DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE BONHEUR COLLECTIF ET NOUVELLES TECHNOLOGIES
Le trolling politique : Comment une pratique du web 2.0 s'est-elle immiscée dans le débat et l'arène politique ?
1. UNIVERSITE
MONTPELLIER
1
FACULTE
DE
DROIT
ET
DE
SCIENCE
POLITIQUE
Aurélien
BELLANGER
Le
«
trolling
»
politique
:
Comment
une
pratique
du
web
2.0
s’est-‐elle
immiscée
dans
le
débat
et
l’arène
politique
?
Mémoire
de
recherche
pour
l’obtention
du
Master
1
Science
Politique
Directeur
:
Alexandre
DEZE
Avril
2013
2.
REMERCIEMENTS
Je
souhaiterais
tout
d’abord
remercier
Alexandre
Dézé,
pour
m’avoir
fait
confiance
dans
le
cadre
de
la
rédaction
d’un
mémoire
sur
un
sujet
peu
conventionnel.
Je
voudrais
aussi
remercier
Dominique
Cardon
pour
ses
conseils
avisés
pour
débusquer
le
spécialiste
du
«
Troll
»
qui
n’est
autre
qu’Antonio
Casilli
;
ce
dernier
a
éveillé
en
moi
un
réel
intérêt
pour
un
sujet
encore
peu
connu.
Je
tiens
également
à
remercier
Sylvain
Maretto
et
Lucas
Riveill
pour
l’aide
qu’ils
ont
pu
m’apporter,
en
m’orientant
de
la
meilleure
des
manières
dans
mes
recherches.
3. Sommaire
Introduction
Première
partie
–
Les
origines
du
«
trolling
»
Les
origines
du
détournement
en
politique
Définition
et
fonction
politique
du
«
troll
»
Renouvellement
sur
le
web
d’une
ancienne
pratique
Deuxième
partie
–
Une
progressive
descente
du
web
dans
l’arène
politique
?
Historique
de
l’utilisation
du
web
à
des
fins
politiques
Internet
use
d’une
symbolique
de
la
démocratie
L’empowerment
des
citoyens
sur
internet
Entremêlement
de
la
sphère
publique/privée
du
politique
Troisième
partie
–
Le
trolling
à
l’usage
des
partis
politiques
dans
la
lutte
pour
le
pouvoir
La
bataille
UMP/PS
Le
FN
et
son
usage
des
fachosphères
La
communication
politique
s’empare
de
nouvelles
armes
Conclusion
Bibliographie
/
Webographie
4. Introduction
Le
6
mai
2012
restera
une
date
importante
dans
l’histoire
de
la
politique
en
France.
François
Hollande
est
alors
élu
24ème
président
de
la
République
Française.
Son
élection
marque
le
coup
d’arrêt
de
17
ans
de
présidence
de
l’UMP,
et
avant
2002
du
RPR.
Cette
élection
présidentielle
arrive
dans
un
contexte
totalement
nouveau,
qui
n’avait
pas
autant
d’importance
lors
des
élections
précédentes
:
nous
sommes
rentrés
depuis
la
dernière
décennie
dans
l’ère
du
numérique
et
du
«
tous-‐connectés
».
Cette
nouvelle
notion
incluant
la
technologie,
est
venue
se
greffer
dans
la
vie
de
tous
les
jours,
et
dans
les
usages
des
français.
Il
va
alors
de
soit
que
la
politique
a
également
évolué
dans
le
même
sens,
en
intégrant
progressivement
de
nouveaux
outils
de
communication.
Le
succès
de
l’utilisation
d’Internet
depuis
l’élection
de
Barack
Obama
en
2008
n’est
plus
à
démontrer.
En
effet,
dorénavant
toutes
les
campagnes
électorales
ont
nécessité
ces
nouveaux
outils
numériques
dans
le
but
de
mieux
communiquer
instantanément,
mais
également
pour
fédérer
et
coordonner
un
électorat.
Internet
est
donc
venu
se
greffer
progressivement
à
une
fonction
politique
qui
a
elle-‐même
totalement
évolué
à
l’heure
ou
les
médias
se
sont
élargis
et
ont
envahi
l’attention
de
toute
une
société.
Les
politiques
ont
des
interactions
dorénavant
totalement
différentes
avec
cette
société,
même
si
c’est
derniers
connaissent
des
pratiques
vieilles
de
plusieurs
siècles.
Ce
qui
va
nous
intéresser
dans
ce
travail
de
recherche,
c’est
justement
la
manière
avec
laquelle
cette
révolution
numérique
est
venue
chambouler
le
fonctionnement
politique,
le
transit
de
l’information,
et
les
relations
entre
les
hautes
sphères
et
la
population.
Pour
être
plus
précis,
c’est
d’avantage
la
notion
de
confrontation
des
politiques
qui
va
nous
intéresser.
En
effet,
depuis
que
la
politique
existe,
il
a
toujours
existé
des
confrontations,
rivalités
et
autres
animosités
entre
les
dirigeants
;
d’autant
plus
lorsque
les
premiers
partis
politiques
ont
été
crées.
Le
développement
de
l’utilisation
du
web
en
politique
va
s’inscrire
dans
cette
même
continuité
concernant
ces
rivalités,
utilisant
désormais
de
nouvelles
pratiques
liées
à
la
révolution
du
numérique.
Avant
même
de
concerner
la
sphère
politique,
certains
individus
se
sont
adonnés
à
de
nouveaux
usages
d’Internet,
et
notamment
dans
tout
ce
qui
touche
au
débat,
c’est
à
dire
les
forums,
fils
de
discussions,
site
web
participatifs
et
1
5. journaux
en
ligne.
Il
y
a
encore
eu
peu
de
recherches
scientifiques
sur
ces
individus,
appelés
«
trolls
».
Nous
allons
donc
essayer
de
comprendre
les
nouveaux
usages
en
politiques,
notamment
en
mettant
en
adéquation
directe
les
anciennes
et
nouvelles
pratiques
de
confrontations
en
politique,
l’évolution
numérique
et
l’incidence
qu’elle
a
eu
dans
chez
les
citoyens,
médias
et
politiques
eux-‐mêmes
;
tout
cela
pour
essayer
de
comprendre
les
apports
d’Internet
dans
les
luttes
de
pouvoir.
Trois
grands
axes
se
recouper
sur
ce
sujet
:
tout
d’abord
nous
allons
analyser
et
définir
ce
qu’est
le
«
trolling
».
Pour
cela,
il
convient
essentiellement
de
comprendre
les
origines
de
cette
pratique,
et
notamment
les
plus
anciennes
méthodes
de
lutte
dans
l’arène
politique,
c’est
à
dire
les
obstructions
parlementaires
et
les
batailles
d’amendements.
Suite
à
quoi
nous
délimiterons
alors
les
fonctions
du
«
troll
».
Nous
verrons
ensuite
comment
Internet
est
venu
s’insinuer
dans
la
vie
des
citoyens,
et
de
quelles
manières
a
t’il
pris
une
importance
certaine
dans
le
fonctionnement
de
la
vie
politique
actuelle.
Pour
cela,
nous
ferons
un
court
rappel
de
l’historique
de
l’utilisation
d’Internet
en
politique
pour
en
connaître
l’origine,
pour
ensuite
se
demander
si
cet
outil
est
réellement
démocratique.
A
partir
de
là
nous
verrons
ce
qui
a
pu
insuffler
un
nouvel
intérêt
des
citoyens
et
partisans
politiques
via
les
outils
numérique,
créant
ainsi
cette
notion
«
d’empowerment
»
qui
va
nous
intéresser
dans
le
cadre
de
cette
recherche,
notamment
suite
à
l’élection
de
Barack
Obama
en
2008.
Pour
terminer
cet
axe,
nous
essayerons
de
comprendre
dans
quelles
mesures
les
sphères
privées
et
publiques
des
hommes
politiques
ce
sont
entremêlées,
notamment
via
le
web
et
de
la
médiatisation
de
la
vie
politique.
Pour
terminer
ce
travail
de
recherche,
nous
essayerons
de
comprendre
comment
les
nouveaux
usages
d’Internet
tels
que
le
trolling,
ont
réussi
à
s’immiscer
progressivement
dans
la
vie
politique,
et
plus
précisément
dans
le
débat
et
la
confrontation
entre
les
partis.
Pour
cela
nous
analyserons
la
bataille
devenue
«
classique
»
de
l’UMP
et
du
PS
pour
conquérir
le
pouvoir,
tout
en
passant
par
les
pratiques
du
Front
National
et
ses
partisans,
en
terminant
sur
les
nouveaux
usages
utilisés
dans
la
communication
politique
découlant
directement
de
la
révolution
numérique.
2
6. Première
partie
:
Les
origines
du
«
trolling
»
Avant
de
parler
des
origines
et
la
naissance
du
trolling,
il
convient
de
revenir
sur
les
origines
du
détournement
dans
le
débat
politique.
Lorsque
j’emploie
le
terme
«
détournement
»,
il
s’agit
plus
précisément
d’un
moyen
utilisé
lorsqu’il
existe
un
contexte
d’opposition,
qui
servirait
à
faire
durer
le
débat
de
quelconques
manières.
Malgré
le
fait
que
la
présente
recherche
s’axe
particulièrement
sur
le
rapport
entre
la
naissance
de
l’internet
participatif
et
de
son
entrée
dans
le
débat
politique,
il
est
important
de
remarquer
que
ces
phénomènes
de
détournements,
sous
différentes
appellations,
existaient
bien
avant
la
naissance
d’internet.
Nous
allons
voir
dans
ce
premier
chapitre,
que
cette
notion
a
évolué
avec
le
temps,
en
changeant
de
formes
et
de
noms,
en
commençant
tout
d’abord
par
l’exemple
américain,
pour
ensuite
s’intéresser
au
cas
de
la
France.
1. Les
origines
du
détournement
en
politique
a. La
naissance
de
l’obstruction
parlementaire
aux
Etats-‐Unis
La
pratique
politique
qu’est
l’obstruction
est
née
à
l’origine
sur
le
continent
américain
lorsque
la
constitution
des
Etats-‐Unis
d’Amérique
de
1787
fut
ratifiée.
On
parlait
alors
de
«
Filibustering
»1,
qui
signifierait
«
agir
en
flibustier
des
hémicycles
».
Le
terme
qui
correspondra
le
mieux
en
France
notamment
au
sujet
de
la
pratique
en
elle-‐
même,
sera
«
l’obstruction
parlementaire
».
A
l’origine,
le
sens
ancien
de
flibustier
se
réfère
directement
à
un
acte
de
piraterie
ou
de
pillage,
d’une
personne
agissant
dans
l’illégalité
;
mais
ce
qui
nous
intéresse
dans
le
cadre
de
cette
recherche,
c’est
l’aspect
politique
de
la
flibusterie.
L’utilisation
de
ce
terme
renvoie
tout
d’abord
à
la
période
1840-‐1860
aux
Etats-‐
Unis,
lorsque
de
nombreux
hommes
politiques
des
états
du
sud
ont
fait
de
longs
discours
durant
les
débats
au
Sénat,
dans
le
but
ultime
de
retarder
au
maximum
un
projet
de
loi
ou
en
prévenir
le
vote.
L’apparition
de
cette
pratique
intervient
notamment
1
http://uspolitics.about.com/od/glossary/a/whatisfilibuster.htm
3
7. pendant
la
période
ou
la
question
de
l’esclavagisme
se
posait,
durant
laquelle
les
politiciens
du
sud
ont
usé
de
cet
outil
pour
tenter
de
bloquer
toutes
les
lois
de
droits
civils.
L’acte
de
flibusterie
est
devenu
populaire
dans
cette
période
d’avant-‐guerre.
Le
premier
politicien
a
en
avoir
fait
usage
aux
Etats-‐Unis
est
Henry
Clay 2 ,
qui
était
notamment
contre
l’esclavage
et
se
trouvait
également
être
un
des
premiers
hommes
politiques
à
tenter
des
conciliations
entre
états
du
nord
abolitionnaires
et
états
du
sud
esclavagistes,
dans
le
but
de
prévenir
une
guerre
imminente.
Dans
le
règlement
du
Sénat
américain,
il
existe
une
règle
qui
définit
parfaitement
la
structure
dans
laquelle
les
hommes
politiques
peuvent
prendre
la
parole.
Il
s’agit
là
de
la
règle
XIX,
qui
stipule
que
lorsqu’un
sénateur
souhaite
prendre
la
parole,
il
en
a
le
droit
sans
que
le
président
du
Sénat
puisse
s’y
opposer,
ou
encore
l’interrompre.
Mais
ce
qui
est
le
plus
important
dans
cette
règle
de
fonctionnement,
concerne
cette
non-‐
interruption
;
en
effet
il
est
dit
qu’un
sénateur
a
le
droit
de
parler
de
la
manière
qu’il
souhaite
et
autant
de
temps
qu’il
le
veut,
à
la
simple
condition
que
ce
dernier
ne
s’arrête
pas,
ne
s’assis
pas,
ou
encore
ne
boit
ou
ne
mange
pas.
C’est
dans
cet
aspect
de
la
règle
que
l’exercice
de
flibusterie
prend
tout
son
sens.
Dès
lors,
si
un
sénateur
souhaite
bloquer
le
débat
ou
en
détourner
l’attention,
il
peut
le
faire
en
prenant
le
temps
qu’il
lui
faudra
pour
s’attirer
tout
l’intérêt,
et
faire
valoir
ses
idées.
Une
disposition
récente
a
cependant
posé
des
règles
concernant
cet
exercice.
Il
s’agit
de
la
«
règle
de
Pastore
»,
appelée
de
cette
manière
en
l’honneur
du
sénateur
John
Pastore
de
Rhode
Island,
qui
stipule
que
la
question
ou
le
discours
d’un
sénateur
participant
au
débat,
se
doit
d’être
pertinente
sur
le
sujet
ou
la
loi
abordée.
Avant
cela
et
notamment
durant
les
années
1930,
plusieurs
politiciens
actaient
de
flibusterie
en
lisant
des
recettes
de
cuisine,
le
Congressional
Record,
ou
encore
la
déclaration
d’indépendance.
Le
record
de
temps
passé
au
pupitre
du
Sénat
est
encore
aujourd’hui
détenu
par
le
sénateur
républicain
Wayne
Morse3,
qui
en
1953
a
prononcé
un
discours
interminable
de
22
heures
et
26
minutes,
pour
bloquer
un
projet
de
loi
pétrolière,
le
speaker
ne
pouvant
pas
l’arrêter.
En
France,
il
existe
également
une
possibilité
de
détourner
ou
prolonger
le
débat
en
politique,
même
si
elle
ne
prend
pas
la
même
forme
qu’aux
Etats-‐Unis.
2
http://bioguide.congress.gov/scripts/biodisplay.pl?index=c000482
3
http://en.wikipedia.org/wiki/Wayne_Morse
4
8. b. Les
batailles
d’amendements
L’usage
de
l’amendement
en
France
a
pris
son
essor
en
1981,
à
la
suite
de
l’élection
de
François
Mitterrand.
Comme
je
l’ai
dit,
l’acte
de
flibusterie
en
question
ne
prend
pas
du
tout
la
même
forme
qu’aux
Etats-‐Unis,
même
s’il
y
existe
également
la
possibilité
pour
le
parti
minoritaire
d’en
faire
usage.
La
technique
employée
est
celle
de
la
«
bataille
d’amendements
».
De
manière
générale,
les
amendements
sont
utilisés
lorsque
le
parti
minoritaire
souhaite
imposer
des
biais
à
un
projet
de
loi
déposé
par
la
majorité,
soit
dans
le
but
de
faire
entendre
ou
imposer
son
avis
sur
le
sujet,
soit
tout
simplement
pour
marquer
son
opposition
et
faire
courir
le
débat
sur
le
long
terme,
voir
interpeller
l’opinion
publique.
En
1984,
plusieurs
élus
de
droite
ont
ainsi
déposé
2200
amendements
lors
de
l’examen
du
projet
de
loi
Savary 4
concernant
l’éducation.
Le
record
d’amendements
en
France
est
survenu
lors
du
dernier
quinquennat
de
Jacques
Chirac,
lorsque
l’opposition
déposa
137
665
amendements
(annexe
1)
concernant
la
loi
sur
la
privatisation
de
GDF-‐Suez5
en
2006.
Plus
récemment,
le
débat
sur
le
mariage
pour
tous
incarne
le
parfait
exemple
d’une
obstruction
parlementaire
s’étalant
dans
le
temps
et
créant
ainsi
une
vive
réaction
de
l’opinion
publique.
Le
dépôt
de
4999
amendements
par
les
députés
UMP
bloqua
le
débat
pendant
près
d’une
semaine
complète
jusqu’au
vote,
créant
ainsi
un
tollé
médiatique
ainsi
que
de
nombreuses
manifestations
et
autres
indignations.
Des
mesures
ont
été
prises
pour
éviter
ce
type
d’exercice
de
flibusterie,
notamment
lorsque
l’UMP
en
2009
lança
un
clip6
dénonçant
«
les
ravages
de
l’obstruction
parlementaire
»,
qui
fini
par
aboutir
sur
une
réforme
du
règlement
de
l’Assemblée
Nationale
limitant
ainsi
l’examen
de
l’ensemble
d’un
texte,
malgré
les
protestations
de
la
gauche
qui
craint
d’être
«
bâillonnée
».
Durant
le
débat
sur
la
loi
pour
le
mariage
pour
tous,
Bruno
Le
Roux,
patron
des
députés
socialistes,
pris
l’occasion
de
fustiger
la
droite,
trouvant
«
aberrant,
voir
«
atterrant
»,
le
fait
que
ces
derniers
déposent
un
tel
nombre
d’amendements.
Le
débat
politique
n’est
cependant
plus
limité
uniquement
à
l’Assemblée
Nationale
ou
au
Sénat.
Suite
à
l’émergence
d’une
nouvelle
forme
supposée
de
«
démocratie
4
http://www.lefigaro.fr/actualite-‐france/2013/01/11/01016-‐20130111ARTFIG00612-‐
mariage-‐pour-‐tous-‐vers-‐le-‐meme-‐sort-‐que-‐la-‐loi-‐savary.php
5
http://actu.dalloz-‐etudiant.fr/a-‐la-‐une/article/point-‐sur-‐le-‐droit-‐
damendement//h/43e1f3b7d3421b437441b10ad8bb6c99.html
6
http://www.dailymotion.com/video/x8066s_obstruction-‐parlementaire-‐quand-‐
le_news#.UXKaXyt5yVQ
5
9. participative
»,
nous
avons
pu
voir
apparaître
de
nouvelles
formes
de
contestation.
Les
batailles
politiques
et
l’obstruction
existent
depuis
bien
des
siècles,
mais
l’apparition
d’internet
et
notamment
du
web
2.0
a
vu
naître
de
nouveaux
processus
sociaux
visant
à
faire
valoir
une
forme
de
contestation
ou
de
détournement.
2. Définition
et
fonction
politique
du
«
troll
»
a. Définition
L’utilisation
du
mot
«
troll
»
peut
paraître
très
étrange
au
sujet
de
la
politique,
il
pourrait
même
en
faire
sourire
quelques-‐uns.
Il
s’agit
pourtant
là
du
sujet
principal
qui
est
abordé
dans
cette
recherche,
malgré
une
appellation
pour
le
peu
particulière.
On
aurait
pu
l’appeler
«
détourneur
»
ou
encore
«
perturbateur
»,
mais
c’est
l’utilisation
du
mot
«
troll
»
qui
est
dorénavant
utilisée
pour
parler
du
type
de
personne
sur
laquelle
je
vais
m’attarder
en
terme
de
définition.
La
première
question
qui
vient
à
l’esprit
est
donc
:
«
Qu’est
ce
qu’un
troll
?
».
Pour
y
répondre,
il
faut
reconnaître
qu’en
2013
il
existe
encore
très
peu
de
travaux
sur
un
point
de
vue
sociologique.
Cela
dit,
la
meilleure
définition
que
j’ai
pu
synthétiser
lors
de
mes
recherches,
est
celle
d’un
chercheur
en
sociologie
et
maître
de
conférences
à
Telecom
ParisTech,
qui
n’est
autre
qu’Antonio
Casilli.
Dans
son
livre
intitulé
«
Les
liaisons
numériques
»7,
il
nous
propose
une
première
définition
de
ce
qu’est
un
troll
:
«
Lorsque
l’on
parle
d’un
troll,
on
parle
d’une
personne
de
plus
en
plus
importante
sur
les
réseaux,
souvent
anonyme
dans
la
vie
de
tous
types
de
forums,
qui
se
démarque
par
l’utilisation
de
la
provocation,
des
insultes
et
autres
arguments
de
mauvaise
foi.
Il
possède
l’art
de
détourner
le
débat,
décentrer
les
discussions…
».
Avant
même
de
donner
une
définition,
je
vais
revenir
sur
l’étymologie
du
mot
«
troll
».
Il
existe
deux
sens
dont
il
faut
faire
une
certaine
distinction
:
le
premier
sens
7
CASILLI
Antonio,
Les
liaisons
numériques,
Editions
du
Seuil,
Paris,
2010.
6
10. remonte
à
la
mythologie
scandinave
;
on
parle
du
troll8,
comme
étant
un
personnage
dont
l’image
est
d’être
immense,
et
qui
serait
presque
impossible
à
détruire.
Le
second
sens,
vient
de
la
langue
anglaise
et
plus
précisément
du
verbe
to
troll9,
qui
correspond
à
une
pratique
venant
de
la
pêche.
Dans
le
cadre
de
cette
recherche,
on
peut
dire
que
les
deux
sens
étymologiques
peuvent
être
utiles.
En
effet,
une
personne
définie
comme
étant
un
«
troll
»
a
vu
son
apparition
sur
les
réseaux
via
la
première
définition
du
personnage
scandinave,
enracinée
dans
une
culture
du
jeu,
dont
l’image
est
fantaisiste.
On
voit
le
troll
comme
cette
personne
qui
est
dans
une
certaine
mesure
indestructible
via
sa
possibilité
de
changer
d’avatar,
de
pseudonyme
et
de
continuer
ses
méfaits
sur
le
web
participatif
à
l’infini.
Le
second
sens
étymologique
peut
également
correspondre,
via
l’idée
qu’un
troll
utilise
ou
lance
des
propos
qui
ont
pour
unique
but
de
lui
ramener
l’attention
de
ses
congénères.
Yann
Leroux10,
psychologue,
psychanalyste
et
blogueur,
remonte
également
à
l’utilisation
d’une
facette
de
ce
personnage
qu’est
le
troll
par
Alfred
Jarry,
qui
ce
dernier
a
crée
le
docteur
Faustroll11.
Le
nom
de
ce
personnage
de
roman
n’est
pas
tel
qu’il
est
pour
rien,
car
il
incarne
le
créateur
de
la
pataphysique,
qui
n’est
autre
que
la
«
science
des
solutions
imaginaires
»
/
une
science
de
l’absurde.
Et
ce
qui
peut
caractériser
le
troll
des
temps
modernes,
c’est
son
utilisation
de
l’absurde
dans
son
discours.
Il
utilise
l’absurdité
comme
arme
afin
de
renvoyer
les
autres
interlocuteurs
vers
leurs
limites
et
contradictions.
Il
est
important
de
noter
que
le
troll
n’est
pas
seulement
un
individu,
mais
la
dimension
centrale
de
sa
définition,
est
qu’il
s’agit
d’un
processus
social
:
il
est
dans
l’interactivité,
dans
le
regard
et
dans
l’échange
avec
les
autres.
Pour
comprendre
ce
point
de
vu,
il
convient
d’étudier
quel
est
le
mobile
psychologique
du
troll.
On
parlera
d’un
processus
groupal
:
le
troll
pour
exister
a
besoin
d’un
groupe,
il
a
même
la
passion
du
groupe.
Ses
motivations
sont
doubles
:
tout
d’abord
individuelles,
son
mobile
est
proche
du
narcissisme,
il
a
besoin
d’être
vu
et
entendu,
que
les
autres
le
voient
;
ses
motivations
envers
le
groupe
sont
autres,
il
a
besoin
d’une
certaine
méprise,
de
pouvoir
et
de
puissance,
de
sentir
qu’il
s’agit
d’un
détournement
vers
soi.
Le
troll
est
une
personne
qui
est
à
l’origine
intéressée
par
le
sujet
dans
lequel
elle
va
rentrer,
mais
8
http://www.cnrtl.fr/definition/troll
9
Traduction
vers
le
français
:
To
troll
:
«
Pêcher
à
la
traîne
».
10
http://www.psyetgeek.com/
11
JARRY
Alfred,
Gestes
et
opinions
du
Docteur
Faustroll,
pataphysicien,
Gallimard,
Paris,
1980.
7
11. elle
prend
cette
figure
de
troll
lorsqu’elle
considère
que
le
sujet
n’est
pas
abordé
comme
il
doit
l’être,
que
les
informations
sont
fausses
ou
autre
;
le
troll
se
confère
un
rôle
messianique
de
démasquement
dans
l’erreur,
mais
aussi
comme
la
personne
la
plus
capable
de
lever
le
voile
des
apparences
civilisées
dans
les
discours
des
forums
et
des
groupes
de
discussions.
On
parlera
d’une
fonction
destructrice,
mais
également
créatrice
de
sujets
de
discussion.
Pour
terminer
avec
ce
profil
psychologique
du
troll,
le
plaisir
qu’il
en
tire,
au
delà
du
rôle
qu’il
se
donne,
est
un
plaisir
de
déliaison
:
ce
qui
était
maintenu
en
ensemble
est
dissout
et
prend
une
autre
forme.
Il
joue
le
jeu
social
ou
le
jeu
de
groupe,
pour
se
mettre
en
dehors
lui-‐même
du
groupe.
Quoiqu’il
arrive,
il
s’agit
d’une
personne
qui
reste
seule
:
il
lui
est
impossible
de
créer
sa
propre
communauté.
Une
chose
est
très
importante
à
travers
l’image
de
ce
type
d’individu,
c’est
le
fait
qu’aujourd’hui
on
veut
se
trouver
et
se
vanter
d’un
lien
social
;
contrairement
à
cela,
le
troll
remplace
l’impossibilité
d’établir
un
réel
lien
social,
par
une
connectivité
sociale
:
Il
ne
peut
se
lier
aux
autres,
mais
peut
faire
tout
de
même
en
sorte
d’y
être
connecté
d’une
certaine
manière.
L’individu
va
donc
«
troller
»
dans
le
but
ultime
de
provoquer
des
modifications
structurelles
des
autres
individus
au
sein
du
réseau.
Cela
reste
un
phénomène
relativement
complexe,
découlant
du
fait
que
les
structures
sociales
en
ligne
sont
fondées
sur
des
liens
faibles,
rappelant
ainsi
la
théorie
de
Mark
Granovetter12
sur
la
force
des
liens
sociaux.
b. fonction
politique
du
troll
Après
avoir
compris
ce
qui
est
aujourd’hui
représenté
par
le
terme
«
troll
»,
et
le
sens
que
ce
dernier
prend
dans
le
cadre
de
cette
recherche,
nous
allons
maintenant
essayer
de
comprendre
l’utilité
politique
de
ce
dernier,
et
pourquoi
s’insère
t’il
dans
le
débat.
La
Transcendance
du
troll
est
assez
violente.
On
peut
considérer
que
son
apparition
sur
Internet
peut
correspondre
à
la
fin
de
la
possibilité
d’un
humour
de
guerre.
On
peut
prendre
par
exemple
le
journal
Hara-‐Kiri
du
professeur
Choron,
qui
incarnait
dans
les
années
1960-‐1980
les
vertus
de
la
guerre
à
travers
l’humour
bête
et
12
GRANOVETTER
Mark,
Strength
of
weak
ties,
American
Journal
of
Sociology,
Vol.78,
No.
6
(May,
1973),
pp.
1360-‐1380.
8
12. méchant.
Le
problème
c’est
que
le
politique
à
partir
du
milieu
des
années
1970
a
«
perdu
son
utilité
première
de
souveraineté
des
prises
de
décision,
abandonné
au
monde
industriel
et
financier,
il
est
devenu
la
section
divertissement
de
ces
secteurs
»
dixit
Frank
Zappa13.
Tous
les
hommes
politiques
à
partir
des
années
1970
ont
commencé
à
apparaître
de
plus
en
plus
dans
les
médias
naissants,
considérés
alors
par
certains
comme
de
nouveaux
professionnels
du
divertissement
et
du
«
stand-‐up
».
Pour
prendre
un
exemple
concret
en
France,
Jean
Marie
Le
Pen
a
commencé
très
tôt
ce
type
de
pratiques,
cette
manière
de
se
faire
voir
et
entendre
autre
que
dans
l’arène
politique
restreinte.
Aujourd’hui,
on
peut
presque
considérer
que
celui
qui
aura
le
plus
d’audience,
sera
celui
qui
fera
le
plus
de
blagues,
ou
celui
qui
aura
la
palme
de
la
transgression.
C’est
ainsi
grâce
à
l’apparition
des
nouveaux
médias
que
le
troll
peut
agir,
grâce
à
l’apport
entier
du
web
2.0,
de
tout
l’internet
participatif,
notamment
via
les
réseaux
sociaux
tels
que
Facebook,
Twitter,
Myspace,
mais
également
tous
les
forums,
les
fils
de
discussions,
d’articles
de
journaux,
les
commentaires.
On
peut
prendre
par
exemple
la
campagne
de
François
Hollande
durant
laquelle
il
opérait
un
tour
de
France
:
sur
le
réseau
social
Twitter,
désormais
miroir
internet
de
nombreux
hommes
politiques,
ce
dernier
a
annoncé
«Et
profiter
de
mon
passage
dans
la
Capitale
de
la
chaussure14
pour
m’en
offrir
une
paire».
C’est
exactement
de
ce
type
d’information
que
le
troll
a
besoin
;
une
information
très
simple,
mais
qui
peut
donner
du
grain
à
moudre
dans
les
discussions
sur
internet.
Le
troll
va
à
ce
moment
la
détourner
cette
information
pour
en
faire
quelque
chose
qui
se
trouvera
entre
l’humour
et
le
sarcasme.
Cela
peut
être
une
image
«
photoshopée
»,
ou
un
simple
détournement
verbal.
Le
troll
utilise
ce
pouvoir
de
l’humoriste
qui
lui,
n’arrive
pas
à
aller
à
la
vitesse
de
transgression
du
pouvoir
;
il
incarne
une
figure
de
la
libération
dans
l’économie
de
l’attention
et
dans
l’économie
de
la
conversation
actuelle.
On
peut
donc
voir
cette
pratique
comme
un
sabotage
de
l’attention.
Mais
peut-‐on
dire
concrètement
que
ce
type
d’usage
d’Internet
est
uniquement
à
voir
comme
néfaste
?
Le
troll
n’a
pas
seulement
vocation
à
faire
de
l’humour
à
un
certain
degré,
il
est
aussi
le
porte
parole
du
malaise
de
la
civilisation,
sans
pour
autant
qu’il
faille
approuver
sa
façon
de
faire.
Les
politiques
ne
13
http://www.standardsandmore.fr/vu-‐lu-‐entendu/40-‐en-‐librairies/359-‐pacome-‐thiellement-‐
interview-‐l-‐humour-‐arme-‐de-‐guerre
14
http://www.directmatin.fr/politique/2012-‐03-‐13/francois-‐hollande-‐romans-‐capitale-‐de-‐la-‐
chaussure-‐6996
9
13. peuvent
le
congédier
ou
le
réprimer
sans
brider
l’une
des
sources
principales
de
changement
d’innovation
de
la
sociabilité
en
ligne
:
le
fait
d’être
confronté
à
des
contenus,
postures
et
réactions
inhabituelles.
L’Angleterre
a
essayé
récemment
de
trouver
une
solution
à
ce
type
de
problème,
en
modifiant
ses
lois
sur
la
diffamation
(2011)15
,
comprenant
dans
un
de
ces
articles
un
alinéa
concernant
la
diffamation
sur
internet
;
ce
qui
passa
très
mal
dans
le
monde
du
web
sous-‐terrain.
En
effet,
la
diffamation
sur
Internet
peut
être
très
liée
au
phénomène
de
trolling.
Mais
pourquoi
avoir
peur
de
cette
pratique
et
ainsi
déployer
une
arme
juridique
contre
ce
type
de
pratique
?
Le
«
Trolling
»
menace
de
court-‐circuiter
et
de
remodeler,
de
façon
dialectique
et
conflictuelle,
les
espaces
de
discussions
civilisées
que
les
démocraties
modernes
considèrent
toujours
comme
leur
espace
politique
idéal.
L’existence
même
des
trolls
anonymes,
intolérants
et
aux
propos
décalés,
témoigne
du
fait
que
l’espace
public
défini
par
le
philosophe
Jürgen
Habermas 16 ,
comme
un
espace
gouverné
par
la
force
intégratrice
du
langage
contextualisé
de
la
tolérance
et
de
l’apparence
crédible,
est
un
concept
largement
fantasmatique.
3. Renouvellement
sur
le
web
d’une
ancienne
pratique
Comme
je
l’ai
indiqué
dans
les
origines
du
détournement
en
politique,
cette
pratique
du
trolling
n’est
pas
nouvelle.
Malgré
le
fait
qu’elle
existait
précédemment
sous
d’autres
noms
et
dans
d’autres
formes,
cet
usage
de
détournement
a
vu
le
jour
très
tôt
notamment
après
la
signature
de
la
constitution
des
Etats-‐Unis.
Ce
que
nous
cherchons
à
comprendre,
c’est
la
raison
qui
implique
un
renouvellement
de
ces
pratiques
que
sont
les
obstructions
parlementaires
ou
le
dépôt
massif
d’amendements,
sur
la
toile
du
web,
et
sous
des
formes
totalement
différentes.
Dans
cette
partie
nous
traiterons
essentiellement
du
modus
operandi
du
troll.
15
http://www.ifex.org/united_kingdom/2011/01/12/libel_law_reform_promises/fr/
16
HABERMAS
Jürgen,
L’espace
public,
archéologie
de
la
publicité
comme
dimension
constitutive
de
la
société
bourgeoise,
Paris,
Editions
Payot,
rééd.
1988,
324p.
10
14.
Il
convient
donc
de
connaître
la
manière
avec
laquelle
cette
notion
de
détournement
ancienne
s’est
insérée
dans
le
débat
public
via
Internet
aujourd’hui.
Mais
il
existe
des
premières
traces
de
cette
pratique
avant
même
l’arrivée
du
web
2.0,
sur
ce
que
l’on
appelait
auparavant
«
Usenet17
»
(l’ancêtre
d’Internet).
Je
parle
notamment
de
la
«
guerre
des
miaou-‐miaou
»18,
déclenchée
en
1996
entre
un
groupe
de
discussion
des
étudiants
d’Harvard
et
de
leurs
étudiants
voisins.
Il
s’agissait
alors
de
répondre
à
chaque
intervention
par
«
meow
meow
bang
bang
»
sur
leurs
fils
de
discussions
respectif.
Cette
guerre
dura
près
d’un
an
et
alla
même
jusqu’à
menacer
le
fonctionnement
de
Usenet,
qui
fonctionnait
à
l’époque
par
un
réseau
de
bas
débit.
Une
des
premières
raisons
qui
a
permis
cette
évolution,
des
pratiques
politiques
internes
à
la
sphère
publique,
c’est
notamment
le
fait
que
l’on
rêvait
de
renouveler
la
démocratie
par
internet,
en
offrant
aux
citoyens
de
nouvelles
méthodes
participatives
dans
la
prise
de
décision
publique.
Au
niveau
démocratique
il
s’agit
d’une
intention
parfaitement
légitime,
mais
qui
bien
sûr
n’a
pas
eu
que
des
aspects
positifs.
Aujourd’hui
lorsque
l’on
parle
de
ces
citoyens,
on
s’adresse
alors
à
une
population
qui
avant
toute
chose,
connaît
les
usages
d’Internet
et
sait
l’utiliser
(cette
part
de
la
population
qui
ne
cesse
de
croître
dans
le
temps).
Cette
évolution
a
incarné
une
porte
ouverte
pour
les
mécontents
et
perturbateurs
de
l’attention.
Leur
méthodologie
est
relativement
vaste,
mais
elle
est
également
dorénavant
caractérisée
par
plusieurs
pratiques
de
plus
en
plus
visibles.
On
retrouve
fréquemment
des
messages
insultants,
du
dénigrement
de
l’adversaire,
des
techniques
qui
consistent
à
«
noyer
l’ennemi
»
de
commentaires
(flooding),
ou
même
encore,
l’utilisation
du
désormais
célèbre
Point
Godwin19,
qui
consiste
à
faire
des
références
directes
inappropriées
au
nazisme
pour
qualifier
son
adversaire.
C’est
un
mode
opératoire
très
violent
qui
est
utilisé
le
plus
fréquemment.
Des
attaques
frontales
qui
peuvent
aller
jusqu’à
poster
des
contenus
scatologiques,
sexuels
et
totalement
injurieux.
Les
journalistes
qui
sont
aujourd’hui
actifs
sur
les
réseaux
sociaux,
et
principalement
lorsqu’ils
parlent
de
politique,
en
font
les
frais
d’une
manière
de
plus
en
plus
fréquente.
Des
fans
de
tous
bords
politiques,
de
gauche
ou
de
droite,
ou
encore
des
défenseurs
des
riches
entrepreneurs
jusqu’aux
antinucléaires,
chacun
de
ces
domaines
a
17
http://www.usenet-‐fr.net/Qu-‐est-‐ce-‐que-‐Usenet.html
18
http://www.psyetgeek.com/la-‐meow-‐war
19
http://quoi.info/actualite-‐politique/2013/01/31/cest-‐quoi-‐un-‐point-‐godwin-‐1123376/
11
15. désormais
des
«
e-‐militants
»,
s’adonnant
de
manière
consciente
ou
non
au
trolling.
Qu’il
s’agisse
des
journalistes,
des
hommes
ou
femmes
politiques
ou
encore
des
blogueurs
célèbres,
lorsque
ces
derniers
s’investissent
de
manière
substantielle
sur
les
réseaux
sociaux,
ils
ont
désormais
pris
l’habitude
de
ces
pratiques.
Il
faut
y
voir
une
raison
évidente,
notamment
pour
les
politiques
:
autrefois
politiciens
faisaient
part
de
leurs
différentes
opinions
d’en
haut
jusqu’à
leur
électorat
(en
bas)
qui
n’avaient
pas
de
réels
moyens
d’y
répondre.
Avec
le
web
2.0,
cet
électorat
a
vu
descendre
les
prescripteurs
d’opinions
de
leurs
piédestaux,
et
peuvent
ainsi
leur
répondre
en
utilisant
des
commentaires
directs,
comme
par
exemple
sur
Twitter,
en
répondant
de
manière
instantanée.
Il
s’agit
là
bel
et
bien
d’un
progrès,
mais
la
pratique
de
détournement
et
dénigrement
s’intensifie
à
mesure
que
les
politiques
entremêlent
la
sphère
publique
et
la
sphère
privée.
En
contrepartie
de
cette
évolution
positive,
il
devient
insupportable
pour
les
politiques,
journalistes
et
blogueurs
de
subir
à
la
longue
les
insultes,
tentatives
de
détournements
d’informations,
et
autres
attaques
violentes
des
trolls.
Cette
utilisation
nouvelle
des
hommes
politiques
d’internet
s’inscrit
dans
une
évolution
démocratique,
mais
également
technologique.
Le
pari
fût
très
risqué
dans
une
époque
ou
internet
prend
une
importance
majeure
au
sein
des
médias,
et
reflète
donc
un
des
meilleurs
moyens
de
faire
parvenir
de
l’information
du
haut
vers
le
bas.
C’est
pourquoi
nous
allons
voir
dans
la
partie
suivante
comment
le
web
est
descendu
dans
l’arène
politique,
en
tentant
de
comprendre
quel
est
le
rapport
entre
citoyens,
Internet
et
la
politique
d’aujourd’hui.
12
16. Deuxième
partie
–
Une
progressive
descente
du
web
dans
l’arène
politique
?
Après
une
analyse
de
ce
qui
représente
les
nouvelles
pratiques
de
détournement
politique
sur
internet,
nous
allons
nous
intéresser
d’avantage
aux
processus
qui
ont
permis
cette
évolution,
ce
qui
a
permis
notamment
aux
citoyens
de
débattre
sur
Internet,
pourquoi
le
font-‐ils
aujourd’hui
pour
faire
prévaloir
leur
parole,
et
dans
quelles
mesures
les
politiques
ont
eux-‐mêmes
évolué
dans
le
cadre
de
l’évolution
technologique.
Pour
traiter
cette
partie,
nous
allons
tout
d’abord
voir
un
historique
de
l’utilisation
du
web
à
des
fins
politiques,
principalement
dans
le
cadre
électoral
en
reprenant
quelques
dates
clés,
puis
essayer
de
savoir
si
internet
est
vraiment
ou
non
un
outil
démocratique,
pour
ensuite
tenter
de
comprendre
pourquoi
les
citoyens
utilisent-‐ils
dorénavant
Internet
dans
le
débat,
puis
terminer
sur
l’analyse
de
l’interpénétration
des
deux
univers,
que
sont
Internet
et
la
politique
via
les
usages
des
hommes
politiques
eux-‐
mêmes.
1. Historique
de
l’utilisation
du
web
à
des
fins
politiques
Dans
cette
partie
nous
allons
analyser
quelles
sont
les
évolutions
historiques
de
l’utilisation
d’Internet
pour
les
politiques.
Ce
sont
eux
qui
ont
initié
cette
descente
du
web
dans
la
sphère
publique,
notamment
en
lançant
des
initiatives
à
buts
électorales.
Comme
il
a
été
dit
auparavant,
internet
a
été
vu
par
ces
derniers,
et
dans
une
bonne
intention,
comme
le
fait
de
donner
aux
citoyens
la
possibilité
de
s’exprimer
plus
facilement
dans
le
cadre
de
la
prise
de
décision
publique.
Il
y
eut
plusieurs
stades
d’évolutions
pour
ce
qu’il
s’agit
de
cette
arrivée
de
la
politique
sur
Internet,
insufflée
par
la
nécessité
des
politiques
d’utiliser
ce
média
pour
toucher
encore
plus
les
masses
et
de
faire
grossir
les
rangs
partisans
de
leurs
partis
politiques
respectifs.
Cela
va
sans
dire,
que
dans
le
cadre
de
l’évolution
numérique,
les
partis
politiques
aspirent
de
plus
en
plus
à
se
rapprocher
de
la
notion
de
partis
de
masse,
comme
il
a
été
théorisé
notamment
par
13
17. Maurice
Duverger
dans
son
livre
sur
les
Partis
Politiques 20 .
Il
convient
donc
de
reprendre
cette
évolution,
qui
a
notamment
eu
comme
point
de
départ
les
élections
municipales
françaises
de
2001.
a. Les
élections
municipales
de
2001
Internet
a
fait
sa
première
apparition
dans
les
foyers
français
à
partir
de
1994.
Cela
dit,
à
cette
époque
on
parle
d’avantage
de
Usenet,
qui
représente
donc
la
version
1.0
du
web
tel
qu’on
le
connaît.
On
assiste
à
ce
moment
là,
à
la
première
utilisation
libre
en
réseau,
prenant
ainsi
la
relève
d’Arpanet
(massivement
utilisé
à
des
fins
militaires).
On
peut
dorénavant
«
surfer
»
sur
le
web,
tel
qu’on
le
connaît
aujourd’hui,
via
un
ensemble
de
pages
en
«
HTML
»
incarnant
le
mélange
de
textes,
des
liens,
des
images
adressables
via
une
adresse
URL
et
accessibles
via
un
protocole
HTTP.
L’utilisation
de
Usenet
était
relativement
rare
à
l’époque,
en
effet,
l’équipement
nécessaire
était
cher,
et
pas
toujours
à
la
portée
du
grand
public
technologiquement
parlant.
L’ascension
a
été
surtout
vue
au
début
des
années
2000
avec
l’arrivée
des
connexions
haut
débit,
donc
le
prix
de
l’abonnement
variait
autour
de
30
euros.
En
2001,
selon
une
étude
Médiamétrie21,
nous
n’étions
que
près
de
12
millions
d’internautes,
représentant
approximativement
20%
de
l’électorat
en
âge
de
voter.
Alors
que
les
partis
politiques
avaient
majoritairement
lancé
un
site
Internet,
ce
n’est
réellement
qu’avec
les
élections
municipales
de
2001
que
les
premières
expérimentations
ont
débuté.
Cela
s’est
avéré
être
un
processus
relativement
lent,
car
à
cette
époque
les
politiques
avaient
une
certaine
peur
d’Internet
:
en
effet,
il
représentait
pour
eux
un
espace
non
maîtrisable
où
l’information
circule
très
rapidement,
sans
pouvoir
la
contrôler.
Cela
n’empêcha
pas
notamment
Bertrand
Denaloë
(PS)
et
Philippe
Seguin
(UMP),
tous
deux
candidats
à
la
mairie
de
Paris,
d’utiliser
Internet
pour
«
chatter
»
avec
la
population.
A
ce
moment
de
l’histoire
d’Internet,
l’outil
reste
vu
par
les
politiques
comme
étant
un
gadget,
on
parle
d’expérimentations
dans
la
mesure
ou
son
utilisation
est
toujours
à
l’essai,
même
si
plusieurs
organisations
politiques
commencent
à
lui
donner
une
certaine
confiance.
20
DUVERGER
Maurice,
Les
partis
politiques,
Paris,
Editions
Colin,
1951.
21
http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-‐net/nombre-‐internautes-‐france.shtml
14
18. «
On
pense
que
ça
va
nous
apporter
un
plus
chez
certains
jeunes
qui
avaient
de
Philippe
Séguin
l'image
d'un
politique
qui
ne
connaît
rien
à
Internet.
»22
La
seconde
évolution
importante
d’Internet
intervient
en
2005,
peu
de
temps
après
l’annonce
de
Jacques
Chirac
vis
à
vis
du
référendum
sur
la
Constitution
Européenne.
b. 2005
:
Les
premières
contestations
sur
Internet
Après
avoir
annoncé
l’année
précédente
que
le
traité
européen
serait
ratifié
par
voie
référendaire,
Jacques
Chirac
a
vu
monter
une
opposition
forte
sur
Internet
:
Malgré
le
fait
que
tous
les
partis
politiques
majeurs
s’étaient
mis
en
action
pour
faire
une
campagne
majoritaire
autour
d’un
«
oui
»,
quelques
partis
aux
«
extrêmes
»,
ainsi
que
quelques
réfractaires
à
l’intérieur
des
grands
partis,
ont
opéré
une
vaste
levée
de
bouclier.
Internet
a
finalement
participé
à
la
victoire
du
«
non
».
Etienne
Chouard23,
enseignant
d’économie
au
lycée
et
blogueur,
a
lancé
un
manifeste
via
Internet
pour
critiquer
le
projet
de
traité
européen,
face
à
l’absence
de
pluralisme
dans
les
médias
sur
le
sujet.
C’est
ainsi
que
le
manifeste
en
question
lancé
sur
son
blog,
fit
le
tour
du
web
et
devint
célèbre.
On
voit
ainsi
que
le
2.0
commence
à
rentrer
en
ligne
de
compte
pour
l’élaboration
de
la
décision
publique.
En
effet,
Etienne
Chouard
a
réussi
au
fur
et
à
mesure
à
passer
du
statut
d’anonyme,
à
porte
drapeau
du
«
non
»
au
traité
européen.
Son
intervention
s’est
fortement
élargie
en
étant
relayée
par
plusieurs
politiques
du
mêmes
avis,
sans
compter
sur
sa
manière
de
tacler
les
journalistes,
qui
pour
lui
étaient
porteurs
d’une
idée
unique.
Dire
que
cet
homme
a
réussi
à
lui
tout
seul
à
donner
une
victoire
au
«
non
»
serait
peut
être
exagéré,
mais
il
a
été
prouvé
que
son
action
a
fortement
pesé
dans
la
balance.
Internet
devient
alors
par
cet
exemple,
un
lieu
d’opposition,
voir
un
instrument
de
contre-‐pouvoir.
C’est
l’avènement
du
web
2.0,
qui
incarne
l’Internet
participatif.
C’est
en
2007
que
l’utilisation
d’Internet
dans
le
cadre
électoral
va
se
massifier,
notamment
par
les
créations
des
sites
de
campagnes.
22
Déclaration
de
Jean-‐Dominique
Giuliani,
responsable
de
la
campagne
de
Philippe
Seguin
lors
des
élections
à
la
mairie
de
Paris
en
2001.
23http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Constitution_revelateur_du_cancer_de_la_democratie.p
df
15
19. c. Internet
comme
outil
d’organisation
de
la
campagne
électorale
En
2007,
la
population
est
désormais
très
impliquée
dans
l’utilisation
d’Internet.
Selon
la
même
étude
Médiamétrie
citée
précédemment,
cette
population
se
porte
aux
alentours
de
30
millions
d’internautes.
Le
constat
est
clair,
ces
nouvelles
données
vont
faire
passer
le
rapport
entre
politique
et
Internet
à
un
nouvel
échelon.
Cet
outil
va
devenir
le
nouveau
moyen
pour
les
candidats
à
l’élection
présidentielle
de
2007,
d’une
part
de
communiquer,
mais
également
d’établir
une
organisation
puissante
pour
leurs
campagnes.
Plusieurs
sites
Internet
vont
être
utilisés
par
chaque
candidats,
dans
le
but
de
réunir
sous
leurs
bannières
un
nombre
important
de
partisans,
de
rassembler
ces
derniers,
ainsi
que
de
les
coordonner
pour
participer
eux-‐mêmes
à
la
campagne.
Ségolène
Royal
va
notamment
lever
près
de
130000
contributions
sur
internet
pour
le
financement
de
sa
campagne,
via
le
site
«
Désirs
d’avenir
»24.
Nicolas
Sarkozy
va
se
faire
remarquer
en
utilisant
une
«
Web-‐TV
» 25 .
En
s’appuyant
sur
les
militants
et
la
blogosphère,
ils
leur
ont
donné
une
véritable
place,
un
moyen
d’expression
au
delà
des
sentiers
battus
habituels
de
la
campagne
électorale.
Reste
à
connaître
l’impact
réel
que
cela
a
produit
en
terme
d’électorat,
mais
on
peut
noter
un
changement
dans
l’usage
d’Internet
pour
les
politiques,
mais
également
pour
les
citoyens
qui
peuvent
participer
plus
que
jamais
au
débat.
Un
an
plus
tard
en
2008,
Internet
va
être
réellement
érigé
au
rôle
d’arme
de
campagne,
via
la
campagne
présidentielle
américaine
de
Barack
Obama.
d. La
campagne
américaine
de
Barack
Obama
en
2008
En
plus
d’un
succès
aux
urnes,
la
campagne
électorale
pour
les
présidentielles
américaines
de
2008
fut
une
véritable
révolution
des
usages
partisans
et
militants
d’Internet.
Son
usage,
comprenant
les
réseaux
sociaux,
devient
le
moteur
de
la
campagne,
et
devient
ainsi
un
exemple
à
suivre.
Le
«
Yes
we
can
»
d’Obama
représente
bien
cette
dimension
participative,
totalement
impersonnelle
de
la
campagne,
parfaitement
taillée
pour
l’utilisation
des
réseaux
sociaux.
Il
s’agira
de
la
première
pratique
réelle
«
d’empowerment
»
des
citoyens.
Via
l’utilisation
du
site
web
24
http://www.desirsdavenir.org/
25
http://www.politique.net/2008110101-‐sarkozy-‐fr-‐une-‐web-‐tv-‐dupliquee-‐une-‐dizaine-‐de-‐
fois.htm
16
20. «
Mybarackobama.com
»26,
Internet
devient
une
plateforme
centrale
de
coordination
qui
fait
gagner
du
temps,
de
l’efficacité
et
rapprochant
au
possible
la
sphère
décisionnelle
de
la
sphère
militante.
Tout
se
fait
désormais
sur
Internet
pour
recruter
et
coordonner
les
militants.
Les
réseaux
sociaux
sont
aussi
le
terrain
de
recrutement
qui
va
être
privilégié,
en
organisant
ensuite
la
tractation
et
les
mobilisations.
On
ne
fait
plus
que
simplement
communiquer
auprès
des
électeurs,
on
les
fédère
via
l’outil
du
Web.
L’exemple
sera
d’ailleurs
suivi
en
2010
en
France,
pour
préparer
les
élections
présidentielles
suivantes,
notamment
avec
l’utilisation
de
la
«
Coopol
»
pour
le
PS,
et
par
«
les
créateurs
de
possibles
»
pour
l’UMP.
Il
convient
maintenant
d’essayer
de
voir
comment
ces
évolutions
érigeant
Internet
comme
un
outil
de
démocratie
participative,
ont
été
vues
au
niveau
scientifique.
Peut-‐on
même
dire,
que
cet
outil
est
réellement
démocratique
?
2. Internet
use
d’une
symbolique
de
la
démocratie
Nous
avons
vu
dans
le
point
précédent
de
quelle
manière
Internet
s’est
érigé
comme
un
élément
central
dans
la
politique
aujourd’hui.
D’une
part
comme
étant
le
relai
d’opinions,
détrônant
la
plupart
des
médias
traditionnels,
d’autre
part
en
permettant
aux
citoyens
de
débattre
et
faire
valoir
leurs
idées
plus
facilement,
et
également
en
organisant
et
regroupant
les
militants.
Cette
pratique
prenant
une
importance
majeure,
plusieurs
travaux
scientifiques
ont
alors
vu
le
jour,
pour
essayer
de
comprendre
si
l’aspect
démocratique
accordé
à
Internet
est
une
réalité
ou
non.
On
peut
notamment
prendre
des
chercheurs
tels
que
Patrice
Flichy 27
ou
Dominique
Cardon 28 ,
qui
ont
commencé
à
théoriser
les
usages
d’Internet
et
son
rapport
avec
la
démocratie.
Internet
peut
être
vu
comme
un
outil
mettant
en
situation
d’égalité
l’émetteur
et
le
récepteur
à
première
vue,
ce
qui
représenterait
un
usage
idéal
de
démocratie
participative.
Cette
agora
électronique
a
démarré
notamment
dans
les
années
1990,
26
http://www.barackobama.com/
27
FLICHY
Patrice,
L’imaginaire
d’Internet,
La
Découverte,
Paris,
2001,
273
p.
28
CARDON
Dominique,
La
démocratie
Internet.
Promesses
et
limites,
Paris,
Seuil,
2010.
17
21. alors
que
l’on
commençait
à
comparer
l’utilisation
du
web
à
l’espace
public
Habermassien.
Certains
l’ont
réellement
vu
comme
la
possibilité
de
créer
un
nouvel
espace
de
débat,
une
extension
du
réel
où
les
informations
se
partageraient
instantanément.
Pour
reprendre
le
terme
«
d’agora
»,
on
peut
citer
Al
Gore 29
qui
compara
l’arrivée
d’Internet
comme
«
le
nouvel
âge
athénien
de
la
démocratie
».
Or,
il
faut
relativiser
ce
positivisme
en
analysant
de
quelle
manière
Internet
fonctionne
t-‐il
réellement.
Le
débat
sur
le
web
est
en
effet
la
plupart
du
temps
contrôlé
par
les
participants
eux-‐mêmes,
voir
des
modérateurs
si
nécessaire.
Malgré
cette
notion
d’autocontrôle,
le
débat
est
le
plus
souvent
inégalitaire.
On
y
voit
une
multiplication
de
points
de
vus
contradictoires
et
une
non
élaboration
de
positions
communes.
Ce
qui
complique
la
participation
au
débat,
est
essentiellement
la
coexistence
d’identités
sur
le
web
et
l’utilisation
d’avatars
enlève
une
part
de
légitimité
dans
l’acte
discursif.
Internet
n’est
alors
pas
entièrement
démocratique
comme
on
aurait
pu
l’entendre,
il
existe
de
nombreux
biais
dans
l’attitude
des
utilisateurs,
empêchant
une
réelle
utilisation
dépassant
les
limites
de
la
démocratie
représentative.
Lincoln
Dahlberg30
dans
une
de
ses
recherches
a
observé
la
mise
en
place
d’un
projet
dans
le
Minnesota
en
fin
des
années
1990.
Il
en
tira
les
conclusions
suivantes
:
«
On
peut
développer
de
véritables
délibérations
en
ligne
et
retrouver
le
cadre
de
l’espace
public
Habermassien
si
les
participants
respectent
des
règles
formalisées,
les
acceptent,
et
sont
modérés
par
des
modérateurs.
A
ces
conditions,
Internet
peut
favoriser
des
discussions
constructives
et
relativiser
une
démocratie
du
débat
largement
ouvert
qui
peut
dépasser
les
limites
de
la
démocratie
représentative.
»
On
apprend
alors
qu’Internet
peut
être
un
outil
démocratique,
la
possibilité
existe
sans
le
moindre
doute.
Mais
en
suivant
cette
conclusion
de
Dahlberg
il
convient
d’y
voir
l’idée
que
cette
possibilité
ne
tient
qu’à
l’utilisation
des
usagers
eux-‐mêmes.
Si
ces
derniers
choisissent
délibérément
d’adhérer
à
une
plateforme
de
débat
et
d’en
respecter
les
29
http://www.algore.com/
30
http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/838/747
18
22. règles,
alors
l’outil
utilisé
aura
une
réelle
utilité
dans
le
débat.
Aux
Etats-‐Unis,
le
site
web
communautaire
Reddit31
crée
en
2005,
représente
un
bon
exemple
de
lieu
d’échange,
essentiellement
utilisé
pour
les
échanges
de
liens
hypertextes
par
catégories
ou
thèmes,
où
les
utilisateurs
se
sont
mis
d’accord
dès
le
départ
pour
respecter
les
règles
d’échanges
du
site
Internet.
Concernant
ce
site
Internet,
le
fait
le
plus
frappant
est
l’utilisation
de
Barack
Obama32
lors
de
sa
campagne
pour
les
élections
présidentielles
de
2012.
En
effet
ce
dernier
a
invité
les
internautes
et
utilisateurs
du
site
Reddit,
à
lui
poser
n’importe
quelles
questions33.
Cet
événement
s’est
réalisé
sans
le
moindre
accrochage,
preuve
d’un
fonctionnement
relativement
positif.
Pour
Cass
Sunstein34,
spécialiste
du
droit
constitutionnel
américain,
la
différence
entre
la
souveraineté
de
l’individu
et
celle
des
politiques
réside
dans
l’intérêt
de
ceux-‐ci
:
«
La
souveraineté
du
consommateur
et
la
souveraineté
politique
sont
fondamentalement
différentes
:
la
démocratie
politique
est
le
résultat
d’un
gouvernement
de
la
délibération
;
les
choix
politiques
répondent
aux
intérêts
du
collectif
et
moins
à
ceux
de
l’individu.
L’opinion
publique
se
construit
par
le
débat,
l’échange
et
la
délibération.
»
Pour
parler
du
débat
sur
Internet,
on
peut
alors
parler
des
communautés
d’intérêts
:
en
effet,
il
s’agit
essentiellement
d’une
demande
de
rencontre
d’individus
d’opinions
proches,
d’autant
plus
forte
que
les
individus
eux
mêmes
se
retrouvent
idéologiquement
isolés
dans
leurs
environnements
naturels.
Il
y
aurait
donc
une
fracture
démocratique
dans
l’usage
d’Internet
qui
n’est
pas
identique
à
la
fracture
numérique
:
il
ne
suffit
pas
seulement
d’être
connecté
sur
le
web
pour
faire
de
ce
dernier
un
instrument
politique
de
débat
démocratique.
Pour
conclure,
Internet
n’est
pas
démocratique,
il
usera
plutôt
d’une
symbolique
de
la
démocratie
dans
la
mesure
ou
ce
dernier
incarne
un
agrégateur
d’intérêts
individuels.
Il
convient
maintenant
de
voir
pourquoi
les
citoyens
ont
usé
d’Internet
comme
d’un
outil
de
débat
politique.
31
http://www.reddit.com/
32
http://www.reddit.com/r/IAmA/comments/z1c9z/i_am_barack_obama_president_of_the_unite
d_states/
33
http://www.lemonde.fr/elections-‐americaines/article/2012/08/30/obama-‐investit-‐reddit-‐
quand-‐les-‐republicains-‐investissent-‐romney_1753115_829254.html
34
http://bostonreview.net/BR26.3/sunstein.php
19
23. 3. «
L’empowerment
»
des
citoyens
sur
Internet
L’outil
incarné
par
Internet,
est
devenu
progressivement
la
cible
des
politiques
dans
le
cadre
de
la
passation
d’informations,
mais
également
et
surtout
au
moment
de
faire
campagne.
En
effet,
comme
il
l’a
été
cité
précédemment,
les
années
2000
ont
vu
l’avènement
des
usages
d’Internet
pour
une
utilisation
par
le
haut
des
politiques,
et
par
le
bas
pour
les
citoyens.
C’est
notamment
en
2008
que
l’on
a
pour
la
première
fois
utilisé
le
terme
d’«
empowerment
»
des
citoyens
sur
le
web.
La
campagne
de
Barack
Obama
et
son
«
Yes
we
can
»,
ont
montré
une
posture
impersonnelle
de
l’homme
politique,
qui
au
lieu
de
parler
uniquement
de
lui
comme
prescripteur
d’opinions,
a
fait
en
sorte
de
montrer
aux
citoyens
que
c’est
cet
ensemble
de
la
population
qui
choisit
la
meilleure
voie
à
emprunter
dans
le
choix
de
leur
dirigeant.
Méthodologie
nouvelle
pour
une
campagne
présidentielle
qui
a
valu
une
victoire
nette
de
Barack
Obama.
En
donnant
l’impression
à
ces
citoyens
que
la
prise
de
décision
politique
vient
d’eux
à
la
base,
il
leur
a
donné
du
pouvoir.
On
peut
citer
Benoît
Thieulin35,
ancien
dirigeant
du
site
participatif
«
Désirs
d’avenir
»,
utilisé
par
Ségolène
Royal
en
2007
qui
nous
dit
:
«
Le
plus
important
dans
les
pratiques
qui
se
développent
actuellement,
c’est
que
le
numérique
offre
des
capacités,
des
moyens,
et
donc
du
pouvoir
au
gens
;
c’est
cela
la
révolution
de
l’empowerment
».
Selon
la
plupart
des
chercheurs
en
sciences
politiques,
nous
sommes
aujourd’hui
au
tout
début
d’un
processus
de
participation
de
la
part
du
citoyen.
C’est
là
que
Barack
Obama
a
compris
l’utilité
d’Internet.
Cette
imbrication
entre
le
monde
physique
et
le
monde
numérique
n’existait
pas
encore
il
y
a
15
ans,
alors
qu’aujourd’hui
on
utilise
de
plus
en
plus
fréquemment
Internet
pour
faire
campagne,
pour
envoyer
les
militants
tracter,
faire
du
porte-‐à-‐porte
ou
manifester.
L’utilisation
d’Internet
à
des
fins
politiques
a
d’ailleurs
grandi
à
mesure
que
l’utilisation
d’Internet
s’est
démocratisée
à
travers
le
monde.
Cet
exemple
d’Obama
en
2008
a
d’ailleurs
été
repris
en
2010
en
France
par
divers
partis
politiques,
comme
l’UMP,
le
PS
ou
encore
les
Verts.
La
preuve
en
est
que
35
http://www.lanetscouade.com/equipe/benoit-‐thieulin
20
24. nous
sommes
à
l’ère
ou
les
politiques
eux-‐mêmes
veulent
donner
de
plus
en
plus
d’importance
à
leur
électorat,
en
les
écoutant
d’avantage
et
en
les
faisant
participer,
ils
ont
compris
qu’il
s’agit
là
d’une
technique
qui
fonctionne.
Donner
du
pouvoir
aux
citoyens
et
le
meilleur
moyen
de
susciter
leur
attention.
C’est
exactement
la
définition
que
l’on
pourrait
concéder
à
l’empowerment.
Il
faut
également
voir
que
ce
pouvoir
grandissant
du
citoyen
connecté
n’a
pas
uniquement
des
vues
positives
pour
les
politiques.
En
effet,
depuis
2005
et
l’exemple
du
«
non
»
au
traité
européen36,
on
a
également
vu
apparaître
une
pratique
de
contestation
de
plus
en
plus
courante
sur
le
web,
et
gagnant
en
importance
avec
le
temps.
Car
les
dérives
liées
au
numérique
sont
également
nombreuses,
et
elles
sont
en
réalités
liées
à
la
société
;
cette
révolution
numérique
ne
ferait
donc
qu’amplifier
les
tendances,
elle
n’inventerait
rien
mais
donnerait
plus
d’ampleur
à
des
phénomènes
anciens,
comme
celui
des
rumeurs
notamment.
Beaucoup
d’acteurs
vont
même
jusqu’à
dire
que
l’on
assiste
clairement
à
une
révolution
de
type
«
marxiste
»,
vu
que
les
coûts
de
production
des
outils
qui
servent
aujourd’hui
à
s’exprimer
et
à
communiquer
se
sont
effondrés,
ce
qui
a
provoqué
une
démocratisation
des
pratiques.
Le
public
a
qui
on
a
donné
des
outils
d’expression
personnelle
participe
comme
auteur
et
lecteur,
et
plus
seulement
comme
spectateur
et
électeur
à
la
vie
politique
sur
cette
scène
de
l’Internet.
Concernant
les
pratiques
participatives,
Internet
a
démontré
qu’il
est
possible
d’élargir
l’espace
démocratique,
mais
il
n’a
pas
pour
autant
tout
réglé.
En
effet,
grâce
à
cet
outil
beaucoup
plus
d’individus
ont
eu
l’occasion
de
participer
d’avantage
à
la
vie
politique
à
des
coûts
moindres,
mais
cela
n’insinue
pas
pour
autant
que
toute
la
population
est
en
passe
d’agir
de
la
sorte.
L’audience
politique
a
tout
de
même
considérablement
augmenté,
vu
qu’il
est
dorénavant
plus
simple
de
pouvoir
se
tenir
au
courant,
avoir
des
comptes
rendus,
voir
un
meeting
sur
Youtube37,
sans
avoir
à
se
déplacer
de
chez
soit.
Internet
a
donc
permis
aux
citoyens
de
pouvoir
se
créer
un
avis
sur
les
politiques
beaucoup
plus
facilement
;
au
niveau
informationnel
l’évolution
est
plus
que
notable.
Mais
n’est
ce
pas
plus
compliqué
au
final
lorsqu’il
s’agit
de
participer
à
la
construction
de
décisions
politiques
?
Sans
le
moindre
doute.
Cet
empowerment
des
citoyens
via
Internet
a
pris
36
FOUETILLOU
Guilhem,
Le
web
et
le
traité
constitutionnel
européen,
Réseaux
1/2008
(n°
147),
p.
229-‐257.
37
http://www.youtube.com
21
25. une
dimension
très
importante
dans
la
vie
politique
aujourd’hui,
mais
n’a
pas
pour
autant
permis
aux
masses
de
rentrer
facilement
dans
un
principe
de
codécision.
Il
reste
de
nombreux
biais
contraignant
cette
possibilité
de
donner
un
réel
moyen
aux
individus
de
participer
à
la
décision
politique.
La
plupart
du
temps,
lorsque
ce
principe
de
codécision
est
mis
en
avant,
il
peut
y
avoir
un
problème
de
ciblage
de
la
population
concernée,
qui
peut
alors
ne
pas
avoir
d’avis
sur
certaines
questions.
Cela
pose
le
problème
de
la
manière
de
demander
leurs
avis
aux
individus,
leur
niveau
d’éducation,
et
quelles
sont
leurs
attentes
réelles
?
La
participation
du
citoyen
via
Internet
est
encore
en
phase
de
construction,
on
apprend
toujours
aujourd’hui
à
essayer
de
faire
fonctionner
le
processus
qui
permettrait
alors
d’assurer
un
réel
pouvoir
à
ces
derniers.
Ce
n’est
pas
parce
que
nous
avons
les
moyens
techniques
de
participation,
que
la
technique
à
utiliser
pour
faire
participer
les
citoyens
à
la
décision
politique
est
encore
au
point.
Il
faut
dorénavant
réfléchir
d’avantage
à
la
question
de
légitimité
de
cette
participation,
de
la
pertinence
et
du
sens
que
l’on
peut
lui
accorder.
C’est
pour
cela
que
nous
pouvons
dire
avec
certitudes,
que
nous
sommes
encore
aujourd’hui
au
début
du
processus
d’empowerment
des
citoyens.
Cela
dit,
il
faut
également
étudier
la
manière
avec
laquelle
la
sphère
publique
des
politiques
et
leur
sphère
privée
s’entremêlent
de
plus
en
plus
sur
Internet.
4. Entremêlement
de
la
sphère
publique/privée
du
politique
Nous
avons
pu
voir
qu’Internet
est
un
lieu
ou
le
débat
politique
s’est
progressivement
inséré
dans
le
cadre
de
l’évolution
numérique.
Mais
le
débat
n’est
pas
le
seul
élément
qui
s’est
vu
renouvelé
sur
le
web.
L’image
des
hommes
politiques
était
autrefois
limitée
à
leur
sphère
publique
:
c’est
à
dire
que
l’on
connaissait
peu
de
choses
de
la
vie
privée
de
nos
dirigeants,
tout
ce
que
nous
pouvions
voir
concernait
leurs
prises
de
décisions
politiques,
et
ce
que
les
médias
laissaient
transparaître
à
l’heure
ou
il
existait
encore
une
censure
et
un
ministère
de
l’information,
qui
contrôlaient
les
parutions
médiatiques
et
sabordaient
les
informations
indésirables
pour
la
vie
politique.
Alain
Peyrefitte38
était
une
des
grandes
figures
du
musellement
de
la
presse
dans
les
années
60.
Mais
la
donne
a
considérablement
changé,
notamment
depuis
l’affaire
38
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/alain-‐peyrefitte-‐le-‐diplomate-‐65723
22