools, peut paraître surprenant. Pourtant, à bien y regarder, le vocable n’est pas si décalé… Parlant de son entreprise, Steeve Jobs, le fondateur d’Apple, avait coutume d’afficher, de façon presque dogmatique, sa devise : « plus qu’une marque, une religion ». La marque, ici, rayonne d’une telle force qu’elle est un « substitut symbolique » selon l’expression de Benoît Heilbrunn  19 , venant combler un manque, venant alimenter une communauté. En se rassemblant, les clients (les « fidèles »), les cibles finissent par se ressembler. La marque déborde donc de sa fonction, elle s’apparente au « concept de “reliance”, à savoir “ce qui englobe tout ce qui fait communiquer, associe, solidarise, fraternalise : elle s’oppose à tout ce qui fragmente, disloque, disjoint, brise toute communication, renferme. La reliance doit être, comme la religion, ce qui relie […]”  20  » Pour les écoles de management, c’est une étape supplémentaire qui dépasse le seul stade de la marque. La religion, c’est ce qui permet de s’unir, de se rejoindre dans une sorte de communion vibrante. Rien ne vient ternir la puissance du réseau qui s’alimente de ses richesses intérieures. Il y a, à ce stade, quelque chose de l’ordre du sacré qui invite non seulement à respecter mais aussi à porter la bonne parole tel un messie. La communauté est active et s’engage dans une espèce de voyage panoramique surplombant le monde, qui contribue à faire rayonner l’institution au-delà des frontières et du temps. L’exemple le plus frappant est celui d’Harvard qui parvient à fédérer un réseau de plus de 90 000 diplômés portant haut et fort les couleurs de l’école. De Jeff Immelt, le patron de General Electric à Michael Bloomberg, maire de New York et fondateur de l’agence Bloomberg, en passant par Jamie Dimon (JP Morgan), Rick Wagoner (General Motors) ou encore George W. Bush, les anciens investissent tous les champs de l’économique et du politique, permettant de diffuser aux quatre coins de la planète l’image de leur école. 19.  A. Semprini, op. cit., 1995. 20.  B. Heilbrunn, op. cit., p. 124-125, citant E. Morin, S. Naïr, Une Politique de la civilisation, Paris, éditions Arléa, 1997, p. 183.
  • 11. 65 La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique Autre facteur distinctif dans ce quatrième temps du schéma narratif : la pédagogie ouvre de nouvelles perspectives, en proposant une critique du management. Il ne s’agit plus seulement de picorer des bribes de sens en piochant dans d’autres disciplines ; il s’agit ici de se poser au-dessus du management, de donner une interprétation nouvelle – méta – de la lecture de l’entreprise. C’est HEC qui propose par exemple une chaire d’alter-management ou Harvard qui émet des thèses nouvelles sur les organisations et notamment les Business Schools. Ainsi en est-il du livre de Rakesh Khurana, spécialiste du comportement et des organisations et professeur à Harvard, qui n’hésite pas à remettre en cause les modèles existants. Et c’est cela qui est spécifique dans ce temps de la religion : tout est possible, rien n’a de limites. « Notre challenge n’est pas d’attirer des étudiants du monde entier. Notre challenge est de leur donner un enseignement valable pour le monde entier  21  », explique Krishina Palepu, professeur à Harvard. 21.  Les Echos, n° 20188, 7 juin 2008.
  • 12. 66 Véronique Giardina Conclusion : la marque, un repère pour trouver sa place Intimement lié à l’évolution du contexte politique, social, économique, technologique, dans lequel se trouvent les Business Schools, le schéma proposé invite à penser différemment la notion de marque. Il n’y a pas, d’un côté, les écoles qui se contentent de vendre leurs programmes comme on « vend des petits pois  22  » et, de l’autre, celles qui misent tout sur leur mythe en oubliant en chemin leurs produits. Chaque école, avec son univers, ses forces et ses faiblesses, ses codes et ses projets, sa culture et ses ressources, s’inscrit dans un espace plus ou moins contigu de celui de la marque. Le temps de la marque devient donc un repère capital auquel les Business Schools se réfèrent, leur permettant de se situer dans un temps et un espace donnés ; une sorte de fil rouge les éclairant sur le chemin à suivre, les choix à faire. Il n’y a pas de position légitime ou illégitime ; il n’y a que des positions particulières s’appuyant sur des histoires singulières. « Pour pouvoir devenir marque, il faut d’abord faire ses preuves en tant que produit », insiste Kapferer  23 . Beaucoup d’écoles en France ont dépassé ce que nous avons appelé « le temps du Produit ». Pour autant, elles ne sont pas toutes des « marques ». Certains critères – importants  24  – leur manquent pour atteindre ce « seuil ». D’autres – très peu – ont dépassé ce stade et s’enrichissent de toutes les étapes qu’elles ont traversées. En fait, plus elles sont loin sur le schéma narratif, plus elles débordent le temps de la marque, et plus elles peuvent se permettre de faire des va-et-vient, de voyager à travers les strates temporelles de leur histoire. C’est le cas d’HEC par exemple, qui a fortement investi pour composer un univers unique, identifiable, auréolé d’espoir et de foi tant il symbolise l’excellence et le prestige, mais qui ne néglige pas pour autant ses basiques. Le sujet de la marque dans les Business Schools est complexe et ne se résume pas à une approche purement communicationnelle. Certaines, en changeant de noms, peuvent espérer changer de statut  25 . Ce n’est pas 22.  Selon l’expression utilisée par E. Tissier-Desbordes, directrice de marque à l’ESCP Europe, lors de l’étude. 23.  J.-N. Kapferer, op. cit., 2003, p. 46. 24. Notamment le budget… 25.  Voir la fusion du CERAM et de l’ESC Lille annoncé en juin 2009 et dont le nom, SKEMA (littéralement « Schools of Knowledge Economy and Management »), a été « révélé » en novembre 2009.
  • 13. 67 La marque dans les Business Schools : un enjeu stratégique nécessairement vrai. Il faut, nous l’avons vu, faire appel à d’autres vecteurs qui touchent d’autres sensibilités. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise place. Il y a en revanche de bonnes ou de mauvaises stratégies. Se penser régionale, nationale ou internationale ne renvoie pas aux mêmes réalités. Ni aux mêmes prises de risques. Et encore moins aux mêmes actions. Il faut que les Business Schools soient cohérentes et lucides non seulement sur ce qu’elles sont aujourd’hui mais plus encore sur ce qu’elles veulent être demain. C’est là tout l’enjeu des politiques qu’elles devront/pourront conduire, et la réflexion sur la marque fait indéniablement partie du jeu. Résumé Le modèle éducatif a fortement évolué au cours de ces dernières années. Ouverture du système à l’international, mise en place de procédures qualité et de « normes académiques », rapprochement étroit avec le monde de l’entreprise, élaboration de stratégies de développement conférant aux institutions un statut spécifique, publication récurrente de « classements » jouant un rôle dans la hiérarchie des écoles, création de pôles universitaires régionaux devenant actifs et susceptibles de modifier l’espace concurrentiel, recherche constante d’axes d’excellence pouvant servir à la connaissance, voire à la reconnaissance des entreprises éducatives. Les Business Schools ont désormais, chacune individuellement, et par-delà l’analyse contextuelle pouvant être faite collectivement, une carte à jouer. La marque est donc un sujet prioritaire pour l’ensemble des écoles qui savent à présent qu’il leur faut trouver un moyen de se démarquer pour se faire remarquer. Même si elles n’adoptent pas toutes la même aptitude… Abstract The educational model has greatly changed over the last ten years. The system has become more international with the implementation of quality procedures through “academic standards”, close corporate relations, the elaboration of development strategies giving institutions a specific status, publication of frequent “rankings” which inevitably play a role in the hierarchy of schools, the creation of active regional university centers likely to alter competition, constant search for lines of excellence allowing educational institutions to be known and recognized. Business Schools individually and collectively have a card to play. A brand is therefore a priority subject for all Business Schools that realize that they have to find a way of distinguishing themselves from the others in order to be noticed even if they do not all have the same capacity to do so.
  • 14. 35 euros | 736 pages | 978-2-36159-000-0 à paraître le 16 avril 2010 www.choiseul-editions.com Choiseul éditions