Ce catalogue est publié par la Fondation Clément à l’occasion de l’exposition Véyé Lavi’w ! de Robert Charlotte a l’Habitation Clément du 9 novembre u 16 décembre 2012.
2. Je remercie chaleureusement toutes ces personnes
qui animent les pitts et qui m’ont révélé cette Martinique
précieuse que chacun devrait prendre le temps d’apprécier.
Robert Charlotte
Maurice Delivry dit Gros-Maurice,
ancien propriétaire de pitt, meneur de séance,
Le Lamentin, 2010
3.
4. Combats de coqs en Martinique :
entre tradition et exigence de modernité
L’article 521.1 alinéa 7 de la loi Grammont autorise
la pratique des combats de coqs dans les départements
d’Outre-mer et le Nord de la France pour peu
qu’« une tradition ininterrompue puisse être établie ».
Depuis de nombreuses années, la direction des Services
Vétérinaires a entamé une action auprès des propriétaires
et éleveurs de coqs afin de les sensibiliser à la nécessité
de maintenir dans les pitts un niveau d’hygiène élevé
ainsi qu’à la systématisation de la vaccination et de
l’identification des coqs de combats. Malgré certaines
améliorations architecturales et sanitaires, les contrôles
conjoints menés par la DSV et la commission de
sécurité de la préfecture, les avis émis restent toujours
défavorables. En 2009, les services vétérinaires se sont
associés à la direction régionales des Affaires Culturelles,
DAC de la Martinique dans une démarche de diagnostic
patrimonial pour la sauvegarde des pitts de la Martinique. La 1re phase – un inventaire complet (description
architecturale, fréquentation, intérêt historique…) des
structures encore exploitées – a montré qu’il existe
20 pitts du Nord au Sud de l’île – dont 15 proposent des
combats de novembre à septembre – et révélé l’urgence
d’agir contre leur déclin : la Martinique a perdu en 60 ans
De gauche à droite : plus de 130 de ses gallodromes !
Alex & Lambert Raimone, Marc-André Meyeur,
propriétaires du pitt Médecin, Rivière-Salée, 2011 •
Fardin & Raphaëlle Jeanne, propriétaires du pitt La Nau,
Saint-Esprit, 2011 • Joseph & Marie-Michèle Desmontils,
propriétaires du pitt Desmontils, Morne-Vent, Ducos, 2011
5. Lors de la 2e phase, les propriétaires de 5 pitts retenus
se sont interrogés sur l’avenir de leur établissement et ont
produit des projets de développement socio-économique
destinés à pérenniser et à diversifier leur activité.
En 2010, la DAC a missionné un cabinet d’architecture
pour la réalisation d’un projet modèle pour d’éventuelles
reconstructions de pitts ; elle a aussi commandé
un reportage photographique à Robert Charlotte
(ContreJourStudio) sur le pitt et ses acteurs ainsi qu’une
recherche documentaire (archives, presse, fonds privés…)
en partie disponible sur le portail de la Banque numérique
des patrimoines martiniquais (BNPM).
3e phase : le comité de pilotage « Pitts de Martinique » est
né au mois de juillet 2011 sous l’égide du conseil régional ;
il fédère tous les partenaires économiques et touristiques
– communautés de communes, mairies, DAF, DAC, DSV…
– concernés par le maintien et l’évolution de la tradition
des combats de coqs comme objet patrimonial à forte
valeur touristique.
Le combat de coqs, activité ancienne mais réalité vivace
en Martinique, qui a jusqu’alors perduré dans « l’ombre »,
dans l’informel, voit son avenir désormais mieux défini.
M. M.
6.
7. Un perpétuel réajustement guidé par la connaissance
obtenue grâce à l’observation fine de ces combattants
complète le programme d’entrainement. Du repos
aux déjections, chaque étape du métabolisme est
minutieusement contrôlée afin d’élever les coqs
au rang de champion !
L’acheteur, parfois lui-même soigneur, pose un regard
éclairé sur les coqs. Lui aussi observe, scrute, analyse
et sélectionne après de longues minutes le coq qui
mireil l e mondésir selon lui, est un champion. L’achat d’un coq de combat
Ethnologue ne peut s’effectuer à distance sans contact visuel avec
le prétendant au transfert. L’œil, la confiance dans
la qualité du regard de certains acheteurs est gage de
Doubout’ ! Fè taw-la ! Gadé kok-la ! Ouvè zié’w ! qualité pour celui qui commande. La renommée de tel
Coqs à l’œil vif ! Regards francs, complices, fuyants, ou tel autre acheteur est subordonnée à sa capacité
malicieux, vifs, pétillants ! Observer, scruter, dévisager, à bien voir, décrypter, déceler ce qui est encore caché :
analyser, contempler. Le combat de coq est affaire de trouver l’étincelle du champion qui sommeille dans
regards, de spécialistes de l’observation. un jeune coq ! Là encore, tout est affaire de « bien voir ».
Très tôt dans les écuries, les jeunes coqs sont
quotidiennement observés avant d’être choisis. Tout
est passé au crible. Plumage, allure générale, qualité
physique, combativité, vitalité, couleur et aspect de
Marie-Thérèse la peau. Rien n’échappe à l’œil expert du soigneur !
Sainte-Rose-Franchine, Certes, l’utilisation de compléments alimentaires
propriétaire du pitt Palmen,
Saint-Esprit, 2011 est devenue la norme, mais ils ne remplacent pas
la précision de l’œil humain. Sans cela, aucun de
à droite : Amicale folklorique de ces compléments ne trouveraient leur pleine utilité.
Martinique (membres du bureau) :
David Drané, Yvon élana,
Christophe Priam, Frantz Viersac
8. M. Arnaud,
propriétaire du resto-pitt le Bois d’Inde,
Paquemard, Le Vauclin, 2011
La ferveur de l’arène autour de ces champions à
couronner est inscrite dans le murmure de la foule.
Telle une vague, elle grossit à mesure qu’ils sont sortis
de leur pénombre. Le secret de la loge les préservait
jusqu’alors du regard perçant de ces passionnés du
« bon soin ». Tous les yeux sont braqués sur ces athlètes
que l’on exhibe à la vue de tous. Objets de vénérations
pour certains, de pitié pour d’autres, le coq de combat les impuretés qui pourraient venir gâcher le spectacle.
est présenté sans fard ni masque, simplement paré de Le geste cent fois répété de l’éperonneur, badigeonnant
sa combativité naturelle. Terrible oiseau venu d’Inde, collet et plumage d’un coton imbibé d’eau, est encore
Gallus Gallus a essaimé au gré des colonisations aujourd’hui la règle. Ce geste désuet signifie à tous que
espagnoles, jusqu’aux Antilles. Sa vigueur a fasciné le coq est prêt à battre dans des conditions loyales, sorte
les hommes qui ont vu en lui, un athlète capable de rituel qui « purifie » le coq et garantit par là même
d’exorciser les peurs et frustrations les plus fortes ! au public un combat honnête. La pose d’éperon fait
Voir battre des coqs est un exutoire, une exaltation, aussi l’objet de l’attention de l’assistance. La dextérité
un transport qui fédèrent les Hommes ! des éperonneurs est appréciée à l’aune des victoires
Une fois dans l’arène, ils sont lavés, nettoyés de toutes précédentes. Un coq vainqueur souligne la valeur de
son soigneur ainsi que celle de l’éperonneur. Un éperon
mal fixé mène son porteur à la défaite.
Séraphin Bourgeois, Nathanaël & Mauricia Jandia,
président de l’Association des coqueleurs de Martinique,
meneur de séance, éleveur, Le Lamentin, 2011
13. Lucien Saxemard,
petit éleveur,
Fort-de-France, 2010
Comme tout Martiniquais, je connaissais l’existence
des pitts sans pour autant les avoir réellement fréquentés.
Dès ma première séance au pitt, une grande émotion s’est
dégagée de cet univers. Point de barbarie ni de violence.
Une grande humanité s’est imposée. Alors que je croyais
aborder un monde du passé, je découvrais une multitude
de visages, jeunes et vieux, féminins et masculins,
qui me révélèrent toute la « vivance » du pitt. Frappé
par l’expression des visages, je devinais les tensions,
les inquiétudes, les songes de chacun. Une ambiance Alors que les affrontements verbaux et les moqueries
de passionnés où s’exprime une vraie diversité sociale. fusent entre les joueurs, la confiance et l’honnêteté
Quels que soient les moyens financiers de chacun, gèrent les paris. Rien n’est noté, tout est verbal et
c’est l’esprit du jeu qui l’emporte. Précieux, élégants et aucune réclamation ne se fait entendre.
modestes, tous se mêlent dans le jeu. Seuls comptent Comment rendre hommage à ces hommes qui rendent
la technique et le savoir faire des « teams ». Si le coq ce lieu magique et qui savent transmettre et cultiver
paraît être au centre du pitt, sa vraie valeur vient de telles valeurs humaines ? Comment retranscrire
des hommes qui l’ont fait : éleveurs, soigneurs et écuries. ces rencontres à travers une série de portraits
Un ensemble de gestes et de signes traversent le pitt photographiques ?
de manière incompréhensible pour le spectateur Réaliser les photographies hors du contexte du pitt me
novice. Très vite, il devient évident qu’ils ont un sens et paraissait important, de manière à mettre en évidence
une valeur. Les combats ne se passent pas seulement la personnalité de chacun. Il fallait choisir le lieu
dans l’arène, mais aussi dans les gradins. intime de leur vie de coqueleurs, les photographier
en compagnie de leurs coqs pour mettre en évidence
l’attachement et la délicatesse de leur relation aux
animaux. Simples et fiers dans la beauté de leur être.
Les prises de vue ont été réalisées sans repérage
des lieux ni rencontre au préalable ; seule la lumière
robert ch ar lot t e du crépuscule me semblait incontournable. Ces portraits
Photographe reposent sur la qualité des échanges, parfois furtifs,
que les sujets photographiés m’ont offert.
14. Victor Jaquo dit Lassao, petit éleveur & « annonceur » des séances Bertrand Borderan, éleveur et propriétaire du pitt Chère épice,
en radio chaque matin à 5 h depuis plus de 35 ans, 2010 & Alain Jean-élie, soigneur, Le Robert, 2010
15.
16.
17. Félix Casérus, M. Pinel, éleveur et meneur de séances au pitt Flamboyant,
propriétaire du pitt Central Libre, Baie des Mulets, Le Vauclin, 2010
Sainte-Marie, 2010
18. Christelle Crusol & Francky Quatrevent, Roberte Velayaudon, grande amatrice de coqs
éleveurs, Le Vauclin, 2010 de combats, Morne Larcher, Le Diamant, 2011
19.
20. Baby Coco, éleveur et soigneur, Le Robert, 2010 éric Rosemain, éleveur et propriétaire du pitt Thomassin, Rinaldeau Rosenbert,
Barrière-la-croix, Sainte-Anne, 2011 éleveur, Ducos, 2010
21.
22.
23. Marcel & Michel Colonette, Alexandre Polomack, soigneur,
propriétaires du pitt Colonette, Ducos, 2010 Morne-Capot, Le Lorrain, 2010
24. s erge dom i
Sociologue
Le pitt est cet abri en forme d’arène où se retrouvent
en son mitan deux coqs sauvages qui se livrent à la vie/
à la mort, un affrontement à pile ou face, au milieu
d’un tumulte où murmures, plaintes, reniflements,
cris et injonctions, s’entrechoquent et s’entremêlent, La légèreté de construction de cet abri, le pitt, est,
constituant alors l’écho sonore ambiant à ce rendez- de fait, inversement proportionnelle à la vitalité
vous fatal de gallinacés – gladiateurs de circonstances. du processus culturel qui l’a fait naître, vivre et perdurer.
Le pitt en ce sens, prolongerait l’assouvissement de Processus au sein duquel une science de l’observation
cette soif de la mise en scène spectaculaire de la mort, du vivant sauvage s’articule à une expérimentation
que les gallo-romains avaient institutionnalisée, de croisements d’espèces par des amateurs habités
se servant des corps d’esclaves ou de gladiateurs d’une passion, non pas de la mort, mais du défi
ou de chrétiens fervents, comme pompe d’alimentation en cascades. Au sein de cette société transversale
de l’arène, cette fabrique à ciel ouvert de la violence d’amateurs de pitt, on décèle très vite un relationnel
exposée. Mais rien ne serait plus éloigné de la vérité, intense entre le soigneur et son coq ; relationnel qui
que cette filiation hâtive que se dépêchent de faire, constitue la colonne vertébrale, la charnière centrale
en raccourci, les belles âmes. de cette société. Il y a comme un pacte qui lie les deux
parties ; un lourd pacte qui lie la vie et les victoires
du coq à la précision de l’œil, aux soins, à la dextérité
et aux choix de son soigneur.
25. Le soigneur de coq est un passionné ! C’est-à-dire
un homme habité par une ferveur qui le conduit à
s’installer allègrement dans des démêlés : les soins
quotidiens à prodiguer, l’observation attentive des mues
et comportements à réaliser, les maladies à soigner,
les préventions à planifier, les choix à faire, les options
à prendre… sachant parfaitement que la moindre erreur
pourrait s’avérer fatale. Robert Charlotte a pris le parti de nous inviter à travers
Le soigneur de coq sait que la performance de l’animal des photos sublimes à visiter ce relationnel intime,
dépend essentiellement de deux facteurs : la lignée du passionnant et tragique entre le soigneur et son coq
Expression fusant de gallinacé (son héritage génétique) ainsi que l’entraînement de combat. Car ce dernier fait partie d’une certaine
la bouche de certains et les soins qu’il aura reçu. Pour le premier, il devra manière de sa famille élargie.
amateurs de pitt
suite au dénouement acquérir l’œil, c’est-à-dire la précision du regard qui Le pitt est un espace cérémoniel régi par des règles,
d’un combat. permet de déceler l’étincelle tapie dans un corps des rituels, des obligations, des respirations, des formes
d’exception. La qualité de l’entraînement et des soins de sociabilité et de respect. Le pitt est un espace ouvert
étant quant à eux, le fruit d’une connaissance acquise au grand large, à tous les horizons, à toutes les couches
au fil du temps mais aussi des secrets qu’il faudra savoir sociales, toutes les strates, toutes les races.
dénicher et garder. Lorsque le soigneur, dans un gestuel emprunt de
légèreté et d’emphase lance son coq au milieu de l’arène
en lui disant d’une voix enrouée parce que angoissée :
« Véyé lavi’w », c’est une manière de rappeler à l’animal
le pacte qui les unit, sous-tendant alors le message suivant :
« Je t’ai apporté tous les soins et toute l’attention que
je pouvais pour aboutir à ce jour de vérité. C’est à toi de
jouer maintenant, préserve-toi, sors entier de cette épreuve
pour qu’entre nous les choses se prolongent encore ».
Saint-Prix Agot & ses enfants (éliane, Victor, Hugues),
propriétaire du pitt Bois-Soldat, Le François, 2011
26. M. Sablé, soigneur, arbitre, Jean Cheny, éleveur,
Anse-à-l’âne, Les Trois-îlets, 2010 Sainte-Thérèse, Fort-de-France, 2010
27.
28.
29. Lise-Anne Voltine & ses filles Nicole Souffran, éleveur et meneur de séance,
(Magalie, Rose-Hélène, Léandre), pitt Pont-Vert, Morne Gommier, Le Marin, 2010
propriétaire du pitt Flamboyant,
Baie des Mulets, Le Vauclin, 2010
30.
31. Didière & Eddy Hardy-Dessources, Philippe Théophile & son fils Laurent,
éleveurs et anciens propriétaires de pitt, éleveur, Sainte-Luce, 2010
Ajoupa-Bouillon, 2010
32. Yvon élana, éleveur, Le Lamentin, 2011 M. Cléry, fils du propriétaire du pitt Cléry,
Rivière-Pilote, 2011
33.
34. mizanpaj fredlagnau@gmail.com
impression Caraïb Ediprint
ISBN 978-2-919649-05-1
octobre 2012
Merci pour leur soutien à
Annie Noé-Dufour & Alain Hauss (DAC Martinique),
Loïc Gouyet & Christian Palin (DSV),
Mireille Mondésir, Serge Domi & Fred Lagnau
De gauche à droite : Frantz & Wenceslas Viersac, éleveurs, Choco, Saint-Joseph, 2010 • David Drané, éleveur, Sainte-Marie, 2010 •
Mesmin Moderne dit Minmin, éleveur et meneur de séance, & Pierre Moncoq, soigneur, Saint-Pierre, 2010
36. Ce catalogue est publié par la Fondation Clément
à l’occasion de l’exposition Véyé Lavi’w !!
Véyé Lavi’w
de Robert Charlotte à l’Habitation Clément
du 9 novembre au 16 décembre 2012.
Fondation d’entreprise de GBH, la Fondation clément
mène des actions de mécénat en faveur des arts et
du patrimoine culturel dans la Caraïbe. Elle soutient
la création contemporaine avec l’organisation
d’expositions à l’Habitation Clément, la constitution
d’une collection d’œuvres représentatives de la création
caribéenne des dernières décennies et la co-édition
de monographies sur les artistes. Elle gère aussi
d’importantes collections documentaires réunissant
des archives privées, une bibliothèque sur l’histoire
de la Caraïbe et des fonds iconographiques.
Enfin, elle contribue à la protection du patrimoine créole
avec la mise en valeur de l’architecture traditionnelle.
h Abi tAt ion c l é M e n t
Le François, Martinique
05 96 54 75 51
www.habitation-clement.fr
www.fondation-clement.org