Une étude de l'Apec en partenariat avec le CNRS Umifre qui présente un travail de recherche sur le secteur des technologies de l'information et de la communication en Inde.
Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) est le symbole du développement
économique de l’Inde et de son entrée dans l’ère des réseaux, de l’Internet et de la téléphonie mobile. Les milliers d’Engineering Colleges, ces écoles d’ingénieurs visibles partout en ville et dans les campagnes, le développement des quartiers d’affaires dans les grandes métropoles avec leur foule de « cols blancs », la présence de ces personnels qualifiés dans les entreprises nord-américaines et européennes, la réussite d’entrepreneurs indiens ou d’origine indienne, notamment aux États-Unis, revenus investir en Inde, tout contribue à la renommée de ce succès économique et social. Pour comprendre le nouveau modèle de relations et d’échanges qui s’instaure dans cette grande puissance et ce secteur clé de l’économie et de l’emploi cadre, l’Apec a soutenu un partenariat de recherche dirigé par le sociologue Roland Lardinois du CNRS. Ce document fournit quelques éléments clés de cette importante recherche.
Etude Apec - Attractivité des entreprises et emplois cadres en Guadeloupe, no...
Etude Apec/CNRS Umifre - Le secteur des tic en inde - synthèse
1. – LE SECTEUR DES
TECHNOLOGIES DE
L’INFORMATION ET DE
LA COMMUNICATION
EN INDE–
LES ÉTUDES DE L’EMPLOI CADRE
SYNTHÈSE
MAI 2014 Le secteur des technologies de
l’information et de la communication (TIC)
est le symbole du développement
économique de l’Inde et de son entrée
dans l’ère des réseaux, de l’Internet et de
la téléphonie mobile. Les milliers
d’Engineering Colleges, ces écoles
d’ingénieurs visibles partout en ville et
dans les campagnes, le développement des
quartiers d’affaires dans les grandes
métropoles avec leur foule de « cols blancs
», la présence de ces personnels qualifiés
dans les entreprises nord-américaines et
européennes, la réussite d’entrepreneurs
indiens ou d’origine indienne, notamment
aux États-Unis, revenus investir en Inde,
tout contribue à la renommée de ce succès
économique et social. Pour comprendre le
nouveau modèle de relations et d’échanges
qui s’instaure dans cette grande puissance
et ce secteur clé de l’économie et de
l’emploi cadre, l’Apec a soutenu un
partenariat de recherche dirigé par le
sociologue Roland Lardinois du CNRS. Ce
document fournit quelques éléments clés
de cette importante recherche.
N°2014-07
2. – UNE RECHERCHE INÉDITE–
Le projet de sociographie1 dirigé par Roland Lardinois
est apparu d’emblée dans toute son originalité et ses
apports potentiels. Il semblait en effet important de
dépasser les fantasmes et les caricatures au sujet de
ces informaticiens indiens.
Installé depuis de nombreuses années en Inde, et fi n
observateur des évolutions de sa société, ce socio-logue
était particulièrement bien placé pour y inves-tiguer
les sources d’information et le terrain des entre-prises,
ainsi que pour décrire et expliquer les logiques
qui y sous-tendent l’émergence et le développement
du secteur des TIC et de la population des informati-ciens.
Le travail réalisé répond à de nombreuses questions.
Au fi l de l’avancement de la recherche, il est apparu
que nombre de questions portant sur la situation in-dienne
étaient rarement posées dans le cadre franco-français.
Si bien que certains des éclairages qu’elle
apporte ne peuvent être comparés avec la situation
en France même, ce qui suggère de s’y intéresser…
1. Une sociographie est étude
descriptive de réalités et de faits
sociaux dans un contexte particulier.
–UN AUTRE REGARD SUR LES
INFORMATICIENS INDIENS–
Lorsque l’Apec a décidé d’accompagner cette re-cherche,
les « informaticiens indiens » faisaient couler
beaucoup d’encre en France depuis déjà quelque
temps. Pour résumer, ils incarnaient alors à eux seuls
le processus de délocalisation des emplois qualifi és.
Ce processus était généralement attribué à une mon-dialisation
qui ne pouvait que défavoriser des pays
anciennement développés, que ce soit en termes
d’échanges commerciaux ou en ce qui concerne les
marchés du travail.
La recherche a pour premier effet de faire de l’Inde
étudiée un monde plus proche, mais néanmoins spé-cifi
que, tant par rapport aux pays développés que par
rapport aux autres pays émergents.
Loin des fantasmes et des grandiloquences, et avec
pourtant en permanence la toile de fonds des réalités
indiennes, toutes les données accumulées proposent
une nouvelle lecture de ce pays.
Elle donne à voir les conditions d’émergence d’une
nouvelle classe moyenne éduquée et urbaine dans un
pays où la grande majorité des emplois relèvent en-core
du secteur primaire (agriculture), dont la popu-
2 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
3. lation vit massivement en milieu rural et où les castes
jouent toujours un rôle (y compris dans les entreprises
de haute technologie).
Cette recherche montre aussi l’impact des choix poli-tiques,
publics et privés, privilégiant le développe-ment
du secteur des services IT.
Le résultat de ce travail modifi e sensiblement le re-gard
le plus souvent porté en France sur les condi-tions
d’émergence et les caractéristiques des informa-ticiens
indiens.
Ce regard est d’ailleurs très différent de celui des pays
anglo-saxons, et tout particulièrement des États-Unis,
la principale destination de l’émigration de la main
d’oeuvre qualifi ée indienne ! Alors que la tendance
dominante en France est de considérer ces informati-ciens
comme une main d’oeuvre locale, très nom-breuse
et bon marché, mais peu apte à se substituer
aux informaticiens français, les pays anglo-saxons en
ont une tout autre expérience.
Cette recherche souligne ainsi le rôle majeur des émi-grés
dans l’émergence du secteur des IT en Inde.
–UNE VASTE RADIOSCOPIE DES TIC–
Cette recherche montre comment des politiques
scientifi ques ont préparé l’essor du secteur des TIC en
Inde.
Trois acteurs ont joué un rôle majeur dans ce déve-loppement
::
- la puissance publique (l’Union indienne et certains
états fédérés)
- les associations professionnelles ;
- les acteurs transnationaux.
Ces derniers sont essentiellement ces hommes d’af-faires
indiens, presque tous des ingénieurs, qui
avaient fait fortune à l’étranger, aux États-Unis sur-tout,
avant de revenir investir dans ce secteur de
pointe.
En Inde, les TIC se situent désormais au coeur de
l’économie des services qui est elle-même au centre
de la croissance de ce pays depuis deux décennies.
Leur essor résulte en premier lieu de la disponibilité
d’une main-d’oeuvre d’ingénieurs et de techniciens
qualifi és produit en masse dans des milliers d’écoles
d’ingénieurs (Engineering Colleges) dont les campus
couvrent les villes et les campagnes.
Parmi ces écoles, il faut distinguer les écoles d’élite
(en particulier les Indian Institutes of Technology) et
une masse des petites écoles qui peuvent s’apparen-
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 3
4. ter à des IUT français voire à des centres d’apprentis-sage.
Voies d’accès, diplômes, grades, titres…l’ensemble du
système de formation est décrypté dans cette re-cherche.
L’étude des deux cents premières entreprises du sec-teur
permet par ailleurs de comprendre comment se
présente ce milieu entrepreneurial très diversifi é et
néanmoins largement dominé par quelques dizaines
de grands groupes - bâtis par des ingénieurs entrepre-neurs
hors-pair - qui font la réputation de l’Inde (TCS,
Infosys, Wipro, HCL…)
Les recrutements des informaticiens dans ces entre-prises
varient considérablement selon la taille et les
moyens fi nanciers de celles-ci.
Depuis peu, elles s’orientent vers un mode industria-lisé
de sélection, complétées par des mesures de for-mation
en interne du personnel recruté afi n de pallier
les manques du secteur éducatif.
A travers les formations, les qualifi cations et les par-cours
professionnels des employés qualifi és, des ingé-nieurs
software, des cadres et des managers de ces
entreprises cette recherche dresse le portrait socio-économique
de ces catégories d’employés qui repré-sentent
les nouvelles fractions émergentes des classes
moyennes urbaines indiennes.
–DE NOUVELLES LOGIQUES
D’IMPLANTATION À
L’INTERNATIONAL–
L’exemple indien montre que, dans le domaine des
TIC, les logiques d’implantations à l’international
s’éloignent désormais en partie du modèle classique
de la division internationale du travail.
Si les stratégies d’offshoring sont toujours mises en
oeuvre, la place prise par les marchés de consomma-tion
internes est devenue essentielle.
La politique d’investissements directs ou indirects en
Inde a longtemps trouvé son explication dans la lo-gique
classique des exportations de services et de la
division internationale du travail. Aujourd’hui, elle est
portée par le marché de consommation que repré-sente
l’Inde, désormais au 3e rang des pays utilisa-teurs
d’Internet.
Cette évolution a des conséquences radicales sur les
objectifs liés aux politiques d’implantation des entre-prises
dans le monde, qu’elles soient françaises… ou
indiennes.
4 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
5. Le premier employeur français en Inde est aujourd’hui
Capgemini avec plus de 40 000 salariés. Les entre-prises
françaises emploient au total plus de 240 000
personnes en Inde, en majorité qualifi ées (estimation
vraisemblablement en dessous de la réalité). L’essen-tiel
de ces salariés est de nationalité indienne, le
nombre d’expatriés français est, lui, marginal.
De leur côté, les entreprises indiennes ont également
opté pour une installation durable dans des pays
comme la France. C’est le cas des sociétés Wipro, TCS
ou Infosys… Leur objectif est en fait le même que
celui des entreprises qui s’installent en Inde. Elles
optent pour la stratégie du « glocal » (articulation
étroite du global et du local) et le modèle « one
team » d’organisation du travail que décrit très bien
un cadre français travaillant en Inde : « On a une
seule équipe sur le projet, qu’elle soit en Inde ou en
France. On travaille avec les mêmes outils, les mêmes
méthodes, les mêmes approches. Le client doit sentir
qu’il n’a affaire qu’à une seule équipe. »
Après avoir souvent été créées par des informaticiens
indiens un temps recruté aux États-Unis ou au
Royaume-Uni, les entreprises indiennes embauchent
ainsi sans diffi culté des cadres français pour répondre
à leurs besoins et à leur stratégie… Les liens histo-riques
et linguistiques très forts avec les pays anglo-phones
marquent cependant très profondément le
monde indien des TIC.
–UNE SOCIÉTÉ EN PLEINE MUTATION–
Le secteur des TIC a vu émerger de nouvelles catégo-ries
d’entrepreneurs privés. Leur principale caractéris-tique
est de ne pas être issus des groupes marchands
traditionnels du monde indien. À leurs côtés, quelques
familles de riches commerçants hindous ou musul-mans
ont su profi ter de l’essor de ce nouveau marché
pour diversifi er leurs activités et même parfois réaliser
de véritables reconversions.
Les revenus tirés du secteur des TIC ont également
induit l’essor d’autres secteurs économiques, comme
ceux de l’immobilier et du commerce, pour répondre
aux demandes de consommation de ces nouvelles
catégories d’employés qualifi és.
Si le nombre d’employés du secteur des TIC paraît
modeste au regard de la majorité rurale et paysanne
de la population indienne qui regroupe environ 69
% de la population totale, ces employés hautement
qualifi és engagés dans un secteur d’activités techno-logiques
de pointe ont un rôle central de producteurs
de normes, de valeurs, de références sociales pour
l’ensemble de la population.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 5
6. –UNE CROISSANCE EXCEPTIONNELLE
ET DES DÉFIS MAJEURS–
Selon les chiffres du syndicat professionnel de ce sec-teur,
le Nasscom (National Association of Software
and Services Companies), l’ensemble du secteur des
TIC et des services associés (Business Process Outsour-cing,
BPO) aurait généré pour l’année fi scale 2011,
des revenus de l’ordre de 88,1 milliards (billions) de
dollars dont 76,1 milliards, soit 86 % du total, revien-draient
au seul secteur des services informatiques. Le
taux de croissance annuel du secteur des TIC serait
passé de 1,2 % en 1998 à 6,4 % en 2011.
Toujours pour cette même année fi scale, le nombre
total d’employés qualifi és était estimé à 2,5 millions
de personnes et les emplois indirects induits par le
secteur seraient de l’ordre de 8,3 millions : dans la
majorité des cas, il s’agit d’emplois dans des activités
annexes (sécurité, entretien, restauration, transports)
qui absorbent une main d’oeuvre peu qualifi ée.
Bien des pays du sud observent avec intérêt ce qui
est présenté comme un modèle de développement
qui pourrait être reproduit dans d’autres contextes
nationaux.
Le secteur des TIC en Inde est cependant confronté à
une diffi culté majeure qui peut compromettre l’évo-lution
future de ces activités technologiques : la fai-blesse
de la part consacrée par les SSII indiennes à la
recherche et au développement.
Par ailleurs, la place de l’Inde sur le marché mondial
des TIC est menacée. La montée en puissance de la
Chine interpelle les responsables indiens, hommes
politiques et acteurs entrepreneurials, sur les gains
de productivité à trouver dans les entreprises in-diennes,
afi n de soutenir un taux de croissance qui
s’est ralenti ces dernières années.
–INFORMATICIENS EN INDE ET EN
FRANCE : SIMILITUDES ET
DIFFERENCES–
La recherche de Roland Lardiois montre que la diver-sité
des profi ls, la complexité des dispositifs de forma-tion
et la faible adéquation entre spécialités de for-mation
et postes occupés ne sont pas des
particularités françaises.
6 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
7. Les informaticiens indiens et les informaticiens fran-çais
présentent de nombreux traits communs : diver-sité
des profi ls, mobilité élevée, position relativement
élevée dans la hiérarchie sociale, population urbaine,
taux de féminisation relativement faible mais non
nul, vieillissement…
Et, dans les deux pays, si l’attractivité de ces métiers
a été très forte pendant de nombreuses années, cela
semble être moins le cas maintenant.
La « qualité » des enseignements fait également dé-bat.
On trouve autant d’analyses pour saluer la qua-lité
des informaticiens indiens que pour dénigrer la
faiblesse de leurs formations,
Ce qui est par contre très différent, c’est leur environ-nement.
La description de l’appareil éducatif indien
frappe en effet moins par sa complexité, peu éloignée
de celle du système français, que par les effectifs aux-quels
elle renvoie : en Inde, on compte plus de 3 000
écoles d’ingénieurs et plus de 450 000 Bachelors of
Engineering sont délivrés chaque année.
On retient également l’importance de la sélection
(beaucoup de candidats et peu d’élus ; coût élevé des
études) et, enfi n et peut-être surtout, la place occupée
par les entreprises privées, ce qui ne signifi e pas ce-pendant
que l’Etat fédéral soit « absent ».
Les stratégies qui président à la création et au déve-loppement
des formations en informatique et le rôle
central des entreprises dans cette politique sont éga-lement
traités. De fait, une des clés du lien entre
formation et emploi en Inde est précisément la place
des acteurs et fi nancements privés dans la création
et l’organisation de pans entiers de l’enseignement
supérieur, en particulier dans les domaines de spécia-lités
conduisant aux métiers de l’informatique. Alors
qu’en France l’implication des entreprises dans l’orga-nisation
des formations de l’enseignement supérieur
est rarement directe, et diffi cilement assumée par la
collectivité tout entière, en Inde, plus de 50 % de
l’enseignement supérieur est privé et plusieurs univer-sités
ou instituts portent le nom de leur fondateur, en
l’occurrence un chef d’entreprise. Si l’on devait étudier
un exemple « exotique » dans le domaine des straté-gies
et des investissements éducatifs du secteur privé,
le cas indien pourrait servir, y compris pour les débats
que cela suscite aujourd’hui dans la société indienne,
qui aujourd’hui fait le bilan polémique de cette forte
implication.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 7
8. Responsable du projet : : Roland Lardinois
(CNRS) et P. Vigneswara Ilavarasan
Équipe projet du département études et
recherche de l’Apec :
Hélène Alexandre, Raymond Pronier
Direction du département : Pierre Lamblin
ASSOCIATION POUR L’EMPLOI
DES CADRES
51 BOULEVARD BRUNE
75689 PARIS CEDEX 14
CENTRE DE RELATIONS CLIENTS
0810 805 805*
DU LUNDI AU VENDREDI
DE 9H À 19H
*prix d’un appel local
– ÉTUDE COMPLÈTE DISPONIBLE
SUR WWW.CADRES.APEC.FR
www.apec.fr
–
MÉTHODOLOGIE
–
L’objectif des partenariats de recherche de l’Apec est
de développer une logique de complémentarité des
expertises : celles des chercheurs, d’une part, et celles
du département études et recherche de l’Apec,
d’autre part.
La recherche dirigée par le sociologue Roland Lardi-nois
a été menée en collaboration avec P. Vignesh
Ilavarasam dans le cadre du Centre de Sciences Hu-maines,
laboratoire CNRS de Dehli.
Il s’agit d’une sociographie, c’est-à-dire une étude
descriptive de réalités et de faits sociaux dans un
contexte particulier.
Le travail d’investigation réalisé a utilisé toutes les
méthodes classiques des études et des recherches :
recherches et veilles documentaires, entretiens quali-tatifs,
enquête quantitative.
Il a utilisé toutes les méthodes classiques des études
et des recherches : recherches et veilles documen-taires,
entretiens qualitatifs, enquête quantitative.
L’espace social des SSII indiennes a fait l’objet d’une
enquête quantitative inédite menée sur les deux
cents premières entreprises du secteur.
Une autre enquête quantitative a été menée auprès
de 500 salariés des TIC dans les grandes métropoles
indiennes (employés qualifi és, ingénieurs software,
cadres, managers…
EDOBSA0180–S–05.14
ISBN 978-2-7336-0737-4