La civilisation médiévale n'érige pas en domaines séparés les vivants et les morts; Ils restent en communion. Le grand historien Martin Aurell en présente les notions essentielles.
Les vivants et les morts dans la civilisation médiévale Martin Aurell
1. Les
vivants
et
les
morts
dans
la
civilisa0on
médiévale
Mar0n
Aurell
Université
de
Poi0ers
-‐
CESCM
2. Dis0nc0on
floue
entre
les
vivants
et
les
morts:
un
tableau
pré-‐raphaëlite;
la
con0nuité
du
thème
Avalon;
les
fées
aimantes;
le
Graal
et
l’ange
«
chré0en
»
James
Archer,
La
Mort
d’Arthur,
huile
sur
bois,
1860.
43,2
x
50,9
cm
Manchester
City
Galleries.
3. Le
débat
de
la
survie
d’Arthur
au
XIIe
s.
• Geoffroi
de
Monmouth,
clerc
d’Oxford,
en
la0n:
– Histoire
des
rois
de
Bretagne
(1136-‐1137)
:
Prophé0e
de
Merlin
:
exitus
ejus
dubius
erit,
§112
;
à
la
bataille
de
Camlan,
«
Arthur
est
blessé
à
mort
et
porté
sur
l’île
d’Avalon
pour
y
être
guéri
»,
§178.
Son
épée
Caliburn
avait
été
forgée
au
même
endroit,
§147.
– Vie
de
Merlin
(1149-‐1151)
:
l’île
aux
Pommes
ou
île
Fortunée
que
neuf
sœurs
gouvernent.
L’aînée,
Morgane
examine
aden0vement
sa
plaie
et
lui
promet,
grâce
à
ses
herbes,
la
guérison,
pourvu
qu’il
reste
longtemps
sur
l’île
et
qu’il
accepte
ses
remèdes.
•
Le
Normand
Wace,
Roman
de
Brut
(1155),
en
français
:
«
Arthur
est
encore
à
Avalon,
mais
les
Bretons
l’adendent,
comme
ils
le
disent
et
ils
le
croient
;
il
en
reviendra
et
il
pourra
encore
vivre.
»
• L’Anglo-‐Saxon
Guillaume
de
Newburgh
(1136-‐1198),
Histoire
des
affaires
anglaises
:
D’après
Geoffroi,
Arthur
survit,
«
n’osant
pas
le
dire
mort
par
peur
de
ces
“brutes
de
Bretons”
[Isidore
de
Séville]
qui
adendent
toujours
son
retour
».
4. • Probléma0que
du
colloque:
«
Le
rapport
au
vivant
n’est
pas
dénué
de
toute
dimension
imaginaire
et
mythique.
»
Y
compris
de
nos
jours:
«
santé
parfaite
»,
«
homme
bionique
»
à
la
longévité
infinie…
• Le
Moyen
Âge,
d’autres
formes
de
percevoir
le
vivant
(et
le
mort).
Peu
d’empirisme
(fausse
accusa0on
portée
contre
Frédéric
II).
Reprise
d’une
culture
orale
et
d’une
tradi0on
écrite.
– «
Pensée
sauvage
»
de
Claude
Lévi-‐Strauss
≠
«
Mentalité
primi0ve
»
de
Lucien
Lévy-‐Bruhl
• Nostalgie?
Non
pas,
même
si
certaines
dérives
de
la
science
du
vivant
de
nos
sociétés
«
hypertechnicisées
»
ont
de
quoi
inquiéter.
5. «
Histoires
»,
thème
du
colloque
• Le
pourquoi
de
la
méthode
historique
– «
L’historien
sert
à
poser
des
problèmes
»,
Carlo
Ginzburg.
– «
Seule
la
théorie
décide
de
ce
qui
doit
être
observé
»,
Albert
Einstein
• Histoire(s)
[History≠story]
et
récit
– «
On
peut
dire
que
la
fic0on
est
quasi-‐historique,
tout
autant
que
l’histoire
est
quasi-‐fic0ve.
L’histoire
est
quasi-‐
fic0ve
dès
lors
que
la
quasi-‐présence
des
événements
placés
“sous
les
yeux”
du
lecteur
par
un
récit
animé
supplée,
par
son
intui0vité,
sa
vivacité,
au
caractère
élusif
de
la
passéité
du
passé,
venant
raconter
les
événements
comme
s’ils
s’étaient
produits
ainsi.
»,
Paul
Ricœur
6. Sources
d’inspira0on
• Dede
envers
l’école
de
J.
Le
Goff
(1924-‐2014,
in
memoriam)
à
l’EHESS:
ses
propres
travaux
sur
le
Purgatoire,
J.-‐C.
Schmid
et
revenants,
J.
Baschet
sur
la
dualité
âme-‐corps.
• Vaste
bibliographie
arthurienne.
7. • Plan
à
l’envers
(du
moins
pour
la
première
par0e,
en
termes
de
«
progrès
»),
mais
les
défini0ons
et
nos
représenta0ons
contemporaines
viendront
ainsi
en
premier
pour
la
clarté
de
l’exposé.
Trois
formes
de
savoir:
– Théologie,
philosophie:
notre
percep0on
moderne,
même
«
cartésienne
»,
en
est
condi0onnée.
– Mythe:
vieux
fond
païen,
préchré0en
– Légende:
réinterpréta0on
chré0enne,
jusqu’à
nos
jours.
9. Connaissance
de
type
«
savant
»
– En
la0n,
langue
cléricale
d’une
civilisa0on
pres0gieuse
perdue;
de
la
Vulgate
et
de
la
liturgie
aussi
–
Pensée
écrite
ou
prêchée
(parole
en
posi0on
d’autorité)
– Commentaire
de
la
Bible,
livre
révélé
– Ou0ls
intellectuels
d’une
certaine
argumenta0on
(fondée
sur
l’œuvre
logique
d’Aristote,
traduite
par
Boèce).
10. Vie
=
auto-‐mo:on
=
anima:on
Des
concepts
familiers,
usuels
dans
la
philosophie
occidentale
• Anima,
«
âme
»;
mort,
sépara0on
de
l’âme
et
du
corps.
• Trois
sortes
d’âmes
ou
les
trois
niveaux
du
vivant:
– Âme
végéta0ve:
croître,
grandir,
se
reproduire.
– Âme
sensi0ve:
sen0r,
se
déplacer.
– Âme
ra0onnelle:
intelligence
et
volonté.
• Dans
l’aristotélisme,
qui
s’impose
au
XIIIe
s.,
l’âme
de
l’homme
englobe
les
trois
autres
en
une
seule.
La
connaissance
n’est
plus
celle
du
souvenir
platonicien,
mais
elle
commence
par
l’âme
sensi0ve.
Dans
la
scolas0que
la0ne
(≠
averroïsme),
l’âme
est
individuelle.
11. Exégèse
médiévale
d’un
texte
fondateur:
Gn
2,7
Dieu
insuffle
l’âme
(enfant)
à
Adam:
«
Yahweh
Dieu
forma
l'homme
de
la
poussière
du
sol,
et
il
souffla
dans
ses
narines
un
souffle
de
vie,
et
l'homme
devint
un
être
vivant.
»
Mosaïque
de
la
Basilique
de
Saint-‐
Marc
de
Venise
(XIIIe
siècle)
12. La
descrip0on
«
poé0que
»
ou
«
métaphorique»
d’Hildegarde
de
Bingen
—
Inspira0on
d’en
haut;
mise
en
forme
masculine
(tablede
de
cire
≠
version
sur
parchemin)
Livre
des
Œuvres
divines.
Biblioteca
statale,
Lucca
(Toscane),
ms
1942,
fol
1v.
13. «
Le
vent
vivant
qu’est
l’âme
entre
dans
l’embryon
[...],
le
for0fie
et
se
répand
en
toutes
ses
par0es,
comme
un
ver
qui
0sse
sa
soie
:
il
s’y
installe
et
s’y
enferme
comme
dans
une
maison.
[...]
Il
emplit
de
son
souffle
tout
cet
assemblage,
de
même
qu’une
maison
tout
en0ère
est
illuminée
par
le
feu
qu’on
y
fait
[...]
;
l’âme
garde
la
chair,
grâce
au
flux
du
sang,
dans
une
humidité
permanente,
de
même
que
les
aliments,
grâce
au
feu,
cuisent
dans
la
marmite
;
elle
for0fie
les
os
et
les
fixe
dans
les
chairs,
de
façon
que
ces
chairs
ne
s’effondrent
pas
:
tout
comme
un
homme
bâ0t
sa
maison
avec
du
bois
pour
qu’elle
ne
soit
pas
détruite
».
Hildegarde
de
Bingen,
Les
causes
et
les
remèdes,
trad.
P.
Monat,
Paris,
Millon,
1997,
p.
81-‐82.
14. La
représenta0on
ternaire
(contre
les
dualismes
manichéens)
• «
Esprit,
âme,
corps
»,
I
Thes
5,
23.
Supériorité
de
l’esprit
sur
l’âme:
«
C'est
pourquoi
il
est
écrit:
Le
premier
homme,
Adam,
devint
une
âme
vivante.
Le
dernier
Adam
est
devenu
un
esprit
vivifiant.
»,
1
Cor,
15,
45.
• Trilogie
reprise
par
Augus0n
d’Hippone
(354-‐430),
mais
encore
au
XIIe
siècle
par
Hugues
de
Saint-‐Victor.
– L’âme
(anima,
ψυχή=
Nephesh, ַׁשֶפֶּנ)
«
anime
»
le
corps
des
animaux
et
des
hommes.
– L’esprit
(spiritus,
πνεῦμα),
appar0ent
à
l’homme
seul
qui
peut
s’élever
par
lui
à
Dieu:
«
l’homme
spirituel
est
plus
haut
que
l’homme
psychique
»
(I
Cor
15,
40-‐50).
– Le
corps
15. Anima0on
et
hylémoprhisme:
deux
coprincipes
«
Certains
ont
lu
dans
ce
texte
(Gn
2,
7)
que
le
corps
de
l’homme
avait
été
formé
d’abord,
et
qu’ensuite,
à
ce
corps
déjà
formé,
Dieu
avait
infusé
une
âme.
Mais
c’eût
été
contraire
à
la
perfec0on
de
la
créa0on
ini0ale
des
choses,
si
Dieu
avait
fait
soit
le
corps
sans
l’âme,
soit
l’âme
sans
le
corps,
puisque
l’un
et
l’autre
sont
une
par0e
de
la
nature
humaine.
Et
cela
est
encore
plus
inexact
pour
le
corps,
qui
dépend
de
l’âme,
que
pour
l’âme
elle-‐même.
Aussi,
pour
exclure
cede
interpréta0on,
certains
ont-‐ils
soutenu
que
lorsque
le
texte
dit
:
“Dieu
modela
l’homme”,
il
faut
entendre
la
produc0on
du
corps
et
de
l’âme
tout
ensemble
[...].
Ainsi
donc,
par
“haleine
de
vie”
il
faut
entendre
l’âme
;
et
les
paroles
;
“il
insuffla
sur
sa
face
une
haleine
de
vie”
sont
comme
une
explica0on
de
ce
qui
précède,
car
l’âme
est
la
forme
du
corps
»,
Thomas
d’Aquin,
Somme
théologique,
I,
91,
4.
16. Créa:onisme
Les
parents,
la
Trinité
et
l’infusion
de
l’âme
lors
de
la
concep0on
de
l’enfant
(Paris,
Bibliothèque
de
l’Arsenal,
ms.
5206,
fol.
174,
vers
1490).
Triomphe
sur
la
préexistence
de
l’âme
(dans
le
plérôme)
ou
sur
le
traducianisme
(âme
dans
la
semence
des
parents).
Augus0n
admet
les
trois
thèses.
17. La
mort
L’âme
sort
du
corps
(Leyde,
Bibliothèque
Universitaire,
BPL
74,
fol.
92,
Pèlerinage
de
l’âme,
c.
1400-‐1410).
—
La
mort,
le
diable
et
l’ange
autour
d’elle.
18. Âme
au
paradis
L’âme
sainte
de
Thomas
d’Aquin
élevée
jusqu’au
ciel
par
saint
Pierre
et
saint
Paul
(fresques
de
l’église
Santa
Maria
in
Piano
à
Loreto
Apru0no,
Abruzzes,
vers
1420).
Images
extraites
de
J.
Baschet,
«
Âme
et
corps
dans
l’Occident
médiéval
:
une
dualité
dynamique,
entre
pluralité
et
dualisme
»,
Archives
de
sciences
sociales
des
religions,
2000.
19. «
Entrelacer
corps
et
âme
»
J.
Baschet
La
résurrec0on
de
la
chair
au
jugement
final
(Bourges)
20. Conclusions
• Une
philosophie
élaborée
autour
de
la
dualité
et
de
la
complémentarité
âme
et
corps.
L’âme
supérieure
apporte
la
vie:
créée,
semi-‐éternelle.
• La
mort
comme
sépara0on;
le
jugement
par0culier
(de
l’âme)
et
le
jugement
final
(du
corps
et
de
l’âme).
• Enfer,
purgatoire
(de
plus
en
plus
mis
en
avant
et
«
spacialisé
»,
J.
Le
Goff),
ciel.
• Pas
de
place
au
monde
pour
l’âme
en
peine
ou
pour
le
mort-‐vivant?
C’est
aussi
complexe
et
débadu
que
la
survie
d’Arthur
à
Avalon.
21. Mythe
Le
mort
en
double
du
vivant
et
cohabitant
avec
lui
22. Savoir
«
archétypal
»,
une
religion
naturelle,
première
• Un
récit
offert
en
sacrifice
aux
dieux
pour
leur
rappeler
leurs
exploits
et
obtenir
leurs
faveurs:
– la
survie
d’Arth
(«
ours
»),
gwr
(«
homme
»)
et
les
cultes
d’ursidés,
liés
à
la
fin
de
l’hiberna0on
et
au
retour
du
printemps.
• Registre
non
pas
tant
de
l’argumenta0on
ou
de
la
logique,
mais
de
la
narra0on,
des
«
histoires
»
sur
les
vivants
et
les
morts.
• Un
système
cohérent
de
croyances
qui
se
perpétue
au
Moyen
Âge
depuis
l’An0quité:
dans
les
marges
du
chris0anisme
de
plus
en
plus
diffusé.
23. Le
paganisme
romain
• Proximité
des
défunts
– Lares:
divinités
domes0ques
d’origine
étrusque:
ancêtres
déifiés
protégeant
le
foyer.
– Lémures:
âmes
damnées
ayant
connu
une
fin
tragique;
elles
hantent
les
vivants.
• L’Au-‐delà
des
morts
– Les
Enfers
avec
leurs
champs
Elysées
«
mollement
»
paradisiaques;
la
catabase
très
interpolée
de
l’Odyssée,
et
celle
de
l’Énéide.
25. La
survie
corporelle
du
guerrier
germanique
ou
de
son
double
quasi-‐physique
(draugar
)
≠
dualité
âme-‐corps
chré:enne
• Asmund
se
fait
descendre
dans
la
tombe
de
son
ami
Aswid,
qui
revient
toutes
les
nuits
à
la
vie.
Il
a
dévoré
son
cheval
et
son
chien
et
il
adaque
Asmund,
mangeant
son
oreille.
Asmund
se
résout
à
lui
trancher
la
tête
et
à
lui
planter
un
pieu
dans
le
corps
pour
l’immobiliser.
– Saxo
Gramma0cus
(1149-‐1216),
Geste
des
Danois,
éd.
Holder,
p.
162.
26. Le
tombeau
de
Childéric
Ier
(457-‐481)
à
Tournai,
découvert
en
1653
Les
300
abeilles
ou
cigales
du
manteau:
métamorphose
et
immortalité
31. Retour
à
Avalon:
Immrama,
«
naviga0on
»
• L’Autre
Monde
cel0que,
pays
de
cocagne
situé
au-‐delà
des
mers,
qu’habitent
des
fées
aux
pouvoirs
étendus
et
des
âmes
à
l’éternelle
jeunesse,
suscep0bles
de
revenir
parmi
les
mortels,
avec
lesquels
ils
n’ont
jamais
cessé
de
communiquer.
On
y
trouve:
– Le
pommier
(aval,
apple)
nourrit
à
jamais
et
de
donner
même
l’immortalité
– Le
forgeron,
fabriquant
les
armes
des
dieux
– Le
chaudron
d’immoralité
– Des
prisonniers
(âmes
à
libérer;
à
faire
revenir
au
monde
des
vivants;
la
mauvaise
fée
qui
les
re0ent)
32. Bu'n
de
l’Autre
Monde:
Preideu
Annwfyn
Arthur
navigue
sur
Prydwenn
pour
prendre
le
chaudron
d’abondance,
dans
une
forteresse,
carrée
et
en
verre,
où
Gwair
est
emprisonné.
Enigme
par
le
por0er
et
lude
avec
6000
guerriers.
Refrain:
«
Ils
par0rent
sur
trois
bateaux,
mais
seulement
sept
survivants
revinrent.
»
60
vers,
moyen
gallois,
Livre
de
Taliesin
(Aberystwyth,
NLW,
Peniarth
MS
2,
1300-‐1350)
33. Le
registre
de
l’inquisiteur
Jacques
Fournier
à
Montaillou
(1294-‐1324)
34. Persistance
des
croyances
païennes
– Les
armiers:
Arnaud
Gélis,
domes0que
d’un
chanoine,
qui
rencontre
les
défunts
qui
lui
demandent
des
messes;
une
défunte
le
charge
de
réconcilier
sa
fille
et
son
gendre…
Chris0anisa0on.
– Omniprésence
des
morts
qu’on
heurte
si
on
étend
trop
brusquement
les
jambes
ou
les
pieds
en
marchant.
– Errance
des
revenants
proches
des
vivants,
propre
au
«
folklore
horizontal
»
selon
Emmanuel
Le
Roy
Ladurie,
par
opposi0on
à
la
«
ver0calité
»
de
la
théologie.
35. Survie
du
chamanisme?
• Une
cousine
d’Arnaud
Gélis
part
régulièrement
trois
ou
quatre
jours
chez
les
morts
et
en
revient
adristée
• Modèle
chamanique
du
voyage
astral
de
Carlo
Ginzburg
et
BenandanP
du
Frioul
au
XVIe
siècle,
qui
ludent
contre
les
sorciers
dans
leur
sommeil
=
sabbat
des
sorcières.
Grande
chasse
de
l’époque
moderne.
36. Conclusions
• Sur
le
plan
théorique,
incompa0bilité
avec
la
théologie
chré0enne
(dualité
du
mort-‐vivant
et
• Pourtant,
no0on
de
«
Mythème
»
du
structuralisme:
des
éléments
per0nents
d’un
système
cohérent,
signifiant,
qui
perdent
sens
séparés
de
celui-‐ci.
• Des
«
mythèmes
»,
séparés,
ayant
perdu
leur
sens,
du
moins
par0ellement,
mais
qui
survivent.
38. A
la
confluence
de
la
théologie
la0ne
et
du
mythe
oral,
païen
• Différence
:
«
Les
païens
prient
les
morts;
les
chré0ens
prient
pour
les
morts
»,
Salomon
Reinach.
• Le
savoir
de
la
légende:
un
amalgame.
– Oralité
et
récit
en
vernaculaire
– Ecriture
en
la0n
pour
être
lu:
le
gérondif
legenda
• Aussi
bien
«
merveille
»
(mirabilia
et
défi
naturel
de
l’ordre
du
monde)
que
«
miracle
»,
voulu
par
Dieu.
39. La
«
normalisa0on
»
ou
le
rejet
des
morts
sauf
martyrs
et
saints
• As-‐tu
mangé
des
idolothytes
[viandes
offertes
aux
idoles],
c’est-‐à-‐dire
les
offrandes
qui
sont
faites
en
certains
lieux
près
des
sépultures
des
morts,
ou
près
des
sources,
des
arbres,
des
pierres
ou
aux
croisées
des
chemins;
as-‐tu
amoncelé
des
pierres,
ou
placé
des
rubans
de
coiffure
auprès
des
croix
érigées
à
la
croisée
des
chemins?
«
As-‐tu
fait
ou
as-‐tu
consen0
à
ces
vanités
que
des
femmes
stupides
ont
l’habitude
de
faire:
pendant
que
le
cadavre
d’un
homme
mort
se
trouve
encore
à
la
maison,
elles
courent
chercher
de
l’eau;
elles
apportent
en
silence
un
récipient
d’eau
et
au
moment
où
l’on
soulève
le
cadavre,
elles
répandent
l’eau
sous
le
brancard;
et
pendant
que
l’on
porte
le
défunt
hors
de
la
maison,
elles
observent
à
ce
qu’on
ne
le
soulève
pas
plus
haut
que
la
hauteur
des
genoux;
et
elles
font
ceci
pour
une
guérison?
»,
Burchard
de
Worms,
PénitenPel,
c.
1000
40. Le
retour
d’un
damné
vénéré
par
erreur,
d’après
Sulpice
Sévère
(c.
397)
«
L’évêque
Mar0n
de
Tours
s’y
rendit,
et,
se
tenant
sur
le
sépulcre.
Il
pria
le
Seigneur
de
lui
faire
connaître
quel
homme
avait
été
enterré
dans
ce
lieu,
et
quels
pouvaient
être
ses
mérites.
Alors
il
voit
se
dresser
à
sa
gauche
un
spectre
affreux
et
terrible.
Mar0n
lui
ordonne
de
déclarer
qui
il
est
et
quels
sont
ses
mérites
devant
le
Seigneur
:
le
spectre
se
nomme,
avoue
ses
crimes,
dit
qu’il
est
un
voleur,
mis
à
mort
pour
ses
forfaits
et
honoré
par
une
erreur
populaire
;
qu’il
n’a
rien
de
commun
avec
les
martyrs,
qui
sont
dans
la
gloire,
tandis
qu’il
est
dans
les
tourments.
Ceux
qui
étaient
présents
entendirent
cede
voix
étrange
sans
voir
personne.
»
On
détruit
son
autel.
—
«
Image
du
corps
»
selon
Augus0n
d’Hippone,
«
ombre
»
ou
«
spectre
»
selon
Sulpice.
Pas
l’âme
à
proprement
parler,
mais
son
reflet
voulu
par
Dieu.
41. • Nécromancie
=>
Nigromancie.
Saül,
Samuel
et
sorcière
d’Endor
(I
Rois
28)
:
diabolisa0on.
ü Bible
historiale
de
Guyart
des
Moulins,
Morgan
Library,
ms
394,
f.
82v
(1400-‐1425)
42. Mais
souplesse:
pas
toujours
de
«
diabolisa0on
»
:
Samuel
en
spectre
ou
«
fantôme
»:
le
drap
blanc
(suaire)
qui
deviendra
transparence
spectrale
jusqu’aux
représenta0ons
contemporaines.
Kayserchronik,
1375-‐1380,
Morgan
Library
43. La
Mesnie
Hellequin
(Heer,
«
armée
»,
Thing,
«
assemblée
»)
selon
Orderic
Vital
(1075-‐1142)
• Vision
de
Walchelin,
prêtre
de
Bonneval,
la
nuit
du
1er
janvier
1091
[sols0ce,
crépuscule,
mais
état
de
veille
du
passeur
ou
médiateur].
• L’armée
d’âmes
damnées,
marchant
selon
le
schéma
des
trois
ordres
(péchés
professionnels,
sermones
ad
status).
• Impossibilité
de
descendre
de
cheval,
dont
les
selles
sont
atrocement
brûlantes
et
d’autres
tourments.
[Cheval
et
cauchemar].
• Demandes
de
suffrages.
44. La
condamna0on
du
tournoi
par
l’exemplum
«
Cede
même
année
1223,
un
prêtre
d’Hesbaye,
qui
voyageait
la
nuit
d’un
village
à
un
autre,
a
vu,
au
crépuscule,
dans
un
champ
près
du
château
du
comte
de
Looz,
un
immense
tournoi
de
morts
qui
appelaient
fortement
:
«
Sire
Gau0er
de
Milene,
Sire
Gau0er
de
Milene
!
»
Ce
Gau0er,
renommé
en
chevalerie,
venait
à
peine
de
mourir.
Le
prêtre
ayant
compris
que
ces
morts
avaient
par0cipé
aux
foires
détestables
de
chevaliers,
il
se
protégea
en
traçant
un
cercle
autour
de
lui.
La
vision
cessait,
puis
revenait,
et
il
fit
de
même,
souffrant
jusqu’à
l’aube.
Ces
deux
visions
m’ont
été
racontés
par
Wigier,
moine
de
Villiers.
»
Césaire
de
Heisterbach
(1180-‐1240),
Dialogue
autour
des
miracles,
XII,
17.
– Nundinæ
execrabiles,
repris
de
la
condamna0on
du
concile
de
Clermont
de
1130
selon
le
Digeste
de
Gra0en.
– La
vision
précédente
parle
d’un
tournoi
de
démons
au
lieu
où
un
autre
chevalier
a
été
tué.
– Le
cercle
iden0que
dans
le
procès
de
Gilles
de
Rais
(1440).
45. Le
tournoi
du
Perlesvaus
(l.
5071-‐5088),
roman
arthurien
«
chré0en
»
Des
âmes
en
peine
de
ceux
qui
ont
été
tués
au
combat
sans
avoir
pu
se
repen0r.
Elles
prennent
l’apparence
de
guerriers
noirs
qui
se
badent
entre
eux
avec
leurs
glaives
en
flammes.
Elles
se
trouvent
aux
alentours
de
l’Aître
Périlleux
où,
en
raison
de
sa
bénédic0on
par
saint
André,
elles
ne
pourront
jamais
pénétrer
afin
de
s’y
reposer.
La
mort
violente
leur
a
ainsi
fermé
les
portes
du
paradis.
48. Arthur
à
Otrante:
diabolique
ou
chris0que?
• Nain
venu
des
profondeurs
de
la
terre?
• Âme
damnée
de
la
chevauchée
fantas0que,
de
la
Mesnie
Hellequin?
• Christ
ludant
contre
le
diable,
le
Chapalu?
49. Même
ambiguïté
à
la
cathédrale
de
Modène
(Emilie):
archivolte
du
portail
de
la
Pescheria
(1100-‐1150)
53. Vie
de
saint
Gildas
(ca.
1130)
par
Caradog,
moine
gallois
de
Llancarfan
Il
la
rédige
au
service
du
monastère
anglais
de
Glastonbury
(Somerset,
sud-‐
ouest
de
l’Angleterre),
qui
veut
a“rer
des
pèlerins.
54. Gildas
de
Rhuys
en
pacificateur
• Caradog
raconte
l’histoire
du
rapt
de
Gwenhwyfar
par
Melwas,
roi
du
Somerset,
qui
l’amène
à
Glastonbury
(dont
il
dit
l’étymologie:
«
Ville
de
verre
»).
Glastonbury
protégé
par
les
rivières
et
les
marécages.
• Arthur
l’assiège
et
Gildas
et
l’abbé
s’interposent
et
parviennent
à
imposer
un
accord
aux
belligérants
(Guenièvre
remise
à
Arthur).
55. Une
histoire
«
païenne
»
• Gwenhwyfar
(«
Blanche
fée
»)
séquestrée
par
Melwas
en
vers
cymriques
(tradi0on
orale?)
• Significa0on
proche
de
l’Immrama
(eau,
verre).
–
Une
catabase?
Le
mari
qui
récupère
sa
femme
des
profondeurs
de
la
terre
(Orphée
et
Eurycide).
– Un
mythe
des
origines
sur
les
saisons,
le
retour
de
la
reverdie
après
que
la
végéta0on
a
été
anéan0e
par
une
divinité
maléfique,
hivernale,
de
l’Autre-‐
Monde
56. La
tombe
d’Arthur
à
Glastonbury
• Elle
est
«
inventé
»,
au
sens
médiéval
du
terme,
en
1191
(un
monastère
coutumier
du
fait:
même
reliques
de
Patrick)
– Fin
de
l’«
espoir
breton
»,
gênant
théologiquement
pour
le
clergé.
57. L’intérêt
poli0que
des
rois
angevins
d’Angleterre
• «
Les
Gallois
se
sont
bien
vengés.
Ils
ont
massacré
beaucoup
de
nos
Français.
Ils
ont
pris
quelques-‐uns
de
nos
châteaux.
C’est
avec
fierté
qu’ils
nous
ont
menacés.
Ils
disent
partout
ouvertement
qu’à
la
fin
ils
posséderont
tout.
C’est
grâce
à
Arthur
qu’ils
reprendront
tout
le
territoire
et
qu’ils
l’appelleront
Bretagne
à
nouveau.
»
– DescripPon
d’Angleterre
(vers
1140)
58. Avatars
courtoises
de
l’histoire:
les
amours
consen0es
de
Guenièvre
pour
Lancelot
Le
premier
baiser
(Lancelot
du
Lac,
Ms
Fr
118),
1400-‐1415
59. Le
Pont
de
l’épée
Lancelot
le
traverse
pour
libérer
Guenièvre
et
les
autres
cap0fs
de
Maleageant
(Melwas).
BNF,
fr
115,
f.
367v
Ses
plaies
aux
mains
et
aux
pieds
et
aux
genoux
sont
pansées
par
l’onguent
des
trois
Maries,
Chré0en
de
Troyes,
Les
Chevalier
de
la
charree,
v.
3112.
60. Le
Pont
de
l’épée
et
la
prédica0on:
la
mort
de
la
martyre
• Sermon
du
XIIIe
siècle
sur
le
martyre
de
sainte
Agnès:
«
Ce
fut
Agnès
qui
traversa
le
Pont
de
l’Epée
avec
Lancelot
du
Lac
»,
cité
par
Zink,
La
PrédicaPon…,
p.
378.
Sculpture
de
l’église
Saint-‐Pierre
de
Caen,
XIIIe
s.
61. Conclusions
• Les
mul0ples
u0lisa0ons
d’une
histoire
entre
le
paganisme,
la
courtoisie
et
le
chris0anisme
– Le
rapt
de
la
fée
blanche
libérée
par
la
catabase
de
l’homme
ours:
un
mythe
de
l’éternel
retour
de
la
végéta0on
au
printemps.
– L’histoire
est
associée
aux
guerres
pour
les
femmes,
détentrices
de
la
souveraineté,
et
à
leur
rapt
chez
les
celtes
à
tendance
matrilinéaire.
– L’histoire
«
courtoise
»,
autour
de
la
fin’amour
de
Lancelot
et
Guenièvre
– L’exemplum
chré0en
de
la
martyre
Agnès
mourant
pour
sa
foi
et
pour
le
salut
des
âmes.
62. Conclusion
générale
• Je
n’oserais
pas
m’aventurer
dans
l’analyse
sociologique
du
succès
des
morts
vivants
dans
la
fic0on
actuelle.
• Les
avatars
de
la
Mesnie
Hellequin
=>
Armée
des
morts
de
Tolkien
64. Ra0onalité
contemporaine?
• Un
polard
récent
où
l’assassin
profite
de
la
crédulité
générale
de
son
village
en
la
Mesnie
Hellequin
pour
sévir.
65. Plaidoyer
pro
domo
au
terme
d’un
parcours
broyant
les
fron:ères
entre
le
vivant
et
le
mort
• Quand
ils
écoutent
une
histoire,
la
plupart
des
médiévaux
savent
parfaitement
faire
la
différence
entre
– Le
contrat
référen0el
de
l’historien
au
sens
posi0viste
du
terme
– Le
contrat
fic0onnel
du
conteur
ou
romancier
66. Ne
tut
mençunge,
ne
tut
veir,
Tut
folie
ne
tut
saveir
• «
Je
vous
parle
d’une
longue
période
de
paix
:
je
ne
sais
pas
si
vous
en
avez
entendu
parler.
C’est
là
que
furent
prouvées
les
merveilles
et
trouvées
les
aventures,
si
souvent
racontées
d’Arthur,
qu’elles
ont
été
tournées
en
fables
:
tout
n’est
ni
mensonge,
ni
vérité,
ni
folie,
ni
savoir.
Les
narrateurs
les
ont
tellement
racontées
et
les
conteurs
en
ont
fait
tant
des
fables
pour
embellir
les
contes,
que
tout
semble
désormais
de
la
fable.
»
– Wace,
Roman
de
Brut.
67. • Les
médiévaux
savent
faire
la
différence
entre
le
vivant
et
le
mort,
entre
l’Histoire
(history)
et
les
histoires
(histories).
• Veulent-‐ils
l’accepter?
Ils
considèrent
assurément
qu’une
ra0onalité
excessive
appauvrit
la
percep0on
du
réel,
qui
con0ent
toujours
une
part
insaisissable
de
mystère.