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M. le Juge Mohamed Bennouna




L'obligation juridique dans le monde de l'après-guerre froide
In: Annuaire français de droit international, volume 39, 1993. pp. 41-52.




Citer ce document / Cite this document :

 Bennouna Mohamed. L'obligation juridique dans le monde de l'après-guerre froide. In: Annuaire français de droit international,
 volume 39, 1993. pp. 41-52.

 doi : 10.3406/afdi.1993.3119

 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1993_num_39_1_3119
ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
                                     XXXIX - 1993 - Editions du CNRS, Paris




   L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE
          DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE

                             Mohamed BENNOUNA




                                         « La bibliothèque est illimitée et périodique.
                                         S'il y avait un voyageur éternel pour la tra
                                         verser     dans un sens quelconque, les siècles
                                         finiraient par lui apprendre que les mêmes
                                         volumes se répètent toujours dans le même
                                         désordre, qui répété deviendrait un ordre,
                                         « L'Ordre ».
                                                J.L. Borges, «La bibliothèque de Babel»,
                                                               Fictions, Gallimard, 1957



        Dans la grande mutation qu'a subie le monde bipolaire à la fin de la
dernière décennie avec l'écroulement de l'Union soviétique, et ce qu'il faut
bien appeler le triomphe sans partage de l'autre superpuissance, les Etats-
Unis d'Amérique, et du système qu'ils incarnent, certains ont vu un renou
veau sans précédent du droit international auréolé par la naissance d'un
« nouvel ordre international » et conforté par la renaissance des Nations
Unies dont la charte, dans sa virginité originelle de 1945, serait enfin ple
inement    mise en œuvre. Et s'il fallait une illustration lumineuse de ce nouvel
état de choses, comme le ferait une hypothèse d'école ou une expérience en
laboratoire, la guerre du Golfe, au début de cette décennie, a démontré
comment la communauté internationale rénovée pouvait réagir face à une
agression, on ne peut plus caractérisée. « Le nouvel ordre » gagnait ainsi ses
titres de noblesse et le Droit international, paré d'efficacité et de certitude,
s'était trouvé des défenseurs, par-delà la doctrine timorée, au sein même des
grands de ce monde.
        Pourtant passée la fête ponctuée par les retrouvailles au sein du Conseil
de sécurité, la chute du mur de Berlin et le règlement de tout le reliquat
 des contentieux régionaux de la guerre froide, Afghanistan, Namibie, Nica
ragua, Cambodge, etc., la morosité et l'inquiétude sont revenues de plus
belle, les feux des guerres civiles s'allument jusqu'au centre de l'Europe, l'A
 frique   sombre dans une crise endémique, les micronationalismes et les inté-
 grismes de toutes sortes sont menaçants, enfin même les riches se plaignent
 d'une économie déprimée. Il est vrai que la prépondérance des Etats-Unis
 ne signifie nullement que ce pays va assumer le rôle de gendarme omnipré-


     (*) Mohamed Bennouna, Professeur agrégé des Facultés de Droit, Membre de la Commission
de Droit international des Nations Unies.
42     L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE


 sent, dans la mesure où son action extérieure sera fonction de l'analyse de
 ses propres intérêts concernés, que le syndrome vietnamien opère toujours
 dans la conscience des dirigeants et qu'une certaine priorité est accordée
 désormais aux problèmes économiques et sociaux. Ainsi que le relève G. Par-
 mentier : « l'une des caractéristiques du système international d'aujourd'hui
 réside précisément dans l'incertitude devant laquelle se trouve le reste du
monde quant aux intentions de la plus grande puissance » (1).
                Comme on pouvait s'en douter, le nouvel ordre n'est pas synonyme d'har
monie universelle. Certes, la puissance militaire et économique, ainsi que la
production idéologique sont désormais concentrées entre les mêmes mains,
mais les sociétés connaissent par contre une accélération des mouvements
centrifuges qui ne sont plus pondérés par un équilibre des pouvoirs, un sys
tème de poids et de contrepoids au niveau mondial. Dans la sphère des vi
vants,            l'ordre et le désordre entretiennent incontestablement une relation
dialectique. La liberté est d'une certaine façon l'expression de leur coexis
tence. En revanche, la recherche de l'ordre absolu, exclusif, revient à courtiser
la mort, ainsi que cela ressort clairement de l'expérience des régimes tota
litaires           et fascistes.
                Un auteur a reconnu avoir été «frappé par l'espèce de parallèle entre
certains points de l'ordre du jour du Conseil de sécurité et certains points
 de l'ordre du jour du G7 (groupe des pays industrialisés) » (2). Bien entendu,
l'homogénéité au niveau des structures politiques dominantes n'est pas nouv
elle. Sans remonter aux empires, qu'il nous suffise d'évoquer le temps de
la Sainte Alliance où la coutume était censée produire des obligations adé
 quates            et en harmonie avec un monde réconcilié avec lui-même. En 1988,
 Roberto Ago nous décrivait une situation où le Droit international était dé
barrassé             des méfiances qui ont prévalu à partir des années soixante avec
 l'avènement des Etats nouveaux, ajoutant qu'il ne voit plus la nécessité « de
provoquer un changement radical » (par voie de codification), et qu'il ne fallait
pas « vouloir modifier outre mesure l'équilibre si justement réalisé par l'His
toire entre un droit de formation spontanée et celui de formation volon
taire » (3).
                En réalité, les pays du Tiers-monde ont échoué dans leurs revendications
 d'un nouvel ordre économique international faute de disposer d'un pouvoir
 en conséquence. La codification évoquée par l'éminent juge a concerné e
 s entiel ement            le droit formel ou procédural, sans que la substance de ce qu'il
 a été convenu d'appeler les relations Nord-Sud ait été réellement affectée.
 Les pays en question ont perdu désormais la petite marge de manœuvre
 dont ils disposaient à la faveur de la compétition entre les deux grandes
 puissances. Quant aux appréhensions de jadis contre la formation accélérée
 de la norme coutumière au sein des organisations internationales de caractère
 universel, elles ne seraient plus de mise puisque la « majorité automatique »
 a changé de camp (4).


      (1) Le retour de l'histoire - stratégie et relations internationales pendant et après la guerre
froide, éditions Complexe, Bruxelles, 1993.
      (2) M.C. Smoots : « Le Conseil de sécurité » in Aspects du système des Nations Unies dans
le cadre de l'idée d'un nouvel ordre mondial, éditions Pedone, Paris, 1992, p. 67.
      (3) « Nouvelles réflexions sur la codification du droit international », RGDIP, 1988, n° 3,
p. 574.
      (4) J. Charney : « Universal international law », AJIL, 1993, n° 4, p. 548. L'auteur se réfère
aux appréhensions de P. Weil dans « Vers une normativité relative en droit international », RGDIP,
1982, p. 5-47.
L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE             43


       Tout pouvoir cherche à établir un ordre qui lui sert simultanément de
rempart pour la défense de ses intérêts essentiels et de source de légitimation.
Sur le plan international, il y a de surcroît une distorsion permanente entre
la proclamation de l'égalité en droit des Etats souverains et la profonde dis
parité    de leur puissance et de leurs moyens. L'obligation juridique fondée
sur le consentement des sujets de droit, quelles que soient par ailleurs ses
modalités d'expression, trouve là ses limites. Leur évaluation, dans un monde
oligarchique, nous conduira à examiner successivement l'impact de l'ordre (I)
et l'impact du pouvoir (II).



                         I. - L'IMPACT DE L'ORDRE


     Dans ses deux acceptions, qui se retrouvent d'ailleurs dans le langage
courant, l'ordre se réfère d'une part à la règle du jeu suprême qui lie tous
les acteurs et, d'autre part, au respect de cette règle, soit « le maintien de
l'ordre » et l'organisation d'une sécurité pour tous.
     Ainsi dans une première acception, l'ordre se confond avec la suprématie
du Droit (l'Etat de Droit). Toute action est appréciée, « légitimée » par rapport
à des normes fondamentales qui lient tous les partenaires sociaux. Il s'agirait
en Droit interne des principes constitutionnels ou de ce que les philosophes
des XVIIe et xvme siècles ont qualifié de « contrat social ». Cependant, sur le
plan international, on en est encore de ce point de vue aux balbutiements.
Les principes fondamentaux qui seraient hors de portée des sujets souverains
sont encore frappés de grandes incertitudes quant à leur élaboration, leur
portée et leur sanction. Les Etats développent certes des relations pacifiques
dans un cadre juridique global, et l'ordre serait dans ce cas le fondement
même de ce type de relations (A).
     Dans une seconde acception, l'ordre se confond avec le dispositif destiné
à maintenir les rapports étatiques dans un cadre pacifique ou, en d'autres
termes, avec la garantie de leur sécurité. Il s'agit essentiellement, depuis
l'avènement de la charte des Nations Unies, des normes contenues dans son
chapitre VII.
     Mais les Etats ont la prétention, sur le plan international, à s'occuper
de leur propre sécurité et de celle de l'ensemble de la communauté internat
ionale, dans l'exercice d'une sorte de dédoublement fonctionnel, pour repren
dre  l'expression de Georges Scelle. Les normes de sécurité collective sont donc
soumises aux tensions propres à la structure des Etats (B).


                A) L'ORDRE ET LES RELATIONS INTERÉTATIQUES

      L'ordre rejoint ici le débat sur la légitimité, en ce sens qu'il constitue le
principe fondateur du droit international, qui justifie l'adhésion de ses sujets
et le respect des obligations qui en découlent. La condamnation du colonia
lisme de toutes ses justifications, y compris la « mission sacrée de civil
         et
isation », ainsi que les progrès de l'anthropologie, ont permis de considérer
la diversité et la relativité des cultures et des civilisations comme le principe
fondateur des relations internationales. En ce domaine, il n'existe ni hiérar
chie, vocation d'un système culturel à s'imposer à l'ensemble de la planète.
       ni
44      L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE


 Cela n'empêche bien entendu ni le dialogue, ni les influences réciproques
 qui se sont développées sous l'effet des progrès sans précédent des techniques
 de la communication. Cette ouverture a entraîné l'émergence aux côtés de
 la diversité et de la relativité, de facteurs d'unité qui prennent en considé
 ration l'homme en tant qu'individu, ou l'Humanité en tant que collectivité
 globale.
          L'Etat demeurant l'entité de base, le respect de sa souveraineté ne va
 pas sans celui des droits de la personne humaine, y compris ceux des mi
 norités      ethniques linguistiques et religieuses qui coexistent en son sein. L'é
 quilibre      entre ces exigences est assuré pour l'instant par l'interdiction du
 recours à la force « contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique
 de tout Etat » (article 2 & 4 de la Charte des Nations Unies).
          L'interaction des cultures subit de plein fouet l'évolution du rapport de
forces, et il n'est pas surprenant qu'on assiste de nos jours à la tentation
 d'exporter et d'étendre, éventuellement par la contrainte, le système de va
leurs       dominant sous couvert « d'amitié et leadership » (5). Que signifie donc
au niveau international « la légitimité démocratique », et quelles sont les l
imites       de la protection de la personne humaine ?

1) La légitimité démocratique
       Selon R.J. Dupuy, « on assiste aujourd'hui à un renversement des ten
dances     au sein des Nations Unies. L'émergence au premier plan du Conseil
de sécurité se double du rejet de la règle du libre choix par l'Etat de son
régime politique, économique et social au profit de la démocratie libérale
fondée sur les droits de l'Homme et les libertés fondamentales » (6).
        Comment en est-on arrivé aussi rapidement à un renversement du prin
cipe de légitimité alors que la Cour internationale de Justice affirmait encore
en 1986 : « Quelle que soit la définition que l'on donne du régime du Nica
ragua,    l'adhésion d'un Etat à une doctrine particulière ne constitue pas une
violation du droit international coutumier. Conclure autrement reviendrait
à priver de son sens le principe fondamental de la souveraineté des Etats
sur lequel repose tout le droit international et la liberté qu'un Etat a de
choisir son système politique social et culturel » (7).
       La Cour s'en tient là à la réaffirmation de l'aspect interne du principe
d'autodétermination tel qu'il découle de la Charte et des grandes déclarations
des Nations Unies, dont la philosophie demeure le cantonnement du débat,
sur le mode de gouvernement, à l'intérieur des frontières étatiques et en-
dehors de toute contrainte extérieure. Seuls les régimes nazi et fasciste ont
fait l'objet d'une condamnation ferme de la part de l'Organisation universelle
(résolution 36/162 de l'Assemblée générale, le 14 décembre 1981).
       En réalité si on ne peut que se féliciter des progrès de l'idée de démoc
ratie dans le monde, dans le sens d'une participation des peuples à la gestion
de leurs affaires, reconnue d'ailleurs dans la Déclaration universelle des
droits de l'homme et le Pacte sur les droits civils et politiques, on ne doit

      (5) Déclaration de G. Bush à l'Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 1991.
Voir P. Herman : « Le monde selon Bush : genèse du nouvel ordre mondial » in Le droit international
à l'épreuve, éditions Complexe, Bruxelles, 1993.
      (6) « Concept de démocratie et action des Nations Unies », Bulletin du centre d'information
des Nations Unies, décembre 1993, n° 7-8, p. 61.
      (7) Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c/Etats-Unis d'Amérique), Arrêt, fond du 27 juin 1986, Rec. p. 133.
L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE                             45


pas perdre de vue que chaque société élabore son expérience historique à
son rythme avec des erreurs, des hésitations et des adaptations progressives.
Il n'existe pas en la matière de normes ou de critère universels, et encore
moins un droit des puissances extérieures ou d'un pouvoir hégémonique de
les apprécier et d'imposer leur respect.
          Il y a eu certes, du temps de la guerre froide et des zones d'influence,
une prétention des organisations régionales concernées de garantir l'homo
généité idéologique de leurs membres, mais il était évident que l'action de
ces institutions (hors le cas du chapitre VIII de la Charte) ne pouvait faire
exception à certains principes fondamentaux tels que le non-recours à la force
et la libre détermination. Invoquant une conception de « la souveraineté po
pulaire        par opposition à la souveraineté de l'Etat », M. Reisman estime que
celle-ci peut être violée aussi bien par une force « indigène » qu'extérieure
et que, dans le premier cas, une invasion, pour renverser un « caudillo » et
installer le gouvernement élu, est légale (8).
          Ces spéculations doivent être replacées, comme l'a fait O. Schachter, dans
leur véritable contexte, celui des interventions américaines à Grenade (1983)
et à Panama (1989), et des justifications qui s'en sont suivies; sans compter
que les valeurs démocratiques en question ne sont défendues que là où la
grande puissance estime ses intérêts en cause (9). Quoi qu'il en soit, l'idée
d'une conformité des régimes politiques à un modèle universellement reconnu
n'a fait son entrée dans les instances des Nations Unies qu'à la faveur de
la renonciation de l'Union soviétique à son rôle de superpuissance. Et encore,
ce fut sous l'angle de la tenue d'élections libres (inscription depuis 1988 à
l'ordre du jour de l'Assemblée générale d'un point intitulé : « renforcement
de l'efficacité du principe d'élections périodiques et honnêtes »). Mais les ré
solutions        adoptées sont loin d'être consensuelles et certaines mettent l'accent
sur la spécificité des processus électoraux selon les pays concernés (10). A
l'examen de ces textes, « il est donc difficile de conclure, selon P. Klein, sur
l'enracinement d'un droit effectif aux élections libres dans le droit interna
tional (11). »
          D'autre part le pluralisme, auquel il est fait appel, peut-il se limiter à
la sphère du pouvoir alors qu'il n'est que l'expression d'une diversité plus
large à tous les niveaux de la vie sociale, intellectuelle, professionnelle,
sexuelle, etc. ? Certaines expériences récentes de plaquage par le haut d'élec
tions disputées, alors que la société, à la base, restait cloisonnée, enserrée
dans un étau, ont malheureusement conduit à des échecs. Enfin, qu'en est-il
lorsque l'urne génère des forces dont l'ambition proclamée est de la saccager
définitivement ?
          Il est incontestable que le temps historique est différent d'une société à
l'autre. On ne peut donc les couler dans le même moule, à moins de consacrer
un ordre impérial qui serait en charge de le faire. T. Franck semble avoir
évacué de ses analyses les aspects culturels et historiques, tout en mettant
l'accent sur les critères, dans l'abstrait, de la légitimité, à partir d'une
communauté internationale mythique (12).

       (8) « Sovereignty and human rights in contemporary international law » AJIL, 1990, p. 871-
872.
     (9) « Is there a right to overthrow an illegitimate regime ? », Mélanges Michel Virally, éditions
Pedone, 1991, p. 423-430.
     (10) Voir les résolutions 45/150 et 45/151 du 18 décembre 1990.
     (11) «Le droit aux élections libres en droit international : mythes et réalités» in le Droit
international à l'épreuve, op. cité p. 112.
     (12) « The emerging right to democratic governance », AJIL, 1992, p. 46-91.
46      L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE


    La démocratisation des relations internationales ne va pas sans le respect
des modèles culturels distincts d'une société à l'autre; mais ceci n'empêche
pas certaines valeurs communes d'accéder à l'universalité et d'être consacrées
par le Droit international général.

2) La protection des droits fondamentaux de la personne humaine
             L'ordre international est indissociable du respect des droits de la per
 sonne           humaine. Ainsi que l'a rappelé RM. Dupuy, « cette conviction irradie
 en réalité toute la Charte des Nations Unies », et relève de « la dimension
 structurelle de la paix internationale » (13). La Déclaration universelle des
 droits de l'Homme s'en est fait d'ailleurs l'écho de manière explicite : « toute
personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international,
un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente déclaration
puissent y trouver plein effet » (article 28).
             Il fallait donc déterminer les voies et moyens de leur effectivité, dans
le monde des souverainetés, et dégager un « noyau dur » en tant que socle
de l'ordre international.
             Deux approches ont été tentées simultanément; la première consiste en
la mise en forme de ces droits dans le cadre de traités multilatéraux géné
raux, en précisant ceux d'entre eux auxquels on ne peut déroger en aucune
circonstance (14); la seconde sera de les élever dans la hiérarchie des normes,
en consacrant leur caractère impératif. A ce propos, le pas décisif a été ac
compli            par la Cour internationale de Justice lorsqu'elle a considéré, à l'o
ccasion          de l'affaire de la Barcelona Traction en 1970, « les principes et les
règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine » comme
« les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son
ensemble » (erga omnes). Il en découle que « tous les Etats peuvent être consi
dérés comme ayant un intérêt juridique « à ce que ces droits soient proté
gés (15).    »
             Alors que la Cour ouvrait une voie de recours pour régler un différend
né d'une obligation qui pèse sur tous les sujets de Droit dans la mesure où
elle constitue l'un des piliers de l'ordre international, l'Institut de Droit in
ternational,           lors de la session de St-Jacques de Compostelle en 1989, a estimé
le moment opportun pour des initiatives unilatérales destinées à faire pres
sion sur l'Etat fautif tout en les assortissant de conditions restrictives (16).
             S'il est admis que les droits de l'Homme ne rentrent pas dans la catégorie
des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale des
Etats, au sens de l'article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies, il n'en de-

       (13) « Sécurité collective et organisation de la paix », RGDIP, 1993, 3, p. 623.
       (14) J. Dhommeaux : « De l'universalité du droit international des droits de l'homme : du pac-
turn ferendum au pactum latum », AFDI, 1989, p. 399-423.
       (15) Arrêt du 5 février 1970, CIJ Rec, 1970, p. 32.
       (16) Article 5 de la résolution du 13 décembre 1989 (adoptée sur rapport du Pr. Sperduti :
« protection des droits de l'homme et principe de non-intervention ») : « Toute mesure individuelle
ou collective destinée à assurer la protection des droits de l'homme répondra aux conditions sui
vantes   :
- Sauf en cas d'extrême urgence, l'Etat auteur de la violation aura été en demeure de la faire
cesser ;
- La mesure sera proportionnée à la gravité de la violation;
- Elle sera limitée à l'Etat auteur de la violation;
- l'Etat qui y recourt tiendra compte des intérêts des particuliers et des Etats tiers, ainsi que
de l'incidence de la mesure sur le niveau de vie des populations concernées. »
 Annuaire de l'IDI, 1990, vol. 63 II, p. 287.
L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE                        47


meure pas moins que les contremesures envisagées soulèvent toute la ques
tion de l'inégalité des moyens entre les Etats et de la subjectivité de leur
appréciation des situations en cause. Et cette préoccupation est encore plus
nette dans le monde de l'après-guerre froide. La simple mise en demeure
adressée à l'Etat auteur de la violation (présumée) ne suffit pas, il faut encore
qu'un organe de contrôle et/ou de règlement soit à même de se prononcer
sur ce comportement, et/ou sur la légalité de la contre-mesure. Autrement,
on aboutirait à des situations où certaines puissances ainsi que les organi
sations qui les regroupent (telle que l'Union européenne) peuvent être amen
ées, selon le cas, à suspendre accords de coopération et d'assistance
économique au gré d'intérêts d'ordre géopolitique, sans que le souci des droits
de l'Homme se traduise par les mêmes réactions selon les pays concernés.
          En somme, l'intérêt moral et juridique de tous les Etats au respect des
droits fondamentaux de la personne humaine est bien établi. Mais leur per
mettre       d'adopter des représailles non armées, en se soustrayant à leurs en
gagements         internationaux, reviendrait à légitimer les prérogatives de
 quelques puissances dans la grande majorité des ordres internes en question.
 Seul un renforcement des structures de contrôle des organisations univers
 elleset des procédures de règlement des différends permettront de contenir
 les contre-mesures éventuelles dans un cadre compatible avec la suprématie
 du Droit.
          Certes, « la pierre angulaire de l'édifice est et doit demeurer l'Etat et le
 respect de sa souveraineté et de son intégrité », mais celle-ci, comme l'a sou
 ligné également le Secrétaire général des Nations Unies dans son agenda
 pour la paix, doit se concilier avec la protection des droits des « minorités
 qu'elles soient ethniques, religieuses, sociales ou linguistiques » (New York,
juin 1992). Ce dernier aspect peut être considéré comme l'une des faiblesses
 majeures de l'ordre international (17), marquant en conséquence les limites
 des instruments de la sécurité collective, ainsi que cela ressort clairement
 du drame dont l'ex-Yougoslavie est le théâtre.


                       B) L'ORDRE ET LA SÉCURITÉ COLLECTIVE

     L'ordre est atteint, en l'occurrence, par l'exercice collectif de certaines
prérogatives relevant traditionnellement de la souveraineté de chacun, en
matière de recours à la force contre d'autres Etats, quel que soit le mobile,
à l'exception de la légitime défense (18). Dans un tel schéma, l'Organisation
universelle se substitue aux Etats pris individuellement dans une action des
tinée à neutraliser un agresseur actuel ou potentiel (menace). Poussant cette
logique jusqu'à son terme, le chapitre VII de la Charte avait prévu la mise
à disposition du Conseil de sécurité, assisté d'un comité d'état-major, de
contingents nationaux de forces aériennes.
     L'alliance politique des cinq membres permanents du Conseil se serait
appuyée ainsi sur une véritable armée internationale placée sous le même
commandement, pour faire régner l'ordre. On sait que la réalité de l'opposi
tion blocs a gelé ce dispositif et entraîné la mise au point d'autres formes
      des


     (17) Voir la déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou
ethniques, religieuses et linguistiques (Assemblée générale de l'ONU, résolution 47/135) et le
commentaire d'Omanga Bokatola, RGDIP, 1993, 3, p. 746-765.
     (18) Article 51 de la Charte des Nations Unies.
48      L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE


 d'action plus adaptées (forces d'urgence, opérations de maintien de la paix).
 M. Boutros Ghali, secrétaire général de l'après-guerre froide, a cru le moment
 venu de proposer dans son « agenda pour la paix » (31 janvier 1992) un retour
 au schéma initial de la Charte, en le complétant par « des unités d'imposition
 de la paix », créées en tant que « mesure provisoire au sens de l'article 40
 de la Charte » et destinées, en cas de besoin, « à rétablir un cessez-le-feu et
 à le maintenir ». A l'unité retrouvée du directoire international devrait corre
 spondre une puissance de frappe et une stratégie communes. Les décisions
 adoptées, dans ce cadre, s'imposent à l'ensemble des Etats membres et créent
même des obligations qui prévalent sur toutes celles qu'ils auraient contrac
tées vertu de tout autre accord international (article 103 de la Charte).
              en
 Encore convient-il que le Conseil s'en tienne aux compétences qui lui ont
 été dévolues par le traité constitutif et, sur le plan politique, qu'il soit rée
llement          représentatif de la société des Etats. C'est à cette condition que ses
 décisions et les obligations qui en découlent peuvent être considérées comme
légitimes par les destinataires.
             Le débat sur la composition du Conseil, et surtout sur la qualité de memb
repermanent, est déjà largement ouvert; certaines candidatures devront
être prises sérieusement en considération, celles notamment du Japon et de
l'Allemagne qui figurent parmi les premiers contributeurs au budget de l'Or
ganisation.
             D'autre part, le Conseil a tendance à se fonder sur le chapitre VII de
la Charte pour légiférer sur les questions les plus diverses qui vont de l'
obligation         faite à un Etat d'extrader ses propres nationaux, à la création d'un
tribunal pénal international en passant par la démarcation définitive de la
frontière entre deux pays membres (19). Cet organe peut certes recommander
une procédure de règlement pacifique d'un différend opposant deux Etats
membres, au titre du chapitre VI de la Charte, mais il n'est aucunement
habilité à décider d'autorité à son sujet, surtout lorsqu'une convention in
ternationale           prévoit expressément la compétence de la Cour internationale
de Justice en cas de litige (20).
             N'étant pas tenu de motiver ses décisions et échappant à un contrôle de
légalité, le Conseil ou les puissances qui en constituent le noyau, concentre
ainsi entre ses mains des prérogatives exorbitantes, que ne tempère en rien
l'opinion qui pourrait s'exprimer à l'Assemblée générale. D'ailleurs, dans le
monde de l'après-guerre froide, les pressions sont telles que peu de pays
membres, à l'intérieur ou en-dehors du Conseil, s'aventureraient à contester
sérieusement les obligations imposées par le directoire des puissances, sans
craindre des retombées négatives à tous les niveaux de leur situation socio-
économique.
             Le traitement est d'abord approprié au décideur avant de l'être à la crise
en question. Comment expliquer autrement l'attitude observée dans la guerre
qui fait rage dans l'ex-Yougoslavie et où les bosniaques musulmans sont


      (19) Résolution 748 du 31 mars 1992 (demandes des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et
de la France concernant les attentats perpétrés contre les vols de la Pan American et de l'Union
des transports aériens).
      Résolution 808 du 22 février et résolution 827 du 25 mai 1993 créant un tribunal international
chargé de juger les violations du droit humanitaire dans l'ex- Yougoslavie.
      Résolution 833 du 27 mai 1993 entérinant les travaux de la commission de démarcation des
frontières entre l'Irak et le Koweit, instituée par le Conseil.
      (20) C'est le cas de la Convention pour la répression d'actes dirigés contre la sécurité de
l'aviation civile (Montréal, 23 septembre 1971).
L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE                         49


confrontés à une opération de génocide ? La dernière péripétie, en février
1994, de l'ultimatum pour dégager Sarajevo, est révélatrice du fonctionne
ment de la sécurité collective. Contrairement aux dispositions du cha
           réel
pitre VIII de la Charte, c'est l'Organisation régionale qui dicte la marche à
suivre à l'Organisation universelle.
         La sécurité collective ainsi comprise ne serait que la poursuite de l'en
treprise     de « gestion difficile du désordre », ainsi que le souligne M. Bertrand
qui plaide inlassablement pour une autre conception, non strictement mili
taire, et destinée à s'attaquer aux causes des catastrophes prévisibles. En
effet, « ce sont les situations de misère, d'exclusion, de désespoir, qui poussent
les populations, en quête d'une vie décente, de dignité, de reconnaissance de
leur identité, à se réfugier dans les haines tribales, les intégrismes, la
confiance en des dictateurs potentiels, ou à émigrer à l'étranger » (21).
         Dans l'attente d'un autre « agenda pour la paix » qui s'écarterait de la
philosophie du corps des pompiers, le pouvoir et l'intérêt national étroit qu'il
incarne impriment toujours leur marque à l'obligation juridique internatio
nale.



                            II. - L'IMPACT DU POUVOIR


          Tout comme le metteur en scène s'abrite derrière sa caméra, anime
l'image et lui donne un sens, le pouvoir se présente rarement à visage dé
couvert;      il essaie d'occulter les ficelles et autres manipulations afin d'exercer,
dans les conditions les plus avantageuses, son autorité. Il agit alors le plus
souvent par procuration (A). Mais il est des situations où le pouvoir lève le
voile et s'expose directement au risque d'être plus facilement démystifié (B).
C'est alors seulement que l'ordre et l'obligation prennent leur coloration dé
finitive.


                    A) L'EXERCICE DU POUVOIR PAR PROCURATION

         La sécurité collective demeure largement déconcentrée ; le Conseil de sé
curité     dépend étroitement de ses membres permanents et il ne dispose pas
 de moyens propres pour mener une action distincte et autonome. Au temps
 de la guerre froide, on pouvait considérer que le pouvoir était à même d'ar
rêter le pouvoir et qu'un certain compromis pouvait parfois émerger en con
 formité     avec l'intérêt de toutes les parties prenantes, ou tout au moins sans
 que celui de l'une d'entre elles ne soit sérieusement malmené. Mais lorsque
 ce sont les mêmes puissances qui prennent les décisions et qui se donnent
 procuration pour les mettre en œuvre, sans d'autres contrôles et limites que
 ceux qu'ils entendent se donner, alors on assiste à une obligation à géométrie
 variable, dont les contours relèvent de la subjectivité des gouvernants mon
 diaux et des mouvements d'opinion au sein de leurs pays.
         Le drame de la guerre du Golfe en est la meilleure illustration, d'autant
 plus que les effets de l'intervention armée sont toujours là car il appartient

      (21) M. Bertrand : « Tragique impuissance de l'ONU », in supplément du Monde diplomatique,
février 1994, n° 21.
50     L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE


 aux mêmes acteurs, qui agissent au nom de la communauté internationale,
et à leurs conditions, d'y mettre un terme.
       C'est par sa résolution 678 du 29 novembre 1990 que le Conseil de sé
curité    a confié aux Etats membres, qui coopèrent avec le Koweit, à savoir
la coalition de 28 pays constituée et dirigée par les Etats-Unis, le soin de
mettre en œuvre la résolution 660 du 2 août 1990 qui « exige que l'Irak
retire immédiatement et inconditionnellement toutes ses forces pour les ra
mener     aux positions qu'elles occupaient le 1er août 1990 ».
       Cette délégation des compétences du Conseil est assez large, puisque les
Etats sont autorisés à « user de tous les moyens nécessaires » (pour libérer
le Koweit), sous réserve de « le tenir régulièrement au courant des disposi
tions    qu'ils prendront ».
       Si même on laisse de côté le processus particulier, incluant des pressions
économiques et financières, par lequel la résolution 678 a été adoptée et qui
confirme selon le Pr. B. Weston « à quel point le pouvoir des Etats-Unis sur
le mécanisme décisionnel des Nations Unies est devenu total en l'absence
de l'opposition du temps de la guerre froide » (22), il n'en demeure pas moins
que le Conseil sera tenu à l'écart de toutes les opérations militaires qui se
 dérouleront, sur cette base, du 15 janvier au 28 février 1991. A la veille du
déclenchement des hostilités, le Secrétaire général, M. Perez de Cuellar, a
 admis lui-même que « cette guerre n'était pas celle des Nations Unies » (23).
       Notre propos n'est pas tant la question de principe en cause, puisque
l'invasion du Koweït était manifestement illégale, tout comme était légitime
 et nécessaire la libération de ce pays, que la dérive du système des Nations
Unies et du Droit qui le charpente et le justifie. Or en l'occurrence, ni l'appel
 à la légitime défense collective ni le précédent de Corée, ni la violation d'une
obligation internationale essentielle (24), ni les dispositions du chapitre VII
 en matière de sanctions militaires, ne se sont révélés d'aucun secours pour
confectionner un parapluie juridique étanche à l'action menée sous la houlette
 américaine. Une puissance militaire disproportionnée était donc livrée à elle-
même et expérimentait, grandeur nature, son arsenal d'armements le plus
 élaboré, selon une stratégie qui faisait peu de cas des dégâts humains et
 matériels infligés à l'adversaire.
       Le Conseil ne sera réactivé que pour signifier les premières conditions
 de l'arrêt des hostilités (résolution 686 du 2 mars 1991) et pour fixer les
 modalités du cessez-le-feu définitif par la résolution 687 du 2 avril 1991 ana
lysée par R. Zacklin comme « un instrument historique sans précédent dans
 l'histoire des Nations Unies ». Et l'auteur d'ajouter : « Si du point de vue
formel elle est une résolution du Conseil de sécurité, elle est à toutes fins
utiles un traité de paix dans lequel le vainqueur impose au vaincu une série
 d'obligations onéreuses dont l'acceptation par l'Irak est garantie par le cha
 peau du chapitre VII et par la continuation des sanctions » (25).



     (22) « Security council resolution 678 and Persian Gulf decision making : precarious legit
imacy », AJIL, 1991, p. 523-25.
     (23) Cité par B. Stern : Guerre du Golfe, le dossier d'une crise internationale, 1990-1992, la
Documentation française, Paris, 1993, p. 20.
     (24) G. Gaja : « Réflexions sur le rôle du Conseil de sécurité dans le nouvel ordre mondial
- à propos des rapports entre maintien de la paix et crimes internationaux des Etats », RGDIP,
1992, 2, p. 297-319.
     (25) R. Zacklin : « Les Nations Unies et la crise du Golfe » in Les aspects juridiques de la
guerre du Golfe, sous la direction de B. Stern, éditions Montchrétien, 1991, p. 71.
L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE                      51


             A partir de l'illégalité initiale de l'occupation du Koweit, les tenants du
pouvoir mondial se sont attribués les droits appropriés et ont déterminé les
obligations qui sont à la charge de l'agresseur, quitte à poursuivre parfois
des objectifs contradictoires consistant notamment à imposer à l'Irak l'i
ndemnisation           des victimes, par l'intermédiaire de la commission de compens
ationdes Nations Unies, sans lever l'embargo qui lui permettrait de
commercialiser les ressources dont une proportion devrait être affectée à cette
tâche. L'incertitude quant aux intentions de la plus grande puissance, que
nous évoquions, ne consiste pas seulement en ce qu'une action est maintenue
même si elle a apparemment atteint ses objectifs premiers, mais aussi en
ce qu'elle est arrêtée prématurément pour des motifs de politique nationale.
             C'est ce dernier scénario qui a prévalu dans l'affaire de la Somalie. En
effet, l'inefficacité de l'UNISOM étant avérée, le Secrétaire général, M. Bou-
tros Ghali, avait envisagé dans une lettre au président du Conseil de Sécur
ité, le 24 novembre 1992, plusieurs options dont l'intervention armée d'un
groupe d'Etats membres, précisant toutefois que les Etats-Unis s'étaient pro
posés pour organiser et diriger l'opération (26). Le Conseil, par la résolution
794 du 3 décembre, va de nouveau sur la base du chapitre VII autoriser les
Etats membres.... à employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aus
sitôt que possible les conditions de sécurité pour les opérations de secours
humanitaire en Somalie ». Ainsi est née la force d'intervention unifiée (UN-
TAF), sous commandement et avec en majorité des contingents des Etats-
Unis. Cependant, face aux difficultés rencontrées sur le terrain et en présence
de pertes en vies humaines, les nouvelles autorités américaines vont décider
au printemps 93 de mettre un terme à cette action, bien que l'UNTAF n'ait
pas atteint les objectifs qui lui étaient assignés, notamment le désarmement
des factions en lutte (création de l'ONUSOM II par la résolution 814 du 26
mars 1993). La détérioration de la situation à partir d'octobre 1993 les amè
nera à envisager un désengagement de toutes leurs forces de la Somalie,
intervenu en mars 1994.
             Ainsi, en se déchargeant sur la plus grande puissance de ses respons
 abilités,         le Conseil n'obtient en contrepartie aucune garantie quant à l'ef
ficacité         de l'action entreprise et sa conformité aux objectifs de l'Organisation.


                         B) L'EXERCICE DIRECT DU POUVOIR

            Le pouvoir opère à nu, il se donne des justifications à une action de
contrainte directe, pour la défense d'un ordre qu'il est seul à prescrire et
en-dehors des hypothèses prévues par la Charte des Nations Unies que ce
soit la légitime défense ou les sanctions militaires sous l'égide du Conseil
de sécurité. Si on laisse de côté certaines opérations de la Russie dans les
ex-territoires de l'Union soviétique, c'est « l'humanitaire » qui sera le plus
souvent sollicité, dans l'après-guerre froide, pour prendre le relais de « l'
idéologique       », mais de façon sélective. Le concept « d'ingérence humanitaire »
avancé par quelques auteurs avec l'appui de certains milieux politiques ten
dait à semer la confusion et à ouvrir une nouvelle brèche au sein de l'obl
igation générale de ne pas recourir à la force. Désormais, on peut considérer
que la tentative doctrinale a fait long feu, et que ceux-là même qui en ont


      (26) J.M. Coicaud : « Les Nations Unies en Somalie - entre maintien et imposition de la
paix », Le Trimestre du monde, 1994, 1, p. 104-5.
52     L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE


 été les promoteurs ont, depuis, atténué leurs ardeurs, revu et corrigé leurs
 épreuves pour réduire le prétendu « droit d'ingérence » à un accès et un se
 cours        aux victimes, sans violation de la souveraineté des pays considérés (27).
 L'Assemblée générale des Nations Unies a, de son côté, constamment insisté
 sur le respect de celle-ci lorsqu'elle recommandait l'assistance aux popula
 tions détresse (28).
              en
            Les actions de contrainte directe se sont poursuivies en Irak, de la part
 des Etats-Unis et de certains de leurs alliés, en dépit de l'acceptation de la
résolution 687, assimilable de par son contenu à un « traité de paix ». Ainsi,
 en avril 1991, ces puissances (opération dite «provide comfort ») dépêchaient
 des forces armées à l'intérieur du territoire irakien, afin de protéger, au sein
 d'enclaves, les populations kurdes. Ils décidaient ensuite d'établir une zone
 d'exclusion aérienne au nord du 36e parallèle, étendue ensuite au sud du
 32e parallèle, pour couvrir les minorités chiites. Enfin, soupçonnant l'Irak
 d'avoir organisé une tentative d'assassinat du président Bush, au Koweit,
les Etats-Unis n'ont pas hésité, en juin 1993, à envoyer des missiles en re
présail es,         sur Bagdad.
            Hors l'alibi humanitaire, on ne pouvait évoquer, à propos de ces opérat
ions, aucun mandat ou autorisation des Nations Unies, sauf à estimer que
certains pays, devenus « hors-la-loi » seraient exclus de la protection normale
du Droit international, ainsi que semble le suggérer, par ailleurs, la liste
établie par la grande puissance « d'Etats terroristes ».
            Il reste que, même dans l'hypothèse de l'édiction de sanctions économi
ques le Conseil de sécurité, il revient aux tenants du pouvoir mondial
              par
de décider, en dernier ressort, si le récalcitrant remplit les critères pour être
réadmis dans le giron de la normalité internationale. Et il n'est pas exclu
que les obligations, mises à sa charge par les Nations Unies, soient élargies
et aggravées au gré d'une interprétation liée à la conjoncture politique.


                                      En conclusion

        Une nouvelle négociation globale, à l'instar de celle intervenue au le
ndemain      de la seconde guerre mondiale, semble nécessaire pour tracer les
limites du pouvoir dans la société des Etats, en fonction de toutes ses compo
santes et du nouveau rapport de forces. Le cinquantième anniversaire des
Nations Unies en 1995 pourrait offrir l'opportunité d'amorcer le débat.
        L'enjeu se situe aussi bien au niveau du principe de légalité et des
contours de l'obligation juridique internationale que de la légitimité de celle-
ci, ou encore de la perception par les sujets de droit des règles du jeu et de
l'intérêt qu'ils auraient à s'y engager.
        Le grand marchandage commercial périodique ne peut suffir à assurer
une prospérité équilibrée, s'il n'est coiffé par un « round politique » ou les
différentes sensibilités mondiales puissent s'exprimer, contribuant ainsi rée
llement     à bâtir l'échafaudage de « l'ordre ».




     (27) Voir l'évolution, à ce sujet, de la pensée de M. Bettati.
     (28) Voir les résolutions 43/131 du 8 décembre 1998 (victimes des catastrophes naturelles)
et 45/100 du 14 décembre 1990 (couloirs d'urgence humanitaire).

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L'obligation juridique dans le monde de l'après guerre froide

  • 1. M. le Juge Mohamed Bennouna L'obligation juridique dans le monde de l'après-guerre froide In: Annuaire français de droit international, volume 39, 1993. pp. 41-52. Citer ce document / Cite this document : Bennouna Mohamed. L'obligation juridique dans le monde de l'après-guerre froide. In: Annuaire français de droit international, volume 39, 1993. pp. 41-52. doi : 10.3406/afdi.1993.3119 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1993_num_39_1_3119
  • 2. ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL XXXIX - 1993 - Editions du CNRS, Paris L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE Mohamed BENNOUNA « La bibliothèque est illimitée et périodique. S'il y avait un voyageur éternel pour la tra verser dans un sens quelconque, les siècles finiraient par lui apprendre que les mêmes volumes se répètent toujours dans le même désordre, qui répété deviendrait un ordre, « L'Ordre ». J.L. Borges, «La bibliothèque de Babel», Fictions, Gallimard, 1957 Dans la grande mutation qu'a subie le monde bipolaire à la fin de la dernière décennie avec l'écroulement de l'Union soviétique, et ce qu'il faut bien appeler le triomphe sans partage de l'autre superpuissance, les Etats- Unis d'Amérique, et du système qu'ils incarnent, certains ont vu un renou veau sans précédent du droit international auréolé par la naissance d'un « nouvel ordre international » et conforté par la renaissance des Nations Unies dont la charte, dans sa virginité originelle de 1945, serait enfin ple inement mise en œuvre. Et s'il fallait une illustration lumineuse de ce nouvel état de choses, comme le ferait une hypothèse d'école ou une expérience en laboratoire, la guerre du Golfe, au début de cette décennie, a démontré comment la communauté internationale rénovée pouvait réagir face à une agression, on ne peut plus caractérisée. « Le nouvel ordre » gagnait ainsi ses titres de noblesse et le Droit international, paré d'efficacité et de certitude, s'était trouvé des défenseurs, par-delà la doctrine timorée, au sein même des grands de ce monde. Pourtant passée la fête ponctuée par les retrouvailles au sein du Conseil de sécurité, la chute du mur de Berlin et le règlement de tout le reliquat des contentieux régionaux de la guerre froide, Afghanistan, Namibie, Nica ragua, Cambodge, etc., la morosité et l'inquiétude sont revenues de plus belle, les feux des guerres civiles s'allument jusqu'au centre de l'Europe, l'A frique sombre dans une crise endémique, les micronationalismes et les inté- grismes de toutes sortes sont menaçants, enfin même les riches se plaignent d'une économie déprimée. Il est vrai que la prépondérance des Etats-Unis ne signifie nullement que ce pays va assumer le rôle de gendarme omnipré- (*) Mohamed Bennouna, Professeur agrégé des Facultés de Droit, Membre de la Commission de Droit international des Nations Unies.
  • 3. 42 L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE sent, dans la mesure où son action extérieure sera fonction de l'analyse de ses propres intérêts concernés, que le syndrome vietnamien opère toujours dans la conscience des dirigeants et qu'une certaine priorité est accordée désormais aux problèmes économiques et sociaux. Ainsi que le relève G. Par- mentier : « l'une des caractéristiques du système international d'aujourd'hui réside précisément dans l'incertitude devant laquelle se trouve le reste du monde quant aux intentions de la plus grande puissance » (1). Comme on pouvait s'en douter, le nouvel ordre n'est pas synonyme d'har monie universelle. Certes, la puissance militaire et économique, ainsi que la production idéologique sont désormais concentrées entre les mêmes mains, mais les sociétés connaissent par contre une accélération des mouvements centrifuges qui ne sont plus pondérés par un équilibre des pouvoirs, un sys tème de poids et de contrepoids au niveau mondial. Dans la sphère des vi vants, l'ordre et le désordre entretiennent incontestablement une relation dialectique. La liberté est d'une certaine façon l'expression de leur coexis tence. En revanche, la recherche de l'ordre absolu, exclusif, revient à courtiser la mort, ainsi que cela ressort clairement de l'expérience des régimes tota litaires et fascistes. Un auteur a reconnu avoir été «frappé par l'espèce de parallèle entre certains points de l'ordre du jour du Conseil de sécurité et certains points de l'ordre du jour du G7 (groupe des pays industrialisés) » (2). Bien entendu, l'homogénéité au niveau des structures politiques dominantes n'est pas nouv elle. Sans remonter aux empires, qu'il nous suffise d'évoquer le temps de la Sainte Alliance où la coutume était censée produire des obligations adé quates et en harmonie avec un monde réconcilié avec lui-même. En 1988, Roberto Ago nous décrivait une situation où le Droit international était dé barrassé des méfiances qui ont prévalu à partir des années soixante avec l'avènement des Etats nouveaux, ajoutant qu'il ne voit plus la nécessité « de provoquer un changement radical » (par voie de codification), et qu'il ne fallait pas « vouloir modifier outre mesure l'équilibre si justement réalisé par l'His toire entre un droit de formation spontanée et celui de formation volon taire » (3). En réalité, les pays du Tiers-monde ont échoué dans leurs revendications d'un nouvel ordre économique international faute de disposer d'un pouvoir en conséquence. La codification évoquée par l'éminent juge a concerné e s entiel ement le droit formel ou procédural, sans que la substance de ce qu'il a été convenu d'appeler les relations Nord-Sud ait été réellement affectée. Les pays en question ont perdu désormais la petite marge de manœuvre dont ils disposaient à la faveur de la compétition entre les deux grandes puissances. Quant aux appréhensions de jadis contre la formation accélérée de la norme coutumière au sein des organisations internationales de caractère universel, elles ne seraient plus de mise puisque la « majorité automatique » a changé de camp (4). (1) Le retour de l'histoire - stratégie et relations internationales pendant et après la guerre froide, éditions Complexe, Bruxelles, 1993. (2) M.C. Smoots : « Le Conseil de sécurité » in Aspects du système des Nations Unies dans le cadre de l'idée d'un nouvel ordre mondial, éditions Pedone, Paris, 1992, p. 67. (3) « Nouvelles réflexions sur la codification du droit international », RGDIP, 1988, n° 3, p. 574. (4) J. Charney : « Universal international law », AJIL, 1993, n° 4, p. 548. L'auteur se réfère aux appréhensions de P. Weil dans « Vers une normativité relative en droit international », RGDIP, 1982, p. 5-47.
  • 4. L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE 43 Tout pouvoir cherche à établir un ordre qui lui sert simultanément de rempart pour la défense de ses intérêts essentiels et de source de légitimation. Sur le plan international, il y a de surcroît une distorsion permanente entre la proclamation de l'égalité en droit des Etats souverains et la profonde dis parité de leur puissance et de leurs moyens. L'obligation juridique fondée sur le consentement des sujets de droit, quelles que soient par ailleurs ses modalités d'expression, trouve là ses limites. Leur évaluation, dans un monde oligarchique, nous conduira à examiner successivement l'impact de l'ordre (I) et l'impact du pouvoir (II). I. - L'IMPACT DE L'ORDRE Dans ses deux acceptions, qui se retrouvent d'ailleurs dans le langage courant, l'ordre se réfère d'une part à la règle du jeu suprême qui lie tous les acteurs et, d'autre part, au respect de cette règle, soit « le maintien de l'ordre » et l'organisation d'une sécurité pour tous. Ainsi dans une première acception, l'ordre se confond avec la suprématie du Droit (l'Etat de Droit). Toute action est appréciée, « légitimée » par rapport à des normes fondamentales qui lient tous les partenaires sociaux. Il s'agirait en Droit interne des principes constitutionnels ou de ce que les philosophes des XVIIe et xvme siècles ont qualifié de « contrat social ». Cependant, sur le plan international, on en est encore de ce point de vue aux balbutiements. Les principes fondamentaux qui seraient hors de portée des sujets souverains sont encore frappés de grandes incertitudes quant à leur élaboration, leur portée et leur sanction. Les Etats développent certes des relations pacifiques dans un cadre juridique global, et l'ordre serait dans ce cas le fondement même de ce type de relations (A). Dans une seconde acception, l'ordre se confond avec le dispositif destiné à maintenir les rapports étatiques dans un cadre pacifique ou, en d'autres termes, avec la garantie de leur sécurité. Il s'agit essentiellement, depuis l'avènement de la charte des Nations Unies, des normes contenues dans son chapitre VII. Mais les Etats ont la prétention, sur le plan international, à s'occuper de leur propre sécurité et de celle de l'ensemble de la communauté internat ionale, dans l'exercice d'une sorte de dédoublement fonctionnel, pour repren dre l'expression de Georges Scelle. Les normes de sécurité collective sont donc soumises aux tensions propres à la structure des Etats (B). A) L'ORDRE ET LES RELATIONS INTERÉTATIQUES L'ordre rejoint ici le débat sur la légitimité, en ce sens qu'il constitue le principe fondateur du droit international, qui justifie l'adhésion de ses sujets et le respect des obligations qui en découlent. La condamnation du colonia lisme de toutes ses justifications, y compris la « mission sacrée de civil et isation », ainsi que les progrès de l'anthropologie, ont permis de considérer la diversité et la relativité des cultures et des civilisations comme le principe fondateur des relations internationales. En ce domaine, il n'existe ni hiérar chie, vocation d'un système culturel à s'imposer à l'ensemble de la planète. ni
  • 5. 44 L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE Cela n'empêche bien entendu ni le dialogue, ni les influences réciproques qui se sont développées sous l'effet des progrès sans précédent des techniques de la communication. Cette ouverture a entraîné l'émergence aux côtés de la diversité et de la relativité, de facteurs d'unité qui prennent en considé ration l'homme en tant qu'individu, ou l'Humanité en tant que collectivité globale. L'Etat demeurant l'entité de base, le respect de sa souveraineté ne va pas sans celui des droits de la personne humaine, y compris ceux des mi norités ethniques linguistiques et religieuses qui coexistent en son sein. L'é quilibre entre ces exigences est assuré pour l'instant par l'interdiction du recours à la force « contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de tout Etat » (article 2 & 4 de la Charte des Nations Unies). L'interaction des cultures subit de plein fouet l'évolution du rapport de forces, et il n'est pas surprenant qu'on assiste de nos jours à la tentation d'exporter et d'étendre, éventuellement par la contrainte, le système de va leurs dominant sous couvert « d'amitié et leadership » (5). Que signifie donc au niveau international « la légitimité démocratique », et quelles sont les l imites de la protection de la personne humaine ? 1) La légitimité démocratique Selon R.J. Dupuy, « on assiste aujourd'hui à un renversement des ten dances au sein des Nations Unies. L'émergence au premier plan du Conseil de sécurité se double du rejet de la règle du libre choix par l'Etat de son régime politique, économique et social au profit de la démocratie libérale fondée sur les droits de l'Homme et les libertés fondamentales » (6). Comment en est-on arrivé aussi rapidement à un renversement du prin cipe de légitimité alors que la Cour internationale de Justice affirmait encore en 1986 : « Quelle que soit la définition que l'on donne du régime du Nica ragua, l'adhésion d'un Etat à une doctrine particulière ne constitue pas une violation du droit international coutumier. Conclure autrement reviendrait à priver de son sens le principe fondamental de la souveraineté des Etats sur lequel repose tout le droit international et la liberté qu'un Etat a de choisir son système politique social et culturel » (7). La Cour s'en tient là à la réaffirmation de l'aspect interne du principe d'autodétermination tel qu'il découle de la Charte et des grandes déclarations des Nations Unies, dont la philosophie demeure le cantonnement du débat, sur le mode de gouvernement, à l'intérieur des frontières étatiques et en- dehors de toute contrainte extérieure. Seuls les régimes nazi et fasciste ont fait l'objet d'une condamnation ferme de la part de l'Organisation universelle (résolution 36/162 de l'Assemblée générale, le 14 décembre 1981). En réalité si on ne peut que se féliciter des progrès de l'idée de démoc ratie dans le monde, dans le sens d'une participation des peuples à la gestion de leurs affaires, reconnue d'ailleurs dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte sur les droits civils et politiques, on ne doit (5) Déclaration de G. Bush à l'Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 1991. Voir P. Herman : « Le monde selon Bush : genèse du nouvel ordre mondial » in Le droit international à l'épreuve, éditions Complexe, Bruxelles, 1993. (6) « Concept de démocratie et action des Nations Unies », Bulletin du centre d'information des Nations Unies, décembre 1993, n° 7-8, p. 61. (7) Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/Etats-Unis d'Amérique), Arrêt, fond du 27 juin 1986, Rec. p. 133.
  • 6. L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE 45 pas perdre de vue que chaque société élabore son expérience historique à son rythme avec des erreurs, des hésitations et des adaptations progressives. Il n'existe pas en la matière de normes ou de critère universels, et encore moins un droit des puissances extérieures ou d'un pouvoir hégémonique de les apprécier et d'imposer leur respect. Il y a eu certes, du temps de la guerre froide et des zones d'influence, une prétention des organisations régionales concernées de garantir l'homo généité idéologique de leurs membres, mais il était évident que l'action de ces institutions (hors le cas du chapitre VIII de la Charte) ne pouvait faire exception à certains principes fondamentaux tels que le non-recours à la force et la libre détermination. Invoquant une conception de « la souveraineté po pulaire par opposition à la souveraineté de l'Etat », M. Reisman estime que celle-ci peut être violée aussi bien par une force « indigène » qu'extérieure et que, dans le premier cas, une invasion, pour renverser un « caudillo » et installer le gouvernement élu, est légale (8). Ces spéculations doivent être replacées, comme l'a fait O. Schachter, dans leur véritable contexte, celui des interventions américaines à Grenade (1983) et à Panama (1989), et des justifications qui s'en sont suivies; sans compter que les valeurs démocratiques en question ne sont défendues que là où la grande puissance estime ses intérêts en cause (9). Quoi qu'il en soit, l'idée d'une conformité des régimes politiques à un modèle universellement reconnu n'a fait son entrée dans les instances des Nations Unies qu'à la faveur de la renonciation de l'Union soviétique à son rôle de superpuissance. Et encore, ce fut sous l'angle de la tenue d'élections libres (inscription depuis 1988 à l'ordre du jour de l'Assemblée générale d'un point intitulé : « renforcement de l'efficacité du principe d'élections périodiques et honnêtes »). Mais les ré solutions adoptées sont loin d'être consensuelles et certaines mettent l'accent sur la spécificité des processus électoraux selon les pays concernés (10). A l'examen de ces textes, « il est donc difficile de conclure, selon P. Klein, sur l'enracinement d'un droit effectif aux élections libres dans le droit interna tional (11). » D'autre part le pluralisme, auquel il est fait appel, peut-il se limiter à la sphère du pouvoir alors qu'il n'est que l'expression d'une diversité plus large à tous les niveaux de la vie sociale, intellectuelle, professionnelle, sexuelle, etc. ? Certaines expériences récentes de plaquage par le haut d'élec tions disputées, alors que la société, à la base, restait cloisonnée, enserrée dans un étau, ont malheureusement conduit à des échecs. Enfin, qu'en est-il lorsque l'urne génère des forces dont l'ambition proclamée est de la saccager définitivement ? Il est incontestable que le temps historique est différent d'une société à l'autre. On ne peut donc les couler dans le même moule, à moins de consacrer un ordre impérial qui serait en charge de le faire. T. Franck semble avoir évacué de ses analyses les aspects culturels et historiques, tout en mettant l'accent sur les critères, dans l'abstrait, de la légitimité, à partir d'une communauté internationale mythique (12). (8) « Sovereignty and human rights in contemporary international law » AJIL, 1990, p. 871- 872. (9) « Is there a right to overthrow an illegitimate regime ? », Mélanges Michel Virally, éditions Pedone, 1991, p. 423-430. (10) Voir les résolutions 45/150 et 45/151 du 18 décembre 1990. (11) «Le droit aux élections libres en droit international : mythes et réalités» in le Droit international à l'épreuve, op. cité p. 112. (12) « The emerging right to democratic governance », AJIL, 1992, p. 46-91.
  • 7. 46 L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE La démocratisation des relations internationales ne va pas sans le respect des modèles culturels distincts d'une société à l'autre; mais ceci n'empêche pas certaines valeurs communes d'accéder à l'universalité et d'être consacrées par le Droit international général. 2) La protection des droits fondamentaux de la personne humaine L'ordre international est indissociable du respect des droits de la per sonne humaine. Ainsi que l'a rappelé RM. Dupuy, « cette conviction irradie en réalité toute la Charte des Nations Unies », et relève de « la dimension structurelle de la paix internationale » (13). La Déclaration universelle des droits de l'Homme s'en est fait d'ailleurs l'écho de manière explicite : « toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente déclaration puissent y trouver plein effet » (article 28). Il fallait donc déterminer les voies et moyens de leur effectivité, dans le monde des souverainetés, et dégager un « noyau dur » en tant que socle de l'ordre international. Deux approches ont été tentées simultanément; la première consiste en la mise en forme de ces droits dans le cadre de traités multilatéraux géné raux, en précisant ceux d'entre eux auxquels on ne peut déroger en aucune circonstance (14); la seconde sera de les élever dans la hiérarchie des normes, en consacrant leur caractère impératif. A ce propos, le pas décisif a été ac compli par la Cour internationale de Justice lorsqu'elle a considéré, à l'o ccasion de l'affaire de la Barcelona Traction en 1970, « les principes et les règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine » comme « les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble » (erga omnes). Il en découle que « tous les Etats peuvent être consi dérés comme ayant un intérêt juridique « à ce que ces droits soient proté gés (15). » Alors que la Cour ouvrait une voie de recours pour régler un différend né d'une obligation qui pèse sur tous les sujets de Droit dans la mesure où elle constitue l'un des piliers de l'ordre international, l'Institut de Droit in ternational, lors de la session de St-Jacques de Compostelle en 1989, a estimé le moment opportun pour des initiatives unilatérales destinées à faire pres sion sur l'Etat fautif tout en les assortissant de conditions restrictives (16). S'il est admis que les droits de l'Homme ne rentrent pas dans la catégorie des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale des Etats, au sens de l'article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies, il n'en de- (13) « Sécurité collective et organisation de la paix », RGDIP, 1993, 3, p. 623. (14) J. Dhommeaux : « De l'universalité du droit international des droits de l'homme : du pac- turn ferendum au pactum latum », AFDI, 1989, p. 399-423. (15) Arrêt du 5 février 1970, CIJ Rec, 1970, p. 32. (16) Article 5 de la résolution du 13 décembre 1989 (adoptée sur rapport du Pr. Sperduti : « protection des droits de l'homme et principe de non-intervention ») : « Toute mesure individuelle ou collective destinée à assurer la protection des droits de l'homme répondra aux conditions sui vantes : - Sauf en cas d'extrême urgence, l'Etat auteur de la violation aura été en demeure de la faire cesser ; - La mesure sera proportionnée à la gravité de la violation; - Elle sera limitée à l'Etat auteur de la violation; - l'Etat qui y recourt tiendra compte des intérêts des particuliers et des Etats tiers, ainsi que de l'incidence de la mesure sur le niveau de vie des populations concernées. » Annuaire de l'IDI, 1990, vol. 63 II, p. 287.
  • 8. L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE 47 meure pas moins que les contremesures envisagées soulèvent toute la ques tion de l'inégalité des moyens entre les Etats et de la subjectivité de leur appréciation des situations en cause. Et cette préoccupation est encore plus nette dans le monde de l'après-guerre froide. La simple mise en demeure adressée à l'Etat auteur de la violation (présumée) ne suffit pas, il faut encore qu'un organe de contrôle et/ou de règlement soit à même de se prononcer sur ce comportement, et/ou sur la légalité de la contre-mesure. Autrement, on aboutirait à des situations où certaines puissances ainsi que les organi sations qui les regroupent (telle que l'Union européenne) peuvent être amen ées, selon le cas, à suspendre accords de coopération et d'assistance économique au gré d'intérêts d'ordre géopolitique, sans que le souci des droits de l'Homme se traduise par les mêmes réactions selon les pays concernés. En somme, l'intérêt moral et juridique de tous les Etats au respect des droits fondamentaux de la personne humaine est bien établi. Mais leur per mettre d'adopter des représailles non armées, en se soustrayant à leurs en gagements internationaux, reviendrait à légitimer les prérogatives de quelques puissances dans la grande majorité des ordres internes en question. Seul un renforcement des structures de contrôle des organisations univers elleset des procédures de règlement des différends permettront de contenir les contre-mesures éventuelles dans un cadre compatible avec la suprématie du Droit. Certes, « la pierre angulaire de l'édifice est et doit demeurer l'Etat et le respect de sa souveraineté et de son intégrité », mais celle-ci, comme l'a sou ligné également le Secrétaire général des Nations Unies dans son agenda pour la paix, doit se concilier avec la protection des droits des « minorités qu'elles soient ethniques, religieuses, sociales ou linguistiques » (New York, juin 1992). Ce dernier aspect peut être considéré comme l'une des faiblesses majeures de l'ordre international (17), marquant en conséquence les limites des instruments de la sécurité collective, ainsi que cela ressort clairement du drame dont l'ex-Yougoslavie est le théâtre. B) L'ORDRE ET LA SÉCURITÉ COLLECTIVE L'ordre est atteint, en l'occurrence, par l'exercice collectif de certaines prérogatives relevant traditionnellement de la souveraineté de chacun, en matière de recours à la force contre d'autres Etats, quel que soit le mobile, à l'exception de la légitime défense (18). Dans un tel schéma, l'Organisation universelle se substitue aux Etats pris individuellement dans une action des tinée à neutraliser un agresseur actuel ou potentiel (menace). Poussant cette logique jusqu'à son terme, le chapitre VII de la Charte avait prévu la mise à disposition du Conseil de sécurité, assisté d'un comité d'état-major, de contingents nationaux de forces aériennes. L'alliance politique des cinq membres permanents du Conseil se serait appuyée ainsi sur une véritable armée internationale placée sous le même commandement, pour faire régner l'ordre. On sait que la réalité de l'opposi tion blocs a gelé ce dispositif et entraîné la mise au point d'autres formes des (17) Voir la déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques (Assemblée générale de l'ONU, résolution 47/135) et le commentaire d'Omanga Bokatola, RGDIP, 1993, 3, p. 746-765. (18) Article 51 de la Charte des Nations Unies.
  • 9. 48 L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE d'action plus adaptées (forces d'urgence, opérations de maintien de la paix). M. Boutros Ghali, secrétaire général de l'après-guerre froide, a cru le moment venu de proposer dans son « agenda pour la paix » (31 janvier 1992) un retour au schéma initial de la Charte, en le complétant par « des unités d'imposition de la paix », créées en tant que « mesure provisoire au sens de l'article 40 de la Charte » et destinées, en cas de besoin, « à rétablir un cessez-le-feu et à le maintenir ». A l'unité retrouvée du directoire international devrait corre spondre une puissance de frappe et une stratégie communes. Les décisions adoptées, dans ce cadre, s'imposent à l'ensemble des Etats membres et créent même des obligations qui prévalent sur toutes celles qu'ils auraient contrac tées vertu de tout autre accord international (article 103 de la Charte). en Encore convient-il que le Conseil s'en tienne aux compétences qui lui ont été dévolues par le traité constitutif et, sur le plan politique, qu'il soit rée llement représentatif de la société des Etats. C'est à cette condition que ses décisions et les obligations qui en découlent peuvent être considérées comme légitimes par les destinataires. Le débat sur la composition du Conseil, et surtout sur la qualité de memb repermanent, est déjà largement ouvert; certaines candidatures devront être prises sérieusement en considération, celles notamment du Japon et de l'Allemagne qui figurent parmi les premiers contributeurs au budget de l'Or ganisation. D'autre part, le Conseil a tendance à se fonder sur le chapitre VII de la Charte pour légiférer sur les questions les plus diverses qui vont de l' obligation faite à un Etat d'extrader ses propres nationaux, à la création d'un tribunal pénal international en passant par la démarcation définitive de la frontière entre deux pays membres (19). Cet organe peut certes recommander une procédure de règlement pacifique d'un différend opposant deux Etats membres, au titre du chapitre VI de la Charte, mais il n'est aucunement habilité à décider d'autorité à son sujet, surtout lorsqu'une convention in ternationale prévoit expressément la compétence de la Cour internationale de Justice en cas de litige (20). N'étant pas tenu de motiver ses décisions et échappant à un contrôle de légalité, le Conseil ou les puissances qui en constituent le noyau, concentre ainsi entre ses mains des prérogatives exorbitantes, que ne tempère en rien l'opinion qui pourrait s'exprimer à l'Assemblée générale. D'ailleurs, dans le monde de l'après-guerre froide, les pressions sont telles que peu de pays membres, à l'intérieur ou en-dehors du Conseil, s'aventureraient à contester sérieusement les obligations imposées par le directoire des puissances, sans craindre des retombées négatives à tous les niveaux de leur situation socio- économique. Le traitement est d'abord approprié au décideur avant de l'être à la crise en question. Comment expliquer autrement l'attitude observée dans la guerre qui fait rage dans l'ex-Yougoslavie et où les bosniaques musulmans sont (19) Résolution 748 du 31 mars 1992 (demandes des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France concernant les attentats perpétrés contre les vols de la Pan American et de l'Union des transports aériens). Résolution 808 du 22 février et résolution 827 du 25 mai 1993 créant un tribunal international chargé de juger les violations du droit humanitaire dans l'ex- Yougoslavie. Résolution 833 du 27 mai 1993 entérinant les travaux de la commission de démarcation des frontières entre l'Irak et le Koweit, instituée par le Conseil. (20) C'est le cas de la Convention pour la répression d'actes dirigés contre la sécurité de l'aviation civile (Montréal, 23 septembre 1971).
  • 10. L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE 49 confrontés à une opération de génocide ? La dernière péripétie, en février 1994, de l'ultimatum pour dégager Sarajevo, est révélatrice du fonctionne ment de la sécurité collective. Contrairement aux dispositions du cha réel pitre VIII de la Charte, c'est l'Organisation régionale qui dicte la marche à suivre à l'Organisation universelle. La sécurité collective ainsi comprise ne serait que la poursuite de l'en treprise de « gestion difficile du désordre », ainsi que le souligne M. Bertrand qui plaide inlassablement pour une autre conception, non strictement mili taire, et destinée à s'attaquer aux causes des catastrophes prévisibles. En effet, « ce sont les situations de misère, d'exclusion, de désespoir, qui poussent les populations, en quête d'une vie décente, de dignité, de reconnaissance de leur identité, à se réfugier dans les haines tribales, les intégrismes, la confiance en des dictateurs potentiels, ou à émigrer à l'étranger » (21). Dans l'attente d'un autre « agenda pour la paix » qui s'écarterait de la philosophie du corps des pompiers, le pouvoir et l'intérêt national étroit qu'il incarne impriment toujours leur marque à l'obligation juridique internatio nale. II. - L'IMPACT DU POUVOIR Tout comme le metteur en scène s'abrite derrière sa caméra, anime l'image et lui donne un sens, le pouvoir se présente rarement à visage dé couvert; il essaie d'occulter les ficelles et autres manipulations afin d'exercer, dans les conditions les plus avantageuses, son autorité. Il agit alors le plus souvent par procuration (A). Mais il est des situations où le pouvoir lève le voile et s'expose directement au risque d'être plus facilement démystifié (B). C'est alors seulement que l'ordre et l'obligation prennent leur coloration dé finitive. A) L'EXERCICE DU POUVOIR PAR PROCURATION La sécurité collective demeure largement déconcentrée ; le Conseil de sé curité dépend étroitement de ses membres permanents et il ne dispose pas de moyens propres pour mener une action distincte et autonome. Au temps de la guerre froide, on pouvait considérer que le pouvoir était à même d'ar rêter le pouvoir et qu'un certain compromis pouvait parfois émerger en con formité avec l'intérêt de toutes les parties prenantes, ou tout au moins sans que celui de l'une d'entre elles ne soit sérieusement malmené. Mais lorsque ce sont les mêmes puissances qui prennent les décisions et qui se donnent procuration pour les mettre en œuvre, sans d'autres contrôles et limites que ceux qu'ils entendent se donner, alors on assiste à une obligation à géométrie variable, dont les contours relèvent de la subjectivité des gouvernants mon diaux et des mouvements d'opinion au sein de leurs pays. Le drame de la guerre du Golfe en est la meilleure illustration, d'autant plus que les effets de l'intervention armée sont toujours là car il appartient (21) M. Bertrand : « Tragique impuissance de l'ONU », in supplément du Monde diplomatique, février 1994, n° 21.
  • 11. 50 L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE aux mêmes acteurs, qui agissent au nom de la communauté internationale, et à leurs conditions, d'y mettre un terme. C'est par sa résolution 678 du 29 novembre 1990 que le Conseil de sé curité a confié aux Etats membres, qui coopèrent avec le Koweit, à savoir la coalition de 28 pays constituée et dirigée par les Etats-Unis, le soin de mettre en œuvre la résolution 660 du 2 août 1990 qui « exige que l'Irak retire immédiatement et inconditionnellement toutes ses forces pour les ra mener aux positions qu'elles occupaient le 1er août 1990 ». Cette délégation des compétences du Conseil est assez large, puisque les Etats sont autorisés à « user de tous les moyens nécessaires » (pour libérer le Koweit), sous réserve de « le tenir régulièrement au courant des disposi tions qu'ils prendront ». Si même on laisse de côté le processus particulier, incluant des pressions économiques et financières, par lequel la résolution 678 a été adoptée et qui confirme selon le Pr. B. Weston « à quel point le pouvoir des Etats-Unis sur le mécanisme décisionnel des Nations Unies est devenu total en l'absence de l'opposition du temps de la guerre froide » (22), il n'en demeure pas moins que le Conseil sera tenu à l'écart de toutes les opérations militaires qui se dérouleront, sur cette base, du 15 janvier au 28 février 1991. A la veille du déclenchement des hostilités, le Secrétaire général, M. Perez de Cuellar, a admis lui-même que « cette guerre n'était pas celle des Nations Unies » (23). Notre propos n'est pas tant la question de principe en cause, puisque l'invasion du Koweït était manifestement illégale, tout comme était légitime et nécessaire la libération de ce pays, que la dérive du système des Nations Unies et du Droit qui le charpente et le justifie. Or en l'occurrence, ni l'appel à la légitime défense collective ni le précédent de Corée, ni la violation d'une obligation internationale essentielle (24), ni les dispositions du chapitre VII en matière de sanctions militaires, ne se sont révélés d'aucun secours pour confectionner un parapluie juridique étanche à l'action menée sous la houlette américaine. Une puissance militaire disproportionnée était donc livrée à elle- même et expérimentait, grandeur nature, son arsenal d'armements le plus élaboré, selon une stratégie qui faisait peu de cas des dégâts humains et matériels infligés à l'adversaire. Le Conseil ne sera réactivé que pour signifier les premières conditions de l'arrêt des hostilités (résolution 686 du 2 mars 1991) et pour fixer les modalités du cessez-le-feu définitif par la résolution 687 du 2 avril 1991 ana lysée par R. Zacklin comme « un instrument historique sans précédent dans l'histoire des Nations Unies ». Et l'auteur d'ajouter : « Si du point de vue formel elle est une résolution du Conseil de sécurité, elle est à toutes fins utiles un traité de paix dans lequel le vainqueur impose au vaincu une série d'obligations onéreuses dont l'acceptation par l'Irak est garantie par le cha peau du chapitre VII et par la continuation des sanctions » (25). (22) « Security council resolution 678 and Persian Gulf decision making : precarious legit imacy », AJIL, 1991, p. 523-25. (23) Cité par B. Stern : Guerre du Golfe, le dossier d'une crise internationale, 1990-1992, la Documentation française, Paris, 1993, p. 20. (24) G. Gaja : « Réflexions sur le rôle du Conseil de sécurité dans le nouvel ordre mondial - à propos des rapports entre maintien de la paix et crimes internationaux des Etats », RGDIP, 1992, 2, p. 297-319. (25) R. Zacklin : « Les Nations Unies et la crise du Golfe » in Les aspects juridiques de la guerre du Golfe, sous la direction de B. Stern, éditions Montchrétien, 1991, p. 71.
  • 12. L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE 51 A partir de l'illégalité initiale de l'occupation du Koweit, les tenants du pouvoir mondial se sont attribués les droits appropriés et ont déterminé les obligations qui sont à la charge de l'agresseur, quitte à poursuivre parfois des objectifs contradictoires consistant notamment à imposer à l'Irak l'i ndemnisation des victimes, par l'intermédiaire de la commission de compens ationdes Nations Unies, sans lever l'embargo qui lui permettrait de commercialiser les ressources dont une proportion devrait être affectée à cette tâche. L'incertitude quant aux intentions de la plus grande puissance, que nous évoquions, ne consiste pas seulement en ce qu'une action est maintenue même si elle a apparemment atteint ses objectifs premiers, mais aussi en ce qu'elle est arrêtée prématurément pour des motifs de politique nationale. C'est ce dernier scénario qui a prévalu dans l'affaire de la Somalie. En effet, l'inefficacité de l'UNISOM étant avérée, le Secrétaire général, M. Bou- tros Ghali, avait envisagé dans une lettre au président du Conseil de Sécur ité, le 24 novembre 1992, plusieurs options dont l'intervention armée d'un groupe d'Etats membres, précisant toutefois que les Etats-Unis s'étaient pro posés pour organiser et diriger l'opération (26). Le Conseil, par la résolution 794 du 3 décembre, va de nouveau sur la base du chapitre VII autoriser les Etats membres.... à employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aus sitôt que possible les conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaire en Somalie ». Ainsi est née la force d'intervention unifiée (UN- TAF), sous commandement et avec en majorité des contingents des Etats- Unis. Cependant, face aux difficultés rencontrées sur le terrain et en présence de pertes en vies humaines, les nouvelles autorités américaines vont décider au printemps 93 de mettre un terme à cette action, bien que l'UNTAF n'ait pas atteint les objectifs qui lui étaient assignés, notamment le désarmement des factions en lutte (création de l'ONUSOM II par la résolution 814 du 26 mars 1993). La détérioration de la situation à partir d'octobre 1993 les amè nera à envisager un désengagement de toutes leurs forces de la Somalie, intervenu en mars 1994. Ainsi, en se déchargeant sur la plus grande puissance de ses respons abilités, le Conseil n'obtient en contrepartie aucune garantie quant à l'ef ficacité de l'action entreprise et sa conformité aux objectifs de l'Organisation. B) L'EXERCICE DIRECT DU POUVOIR Le pouvoir opère à nu, il se donne des justifications à une action de contrainte directe, pour la défense d'un ordre qu'il est seul à prescrire et en-dehors des hypothèses prévues par la Charte des Nations Unies que ce soit la légitime défense ou les sanctions militaires sous l'égide du Conseil de sécurité. Si on laisse de côté certaines opérations de la Russie dans les ex-territoires de l'Union soviétique, c'est « l'humanitaire » qui sera le plus souvent sollicité, dans l'après-guerre froide, pour prendre le relais de « l' idéologique », mais de façon sélective. Le concept « d'ingérence humanitaire » avancé par quelques auteurs avec l'appui de certains milieux politiques ten dait à semer la confusion et à ouvrir une nouvelle brèche au sein de l'obl igation générale de ne pas recourir à la force. Désormais, on peut considérer que la tentative doctrinale a fait long feu, et que ceux-là même qui en ont (26) J.M. Coicaud : « Les Nations Unies en Somalie - entre maintien et imposition de la paix », Le Trimestre du monde, 1994, 1, p. 104-5.
  • 13. 52 L'OBLIGATION JURIDIQUE DANS LE MONDE DE L'APRÈS-GUERRE FROIDE été les promoteurs ont, depuis, atténué leurs ardeurs, revu et corrigé leurs épreuves pour réduire le prétendu « droit d'ingérence » à un accès et un se cours aux victimes, sans violation de la souveraineté des pays considérés (27). L'Assemblée générale des Nations Unies a, de son côté, constamment insisté sur le respect de celle-ci lorsqu'elle recommandait l'assistance aux popula tions détresse (28). en Les actions de contrainte directe se sont poursuivies en Irak, de la part des Etats-Unis et de certains de leurs alliés, en dépit de l'acceptation de la résolution 687, assimilable de par son contenu à un « traité de paix ». Ainsi, en avril 1991, ces puissances (opération dite «provide comfort ») dépêchaient des forces armées à l'intérieur du territoire irakien, afin de protéger, au sein d'enclaves, les populations kurdes. Ils décidaient ensuite d'établir une zone d'exclusion aérienne au nord du 36e parallèle, étendue ensuite au sud du 32e parallèle, pour couvrir les minorités chiites. Enfin, soupçonnant l'Irak d'avoir organisé une tentative d'assassinat du président Bush, au Koweit, les Etats-Unis n'ont pas hésité, en juin 1993, à envoyer des missiles en re présail es, sur Bagdad. Hors l'alibi humanitaire, on ne pouvait évoquer, à propos de ces opérat ions, aucun mandat ou autorisation des Nations Unies, sauf à estimer que certains pays, devenus « hors-la-loi » seraient exclus de la protection normale du Droit international, ainsi que semble le suggérer, par ailleurs, la liste établie par la grande puissance « d'Etats terroristes ». Il reste que, même dans l'hypothèse de l'édiction de sanctions économi ques le Conseil de sécurité, il revient aux tenants du pouvoir mondial par de décider, en dernier ressort, si le récalcitrant remplit les critères pour être réadmis dans le giron de la normalité internationale. Et il n'est pas exclu que les obligations, mises à sa charge par les Nations Unies, soient élargies et aggravées au gré d'une interprétation liée à la conjoncture politique. En conclusion Une nouvelle négociation globale, à l'instar de celle intervenue au le ndemain de la seconde guerre mondiale, semble nécessaire pour tracer les limites du pouvoir dans la société des Etats, en fonction de toutes ses compo santes et du nouveau rapport de forces. Le cinquantième anniversaire des Nations Unies en 1995 pourrait offrir l'opportunité d'amorcer le débat. L'enjeu se situe aussi bien au niveau du principe de légalité et des contours de l'obligation juridique internationale que de la légitimité de celle- ci, ou encore de la perception par les sujets de droit des règles du jeu et de l'intérêt qu'ils auraient à s'y engager. Le grand marchandage commercial périodique ne peut suffir à assurer une prospérité équilibrée, s'il n'est coiffé par un « round politique » ou les différentes sensibilités mondiales puissent s'exprimer, contribuant ainsi rée llement à bâtir l'échafaudage de « l'ordre ». (27) Voir l'évolution, à ce sujet, de la pensée de M. Bettati. (28) Voir les résolutions 43/131 du 8 décembre 1998 (victimes des catastrophes naturelles) et 45/100 du 14 décembre 1990 (couloirs d'urgence humanitaire).