Etude sur la valorisation de la performance extrafinancière
1. Étude sur
la valorisation
de la performance
extra-financière
des entreprises par
les investisseurs en capital
Étude Département d’Économie de l’École Polytechnique / Club DD AFIC
2. Éditorial
Chercheurs ayant conduit l’étude
Patricia Crifo
Professeur d’économie à Paris Ouest-Nanterre-La Défense, à l’École Polytechnique
et au CIRANO (Montréal)
Co-directrice de la Chaire Finance Durable et Investissement Responsable
Membre du Conseil économique du développement durable
Vanina Forget
Doctorante en économie à l’École Polytechnique
Corps des Ponts, des Eaux et des Forêts
Sabrina Teyssier
Chargée de recherches à l’INRA
Chercheur associé au département d’économie de l’École Polytechnique
Sommaire
3
Éditorial
4
Présentation de l’étude
6
Résultats
10 Conclusions et implications
2
Dans un monde du capital-investissement en mutation radicale, la mesure de l’impact
économique des capitaux investis, mais aussi social, sociétal et environnemental, apparaît
comme une nécessité.
Les informations relatives à l’impact Environnemental, aux sujets Sociaux et à la bonne
Gouvernance (ESG), commencent à être prises en compte de façon plus structurelle dans
toute la chaîne économique du capital investissement :
- pour les investisseurs institutionnels (LPs) dans le choix des sociétés de gestion (GPs),
- pour les sociétés de gestion dans le choix de leurs investissements dans les entreprises,
- pour les entreprises dans la gestion de leurs relations avec leurs différentes parties
prenantes.
Ces informations ESG, qui pour certains semblent n’être que des préoccupations d’ordre
éthique ou moral, sont en réalité les signes avancés d’un changement de paradigme plus profond.
Certains étudient depuis plusieurs années la valorisation dite « extra-financière », en
particulier dans l’univers des entreprises cotées. Mais le monde des entreprises non cotées
manque encore réellement d’études quantitatives.
La chaire Finance Durable et Investissement Responsable (École Polytechnique / IDEI-TSE)
a relevé le défi de cette nouvelle approche. En s’appuyant sur la méthode de l’économie
expérimentale, à partir d’une mise en situation réelle de 33 professionnels du capitalinvestissement - que l’on peut remercier pour leur contribution -, les chercheurs de
Polytechnique nous livrent des analyses particulièrement intéressantes.
Bonne nouvelle, les résultats mettent en évidence, de façon quantifiée, une influence bien
réelle sur la valorisation des entreprises et sur la décision d’investissement initial.
Ces résultats renforcent également la conviction, de plus en plus partagée, qu’une combinaison pragmatique de performances financières et extra-financières crée durablement de
la valeur pour l’entreprise et ses actionnaires.
Cette étude démontre enfin que l’AFIC, à travers le club développement durable, soutient
une réflexion académique prospective, qui permet d’aider ses membres à faire évoluer les
pratiques de nos métiers.
Olivier Millet
Président du Directoire d’Eurazeo PME
Président du Club DD de l’AFIC
3
3. Présentation de l’étude
Cette étude a été menée par la Chaire Finance Durable et Investissement Responsable
(Polytechnique, IDEI-TSE, AFG) en partenariat avec le Club Développement Durable de
l’AFIC et Eurazeo PME. Elle vise à quantifier l’impact de la performance extra-financière
d’une entreprise sur sa valorisation et son financement par les capitaux-investisseurs. La
performance extra-financière se mesure sur trois volets, dits critères « ESG » : Environnement, Social et Gouvernance. L’objectif était d’identifier concrètement la plus-value
potentielle d’une entreprise bien gouvernée, ou bien gérée sur les plans environnemental et
social, et réciproquement, la valeur que pouvait détruire une mauvaise gestion de ces enjeux.
La méthode de l’étude repose sur l’économie expérimentale, dont la particularité est de
mettre les participants en situation réelle. Très codifiée, l’économie expérimentale permet
de contrôler l’environnement dans lequel les décisions sont prises, pour mettre les théories
économiques à l’épreuve des comportements réels. Le principe de l’expérience consistait à
mettre en compétition des investisseurs pour réaliser un deal avec des entreprises fictives.
Les cas d’entreprise recouvraient des secteurs d’activités, des tailles et des situations
économiques variées. Les informations extra-financières étaient manipulées pour permettre
de valoriser de façon indépendante l’effet d’une surperformance et d’une sous-performance
sur chacun des critères ESG sur la valorisation d’entreprise et la décision d’investissement.
Pour chaque cas d’entreprise, le participant ayant proposé la plus haute valorisation
remportait le deal. Il pouvait alors gagner un prix s’il avait fait un «bon deal», c’est-à-dire s’il
n’avait pas payé trop cher l’entreprise, ce qui était déterminé par rapport à la médiane de
toutes les valorisations.
Fonction des Participants
Métier des participants
6%
6%
21%
24%
21%
33%
12%
40%
37%
Spécialiste ISR
Président
Directeur de participations
Chargé d'Affaires
Partner
Capital Développement
LBO
Capital Risque
Autres
33 professionnels du capital-investissement ont pris part à l’expérience. La répartition
de leurs métiers et fonctions est illustrée dans la figure 1. L’âge des participants variait de
24 à 57 ans (moyenne 39 ans) et 27% étaient des femmes. Parmi ces participants, il y a eu
9 gagnants, dont 5 qui ont gardé leurs prix en effectuant un deal dans la fourchette des 10%
au-dessus de la médiane des valorisations. 48 % des investisseurs venaient de sociétés ayant
signé une Charte ESG.
Figure 1 : Profil des participants
4
5
4. Résultats
Impact des critères ESG sur la valorisation des entreprises
Les données de l’expérience ont été analysées avec des techniques économétriques
permettant de prendre en compte les différences entre les participants et les cas d’entreprise.
Les résultats obtenus montrent qu’une bonne politique environnementale ou sociale
augmente de façon statistiquement significative la valeur d’une entreprise d’environ + 5 %.
Une mauvaise gestion des enjeux environnementaux et sociaux pénalise la valeur des
entreprises d’environ -10 %, tandis qu’une mauvaise gouvernance la diminue de -15 %.
(cf figure 2)
Les critères ESG impactent donc de façon asymétrique la valeur des entreprises, les
entreprises ayant relativement plus à perdre d’une mauvaise gestion des ESG qu’à gagner
d’une bonne gestion.
Selon les pratiques considérées, ces effets varient et peuvent se cumuler. Ainsi, une
gouvernance peu formalisée (par exemple un manque de transparence dans les décisions)
diminue la valorisation des entreprises de l’expérience de - 5 %, tandis qu’un grave problème
de gouvernance (par exemple l’absence de succession d’un cadre dirigeant majeur) peut la
diminuer de -10 % ; les deux effets pouvant se cumuler à -15 %.
Les nombreux commentaires qualitatifs accompagnant les valorisations soulignent que
la majorité des participants auraient, en situation réelle, demandé des compléments
d’information pour mieux quantifier précisément les impacts dans le business plan des
informations extra-financières. Ces commentaires montrent également que les investisseurs
se placent ici dans une situation d’acquéreurs. Ainsi, la sous-performance ESG apparaît
comme un argument pour entrer au meilleur prix dans l’entreprise, et comme un axe
d’amélioration de la valeur permettant de mieux vendre l’entreprise à la sortie.
Environnement
Social
Gouvernance
10
5
0
-5
-10
-15
-20
Impact moyen sur la valorisation (%)
Très bonne performance
Bonne performance
Mauvaise performance
Très mauvaise performance
Figure 2 : Impact de la performance ESG sur la valorisation des entreprises
6
7
5. Résultats
Impact des informations ESG sur la décision d’investissement
La figure 3 représente le changement de décision d’investissement selon les informations
ESG reçues. Les résultats montrent qu’une mauvaise gestion des enjeux environnementaux
et sociaux fait renoncer environ 30% des investisseurs à investir, et jusqu’à 50 % en
cas de graves problèmes sociaux. Les pratiques de gouvernance sont en effet celles qui
apparaissent comme les plus sensibles et faisant basculer le plus rapidement la décision
d’investissement. A nouveau, on observe une asymétrie : une très bonne performance ESG
n’a qu’une très faible probabilité de faire changer d’avis un investisseur qui n’est pas prêt à
investir dans l’entreprise sur la base des données financières.
Les commentaires qualitatifs des participants mettent en exergue qu’une mauvaise gestion
des enjeux ESG constitue un motif suffisant pour refuser d’investir si elle menace le cœur du
business. En situation réelle, dans la plupart des cas, les investisseurs auraient demandé des
compléments d’audits ou renforcé leurs dues diligences. Dans les cas de mauvaise gestion ne
menaçant pas directement l’activité de l’entreprise, la sous-performance environnementale
et sociale est souvent considérée comme un axe d’amélioration de la gestion de l’entreprise
pendant sa détention, et donc un axe de création de valeur.
Environnement
Social
Gouvernance
20
10
0
-10
-20
-30
-40
-50
-60
Impact moyen sur la décision d'investissement (%)
Très bonne performance
Mauvaise performance
Très mauvaise performance
Figure 3 : Impact de la performance ESG sur la décision d’investissement
8
9
6. Conclusions et implications
Les résultats de cette étude montrent que la performance extra-financière impacte la
valorisation et les décisions d’investissement des investisseurs en capital, qui intègrent
stratégiquement ces enjeux dans les calculs de business plan. Bonnes et mauvaises
pratiques ESG impactent de façon asymétrique la valeur des entreprises. Environnement,
Social et Gouvernance ne sont pas non plus des critères équivalents, la Gouvernance
apparaissant comme l’enjeu le plus sensible.
Les ESG sont importants
pour vos actionnaires
Les ESG sont importants
pour vos LPs
3% 3%
26%
23%
33%
29%
Cette étude a plusieurs implications, tant pour les capitaux-investisseurs que pour les
manageurs d’entreprise qui ont besoin d’attirer des fonds.
Pour les investisseurs, il apparaît que la capacité à évaluer la performance ESG d’une
entreprise cible peut constituer un outil de négociation dans les phases d’acquisition. De
plus, la capacité à manager les ESG peut être source d’amélioration de la valeur pendant
la phase de détention. Toutefois, que cela soit pendant la phase d’acquisition ou pendant la
phase de détention, l’évaluation et le suivi de la performance ESG requiert une expertise au
sein des sociétés de capital-investissement, afin de quantifier correctement les effets des
critères ESG et identifier les gisements de plus-values potentielles.
Pour les entrepreneurs, les résultats de cette étude impliquent en tout premier lieu que
les mauvaises pratiques ESG peuvent impacter l’accès au capital. Elles risquent en effet
d’augmenter le coût d’accès aux capitaux propres et de détruire de la valeur pour les
actionnaires de l’entreprise. Améliorer la performance ESG de son entreprise apparaît ainsi
comme une façon de protéger sa valeur et le coût de l’accès aux capitaux propres. Étant
donné l’approche quantitative utilisée par les capitaux-investisseurs, une bonne gestion de
la performance extra-financière passe probablement par la mise en place d’indicateurs ESG
quantifiés, permettant de l’objectiver.
44%
39%
Les ESG sont importants
pour votre image
6%
Les ESG sont importants pour
votre gestion des risques
3%
3%
7%
42%
52%
39%
48%
Tout à fait d’accord
D’accord
Sans avis
Pas d’accord
Vraiment pas d’accord
Figure 4 : Réponses au questionnaire proposé aux participants à la fin des sessions
expérimentales sur leurs pratiques d’investissement
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