La commission de classification des oeuvres cinématographiques
1.
La commission de classification
des œuvres cinématographiques
Université Panthéon-Assas
Master 2 Droit de la communication
Année universitaire 2011-2012
Mémoire présenté par M. Amaury Pascaud
Sous la direction de Mme Laurence Franceschini
1
3. Sommaire
Introduction
Partie 1 La consécration d’un système de contrôle des films
adapté à la protection de la liberté d’expression
Chapitre 1 De la censure à la classification, l’évolution historique
des contrôles sur les œuvres cinématographiques
Section 1 Le cinéma censuré (1909‐1975)
Section 2 Le cinéma classifié
Chapitre 2 Une commission tournée vers l’objectif de conciliation de
la liberté d’expression cinématographique et de la protection de la
jeunesse
Section 1 La composition de la commission de classification : priorité à la
pluralité
Section 2 Une procédure respectueuse du film
Partie 2 Un contrôle opéré dans le respect de l’œuvre
cinématographique
Chapitre 1 Le traitement de l’œuvre cinématographique par la
commission de classification
Section 1 Une appréhension du film par la commission de classification dans
l’optique de protéger la jeunesse
Section 2 Une étude de la « jurisprudence » de la commission
Chapitre 2 L’œuvre cinématographique, le dernier parangon de la
morale et de la vertu ?
3
4. Section 1 Les contrôles existant dans les autres médias : constatation d’un
manque de cohérence
Section 2 Perspectives d’avenir : amélioration de la cohérence entre les médias
Conclusion
4
5.
Introduction
« Le cinéma est une saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leur
absence d’explication »1
« La libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux
de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »2.
La liberté d’expression a valeur constitutionnelle et est protégée comme telle depuis la
décision du Conseil Constitutionnel du 16 juillet 1971, Liberté d' association.3 Les
rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’avaient pas évoqué à
l’article 11 la possibilité d’une extension de protection aux nouveaux modes de
communication. Cependant, une interprétation extensive de la notion de libre
communication des pensées et des opinions permet l’intégration de tous les moyens
d’expression, même ceux les plus avancés d’un point de vue technologique. La grande
flexibilité du texte est un atout, qui n’a bénéficié au cinéma que très récemment.
Le cinématographe est le fruit d’une longue évolution débutée au 17ème siècle par les
travaux de Kircher sur la lanterne magique4. De nombreuses innovations se succédèrent
pour permettre la captation d’images en mouvement. Ainsi, l’invention de la photographie
par Niepce, Daguerre, Fox Talbot, les premières projections d’images en mouvement par
Plateau, Von Uchatius, Muybridge et Marey et la découverte de la pellicule sur rouleur par
Eastman permirent des années plus tard à Edison d’élaborer son kinétoscope (1891) et aux
frères Lumière Auguste et Louis Lumière de construire leur cinématographe (1895). C’est
celui-ci qui remporta la bataille, car il permettait un usage collectif. L’ère primitif du
1
2
Manuel De Olivéira
Article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.
3
Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971. Consécration de la valeur constitutionnelle du
préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 qui renvoie au préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 et à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
de 1789.
4
Atlas du cinéma d’André Labarrère,
5
6. cinéma débute, il n’est, alors, pas évident qu’il devienne un jour un moyen de
divertissement de masse.
L’apparition du cinématographe ne fait pas grand bruit. Il ne trouble pas l’ordre public et
reste un phénomène peu étendu. Pendant plusieurs années, il va constituer une attraction de
foire5 dédaignée des élites cultivées et dirigeantes. C’est une attraction nomade qui
s’installe dans des cafés, des chapiteaux, des écoles, des salles de fête. Albert Montagne la
qualifie même d’« obscure spectacle de rue »6. Le basculement du cinéma de l’artisanat à
une industrie organisée et puissante s’effectue par le biais de l’apparition de sociétés
intéressées par le potentiel économique de ce nouveau média. La création de Pathé en
1896 par Charles Pathé et de Gaumont par Louis Gaumont en 1895 transforment
durablement le cinéma français. Celui-ci va être jusqu’en 1908 le plus puissant du monde.
La décision des principaux éditeurs, lors du Congrès international de Paris du 4 février
1909, de louer et non plus de vendre ses films sédentarisent les exploitants de films. Le
cinéma perd son statut d’art forain. Des salles spécialisées apparaissent sur tout le
territoire. Le cinéma devient une industrie et un moyen de divertissement. Les principes
fondamentaux de la syntaxe cinématographique sont inventés par les plus grands
réalisateurs du début du siècle7. Il y a petit à petit une mise à l’écart du modèle théâtrale au
profit d’une véritable narration, le théâtre filmé laisse place à des procédés de mise en
scène bien plus complexes.
Ce rappel d’histoire du cinéma met en évidence les balbutiements qui ont accompagné son
expansion. C’est au moment où il a obtenu ses galons d’art autonome, avec sa propre
grammaire, ses propres codes que les pouvoirs publics ont commencé à s’intéresser à lui.
L’intervention d’un contrôle étatique est liée à la transformation du cinéma en tant
qu’industrie et de divertissement de masse.
Il fallait une raison pour motiver les autorités publiques à intervenir. L’exploitant Pathé,
qui se caractérise par un certain opportunisme, commence à proposer du sexe et de la
violence à l’écran avec des films tels que L’amour à tous les étages, La première nuit de la
5
Histoire juridique des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001), Albert Montagne
6
7
Idem
Georges Meliès, Louis Feuillade David Wark Griffith…
6
7. mariée, Lèvres collée 8. L’opérateur produit en outre un grand nombre de reconstitutions
mortelles qui sortent sous des titres évocateurs : Histoire d’un crime, Devant la Guillotine,
La chute du couperet, Exécution en Chine, Exécution en Amérique, Exécution en Espagne,
Exécution en F rance, Exécution en Angleterre, Exécution en Allem agne, Exécution
capitale à Berlin, une exécution à Pékin9. Face à ce déferlement, les autorités publiques
vont réagir. La circulaire télégraphique du 11 janvier 1909 adressée par le Ministre de
l’Intérieur à l’ensemble des préfets pour leur intimer d’interdire la projection de la
captation d’une quadruple exécution à Béthune le 11 janvier 1909 constitue la première
censure française10.
A partir de cette date, le cinéma ne va cesser d’être contrôlé. A l’origine, ce contrôle passe
par les autorités de police locale, puis un transfert va s’opérer au profit d’une autorité de
police spéciale qui va uniformiser le contrôle au niveau national : la commission de
contrôle des films.
Pourquoi parler de censure et non de limites légales à la liberté d’expression ? En effet, la
conception française de la liberté d’expression diffère de celle du premier amendement de
la constitution des Etats-Unis en ce qu’elle n’est pas absolue. L’article 11 de la déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen dispose ainsi que « tout Citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas
déterminés par la Loi ». L’article IV du même texte dispose en outre que :
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des
droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres
de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées
que par la Loi. »
La liberté peut trouver des limites dans les droits et les intérêts des citoyens mais aussi
dans certains intérêts collectifs11. Quand la protection de ces intérêts dépasse l’exercice
8
(Henri Bousquet et Riccardo Redi, « Pathé Frères : les films de la production » Quaderni di
cinema 1992)
9
Histoire des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001), Albert Montagne,
10
« Les Actualités filmées ont enfanté la censure du cinéma français en 1909 », Les cahiers de la
cinémathèque, numéro 66, juillet 1997
11
Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure , Jean-François Théry,
7
8. d’une liberté non limitée a priori, un régime de contrôle préalable peut être institué. Ce
régime, bien plus restrictif que le régime répressif12 qui constitue la norme, n’est justifié
que si l’intérêt en question rend le contrôle juste et adapté. Le cinéma a toujours été
contrôlé en France, mais pour des raisons (motifs politiques…) ne justifiant pas une telle
atteinte à la liberté.
Le terme censure renvoie aux censeurs dans l’antiquité qui effectuaient des opérations de
recensement des citoyens romains pour répartir les impôts et préparer au service. Les
personnes recensées pouvaient prétendre à une vie politique, tandis qu’une note d’infamie
censoriale déclassant un citoyen l’excluait de la vie politique. On retrouve l’idée d’un
contrôle, d’un classement entre ceux qui ont des droits et ceux qui n’en n’ont pas. La
notion va véritablement acquérir une connotation négative aux XVIème lorsque l’Eglise
romaine et catholique va condamner l’un de ses membres pour sa doctrine. Au XVIIIème
siècle, un contrôle officiel des publications est mis en place, pour des raisons politiques et
policières. Terme impropre juridiquement, il n’en est reste pas moins pertinent. Elle peut
être définie aujourd’hui comme un acte empêchant la transmission de l’information. L’acte
doit être préalable à la transmission de l’information, systématique, discrétionnaire et
arbitraire13. La censure peut prendre des formes différentes et émanée tant des autorités
publiques que des personnes privées. Depuis quelques années, le régime du cinéma est
critiqué pour avoir mis en place une censure économique à cause de l’importance des
télévisions dans la production.
Le régime de contrôle mis en place en France, au début du siècle jusqu’aux années 1970,
démontre l’existence d’une véritable censure d’Etat. Très tôt a été mis en place un régime
de visa par le Décret du 25 juillet 1919. Le film ne pouvait sortir en salle qu’après examen
par une sous-commission de contrôle et un visa rendu par le Ministre chargé du cinéma. Le
film était contrôlé avant sa sortie et pouvait subir des coupes ou être interdit pour des
raisons très floues et peu sécurisantes. En outre, le juge administratif ne contrôlait pas avec
beaucoup de rigueur les décisions de refus. Ce statut s’explique par la non-reconnaissance
de la liberté d’expression cinématographique en tant que liberté publique. Elle ne pouvait
donc pas bénéficier de toute la protection afférente à un tel statut : liberté régie et limitée
12
Régime où le contrôle n’intervient qu’à postériori, par l’intervention du juge, quand l’exercice de
la liberté a provoqué un préjudice.
13
Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure, Jean-François Théry
8
9. par la loi et garantie par un juge. Pour Jacques Robert, la liberté publique est « une créance
collective sur tous les membres de la société ».14
Les raisons d’un tel contrôle s’expliquent par la nature même du cinéma. Média chaud, il a
longtemps était suspecté d’entretenir « des liens ambivalents avec la morale : en effet il
peut tout montrer ». Il modifie considérablement le lien entre l’œuvre d’art et son
récepteur. Il est un média « d’une très haute densité de définition, réclamant une
participation extrêmement minime du spectateur et s’imposant à lui ».15 Il permet des
représentations de la réalité les plus pures ou les plus fantasmées. Le spectateur est dans
une position de receveur passif. Les circonstances entourant la projection, une salle
plongée dans le noir, un son très puissant et un écran géant, augmentent le sentiment
d’immersion du spectateur. Les évènements qui se sont déroulés lors de la première
projection en 1895 de L’Entrée du train en gare de La Ciotat démontrent l’incroyable effet
du film sur le spectateur.
L’artiste peut-il tout montrer ? Les spectateurs peuvent-ils tout voir ? Les différentes
commissions de classification qui se sont succédées ont tenté de minimisé l’impact du film.
L’expression de Jean Luc Douin qualifiant la commission « d’organe d’autodéfense de la
société »16 est juste. Elle a pendant des années permis à l’Etat de contrôler les artistes,
d’éviter les transgressions et les critiques. Le film est un divertissement, mais il peut aussi
avoir un message. Et sa puissance d’évocation peut nuire aux autorités dirigeantes.
Depuis les années 70, les raisons justifiant le contrôle préalable des œuvres
cinématographiques ont considérablement changé. D’une censure étatique dans laquelle
des motifs politiques, religieux, moraux poussaient la commission et le Ministre à interdire
une œuvre, nous sommes arrivés à une classification justifiée et adaptée. La commission de
classification des œuvres cinématographiques, dont le régime découle du décret du 23
février 1990, doit rendre un avis au Ministre de la Culture et de la Communication sur le
film en prenant en compte uniquement son impact sur la jeunesse.
14
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek, Librairies techniques, 1982
15
16
Idem
Dictionnaire de la censure au cinéma, Jean-Luc Douin,
9
10. En application de l’article L 211-1 du code du cinéma et de l’image animée,17 toute
représentation publique d’une œuvre cinématographique en France est soumise à
l’obtention d’un visa délivré par le Ministre de la culture et de la Communication après
avis obligatoire de la commission. Ce même article précise que « ce visa peut être refusé
ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de
l’enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine ». Il renvoie à un décret
d’application pour tout ce qui concerne les conditions et les modalités de délivrance du
visa.
Une œuvre ne peut postuler à l’obtention du visa que si elle est achevée et a préalablement
fait l’objet d’une immatriculation au registre public de la cinématographie et de
l’audiovisuel. Les œuvres cinématographiques utilisées pour la publicité commerciale
peuvent ne pas respecter cette deuxième condition. L’obligation de visa s’applique tant aux
œuvres étrangères qu’aux coproductions. Les œuvres doublées en langue française doivent
obtenir un visa distinct de celui délivré pour l’exploitation de l’œuvre dans sa version
originale. Les exceptions au visa sont définies aux articles L 214-1 du Code du cinéma et
de l’image animée.
Le visa vaut autorisation de représentation publique de l’œuvre sur tout le territoire de la
République française, à l’exception des territoires d’Outre-mer (article 10 du décret du 23
février 1990). Il est donc indispensable de l’obtenir pour prétendre à une exploitation de
l’œuvre cinématographique. La plupart des pays démocratiques possèdent de telles
commissions chargées d’étudier l’impact du film sur le plus jeune spectateur. Pour JeanFrançois Théry, le contrôle préalable des films se justifie par la nécessité de protéger les
plus jeunes face à un art d’une nature différente : « Cette protection est tellement
nécessaire qu’elle est proclamée comme un droit de l’enfant. (…) Le contrôle des films
n’est rien d’autre qu’une protection des enfants et des adolescents, destiné à assurer le
respect de leur droit à l’éducation. »
Il s’agira d’étudier le passage d’un contrôle défenseur des intérêts de la société et des
pouvoirs publics à un contrôle défenseur des droits de l’enfant (Partie 1). Le film est
devenu une œuvre d’art qu’il faut protéger (partie 2
17
La classification des œuvres cinématographiques repose sur l’ordonnance 2000-901 du 24 juillet
2009 relative à la partie législative du code du cinéma et de l’image animée
10
11.
Partie 1 La consécration d’un système
de contrôle des films adapté à la
protection de la liberté d’expression
« On est passé de la sauvegarde de l’ordre public et des bonnes mœurs à une politique de
prévention, la protection de l’enfance et de l’adolescence, la censure a disparu au profit de
la classification. »18
L’évolution d’une censure à une classification a été longue et difficile (A). Le système mis
en place aujourd’hui répond à une nécessité de concilier des intérêts a priori antagonistes :
la protection de la jeunesse et la liberté d’expression (B).
Chapitre 1 De la censure à la classification, l’évolution
historique des contrôles sur les œuvres
cinématographiques
Entre 1909, date de la première manifestation de la censure française, et 1975, date de la
consécration d’une véritable liberté publique d’expression cinématographique protégée
comme telle, le cinéma a été l’objet d’un contrôle préventif s’apparentant à de la censure
(section 1). L’évolution de la jurisprudence, de la pratique, puis enfin de la législation
modifieront grandement ce contrôle qualifié aujourd’hui de classification (section 2).
Section 1 Le cinéma censuré (1909‐1975)
Quelques années après l’invention du cinématographe, le cinéma fait déjà l’objet d’un
contrôle. Celui-ci est alors dominé par le pouvoir de police des maires et des préfets (§1).
Puis un système national de contrôle va progressivement voir le jour, prenant
définitivement le pas sur la police locale (§2).
18
Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure , Jean-François Théry
11
12. §1 La protohistoire (1909‐ 1916) dominée par le pouvoir de police locale des
maires et des préfets 19
La censure française naît en 1909 par le biais d’une circulaire télégraphique émise par le
Ministre de l’Intérieur. Celle-ci reconnait le pouvoir de police locale des maires et des
préfets en matière de contrôle cinématographique (A). Cette prérogative sera consacrée par
la jurisprudence (B).
A) La circulaire télégraphique du 11 janvier 1909 : la première manifestation
française de la censure
La prolifération de projections de reconstitutions de scènes d’exécution commençait
sérieusement à inquiéter les pouvoirs publics. Aussi, lorsque l’opérateur Pathé décide de
filmer directement la quadruple exécution à Béthune des bandits Abel et Auguste Pollet,
Canus Vromant, et Théophile Deroo pour éviter le coût du tournage en studio, le Ministre
de la Justice prit sa plume pour prohiber l’usage de tout appareil ou procédé quelconque de
reproduction cinématographique sur les lieux. Il craignait que la projection de la scène de
l’exécution ranime le débat sur l’abolition de la peine de mort. Malheureusement, le lundi
11 janvier 1909, les opérateurs de Pathé réussirent à immortaliser la scène : c’est la
Quadruple exécution capitale de Béthune.
Le ministre de l’intérieur, Georges Clémenceau, interpellé par son confrère de la justice,
envoie à tous les préfets de France et d’Algérie une circulaire télégraphique dans le but
« d’interdire radicalement tous les spectacles cinématographiques publics de ce genre,
susceptibles de provoquer des manifestations troublant l’ordre et la tranquillité publiques ».
Le 24 janvier, le journal D’Hénin-liétard20 publie la circulaire envoyée par le Ministre de
l’Intérieur au préfet du Pas-de-Calais qui interdit la projection de cette captation. Le préfet
Briens va répercuter cette interdiction aux maires qui vont y répondre positivement.
Cette circulaire intègre le cinéma au sein de la catégorie des spectacles dits de curiosité
visés par l’article 6 du décret du 6 janvier 1864 relatif à la liberté de l’industrie théâtrale21.
19
Pour Albert Montagne, la protohistoire est une « période historique où la censure s’attaque au
cinématographe naissant et muet pour contrôler l’image en mouvement »
20
Site internet http://cinemasdunord.blogspot.fr
21
Extraits de la circulaire : « Les spectacles cinématographiques ne rentrent pas dans les
représentations d’ouvrages dramatiques dans le sens de la loi, mais plutôt dans la catégorie de
spectacles dits de curiosités visés par l’article 6 du décret du 6 janvier 1864 relatif à la liberté de
12
13. Leur régime est définit par la loi des 16 et 24 août 1790, titre IV, article II qui soumet les
spectacles publics à l’autorisation des autorités municipales.
La définition de la notion de spectacles de curiosité est large, et renvoie directement le
cinéma à son statut original d’art forain :
L’article 6 du décret du 6 janvier 1864 : « Les spectacles de marionnettes, les cafés
dits-chantants, cafés concerts et autres établissements du même genre »
Une circulaire ministérielle : « De petits spectacles de physiques et de magie,
panoramas, dioramas, tirs, feux d’artifice, expositions d’animaux, et tous spectacles
forains et exercices équestres qui n’ont ni un emplacement durable, ni une
construction solide ».
Les spectacles cinématographiques dépendent donc du pouvoir de police des maires22 et en
cas de carence de ceux-ci, des préfets23.
Le ministre reconnait l’unique autorité de police des maires en matière de spectacles
cinématographiques. Il ne peut donc interdire directement un film ou faire légalement des
injonctions aux maires. Il peut cependant ordonner aux préfets de faire des
recommandations aux maires. En cas de non-respect de celles-ci, une carence municipale
pourra être constatée et motivée ainsi l’intervention des préfets. Le pouvoir de police local
prévaut sur tout contrôle national.
B) La consécration par la jurisprudence de la compétence des maires et des
préfets
La circulaire a eu pour effet de transformer le cinématographe en problème de droit. De
nombreux maires et préfets se mirent en quête d’interdire toutes les projections pouvant
déranger les sensibilités de leur électorat. Les exploitants réagirent en intentant de
nombreuses actions en justice. La jurisprudence eu donc un rôle primordial : celui de
l’industrie théâtrale ; ils ne peuvent avoir lieu sans l’autorisation du maire »
« La maire a tous pouvoirs en vertu notamment de la loi des 16-24 août 1790, titre IV, article II,
pour exercer censure préalable et n’admettre que les articles au programme de la représentation
cinématographique qui lui paraissent sans inconvénients (…). Vous les contraindrez au besoin, en
faisant usage des pouvoirs que confère l’article 99 de la loi du 5 avril 1884 »»
22
Loi du 5 avril 1884, article 91, 97 alinéa 1, article 97 3°, aujourd’hui articles L 2212-1 et L 22122 du Code général des collectivités territoriales.
23
Même loi, article 99 aujourd’hui article L 2215-1 du Code général des collectivités territoriales
13
14. consacrer l’application du régime des spectacles de curiosité, et de définir les modalités du
pouvoir de police locale des maires et des préfets.
Le 18 octobre 1912, le juge de paix d’Hyères24 reconnait expressément la compétence des
maires en matière de spectacle cinématographique : « Le cinéma, entrant dans la catégorie
des spectacles de curiosité, reste soumis au pouvoir des maires ».
La définition qu’il donne du cinéma montre alors que celui-ci n’avait pas encore gagné ses
galons d’art majeur : « Les spectacles cinématographiques ne sont que l’image, la
photographie de l’œuvre dramatique ; ils ne sont pas faits pour le même public des
théâtres ; infiniment plus variés, procédant par d’autres moyens que ceux qu’emploient les
auteurs dramatiques, ils se proposent bien plutôt d’exciter, et quelque fois d’étonner la
curiosité publique, bien plus que d’éveiller et de développer le sentiment esthétique des
spectateurs ».
Le Conseil d’Etat va confirmer la compétence municipale par un arrêt du 3 avril 191425 :
« Considérant (…) que les articles premier à cinq du décret de 1864 (…) qui ont supprimé
la nécessité d’une autorisation préalable pour l’ouverture d’un théâtre et qui ont confié la
censure des pièces au ministre des pièces au Ministre des Beaux-Arts à Paris et aux préfets
dans les départements ne sont applicables qu’aux théâtres proprement dits dans lesquels
des acteurs jouent des œuvres dramatiques ; que les cinématographes et autres
établissement du même genre ». Cet arrêt consacre définitivement la légalité de
l’intervention des maires et des préfets en matière de spectacle cinématographique car
celui-ci est considéré comme un spectacle de curiosité.
Le choix de rattacher le cinéma au régime préexistant des spectacles de curiosité n’est pas
anodin. En effet, celui-ci n’est pas évident à première vue. Pourquoi ne pas avoir rattaché
le cinéma au théâtre ? En 1909, toute la grammaire cinématographique n’avait pas été
encore inventée et le cinéma possédait une nature ambigüe, ce qui était filmé s’apparentait
clairement à du théâtre.
24
25
Tribunal Simpl. Pol. D’Hyères, Bulletin spécial de décision des Juges de Paix, 1913
CE. 3.4.14., Recueil des arrêts du Conseil d’Etat, 1915
14
15. Un pouvoir des maires reconnu, et même protégé par les juges, c’en était trop pour le
pouvoir central. Le début de la fin de l’hégémonie des pouvoirs locaux commence par la
circulaire du 19 avril 1913. Le Ministre de l’Intérieur souhaite minimiser les censures
locales des maires. Il invite les préfets à suivre directement dans leurs départements
l’exemple des maires dans leurs communes. Les préfets n’ont plus à faire de
recommandations préalables pour pouvoir se substituer ensuite à eux en cas de carence
municipale. Se superpose ainsi aux pouvoirs municipaux des maires, le pouvoir de police
départementale des préfets. C’est une augmentation des prérogatives du Ministre de
l’Intérieur en matière de contrôle du cinéma, car le préfet est le représentant de l’Etat dans
les départements et les régions.
§2 La prééminence d’une police nationale spéciale par l’instauration de
commissions nationales de contrôle (1916‐ 1975)
De 1916 à 1961, de nombreuses commissions se succédèrent au gré des censures (A). En
1961, un régime d’une certaine stabilité vit le jour, comportant des éléments que l’on
retrouve dans le contrôle d’aujourd’hui (B).
A) Les régimes successifs de 1916 à 1961
De nombreuses commissions chargées du contrôle des films se succédèrent jusqu’à la
deuxième guerre mondiale (1). En 1945, un régime plus complet et complexe vit le jour, la
censure devenant de moins en moins prégnante (2).
1) Les prémices du contrôle national, les commissions de contrôle entre 1916 et 1945
L’arrêté du 16 juin 1909
Le maire ne recommande plus, il ordonne. Cet arrêté institue la première commission de
censure préalable au niveau national. La commission est chargée de :
‐
Examiner et contrôler les films cinématographiques projetés en France ;
‐
Arrêter la liste des films susceptibles d’être présentés ;
‐
Délivrer pour chaque film admis une carte spéciale, qui devra être produite aux
autorités compétentes avant toute représentation. Ce sont les prémices du visa
cinématographique.
15
16. A partir de cet arrêté, le contrôle du cinéma est confié à une unique autorité de police
administrative, une commission nationale de contrôle des films. On veut éviter l’anarchie
et le manque de cohérence due aux décisions des maires et préfets. La censure devient
nationale, et prend le pas sur les censures locales. Il faut pour Albert Montagne :
« généraliser et centraliser le contrôle cinématographique »26.
Elle est composée de 5 fonctionnaires de police. Ses décisions sont exécutoires sur
l’ensemble du territoire et s’imposent donc aux maires et aux préfets. Un film visé
nationalement ne pourra être interdit par un maire ou un préfet que s’il trouble l’ordre
public. Les films non visés nationalement peuvent être interdits librement. La compétence
des maires et des préfets est restreinte, et devient dépendante de la censure centrale.
Le Décret du 25 juillet 1919 organise définitivement le contrôle
cinématographique en temps de paix
C’est l’acte de naissance officielle d’une « commission de contrôle des films
cinématographiques ». La censure, en passant définitivement sous la coupe de l’Etat,
devient nationale. Les autorités locales et préfectorales sont reléguées au second plan.
Le rôle de la commission est double : lors de la pré-production, elle doit examiner les
livrets et les scénarios, puis une fois le film fini, elle le visionne pour proposer une mesure
tendant soit à l’obtention d’un visa sans observation soit à un refus de visa. La censure peut
être partielle (visa subordonné à des coupes d’images ou/et de paroles) ou totale
(interdiction du film). Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts délivre les
visas d’autorisation des films.
La commission est composée de 30 membres dont 10 représentants du Ministère de
l’Intérieur.
Aucun critère de contrôle n’est imposé, on peut donc parler de décision discrétionnaire. La
commission s’est arrogé un droit de refus des visas pour des motifs politiques. L’exemple
de censure le plus célèbre de la période est celle visant Le Cuirassé Potemkine (1925) de
Sergueï M. Eisenstein en 1927. Certains passages ont été jugés trop révolutionnaires ou
26
Histoire juridique des interdits cinématographiques en France (1909‐2001), Albert Montagne
16
17. antireligieux. En France, la diffusion a été interdite dans le circuit traditionnel jusqu’en
1953.
Le Décret a été complété par la loi de Finances du 31 décembre 1920 disposant en son
article 49 que « le visa de contrôle vaut autorisation de représentation sur tout le territoire
français ».
Ce décret « dégage l’expression cinématographique du carcan du régime des spectacles de
curiosité pour lui octroyer un visa national » 27 En outre, par le biais de la loi de Finances
du 31 décembre 1920, le régime du cinéma connait une reconnaissance législative.
Le décret du 18 février 1928 complété par la loi de finances du 29 mars 1928 :
l’instauration d’un régime libéral non suivi d’effet dans la pratique
Influencé par Edouard Herriot, le régime mis en place est le plus libéral que le cinéma ait
connu en France, du mois sur le plan des principes. D’une part, la composition de la
commission est paritaire, 16 membres représentent le gouvernement et 16 autres la
profession et d’autre part, l’avis conforme de la commission est explicitement exigé pour la
délivrance ou le refus de délivrance des visas. La commission de contrôle est placée,
comme la précédente, sous l’autorité du Ministre des Beaux-Arts qui voit donc ses
prérogatives réduites à la portion congrue.
Cependant, cette commission ne s’est pas distinguée de ses prédécesseurs dans la pratique.
Les critères restant très flous, le respect de la conservation des mœurs et les traditions
nationales, la commission disposa d’un véritable pouvoir discrétionnaire qu’elle utilisa de
façon excessive.28
La loi de Finances du 29 mars 1928, à l’alinéa 2 de l’article 58, consacre un contrôle
national prioritaire et un contrôle local subsidiaire : « le visa de contrôle vaut autorisation
de représenter sur tout le territoire français, sous la réserve des mesures de police locale
prises en vue du maintien du bon ordre ».
27
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek
28
En 1933, sur 572 films présentés, 38 durent être assortis de coupures et 11 interdits. Chiffres
rapportés par Philippe J. Maarek dans La censure cinématographique
17
18. Le 30 août1931, la commission devient une sous-commission, chapeautée par l’organisme
nouvellement crée, le Conseil Supérieur du Cinéma.
En 1933, le ministre du Commerce et de l’Industrie devient compétent pour la délivrance
des visas.
Le décret du 7 mai 1936 ou « la censure de 36 »
C’est la fin de l’avis conforme et de la parité. Il y a 10 représentants des ministères et 10
personnalités choisies par le Ministre de l’Education Nationale.
Pour Albert Montagne, cette censure frappe principalement cinq films français : La
garçonne (1935) de Jean de Limur, Les Mutinés de l’elseneur (1936) de Pier Chenal, Tout
va très bien, Madame la Marquise (1936) d’Henri Wulschelberg29, Justin de Marseille
(1934) de Maurice tourneur et La vie est à nous (1936) de Jean Renoir (une œuvre de
propagande tournée pour le parti communiste).
Le Ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts devient responsable de la
commission supérieure d’examen des films cinématographiques le 25 octobre 1937.
Le contrôle des œuvres cinématographiques sous le régime de Vichy
C’est le régime le plus restrictif de l’histoire, la censure étant confiée au commissariat
général de l’information. Une interdiction aux mineurs âgés de moins de 18 ans est
instaurée par un arrêté du 20 décembre 1941, pris en application du décret-loi du 24 août
1939 sur le contrôle de la presse et autres publications. C’est la première restriction
apportée en fonction de l’âge.
2) L’Ordonnance du 3 juillet 1945
« La commission de contrôle des films » instituée se rapproche de celle du régime de 1928.
Elle redevient paritaire : 7 membres du gouvernement et 7 membres de la profession et la
pratique de l’avis conforme devient
obligatoire
pour
les
films
français.
29
La prestation de Noël-Noêl-Le Ploumanech ridiculise pour la commission « les habitants de la
Bretagne dont sont originaires un grand nombre de nos citoyens » ( Histoire juridique des interdits
cinématographiques (1909-2001), Albert Montagne)
18
19. Le ministre compétent pour le contrôle des représentations et des exportations des films est
le Ministre de l’information.
La restriction concernant l’âge subsiste mais est limitée aux mineurs âgés de moins de 16
ans. L’ordonnance ne mentionne pas les critères de contrôle. Il faut se référer à l’exposé
des motifs, qui évoque le respect des bonnes mœurs et les risques de troubles à l’ordre
public.
La pratique est marquée par de nombreuses coupures et interdictions. Le 16 novembre
1954, Bel Ami de Louis Daquin est interdit par la commission de contrôle. Elle exige des
coupures de scènes où des allusions précises à la corruption, aux excès de pouvoir et au
colonialisme français au Maroc sont susceptibles de heurter le spectateur. Il ne faut pas se
tromper, les motivations sont avant tout politique, la guerre d’Algérie s’annonçant. « A
mon avis, il y a à faire au Maroc ! » devenant « A mon avis, il y a à faire dans ces pays ! » ;
« Qu’en pensent les marocains ? » devenant « Qu’en pensent les plantes exotiques ? »30 .
Le 9 février 1955, le film obtient son visa, mais reste interdit en Outre-mer jusqu’en 1957.
La commission peut en outre exiger des changements de lieux et de personnages et
l’adjonction d’un carton d’avertissement en plus des coupures comme elle le fit avec La
neige état sale de Lui Saslavsky31 en 1953.
Le décret du 13 avril 1950 modifie une nouvelle fois la composition de la commission. Elle
est constituée de 18 membres, 9 représentant le gouvernement et 9 représentants la
profession, dont un représentant de l’Union Nationale des Associations Familiales
(UNAF), nommé par le Ministre de la Santé Publique et de la Population.
30
Histoire des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001), Albert Montagne
31
Un nouveau montage, des coupures de scènes de violence, et un carton sont imposés : « La Neige
était sale ne vise qu’à approfondir le désarroi d’un pays envahi par l’ennemi, les êtres peuvent
atteindre les plus hauts sommets du sacrifice et de l’héroïsme. Ils peuvent aussi tomber dans les
pires déchéances de l’avilissement. Mais, il n’y a point de sentier détourné qui ne parvienne à
rejoindre les voies du Seigneur. C’est le cas du pitoyable héros de cette histoire, qui trouve à la fin,
sa rédemption et ses instants de lumière. D’ailleurs tous les personnages sont purement
imaginaires. L’action se déroule dans une ville d’Europe centrale. » Et le 6 janvier le film reçoit
finalement son visa d’exploitation avec interdiction aux moins de 16 ans, mais se voit refuser le
visa d’exportation
19
20. B) Le régime mis en place par le décret du 18 janvier 1961, les prémices d’une
véritable protection accordée au film
Il faut étudier la composition de la commission ainsi que la procédure aboutissant à la
délivrance du visa (1). La commission a des moyens d’actions très étendus quant au
contrôle de l’œuvre cinématographique (2).
1) Une composition et une procédure aux multiples ressemblances avec celles d’aujourd’hui
Une nouvelle commission de contrôle des films cinématographiques est créé sous l’autorité
du Ministre de l’information. De nombreux éléments rappellent le système mis en place
aujourd’hui. Sa composition ainsi que la procédure de visa démontrent une certaine
volonté de protéger la jeunesse et le film.
La composition n’est plus paritaire, ni égalitaire, mais devient tripartite avec une majorité
de représentants du gouvernement. Cette composition démontre le souhait de prendre en
compte l’impact du film sur la jeunesse.
Il y a :
‐
Un Président et un Vice-Président,
‐
Huit membres titulaires représentant le gouvernement
‐
Hui membres titulaires représentant de la profession
‐
Huit autres dont 5 nommés par le gouvernement parmi les éducateurs,
psychologues, sociologues, et trois titulaire désignés par le gouvernement
déléguées des UNAF, du Haut Comité de la Jeunesse et de l’Association des
Maires de France.
Chaque membre titulaire est nanti d’un suppléant, et de deux à partir de 1979.
Il n’y a pas d’obligation de l’avis conforme, principe qui sera retenu par la commission de
1990. Le ministre n’est pas lié par les avis de la commission, cependant, s’il souhaite
décider d’un visa assorti d’une restriction plus sévère que celle préconisée par la
commission, il doit demander une nouvelle vision du film par celle-ci. Il n’est pas lié par le
second avis, mais doit motiver sa décision s’il ne le suit pas.
20
21. Dès 1961, on retrouve la même organisation de la commission actuelle, avec une
commission plénière seule compétente à proposer toute restriction à l’exploitation d’une
œuvre cinématographique et une sous-commission chargé d’un travail de tri. Il s’agit ici
d’opérer un meilleur contrôle sur le film.
La commission exerce ses activités de contrôle avant et après la réalisation du film. Il y a
une pré-censure, c’est la procédure obligatoire de l’avis préalable. Avant le tournage du
film, les promoteurs doivent être avertis des mesures d’interdiction éventuelles encourues.
Le producteur doit soumettre son projet de film (scénario, découpage) au CNC. L’avis
rendu n’engage pas la commission. Ainsi, un avis positif ne préjuge pas de la décision
finale lors du visionnage du film par la commission, mais encourage ou décourage le
producteur. Le film terminé est ensuite projeté à la commission suivant la procédure de
visa.
Malgré de véritables avancées en matière de procédure, de composition, la censure est
encore très présente et sévit toujours. L’imprécision des critères de classification32 ainsi
que la possibilité de couper ou d’interdire le film empêchent l’épanouissement d’une
véritable liberté d’expression cinématographique.
2) Les moyens d’actions de la commission
L’article 4 du décret prévoit les différentes mesures d’interdictions possibles. La
commission dispose alors de tout un attirail pour dénaturer l’œuvre cinématographique.
Il s’agira ici de donner les différentes classifications possibles et de les illustrer par des
exemples. Pour Philippe J. Maarek, ces mesures démontrent l’existence d’un contrôle
extensif, c’est « l’ordre public externe comme l’ordre moral interne » qui sont visés33.
Le visa d’autorisation de représentation du film avec interdiction aux mineurs de
moins de 13 ans
32
Le décret est muet et la commission utilise les critères évoqués dans l’exposé des motifs de
l’ordonnance de 1945 : respect des bonnes mœurs et risques de troubles à l’ordre public.
33
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek
21
22. Le film Mister freedom(1968) de William Klein se voit accorder un visa moyennant
« l’allégement de quelques scènes de sadisme au cours de l’entraînement des French antifreedom, la coupure de certaines paroles prêtées au chef de l’Etat, du discours du ministre
de l’intérieure, des scènes de manifestation de rue ainsi que les emblèmes brandis et les
slogans de l’internationale et les manifestants (poings levés) dans les dernières images du
film »34.
Le visa d’autorisation de représentation du film avec interdiction aux mineurs de
moins de 18 ans
De nombreux films ont reçu une telle classification et ont été aujourd’hui déclassés par la
commission : Jules et Jim de François Truffaut en 1962, Les héritiers de Walter Bannert
en 1982 ou Jeux de nuit 35 de Mai Zetterling en 1966.
Le visa d’autorisation avec interdiction aux moins de 18 ans avec un avertissement
Cette interdiction qui existe pour éviter l’interdiction pure. L’exemple le plus connu est
Exhibition(1975) de Jean-François Davy, sortie une année où la commission refusait de
prononcer des interdictions absolues. Pierre Soudet, ancien Président de la Commission,
raconte pourquoi le film n’a pas été interdit : « J’ai trouvé pour ma part, la prestation de
Claudine Beccarie, l’explication de sa démarche, de son passé, de ses motivations, d’une
qualité très honorable, très respectable : une espèce de document sociologique qu’il était
difficile de refuser aux gens. Ce fut une décision largement commentée et contestée »36. Le
film sera par la suite ixifié37.
L’interdiction totale
La pratique des interdictions totales est courante dans les années 50 et 60. Elle ne
disparaitra véritablement que dans les années 80 après une baisse importante au milieu des
années 70.
34
Le cinéma français, de la Nouvelle vague à nos jours, Jean-Michel Frodon 2010
35
Fait rare pour un film censuré L’Avant-Scène lui consacre un « découpage après montage
définitif et dialogues in extenso (texte et photo avant censure), A.-S.C. Numéro 67 février 1967
36
Histoire des interdits cinématographiques en France (1909‐2001), Albert Montagne
Terme désignant le fait pour un film d’être classé X
37
22
23. On peut citer pour l’exemple certains films interdits totalement dans les années 7038 :
‐
En 1972, Le sexe à l’envers Les Rêves érotiques de Casanova, Dracula, ce vieux
cochon, le camp spécial numéro 7, L’enfer des filles soumises, Général massacre,
Porno Baby, le sexe en délire.
‐
En 1973 : Histoire d’A, la comtesse perverse, Non, je suis encore vierge, Déviation,
Blue money, traumatismes sexuels, femmes en révolte, je suis une call-girl ou Tous
les chemins mènent à l’Homme, Rapport sur la vie sexuelle des apprenties, les
Anges violés, la brute, le bonze et le méchant.
‐
En 1974 : Les marchands de filles, Sexe en vadrouille, La Renarde
‐
En 1975 : L’aubergine est farcie, L’esclave, Man of iron
‐
En 1976 : Née pour l’enfer, Exhibition numéro 2, L’hystérique aux cheveux d’or,
American justice
‐
En 1977 : La grande défonce ou Délire collectif, Nathalie rescapée de l’enfer,
Pour une poignée de cacahouètes, Le camp des filles perdues et l’enfer des femmes
‐
En 1978 : Greta no man’s house, Mosquito, Poupée nazis et Assaut sur la ville
‐
En 1979 L’opale de feu, La Secte qui tue, L’homme Hollywood, Opération jaguar,
maison pour S.S. et L’enfer des zombies
‐
En 1980 : Née pour l’enfer, La grande peur
En 1981, il n’y a plus d’interdiction.
Dans son ouvrage Albert Montagne rapport une anecdote significative de la censure de
l’époque : un représentant de l’armée voulait interdire Le gendarme de Saint Tropez (1964)
de jean Girault car il tournait en ridicule l’uniforme.
La possibilité de subordonner un visa d’autorisation à des modifications avec
coupures, allégements et avertissements
Cette mesure n’existe plus aujourd’hui. Très attentatoire à la liberté d’expression, elle a
véritablement muselé certains réalisateurs.
Liste établie par Albert Montagne dans Histoire des interdits cinématographiques en F rance
(1909-2001
38
23
24. Yves Boisset fut l’un des plus sanctionnés. Son film Le juge fayard dit le Shérif , chronique
d’un magistrat entêté menant une enquête dangereuse sur un groupe de politiciens et de
financiers véreux et qui fut abattu le 3 juillet 1975.
Yves Boisset a été menacé, agressé et intimidé39. Le film n’a pu sortir qu’après de
nombreuses coupures et allègement : 16 bips sonores remplaçant le mot Service d’Action
Civique et la suppression du gros plan de la carte tricolore exhibée par un membre du SAC
disant au juge « On n’est pas des Arabes…On fait ce qu’on veut. On est protégés »
La possibilité de proposer des changements de lieux et de personnages et
l’adjonction d’un carton d’avertissement en plus des coupures.
En 1990, avant chaque projection du film La Dernière tentation du Christ de Martin
Scorcèse, la commission a exigé qu’un avertissement soit adressé aux spectateurs: « Ce
film est tiré du roman de Nikos Kazantzakis. Il n’est pas une adaptation des évangiles »40.
Le film Nuit et brouillard (1955) d’Alain Resnais a fait face à la censure française. En
1956, lors de sa projection, la commission de contrôle a exigé que soit supprimée une
photographie d’un gendarme français surveillant du haut d’un mirador les prisonniers du
Camp de Pithiviers. Le but était d’estomper les responsabilités de l’Etat français en matière
de déportation. Menacés de voir leur film ne pas sortir en salle, Alain Resnais et son
producteur trouvèrent une solution adéquate : maquiller la silhouette du gendarme gardant
le camp et dessiner une poutre à la gouache sur le képi du gendarme. La commission avait
proposé de remplacer le plan gênant par « une photographie d’intérêt équivalent et non
susceptible de provoquer un litige »41
Les coupes peuvent ne concerner que le titre : La Putain respectueuse de Marcello Pagliero
devenant la P… respectueuse en 1952.
39
Impact numéro 11, interview d’Yves Boisset : « A la sortie du Juge fayard…, qui part de
l’assassinat du juge Renaud, quatre types m’ont cassé la gueule au moment où je faisais le code
pour rentrer chez moi. Un passage à tabac dans les règles. J’ai également eu droit à ma voiture
vandalisée, défoncée de partout, sauf la vitre conducteur où état bombée l’inscription « Bip, bip » »
40
Arrêt numéro 101.892, M Pichene, Séance du 23 avril 1990, Lecture du 9 mai 1990, Conclusions
de M. Stirn, commissaire du gouvernement
41
50 fil ms qui ont fait scandale , sous la direction de Gérard Carmy
24
25. Toutes ces restrictions prouvent que la liberté d’expression cinématographique n’a pas
valeur de liberté publique. Le régime du cinéma n’est pas consacré par la loi. Le contrôle
est préalable, exercé le plus souvent par une commission dépendante de l’exécutif, sauf en
1928 et en 1945 où la parité est respectée mais avec des résultats décevants. La possibilité
de mesures restrictives justifiées par des critères floues, ainsi que l’absence de véritable
contrôle exercé par la jurisprudence concourent à l’instauration d’une censure durable et
forte. Le contrôle est en outre exercé sur l’auteur lui-même, lors de la conception du film
par le biais de la procédure préalable, ainsi que par la lourdeur des conditions d’élaboration
et de diffusion du film. De 1909 à 1975, le régime légal et réglementaire de l’expression
cinématographique a été nettement restrictif. La liberté cinématographique « s’éloigne
clairement du statut de liberté reconnue : le contrôle est toujours préalable, l’interdiction et
les restrictions ou coupures sont possibles, et les critères restent floues »42.
L’année 1975 est celle de tous les paradoxes. Trois évènements majeurs dans l’histoire des
liens complexes entre le cinéma et l’Etat vont ébranler le régime de contrôle des films. La
création d’un régime par la loi du 30 décembre 1975 enfermant tout un pan du cinéma, le
cinéma pornographique, dans un carcan de règles désavantageuses ; le projet de loi déposé
le 13 mai 1975 qui, dans son article 1er disposait que « La représentation des films
cinématographiques est libre » ; le revirement de la jurisprudence relatif au statut de la
liberté d’expression cinématographique.
Section 2 Le cinéma classifié
Le passage de la censure à la classification s’est opéré lentement. C’est tout d’abord le rôle
fondamental de la jurisprudence et de la pratique qui ont permis la reconnaissance d’une
liberté d’expression cinématographique (§1). La consécration par les textes a été tardive
mais indispensable (§2).
42
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek
25
26. §1 L’importance de la jurisprudence et de la pratique dans la concrétisation d’une
classification
L’évolution vers un contrôle respectant la liberté des auteurs s’est opérée dans un premier
temps au niveau de la jurisprudence (A), puis dans un deuxième temps par la pratique (B).
A) La reconnaissance d’une liberté publique d’expression cinématographique
La jurisprudence a été le moteur de la reconnaissance de la liberté d’expression
cinématographique en tant que liberté publique. Le contentieux relatif aux visas
d’exploitation et aux arrêtés municipaux d’interdiction a permis de contrôler l’utilisation
des pouvoirs de police générale par le maire et le préfet et les motivations liées au refus de
visa. Il faut distinguer le contentieux en matière de visa d’exploitation (1) de celui relatif
aux arrêtés municipaux (2).
1) Le contentieux en matière de visa d’exploitation : le revirement du 24 janvier 1975
Avant le revirement du 24 janvier 1975, le Conseil d’Etat n’exerçait qu’un contrôle
minimum sur les décisions du ministre. Cette jurisprudence en matière de liberté
cinématographique était à l’opposé de la protection accordée par le Conseil d’Etat aux
autres libertés publiques que ce soit en matière de liberté de réunion43, en matière de liberté
de manifestation44 ou en matière de liberté de la presse45.
L’expression cinématographique a parfois pu être protégée en tant que liberté dérivée des
libertés reconnus. Mais très rares sont les arrêts qui ont procédé ainsi. On peut citer l’arrêt
« Société générale des travaux cinématographiques » du 29 juillet 1953 où le Conseil
d’Etat annula une décision d’attribution de visa soumise à des conditions spéciales, sur la
base d’une violation de la liberté du commerce et de l’industrie.
43
Le célèbre arrêt « Benjamin » du 19 mai 1933 : « Le maire doit concilier l’exercice de ses
pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion garantie par les lois du 30 juin 1881 et du 20 mars
1907 »
44
Arrêt du 19 février 1909, « Abbé Olivier »
45
Tribunal des conflits du 8 avril 1935, « Action française »
26
27. La reconnaissance d’une « liberté publique d’expression cinématographique per se »46 a été
dans un premier temps rejetée par la jurisprudence. Le Conseil d’Etat a, en effet, plusieurs
fois avalisé des interdictions justifiées par des motifs politiques47. Dans le cadre de la
procédure de l’arrêt « Société franco-London film et Société les films Gibbé » du 23
février 1966, le commissaire du Gouvernement Rigaud écrivait dans ses conclusions « On
ne saurait dire que la projection des films, qui est subordonnée à une autorisation
ministérielle, ait le caractère d’une liberté publique comme la liberté de réunion, et mérite
la protection »48.
La liberté d’expression cinématographique acquit le statut de liberté publique avec l’arrêt
du Conseil d’Etat du 24 janvier 1975, ¨Ministre de l’Information contre Société RomeParis Films. En l’espèce, le film La Religieuse de Diderot de Jacques Rivette n’avait pas
obtenu de visa. Le juge suprême considère « qu’à défaut de toute disposition législative
définissant les conditions de fait auxquelles est soumise la légalité des décisions accordant
ou refusant les visas d’exploitation et d’exportation, les seules restrictions apportées au
pouvoir du ministre sont celles qui résultent de la nécessité de concilier les intérêts
généraux dont il a la charge avec le respect dû aux libertés publiques et, notamment, à la
liberté d’expression ; qu’il appartient à la juridiction administrative, saisie d’un recours
formé contre un refus de visa, de rechercher si le film qui a fait l’objet de la décision
contestée devant elle est de nature à causer à ces intérêts un dommage justifiant l’atteinte
portée aux libertés publiques ». Le juge de l’excès de pouvoir doit donc exercer un contrôle
normal de proportionnalité sur les décisions refusant les visas d’exploitation et
d’exportation des films. Dorénavant, seule la protection de certains intérêts généraux peut
justifier une atteinte à la liberté d’expression cinématographique.
Cette décision a été confirmée par la suite par l’arrêt « Société cinéma-Théâtre des Trois
Etoiles » du 4 mai 1979 où le Conseil d’Etat énonce : « Qu’ainsi l’arrêté attaqué n’encourt
ni le grief d’avoir porté atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, ni celui d’avoir
apporté à la liberté d’expression des limites non prévues par la loi ».
46
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek
47
48
Les arrêts « Rivers » du 5 décembre 1947, et « Société des Films Sirius » du 24 juin 1949).
J.C.P. 66, 14608
27
28. La liberté d’expression cinématographique, devenue liberté publique, doit recevoir une
protection adaptée. Dorénavant, le Conseil d’Etat contrôlera avec plus de rigueur les
décisions de refus de visa. Des motifs purement politiques ne suffisent plus.
2) Le contentieux en matière de pouvoir de police des maires et des préfets : une protection
relative
La circulaire de 1909 reconnaissait explicitement le pouvoir des maires et des préfets en
matière de contrôle de projection des films. Malgré le réel ascendant pris par la police
nationale spéciale en matière de contrôle des films, les autorités locales peuvent toujours,
dans le cadre de leur pouvoir de police générale, prononcer des interdictions en application
des articles L 2212-1 et L 2212-2 du code général des collectivités territoriales.
En l’absence de pouvoirs spécifiques en matière de spectacle cinématographique, le
Conseil d’Etat reconnaît aux maires, depuis l’arrêt « Société Les films Lutétia » du 18
décembre 1959, le pouvoir d’user de leurs prérogatives de police administrative générale
pour interdire l’exploitation, sur le territoire de leur commune, d’un film, même s’ils à reçu
un visa d’exploitation. Le Conseil d’Etat a adopté une position extensive de la notion
d’ordre public et des raisons qui doivent pousser un maire à utiliser son pouvoir de police.
En l’espèce, le maire de Nice avait interdit la projection du film Le feu dans la peau
(1954) de Marcel Blistene dans les cinémas de sa ville estimant que le celui-ci était
immoral. En dernière instance, les juges du Conseil d’Etat ont considéré « qu’un maire,
responsable du maintien de l’ordre dans sa commune, peut donc interdire sur le territoire
de celle-ci la représentation d’un film auquel le visa ministériel d’exploitation a été
accordé mais dont la projection est susceptible d’entrainer des troubles sérieux ou d’être à
raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciables à l’ordre
public »49. Les juges soumettent l’immoralité à deux conditions cumulatives, le trouble à
l’ordre public et une circonstance locale particulière.
49
Conseil d’Etat, Section, 18 décembre 1959, n°36385, Société « Les Films Lutetia » et Syndicat
Français des Producteurs et Exportateurs de Films
28
29. La notion de circonstances locales a par la suite été définie par 11 arrêts d’assemblée du
Conseil d’Etat du 19 avril 1963 relatif à des interdictions du film Les liaisons dangereuses
de Roger Vadim prononcées par plusieurs municipalités.
Les décisions les plus récentes se montrent plus défavorables aux arrêtés municipaux
d’interdiction. Le juge administratif examine avec soin la réalité des motifs et des
circonstances locales invoqués,50 de même les mesures trop générales sont annulées51.
La Jurisprudence postérieure à l’arrêt « Lutétia » est venue confirmer le contrôle effectué
par le juge administratif.
Les maires ont outre la possibilité de moduler les interdictions en fonction de l’âge,
prérogative reconnue par l’arrêt de Conseil d’Etat, assemblée plénière Ville de Dijon 19
avril 1963.
Dans son ouvrage, Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure, Jean-François
Théry explique que la censure n’a véritablement jamais existé en France pour cause
d’absence d’arbitraire dans les décisions d’interdiction. On peut lui donner raison ce que
celles-ci ont toujours été susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le juge
administratif. Cependant, la jurisprudence du Conseil d’Etat n’a pas permis un contrôle
véritable sur les décisions de refus de visa. La reconnaissance tardive « d’une liberté
d’expression cinématographique per se»52 explique en partie les atteintes portées aux films.
B) Une évolution de la pratique tendant vers une commission plus libérale
Dans son ouvrage Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure, Jean-François
Théry montre que le changement s’est réalisé non pas par les textes mais par la pratique.
Les convictions libérales des responsables du contrôle vont modifier profondément la
façon d’analyser le film.
50
Arrêt du Conseil d’Etat du 26 juillet 1985 concernant le film Le Pull-over rouge, interdit par le
maire d’Aix-en-Provence au motif qu’il traitait d’un évènement survenu dans la région
51
TA Amiens du 10 avril 1973, « Chambre syndicale des producteurs de films français »,
annulation d’un arrêté du maire de Saint-Quentin prohibant « toutes projections de films à caractère
érotique, pornographique ou licencieux ».
52
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek
29
30. Elu président de la République le 15 juin 1969, Georges Pompidou va confier les plus
hauts postes liés à la culture à des personnalités qui vont mettre en place une forte inflexion
dans le contrôle des films. La responsabilité des Affaires culturelle revient à Jacques
Duhamel et à son directeur de cabinet Jacques Rigaud et la Commission de contrôle des
films à Pierre Soudet.
Ils vont être les auteurs du fameux projet de loi avorté de 1975 qui proclamait la liberté
cinématographique et définissait restrictivement les tempéraments qui pouvaient être
apportés à cette liberté.
En 1974, suite à l’élection Valéry Giscard d’Estaing, une grande vague de libéralisme
déferle sur la France. Le ministre de la culture, Michel Guy, reçoit du Président la
consigne de « libéraliser le cinéma »53 et de ne plus prononcer d’interdiction totale.
L’année 1974 se caractérise par le faible nombre de films interdits par rapport aux années
précédentes (3 selon Albert Montagne). Pendant quelques années, le nombre
d’interdictions oscillera entre 3 à 6 films par an, la plupart du temps des films érotiques de
mauvais goût (Poupées nazis en 1978) ou d’horreur (en 1979, aujourd’hui devenu un
classique L ’enfer des Zombies de Lucio Fulci). La pratique des coupures chute
spectaculairement en 1976 au lendemain de la chasse aux films X. Le dernier exemple de
films coupés est Caligula de Tinto Brass en 1980.
En 1981, Jack Lang alors à la tête du ministère de la culture déclare qu’il ne refusera
jamais de délivrer un visa à un film au nom de la liberté d’expression. Il met en route une
réforme basée sur une triple finalité :
‐
Mettre fin à la possibilité d’interdire totalement un film.
‐
Désengager l’Etat du contrôle : il souhaitait que les mesures de restrictions fussent
décidées par une commission où les représentants du public, de la profession, et des
experts auraient seuls voix au chapitre.
53
Ouvrage préc. Jean-François Théry
30
31. ‐
Rajeunir les cadres : le public allant au cinéma ayant en majorité moins de 25 ans,
il fallait rajeunir les membres de la commission. Il souhaitait que la moitié au
moins de ses membres n’ait pas dépassé l’âge de 25 ans au jour de leur nomination.
Au début des années 80, il n’y a plus de coupures ni d’interdictions. Cependant les textes
ne suivent pas. Malgré plusieurs projets initiés par le CNC, il a fallu attendre 1990 pour
une consécration par les textes.
§2 La protection de la jeunesse devenue l’unique intérêt justifiant un contrôle
préventif
La jeunesse a été prise en compte tôt dans la détermination des interdictions par la
commission (A). Le décret du 23 février 1990 consacre la protection de la jeunesse comme
intérêt fondamental justifiant l’existence d’un régime préventif (B).
A) Le début de la prise en compte de la jeunesse dans le contrôle des films
Avant la réforme de 1990, la protection de la jeunesse n’était pas l’objectif principal du
régime préventif. Mais elle faisait partie du raisonnement lié au contrôle des films. Elle a
au fil du temps pris de l’importance, jusqu’à reléguer les motifs d’ordre politiques au
second plan.
L’apparition d’interdictions basées sur l’âge des spectateurs date du régime de Vichy.
L’arrêté du 20 décembre 1941, pris en application du décret-loi du 24 août 1939 sur le
contrôle de la presse et autres publications, instaure une interdiction aux mineurs âgés de
moins de 18 ans. Le 12 août 1944, le directeur de L’Office central du contrôle de
l’information institue une commission « L’héritier »54 qui comptera parmi ses membres un
représentant de l’Education Nationale, premier membre présentant de par sa fonction un
lien indirect avec la jeunesse.
L’Ordonnance du 3 juillet 1945 baisse le seuil de l’interdiction de 18 ans à 16 ans. Ce seuil
a ensuite été réintégré par le décret du 10 octobre 1959.
54
Du nom de la personne la présidant
31
32. Le décret du 18 janvier 1961 instaure pour la première fois la distinction des mineurs de 13
ans de ceux de 18 ans. La composition de la commission est très marquée par cette idée de
protection de la jeunesse. Deux représentants ayant un lien indirect avec la jeunesse
représentent l’administration: un pour l’Education nationale et un pour les Affaires
Sociales, la Jeunesse et les Sports. Cinq membres titulaires et cinq suppléants sont choisis
parmi des professionnels de la jeunesse, qui exercent les professions de sociologues,
psychologues, éducateurs, magistrats, médecins ou pédagogues. Le Haut Comité de la
Jeunesse est l’une des trois instances qui désignent les trois membres indépendants. Le
progrès quant à la prise en compte de la jeunesse est significatif.
L’impact du film sur les plus jeunes spectateurs devient un enjeu de la classification.
Le film Moi, Chritiane F . .. 13 ans, droguée, prostituée (1981) d’Ulrich Edel n’a été
interdit qu’au moins de 13 ans malgré sa violence car il a « semblé en effet utile que les
adolescents assistent à cette histoire cruelle, qui décrit avec précision l’entraînement
inéluctable vers la déchéance d’une très jeune droguée, puis son combat presque désespéré
pour s’en sortir, dans la solitude et l’incompréhension. »55
B) La création d’une commission de classification par le décret du 23 février
199056
La naissance d’une commission respectant la liberté d’expression a été longue et difficile
(1). Le décret du 23 février porte création d’un véritable organe de police spéciale qui
classifie et ne censure plus (2).
1) Les circonstances entourant sa création
Les changements constatés dans la pratique sont entérinés par le décret du 23 février 1990,
pris pour l’application des articles 19 à 22 du Code de l’Industrie Cinématographique et
relatif à la classification des œuvres cinématographiques. Ce décret abroge le décret du 18
janvier 1961.
Le 1er janvier 1986, la commission change de titulature. Elle ne contrôle plus, elle classifie.
Pour Jean-François Théry, ancien président de la commission, ce changement de titulature
reflète un changement de mentalité. « La commission de contrôle des films français
55
Ouvrage préc. Jean-François théry
56
Décret reproduit en annexe
32
33. évolue, en fait, vers le modèle anglo-saxon ; elle s’est progressivement éloignée de son rôle
de « gardiens des tabous » pour devenir une institution de protection de l’enfance et de
l’adolescence ».
Dans L’Age moderne du cinéma français, De la Nouvelle vague à nos jour, Jean-Michel
F rodon rapporte les circonstances qui vont précipiter la modification du régime applicable.
Les scandales suscités en Mais 1989 par les campagnes d’affichages controversés de deux
films, Les saisons du plaisir(1989) de Jean-Pierre Mocky et d’Ave Maria(1989) de Jacques
Richard pousse le CSA à bannir des petits écrans aux heures de grande écoute tous les
films ayant fait l’objet d’une interdiction. C’était empêcher la diffusion d’un grand nombre
de titres devenus inoffensifs avec l’évolution des mentalités. En réaction à « cet excès de
zèle » le décret du 23 février 1990 est pris et modifie la composition de la commission et
abaisse les âges d’interdiction à douze et seize ans au lieu de treize et dix-huit ans. Ce
changement permet de déclasser de nombreux films, et beaucoup de ceux dont le public
avait été restreint à l’époque de leur sortie bénéficient cette fois d’un visa tous publics et de
l’accès au prime time. Le décret a par conséquence permis de passer outre l’interdiction
mise en place par CSA.
2) Un organe de police spéciale chargé de protéger la jeunesse
Le décret du 23 février 1990 est l’acte de mort de toute censure cinématographique en
France. Ce qu’affirmait Maarek en 1982, « l’expression cinématographique est soumise à
un régime hybride, véritable régime de semi-liberté »57 ne peut plus être juste
aujourd’hui. La commission de classification ne peut plus dénaturer l’œuvre
cinématographique. Les coupes ne sont plus autorisées et l’interdiction absolue, bien que
non abrogée, n’est plus prononcée. Seul un classement X ou une interdiction totale
pourront empêcher la transmission du message. La protection de la jeunesse devient
l’unique intérêt justifiant le contrôle des films. Pour le Conseil d’Etat, les dispositions du
décret du 23 février 1990 « n’ont ni pour objet, ni pour effet d’interdire la diffusion des
films, mais visent à restreindre à l’égard des mineurs en fonction de critères tirés
notamment de la très grande violence de certaines scènes ». Opérant dans la même espèce
un contrôle de conventionalité du régime avec la convention européenne des droits de
l’Homme, le Conseil d’Etat estime que le régime « répond, eu égard aux garanties
57
La censure cinématographique de Philippe J. Maarek
33
34. accompagnant sa mise en œuvre, au but légitime et nécessaire dans une société
démocratique, au sens des stipulations de l’article 1058 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de protection des mineurs
et ne constitue pas une ingérence proscrite par cet article »59.
La protection de la jeunesse justifie le régime préventif régissant le contrôle des films.
Nous ne sommes plus dans un régime de censure. Il n’y a plus de coupures, ni
d’interdictions totales. Le message atteint le destinataire, sans être modifié ni interdit.
.
Chapitre 2 Une commission tournée vers l’objectif de
conciliation de la liberté d’expression cinématographique
et de la protection de la jeunesse
Le régime mis en place a la lourde tâche de concilier d’une part la liberté d’expression
cinématographique devenue liberté publique et d’autre part la protection de la jeunesse.
Les restrictions apportées à la liberté d’expression sont contrebalancées par une
composition plurielle (Section 1) et des garanties procédurales (Section 2).
58
59
Article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme
1.
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté
d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il
puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent
article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de
télévision à un régime d'autorisations.
2.
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être
soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui
constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à
l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du
crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir
l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Le Conseil d’Etat dans son arrêt du 6 octobre 2008, « Société Cinéditions »
34
35. Section 1 La composition de la commission de classification :
priorité à la pluralité
La commission de classification étant divisée en une sous-commission et une assemblée
plénière, sa composition dépendra de l’instance concernée (§1). Les membres qui la
composent démontrent une volonté de tendre vers la pluralité (§2).
§1 Une composition de la commission liée à son organisation
La commission de classification est divisée en une sous-commission et une assemblée
plénière. La première est chargée de visionner tous les films présentés à la commission et
joue le rôle de filtre. Peu de règles régissent sa composition (A). La seconde étant la seule
compétente pour décider des mesures d’interdiction, sa composition est soumise à une
réglementation plus stricte (B).
A) Un corpus de règles minimum régissant la composition de la sous‐commission
L’Article 2 alinéa 3 du décret est la base de la composition de la sous-commission :
« (…). Les membres titulaires et les membres suppléants peuvent se faire assister
d’adjoints qui participent aux séances des sous-commissions. Ces adjoints sont désignés
par décision du président de la commission, après agrément du ministre chargé de la
culture, pour un période de trois ans, renouvelable deux fois ».
La plupart du temps les membres de l’assemblée plénière ne participent pas aux réunions
de la sous-commission. Ce sont donc leurs « adjoints » qui s’y attachent. L’article 2 laisse
une grande liberté quant aux choix des membres qui composent la sous-commission. Il
n’existe pas de prescriptions particulières quant à sa composition. Nommés pour 3 ans par
décision du Président de la Commission après agrément du Ministre de la Culture et de la
Communication, les soixante-deux « adjoints » qui la composent sont censés assurés par
leurs âges et leurs origines socioprofessionnels une « confrontation de points de vue
différents »60. Elle est donc le plus souvent composée de membres d’associations, de
représentants de diverses administrations, d’enseignants, de mères de famille, de
retraités…La sous-commission tenant des réunions quotidiennes, la nécessité de trouver
des gens qui ont du temps est fondamentale.
60
Rapport d’activité du 1er janvier 2007-31 décembre 2009
35
36. Devant l’importance prise par la sous-commission ces dernières années, notamment par le
biais de la procédure simplifiée, il semble nécessaire qu’un véritable corpus de règles
soient mis en place pour réguler sa composition.
B) Des règles très contraignantes régissant la composition de l’assemblée
plénière
L’article 1 du décret régit la composition de l’assemblée plénière. Celle-ci a un rôle
fondamental. Elle seule est compétente pour rendre un avis tendant à une mesure
d’interdiction. Elle est composée de 28 membres titulaires et de 55 membres suppléants.
Elle est dirigée par un conseiller d’Etat nommé par décret du Premier Ministre. Un
président suppléant est nommé en cas de vacance. Un représentant de chacun des
ministères de la culture, des affaires étrangères et l’outre-mer peut participer aux séances, à
titre consultatif. Seules ces personnes peuvent siéger en Assemblée plénière. Chaque
membre titulaire est nanti de deux suppléants, leur mandat dure 3 ans et est renouvelable
deux fois.
Les membres de la commission sont répartis en 4 collèges :
‐
Celui des administrations : cinq représentants des ministères concernés par la
classification, c'est-à-dire le Ministère de l’Intérieur, de la Justice, de l’Education
Nationale, de la Famille et de la Jeunesse
‐
Celui des professionnels du cinéma : neuf membres titulaires choisis par le Ministre
de la Culture après consultation des principales organisations ou associations
professionnelles et de la critique cinématographique
‐
Celui des experts :
i.
deux membres titulaires proposés par le ministre chargé de la santé ;
ii.
deux membres titulaires nommés par le ministre chargé de la famille
représentant le monde médical ou spécialistes des sciences humaines dans le
domaine de la protection de l’enfance et de l’adolescence ;
iii.
un expert de la protection de l’enfance et de la jeunesse désigné par le
ministre chargé de la culture sur proposition du ministre chargé de la
justice ;
iv.
un représentant du CSA désigné par le ministre chargé de la culture ;
36
37. v.
deux représentants désignés par le Ministre de la Culture après consultation
de l’Union Nationale des Associations Familiales et de l’Association des
Maires de France ;
vi.
Le défenseur des enfants désignés par le ministre chargé de la culture depuis
un décret du 28 juin 2002 ;
‐
Celui des jeunes : ceux-ci doivent être âgés de dix-huit à vingt-quatre ans à la date
de leur nomination. Trois d’entre eux sont proposés par les Ministres de
l’Education Nationale, de la Jeunesse, de la famille. Le quatrième est choisi sur des
listes de candidatures dressées par le Président du CNC.
§ 2 Une composition plurielle
A) L’absence de contrôleurs professionnels
La classification n’est pas exercée en France par des fonctionnaires appointés dont ce serait
le métier, comme c’est le cas en Grande-Bretagne ou en Suède. Les personnes qui la
composent ont donc un métier en parallèle et ne peuvent être libres tous les jours. C’est
pourquoi une sous-commission filtre les films n’ayant pas besoin d’être visionnés par
l’assemblée plénière. L’exercice d’une autre profession peut poser problèmes au niveau de
l’assiduité aux séances, difficultés récurrentes soulevées par le dernier rapport d’activité de
la commission. Les réunions doivent parfois être annulées faute d’un quorum non atteint.
Les collèges ne sont en outre pas toujours représentés, ce qui engendre des effets pervers
sur la politique de la commission. Afin de palier au problème d’assiduité, la commission a
proposé que le quorum soit porté à dix-huit membres pour les séances plénières.
B) Une composition représentant les différentes parties prenantes au débat de
société
La caractéristique fondamentale de la commission, c’est une représentation de chaque
partie concernée par la classification : les professionnels, les jeunes des représentants des
différents ministères et des spécialistes de l’enfance, de la famille et de la santé. La
confrontation de leurs points de vue doit aboutir à une décision de classification juste.
Cependant cette pluralité peut aboutir à des confrontations entre les différents collèges.
37
38. Hervé Bérard, ancien membre de la commission en tant que représentant de la société des
réalisateurs de film critique ouvertement dans entretien61 avec Laurent Jullier la part des
experts nommés par les ministères « qui sont venus grignoter la proportion initiale pour
arriver à un tiers aujourd’hui ». Pour lui ces gens font l’amalgame entre « la réalité et sa
représentation » et font preuve d’une sévérité excessive vis-à-vis des films. « Ils ne
regardent pas le film mais le personnage, qu’ils condamnent à travers l’interdiction qu’ils
vont mettre au film ».
Mais c’est justement ces confrontations qui font la richesse de la commission. Il ne faut
évidemment pas que la commission soit aux mains uniquement de professionnels penchant
pour la liberté d’expression ou d’experts plus sévères. En cela, l’introduction des jeunes
permet de recueillir l’avis des principaux concernés par la classification. Ils n’ont pas
d’intérêt particulier à défendre. Et contrairement aux idées reçues, ils ne font pas preuve de
laxisme62.
Section 2 Une procédure respectueuse du film
Le contrôle à deux niveaux opéré par la sous-commission et l’assemblée plénière permet
un véritable respect de la liberté d’expression cinématographique (§1). L’avis rendu par la
commission n’est pas définitif. Une nouvelle projection du film pourra être décidée même
si le ministre de la Culture et de la communication aura toujours le dernier mot (§2).
§1 Un double contrôle opéré par la sous‐commission et par l’assemblée plénière
La procédure de classification devant la commission est divisée en plusieurs étapes. Un
premier examen devant la sous-commission (A), puis si cela est nécessaire, un second
visionnage par l’assemblée plénière (B).
Entretient réalisé septembre 2006 et révisé en juin 2007 pour l’ouvrage Interdits aux moins de 18
ans de Laurent Jullier
62
Jean-François Théry rapporte l’effet de l’entrée de jeunes de moins de 25 ans dans la
commission : « Nous fûmes très étonnés de certains d’entre eux à l’égard de films d’une très
grande banalité, parfois ridicules et parfaitement dépourvus de toute crédibilité (je pense, par
exemple, aux films de kung-fu et de karaté fabriqués à Hong Kong). Ces jeunes, qui peu de temps
auparavant étaient encore dans des collèges techniques ou des établissements de quartiers
populaires, nous ont expliqué pourquoi ces films leur paraissaient très dangereux ; dans les cours de
récréation, en effet, on reproduisait les scènes les plus violentes de ces combats fictifs, avec des
armes bien réelles imitées de celles des champions asiatiques, et les accidents n’étaient pas
rares… »
61
38
39. A) Le rôle de filtre de la sous‐commission, un premier visionnage en commission
Un premier examen est effectué par la sous-commission des œuvres cinématographiques,
dont les missions et les modalités de fonctionnement sont fixées par un arrêté du 12 juillet
2001. Composée de soixante-deux personnes, elle tient deux séances quotidiennes, le matin
et l’après-midi. Ses membres se répartissent en sous-groupes de 4 à 6 personnes afin
d’assurer une permanence. Malheureusement le dernier rapport d’activité de la commission
déplore l’absence d’un quorum minimum: « Le bon fonctionnement de la sous-commission
suppose qu’une pluralité de points de vue s’y exprime : c’est pourquoi il serait souhaitable
d’instaurer un quorum minimum de trois personnes pour que la sous-commission puisse
valablement délibérer ».
Par son rôle de filtrage, elle fait le tri entre les films qui doivent être renvoyés à
l’Assemblée plénière et ceux qui, ne posant aucun problème, peuvent recevoir directement
un visa tous publics. En effet, seule l’assemblée plénière peut proposer une mesure de
restriction au ministre de la Culture.
A l’issu du visionnage, un de ses membres rédige un rapport faisant état de l’avis motivé
du groupe et de chacun des membres. Ce rapport, remis au Président de la commission, est
nécessaire car il va ouvrir le débat en Commission plénière. Il comporte la proposition de
classification de la sous-commission pour chacune des œuvres cinématographiques
visionnées. Si le groupe recommande à l’unanimité une autorisation « tous publics », le
film n’est pas renvoyé en Commission plénière. Il suffit d’un membre souhaitant une
mesure de restriction pour que l’assemblée plénière soit saisie et devienne seule
compétente.
Il existe une procédure permettant d’éviter un second visionnage par l’assemblée plénière :
la procédure simplifiée prévue par l’article 2 du décret du 23 février 1990. La personne qui
demande le visa doit déclarer vouloir expressément s’en remettre à l’avis de la souscommission. Ainsi, la classification proposée par la sous-commission, même quand elle
constitue en une interdiction, devient l’avis définitif de la commission. Le ministre de la
culture se décidera par rapport à celle-ci. Cette procédure présente un véritable avantage
pour le demandeur, celui de la rapidité, et le met à l’abri d’une éventuelle aggravation par
la Commission plénière. Néanmoins, elle constitue un accroissement de la responsabilité
39
40. de la sous-commission. Le rapport d’activité 2007- 2009 constate une augmentation des
demandes de recours à la procédure simplifiée63. En réaction, depuis 2008, la Commission
n’applique plus la procédure aux propositions d’interdiction aux mineurs de moins de 16
ans « afin de garder elle-même la main sur cette procédure ».
B) Un second visionnage en assemblée plénière pour les films susceptibles
d’obtenir une interdiction
L’assemblée plénière se réunit deux soirs par semaine pour visionner les œuvres
cinématographiques renvoyées par la sous-commission. Deux films sont projetés en
moyenne par séance. A l’issu de celle-ci, un débat s’ouvre autour de certains thèmes
justifiant une mesure restrictive. Un vote à bulletin secret peut être tenu si aucune majorité
claire ne se détache en faveur d’une classification précise. Il ne peut y avoir d’abstention et
la voix du président est prépondérante. Les débats ne sont pas publics et les membres sont
tenus au secret professionnel. Pour éviter tous conflits d’intérêts, les membres doivent se
retirer s’ils ont un lien quelconque avec l’œuvre projetée.
Un quorum a été mis en place pour assurer la pluralité des opinions et des points de vue.
Une réunion ne peut être tenue que si 14 membres sont présents. En cas d’absences
répétées d’un membre, ce sera au président d’intervenir auprès des instances responsables
pour qu’il y ait rappel à l’ordre64. Il n’existe pas de quorum au niveau des collèges. Pour
Monsieur Hurard « ils sont censés représentés leurs intérêts, c’est leur responsabilité d’être
là ».
Concernant la concordance des politiques des deux instances composant la commission,
une majorité des propositions de la sous-commission est suivie par la Commission
plénière : 49,5% en 2007, 53% en 200965. La sous-commission est plus protectrice que la
plénière dans plus d’un tiers des cas, 36,5 en 2007, 32 en 2008, et 37 en 2009, mais
l’inverse est plus rare. La sous-commission est plus sévère que l’assemblée car elle ne doit
pas dans son rôle de trie laisser passer des films susceptibles d’être interdits.
63
12 films entre mars 2004 et mars 2005, 31 films entre mars 2005 et mars 2006 et de 32 films
entre mars 2006 et mars 2007
64
Pratique révélée par François Hurard lors d’un entretien
65
Rapport d’activité 1er janvier 2007-31 décembre 2009
40
41. En fin de procédure, un avis est rédigé par le président à partir des discussions qui se sont
instaurées au cours du délibéré, puis est transmis au Ministre de la Culture.
L’instauration d’un double contrôle pour les films susceptibles d’obtenir une mesure
restrictive montre la volonté de concilier à chaque instant liberté et protection de la
jeunesse. Un film touché d’une interdiction aura donc été vue deux fois par des personnes
différentes.
§2 Un avis rendu par la commission obligatoire mais non définitif
L’avis de la commission sur la classification à adopter est transmis au Ministre qui peut
ratifier, décider d’une autre mesure ou demander un second visionnage (A). Une fois la
décision de visa délivrée par celui-ci, l’œuvre cinématographique sera soumis à certaines
obligations (B).
A) L’importance du Ministre de la culture et de la communication dans le
choix de la classification
Le Ministre de la culture et de la communication délivre le visa et choisit la mesure
d’interdiction qui l’accompagne (1). Un second visionnage est possible pour les films, ce
qui permet une plus grande protection de la liberté d’expression (2).
1) Un visa délivré par le Ministre de la culture et de la Communication
Le ministre chargé de la culture délivre le visa d’exploitation mentionné à l’article 19 du
code de l’industrie cinématographique après avis de la commission de classification
(article 3 du décret du 23 févier 1990).
La plupart du temps, le Ministre de la Culture et de la Communication va suivre les
propositions faites par la commission66. Il peut aussi choisir une autre mesure.
66
Le dernier rapport d’activité montre que toutes les décisions ont été suivi par le Ministre.
41