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La commission de classification
des œuvres cinématographiques
Université Panthéon-Assas
Master 2 Droit de la communication
Année universitaire 2011-2012

Mémoire présenté par M. Amaury Pascaud
Sous la direction de Mme Laurence Franceschini
 

 
1 

 
Avertissement :  
 
« L’Université Panthéon-Assas, Paris II n’entend donner aucune approbation ni improbation aux 
opinions émises dans les mémoires de Master 2. Ces opinions doivent être considérées comme
propres à leur auteur »

 
 

 

2 
 
Sommaire 
Introduction  
Partie 1 La consécration d’un système de contrôle des films 
adapté à la protection de la liberté d’expression                                         
Chapitre  1  De  la  censure  à  la  classification,  l’évolution  historique 
des contrôles sur les œuvres cinématographiques                                         
Section 1 Le cinéma censuré (1909‐1975)                                                             
Section 2 Le cinéma classifié       

 

 

 

 

 

          

Chapitre 2 Une commission tournée vers l’objectif de conciliation de 
la liberté d’expression cinématographique et de la protection de la 
jeunesse                                                                                              
Section  1  La  composition de  la  commission  de  classification :  priorité  à  la 
pluralité  
Section 2 Une procédure respectueuse du film  

Partie  2  Un  contrôle  opéré  dans  le  respect  de  l’œuvre 
cinématographique  
Chapitre  1  Le  traitement  de  l’œuvre  cinématographique  par  la 
commission de classification  
Section  1  Une  appréhension  du  film  par  la  commission  de  classification  dans 
l’optique de protéger la jeunesse  
Section 2   Une étude de la « jurisprudence » de la commission  

Chapitre  2  L’œuvre  cinématographique,  le  dernier  parangon  de  la 
morale et de la vertu ?  
3 
 
Section  1  Les  contrôles  existant  dans  les  autres  médias :  constatation  d’un 
manque de cohérence  
Section 2 Perspectives d’avenir : amélioration de la cohérence entre les médias  

Conclusion 
 

 

4 
 
 
Introduction 
 
« Le cinéma est une saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leur
absence d’explication »1
« La libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux
de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de 
l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »2.
La  liberté  d’expression  a  valeur  constitutionnelle  et  est  protégée  comme  telle  depuis  la 
décision du Conseil Constitutionnel du 16 juillet 1971, Liberté d' association.3 Les
rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’avaient pas évoqué  à 
l’article  11  la  possibilité  d’une  extension  de  protection  aux  nouveaux  modes de
communication. Cependant, une interprétation extensive de la notion de libre
communication  des  pensées  et  des  opinions  permet  l’intégration  de  tous  les  moyens 
d’expression, même ceux les plus avancés  d’un  point  de  vue  technologique.  La grande
flexibilité du texte est un atout, qui n’a bénéficié au cinéma que très récemment.
Le  cinématographe  est  le  fruit  d’une  longue  évolution  débutée au 17ème siècle par les
travaux de Kircher sur la lanterne magique4. De nombreuses innovations se succédèrent
pour permettre la captation d’images en mouvement. Ainsi, l’invention de la photographie
par Niepce, Daguerre, Fox Talbot, les premières projections d’images en mouvement par 
Plateau, Von Uchatius, Muybridge et Marey et la découverte de la pellicule sur rouleur par
Eastman permirent des années plus tard à Edison d’élaborer son kinétoscope (1891) et aux
frères Lumière Auguste et Louis Lumière de construire leur cinématographe (1895). C’est 
celui-ci qui remporta la bataille, car il permettait un usage collectif. L’ère primitif du
                                                        
1
2

Manuel De Olivéira
Article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août  1789.

3

Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971. Consécration de la valeur constitutionnelle du
préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 qui renvoie au préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 et à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
de 1789.
4
Atlas du cinéma d’André Labarrère,  
5 
 
cinéma  débute,  il  n’est, alors, pas  évident  qu’il  devienne un jour un moyen de
divertissement de masse.
L’apparition du cinématographe ne fait pas grand bruit. Il ne trouble pas l’ordre public et
reste un phénomène peu étendu. Pendant plusieurs années, il va constituer une attraction de
foire5 dédaignée des élites cultivées et dirigeantes. C’est  une  attraction  nomade  qui 
s’installe dans des cafés, des chapiteaux, des écoles, des salles de fête. Albert Montagne la
qualifie même d’« obscure spectacle de rue »6. Le basculement du cinéma de l’artisanat à
une  industrie  organisée  et  puissante  s’effectue par le biais de  l’apparition  de  sociétés 
intéressées par le potentiel économique de ce nouveau média. La création de Pathé en
1896 par Charles Pathé et de Gaumont par Louis Gaumont en 1895 transforment
durablement le cinéma français. Celui-ci va être jusqu’en 1908 le plus puissant du monde.
La décision des principaux éditeurs, lors du Congrès international de Paris du 4 février
1909, de louer et non plus de vendre ses films sédentarisent les exploitants de films. Le
cinéma  perd  son  statut  d’art  forain.  Des  salles  spécialisées  apparaissent sur tout le
territoire. Le cinéma devient une industrie et un moyen de divertissement. Les principes
fondamentaux de la syntaxe cinématographique sont inventés par les plus grands
réalisateurs du début du siècle7. Il y a petit à petit une mise à l’écart du modèle théâtrale au 
profit  d’une  véritable  narration,  le  théâtre  filmé  laisse  place  à  des  procédés  de  mise  en 
scène bien plus complexes.
Ce rappel d’histoire du cinéma met en évidence les balbutiements qui ont accompagné son
expansion.  C’est  au  moment  où  il  a obtenu ses  galons  d’art  autonome,  avec  sa  propre
grammaire, ses propres codes que les pouvoirs publics ont commencé à s’intéresser à lui. 
L’intervention  d’un  contrôle  étatique  est  liée à la transformation du cinéma en tant
qu’industrie et de divertissement de masse.
Il  fallait  une  raison  pour  motiver  les  autorités  publiques  à  intervenir.  L’exploitant  Pathé,
qui se caractérise par un certain opportunisme, commence à proposer du sexe et de la
violence à l’écran avec des films tels que L’amour à tous les étages, La première nuit de la
                                                        
5
Histoire juridique des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001), Albert Montagne
6
7

Idem
Georges Meliès, Louis Feuillade David Wark Griffith…
6 

 
mariée, Lèvres collée 8. L’opérateur  produit  en  outre  un  grand  nombre  de reconstitutions
mortelles qui sortent sous des titres évocateurs : Histoire d’un crime, Devant la Guillotine, 

La chute du couperet, Exécution en Chine, Exécution en Amérique, Exécution en Espagne,
Exécution en F rance, Exécution en Angleterre, Exécution en Allem agne, Exécution
capitale à Berlin, une exécution à Pékin9. Face à ce déferlement, les autorités publiques
vont réagir. La circulaire télégraphique du 11 janvier 1909 adressée par le Ministre de
l’Intérieur  à  l’ensemble  des  préfets  pour  leur  intimer  d’interdire la projection de la
captation  d’une  quadruple  exécution  à  Béthune  le  11  janvier  1909  constitue  la  première 
censure française10.
A partir de cette date, le cinéma ne va cesser d’être contrôlé. A l’origine, ce contrôle passe 
par les autorités de police locale, puis un transfert va s’opérer au profit d’une autorité de
police spéciale qui va uniformiser le contrôle au niveau national : la commission de
contrôle des films.
Pourquoi parler de censure et non de limites légales à la liberté d’expression ? En effet, la
conception française de la liberté d’expression diffère de celle du premier amendement de 
la constitution des Etats-Unis en ce qu’elle  n’est pas absolue. L’article 11 de la déclaration 
des Droits  de  l’Homme  et  du  Citoyen dispose ainsi que « tout Citoyen peut donc parler,
écrire,  imprimer  librement,  sauf  à  répondre  de  l’abus  de  cette  liberté,  dans  les  cas 
déterminés par la Loi ». L’article IV du même texte dispose en outre que :
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi  l’exercice des 
droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres 
de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées
que par la Loi. »
La liberté peut trouver des limites dans les droits et les intérêts des citoyens mais aussi
dans certains intérêts collectifs11. Quand la protection de ces intérêts dépasse l’exercice 
                                                        
8

(Henri Bousquet et Riccardo Redi, « Pathé Frères : les films de la production » Quaderni di
cinema 1992) 
9
Histoire des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001), Albert Montagne,
10
« Les Actualités filmées ont enfanté la censure du cinéma français en 1909 », Les cahiers de la
cinémathèque, numéro 66, juillet 1997
11
Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure , Jean-François Théry,
7 
 
d’une  liberté  non  limitée a priori, un régime de contrôle préalable peut être institué. Ce
régime, bien plus restrictif que le régime répressif12 qui  constitue la  norme,  n’est  justifié 
que  si  l’intérêt  en  question  rend le contrôle juste et adapté. Le cinéma a toujours été
contrôlé en France, mais pour des raisons (motifs politiques…) ne justifiant pas une telle
atteinte à la liberté.
Le terme censure renvoie aux censeurs dans l’antiquité qui effectuaient des opérations de 
recensement des citoyens romains pour répartir les impôts et préparer au service. Les
personnes recensées pouvaient prétendre à une vie politique, tandis qu’une note d’infamie 
censoriale  déclassant  un  citoyen  l’excluait  de  la  vie  politique.  On  retrouve  l’idée  d’un 
contrôle,  d’un  classement  entre  ceux  qui  ont  des  droits  et  ceux  qui  n’en  n’ont  pas.  La 
notion va véritablement acquérir une connotation négative aux  XVIème  lorsque  l’Eglise 
romaine et catholique va condamner l’un de ses membres pour sa doctrine. Au XVIIIème
siècle, un contrôle officiel des publications est mis en place, pour des raisons politiques et
policières. Terme impropre juridiquement, il n’en est reste pas moins pertinent. Elle peut 
être définie aujourd’hui comme un acte empêchant la transmission de l’information. L’acte 
doit  être  préalable  à  la  transmission  de  l’information, systématique, discrétionnaire et
arbitraire13. La censure peut prendre des formes différentes et émanée tant des autorités
publiques que des personnes privées. Depuis quelques années, le régime du cinéma est
critiqué  pour  avoir  mis  en  place  une  censure  économique  à  cause  de  l’importance  des 
télévisions dans la production.
Le régime de contrôle mis en place en France, au début du siècle jusqu’aux années 1970,
démontre l’existence d’une véritable censure d’Etat. Très tôt a été mis en place un régime 
de visa par le Décret du 25 juillet 1919. Le film ne pouvait sortir en salle qu’après examen 
par une sous-commission de contrôle et un visa rendu par le Ministre chargé du cinéma. Le
film était contrôlé avant sa sortie et pouvait subir des coupes ou être interdit pour des
raisons très floues et peu sécurisantes. En outre, le juge administratif ne contrôlait pas avec
beaucoup de rigueur les décisions de refus. Ce statut s’explique par la non-reconnaissance
de la liberté d’expression cinématographique en tant que liberté publique. Elle ne pouvait
donc pas bénéficier de toute la protection afférente à un tel statut : liberté régie et limitée
                                                        
12

Régime où le contrôle n’intervient qu’à postériori, par l’intervention du juge, quand l’exercice de 
la liberté a provoqué un préjudice. 
13
Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure, Jean-François Théry
8 
 
par la loi et garantie par un juge. Pour Jacques Robert, la liberté publique est « une créance
collective sur tous les membres de la société ».14
Les raisons d’un tel contrôle s’expliquent par la nature même du cinéma. Média chaud, il a
longtemps  était  suspecté  d’entretenir « des liens ambivalents avec la morale : en effet il
peut tout montrer ». Il  modifie  considérablement  le  lien  entre  l’œuvre  d’art  et  son 
récepteur. Il est un média « d’une  très  haute  densité  de  définition,  réclamant  une 
participation  extrêmement  minime  du  spectateur  et  s’imposant  à  lui ».15 Il permet des
représentations de la réalité les plus pures ou les plus fantasmées. Le spectateur est dans
une position de receveur passif. Les circonstances entourant la projection, une salle
plongée dans le noir, un son très puissant et un écran géant, augmentent le sentiment
d’immersion du spectateur. Les évènements qui se sont déroulés lors de la première
projection en 1895 de L’Entrée du train en gare de La Ciotat démontrent l’incroyable effet 
du film sur le spectateur.
L’artiste  peut-il tout montrer ? Les spectateurs peuvent-ils tout voir ? Les différentes
commissions de classification qui se sont succédées ont tenté de minimisé l’impact du film. 
L’expression de Jean Luc Douin qualifiant la commission « d’organe d’autodéfense de la 
société »16 est  juste.  Elle  a  pendant  des  années  permis  à  l’Etat  de  contrôler  les  artistes, 
d’éviter les transgressions et les critiques. Le film est un divertissement, mais il peut aussi
avoir un message. Et sa puissance d’évocation peut nuire aux autorités dirigeantes.
Depuis  les  années  70,  les  raisons  justifiant  le  contrôle  préalable  des  œuvres 
cinématographiques ont considérablement changé.  D’une  censure  étatique  dans  laquelle 
des motifs politiques, religieux, moraux poussaient la commission et le Ministre à interdire
une œuvre, nous sommes arrivés à une classification justifiée et adaptée. La commission de 
classification  des  œuvres  cinématographiques, dont le régime découle du décret du 23
février 1990, doit rendre un avis au Ministre de la Culture et de la Communication sur le
film en prenant en compte uniquement son impact sur la jeunesse.

                                                        
14
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek, Librairies techniques, 1982
15
16

Idem 
Dictionnaire de la censure au cinéma, Jean-Luc Douin,
9 

 
En  application  de  l’article  L  211-1 du code du cinéma  et  de  l’image  animée,17 toute
représentation  publique  d’une  œuvre  cinématographique  en  France  est  soumise  à 
l’obtention  d’un  visa  délivré  par  le  Ministre  de  la  culture et de la Communication après
avis obligatoire de la commission. Ce même article précise que « ce visa peut être refusé
ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de
l’enfance  et  de  la  jeunesse  ou  du  respect  de  la  dignité  humaine ». Il renvoie à un décret
d’application  pour  tout  ce  qui  concerne  les conditions et les modalités de délivrance du
visa.
Une œuvre ne peut postuler à l’obtention du visa que si elle est achevée et a préalablement 
fait  l’objet  d’une  immatriculation  au  registre  public  de  la  cinématographie  et  de 
l’audiovisuel.  Les  œuvres  cinématographiques utilisées pour la publicité commerciale
peuvent ne pas respecter cette deuxième condition. L’obligation de visa s’applique tant aux 
œuvres étrangères qu’aux coproductions. Les œuvres doublées en langue française doivent 
obtenir un visa distinct  de  celui  délivré  pour  l’exploitation  de  l’œuvre  dans  sa  version 
originale. Les exceptions au visa sont définies aux articles L 214-1 du Code du cinéma et
de l’image animée.
Le visa vaut autorisation de représentation publique de l’œuvre sur tout le territoire de la
République française, à l’exception des territoires d’Outre-mer (article 10 du décret du 23
février 1990). Il est donc indispensable  de  l’obtenir  pour  prétendre  à  une  exploitation  de 
l’œuvre  cinématographique.  La plupart des pays démocratiques possèdent de telles
commissions  chargées d’étudier l’impact  du  film  sur le plus  jeune spectateur.  Pour JeanFrançois Théry, le contrôle préalable des films se justifie par la nécessité de protéger les
plus  jeunes  face  à  un  art  d’une  nature  différente : « Cette protection est tellement
nécessaire  qu’elle  est  proclamée  comme  un  droit  de  l’enfant. (…) Le contrôle des films
n’est  rien  d’autre  qu’une  protection  des  enfants  et  des  adolescents,  destiné à assurer le
respect de leur droit à l’éducation. »
Il s’agira  d’étudier  le  passage  d’un  contrôle  défenseur  des  intérêts  de  la  société  et des
pouvoirs publics à  un  contrôle  défenseur  des  droits  de  l’enfant  (Partie  1).  Le film est
devenu une œuvre d’art qu’il faut protéger (partie 2
                                                        
17

La classification des œuvres cinématographiques repose sur l’ordonnance 2000-901 du 24 juillet

2009 relative à la partie législative du code du cinéma et de l’image animée 
 

10 
 
 

Partie 1 La consécration d’un système 
de contrôle des films adapté à la 
protection de la liberté d’expression  
 
« On est passé de la sauvegarde de l’ordre public et des bonnes mœurs à une politique de 
prévention, la protection de l’enfance et de l’adolescence, la censure a disparu au profit de
la classification. »18
L’évolution d’une censure à une classification a été longue et difficile (A). Le système mis 
en place aujourd’hui répond à une nécessité de concilier des intérêts a priori antagonistes :
la protection de la jeunesse et la liberté d’expression (B). 

Chapitre 1 De la censure à la classification, l’évolution 
historique des contrôles sur les œuvres 
cinématographiques  
 
Entre 1909, date de la première manifestation de la censure française, et 1975, date de la
consécration  d’une  véritable  liberté  publique  d’expression  cinématographique  protégée 
comme telle, le cinéma a été l’objet d’un contrôle préventif s’apparentant à de la censure 
(section  1).  L’évolution de la jurisprudence, de la pratique, puis enfin de la législation
modifieront grandement ce contrôle qualifié aujourd’hui de classification (section 2).

Section 1 Le cinéma censuré (1909‐1975)  
 
Quelques  années  après  l’invention  du  cinématographe,  le  cinéma  fait déjà  l’objet  d’un 
contrôle. Celui-ci est alors dominé par le pouvoir de police des maires et des préfets (§1).
Puis un système national de contrôle va progressivement voir le jour, prenant
définitivement le pas sur la police locale (§2).

                                                        
18

Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure , Jean-François Théry

11 
 
§1  La    protohistoire  (1909‐  1916)  dominée  par  le  pouvoir  de  police  locale  des 
maires et des préfets 19  
 
La censure française naît en 1909 par le biais d’une circulaire télégraphique émise par le 
Ministre  de  l’Intérieur. Celle-ci reconnait le pouvoir de police locale des maires et des
préfets en matière de contrôle cinématographique (A). Cette prérogative sera consacrée par
la jurisprudence (B).
A) La  circulaire    télégraphique  du  11  janvier  1909 :  la  première  manifestation 
française de la censure 
 
La prolifération de projections de reconstitutions  de  scènes  d’exécution  commençait 
sérieusement à inquiéter les pouvoirs publics. Aussi,  lorsque  l’opérateur  Pathé  décide  de 
filmer directement la quadruple exécution à Béthune des bandits Abel et Auguste Pollet,
Canus Vromant, et Théophile Deroo pour éviter le coût du tournage en studio, le Ministre
de la Justice prit sa plume pour prohiber l’usage de tout appareil ou procédé quelconque de 
reproduction cinématographique sur les lieux. Il craignait que la projection de la scène de
l’exécution ranime le débat sur l’abolition de la peine de mort. Malheureusement, le lundi
11 janvier 1909, les opérateurs de Pathé réussirent à immortaliser la scène :  c’est  la

Quadruple exécution capitale de Béthune.
Le  ministre  de  l’intérieur, Georges Clémenceau, interpellé par son confrère de la justice,
envoie à tous  les  préfets  de  France  et  d’Algérie  une  circulaire  télégraphique  dans  le  but
« d’interdire  radicalement  tous  les  spectacles  cinématographiques  publics  de  ce  genre, 
susceptibles de provoquer des manifestations troublant l’ordre et la tranquillité publiques ».
Le 24 janvier, le journal D’Hénin-liétard20 publie la circulaire envoyée par le Ministre de
l’Intérieur au préfet du Pas-de-Calais qui interdit la projection de cette captation. Le préfet
Briens va répercuter cette interdiction aux maires qui vont y répondre positivement.
Cette circulaire intègre le cinéma au sein de la catégorie des spectacles dits de curiosité
visés par l’article 6 du décret du 6 janvier 1864 relatif à la liberté de l’industrie théâtrale21.
                                                        
19

Pour Albert Montagne, la protohistoire est une « période historique où la censure s’attaque au 
cinématographe naissant et muet pour contrôler l’image en mouvement »
20
Site internet http://cinemasdunord.blogspot.fr  
21
Extraits de la circulaire : « Les spectacles cinématographiques ne rentrent pas dans les
représentations  d’ouvrages  dramatiques  dans  le  sens  de  la  loi, mais plutôt dans la catégorie de
spectacles dits de curiosités visés par l’article 6 du décret du 6 janvier 1864 relatif à la liberté de
12 
 
Leur régime est définit par la loi des 16 et 24 août 1790, titre IV, article II qui soumet les
spectacles publics à l’autorisation des autorités municipales. 
La définition de la notion de spectacles de curiosité est large, et renvoie directement le
cinéma à son statut original d’art forain :


L’article 6 du décret du 6 janvier 1864 : « Les spectacles de marionnettes, les cafés
dits-chantants, cafés concerts et autres établissements du même genre »



Une circulaire ministérielle : « De petits spectacles de physiques et de magie,
panoramas, dioramas, tirs, feux d’artifice, expositions d’animaux, et tous spectacles 
forains  et  exercices  équestres  qui  n’ont  ni  un  emplacement  durable,  ni  une 
construction solide ».

Les spectacles cinématographiques dépendent donc du pouvoir de police des maires22 et en
cas de carence de ceux-ci, des préfets23.
Le  ministre  reconnait  l’unique  autorité  de  police  des  maires  en  matière  de  spectacles 
cinématographiques. Il ne peut donc interdire directement un film ou faire légalement des
injonctions aux maires. Il peut cependant ordonner aux préfets de faire des
recommandations aux maires. En cas de non-respect de celles-ci, une carence municipale
pourra être constatée et motivée ainsi l’intervention des préfets. Le pouvoir de police local
prévaut sur tout contrôle national.
 
B) La  consécration  par  la  jurisprudence  de  la  compétence  des  maires  et  des 
préfets 
 
La circulaire a eu pour effet de transformer le cinématographe en problème de droit. De
nombreux maires et préfets se  mirent  en  quête  d’interdire  toutes  les  projections  pouvant
déranger les sensibilités de leur électorat. Les exploitants réagirent en intentant de
nombreuses actions en justice. La jurisprudence eu donc un rôle primordial : celui de
                                                                                                                                                                        
l’industrie  théâtrale ; ils  ne  peuvent  avoir  lieu  sans  l’autorisation  du  maire »
« La maire a tous pouvoirs en vertu notamment de la loi des 16-24 août 1790, titre IV, article II,
pour  exercer  censure  préalable  et  n’admettre  que  les  articles  au  programme  de  la  représentation 
cinématographique qui lui paraissent sans inconvénients (…). Vous les contraindrez au besoin, en
faisant usage des pouvoirs que confère l’article 99 de la loi du 5 avril 1884 »»
22
Loi du 5 avril 1884, article 91, 97 alinéa 1, article 97 3°, aujourd’hui articles L 2212-1 et L 22122 du Code général des collectivités territoriales.
23
Même loi, article 99 aujourd’hui article L 2215-1 du Code général des collectivités territoriales 
13 
 
consacrer l’application du régime des spectacles de curiosité, et de définir les modalités du
pouvoir de police locale des maires et des préfets.
Le 18 octobre 1912, le juge de paix d’Hyères24 reconnait expressément la compétence des
maires en matière de spectacle cinématographique : « Le cinéma, entrant dans la catégorie
des spectacles de curiosité, reste soumis au pouvoir des maires ».
La définition qu’il donne du cinéma montre alors que celui-ci n’avait pas encore gagné ses
galons  d’art  majeur : « Les  spectacles    cinématographiques  ne  sont  que  l’image,  la 
photographie  de  l’œuvre  dramatique ; ils ne sont pas faits pour le même public des
théâtres ; infiniment plus variés, procédant par d’autres moyens que ceux qu’emploient les 
auteurs  dramatiques,  ils  se  proposent  bien  plutôt  d’exciter,  et  quelque  fois  d’étonner  la 
curiosité publique,  bien  plus  que  d’éveiller  et  de  développer  le  sentiment esthétique des
spectateurs ».
Le Conseil d’Etat va confirmer la compétence municipale par un arrêt du 3 avril 191425 :
« Considérant (…) que les articles premier à cinq du décret de 1864 (…) qui ont supprimé
la nécessité d’une autorisation préalable pour l’ouverture d’un théâtre et qui ont confié la 
censure des pièces au ministre des pièces au Ministre des Beaux-Arts à Paris et aux préfets
dans  les  départements  ne  sont  applicables  qu’aux  théâtres  proprement dits dans lesquels
des  acteurs  jouent  des  œuvres  dramatiques ; que les cinématographes et autres
établissement du même genre ». Cet arrêt consacre définitivement la légalité de
l’intervention des maires et des préfets en matière de spectacle cinématographique car
celui-ci est considéré comme un spectacle de curiosité.
Le choix de rattacher le cinéma au régime préexistant des spectacles de curiosité n’est pas 
anodin. En effet, celui-ci n’est pas évident à première vue. Pourquoi ne pas avoir rattaché
le cinéma au théâtre ? En 1909, toute la  grammaire  cinématographique  n’avait  pas  été 
encore inventée et le cinéma possédait une nature ambigüe, ce qui était filmé s’apparentait 
clairement à du théâtre.

                                                        
24
25

Tribunal Simpl. Pol. D’Hyères, Bulletin spécial de décision des Juges de Paix, 1913
CE. 3.4.14., Recueil des arrêts du Conseil d’Etat, 1915  
14 

 
Un pouvoir des maires reconnu, et même protégé par les  juges,  c’en  était  trop  pour  le 
pouvoir central.  Le début de la fin de l’hégémonie des pouvoirs locaux commence par la 
circulaire du 19 avril 1913. Le  Ministre  de  l’Intérieur  souhaite minimiser les censures
locales des maires. Il invite les préfets à suivre directement dans leurs départements
l’exemple  des  maires  dans  leurs  communes.  Les  préfets  n’ont  plus  à  faire  de 
recommandations préalables pour pouvoir se substituer ensuite à eux en cas de carence
municipale. Se superpose ainsi aux pouvoirs municipaux des maires, le pouvoir de police
départementale des  préfets.  C’est  une  augmentation  des  prérogatives  du  Ministre  de 
l’Intérieur en matière de contrôle du cinéma, car le préfet est le représentant de l’Etat dans 
les départements et les régions.

§2  La  prééminence  d’une  police  nationale  spéciale  par  l’instauration  de 
commissions nationales de contrôle (1916‐ 1975) 
 
De 1916 à 1961, de nombreuses commissions se succédèrent au gré des censures (A). En
1961,  un  régime  d’une  certaine stabilité vit le jour, comportant  des  éléments  que  l’on 
retrouve dans le contrôle d’aujourd’hui (B). 
A) Les régimes successifs de 1916 à 1961 
 
De nombreuses commissions chargées du contrôle des films se succédèrent jusqu’à la 
deuxième guerre mondiale (1). En 1945, un régime plus complet et complexe vit le jour, la
censure devenant de moins en moins prégnante (2).

1) Les prémices du contrôle national, les commissions de contrôle entre 1916 et  1945

 


L’arrêté du 16 juin 1909 

Le maire ne recommande plus, il ordonne. Cet arrêté institue la première commission de
censure préalable au niveau national. La commission est chargée de : 
‐

Examiner et contrôler les films cinématographiques projetés en France ;

‐

Arrêter la liste des films susceptibles d’être présentés ;

‐

Délivrer pour chaque film admis une carte spéciale, qui devra être produite aux
autorités compétentes avant toute représentation. Ce sont les prémices du visa
cinématographique.

15 
 
A partir de cet arrêté, le contrôle du cinéma est confié à une unique autorité de police
administrative, une commission nationale de contrôle des films. On veut éviter l’anarchie
et le manque de cohérence due aux décisions des maires et préfets. La censure devient
nationale, et prend le pas sur les censures locales. Il faut pour Albert Montagne :
« généraliser et centraliser le contrôle cinématographique »26.
Elle est composée de 5 fonctionnaires de police. Ses décisions sont exécutoires sur
l’ensemble  du  territoire  et  s’imposent  donc  aux  maires  et  aux  préfets.  Un  film visé
nationalement ne pourra être interdit par un maire ou un préfet que s’il  trouble  l’ordre 
public. Les films non visés nationalement peuvent être interdits librement. La compétence
des maires et des préfets est restreinte, et devient dépendante de la censure centrale.


Le  Décret  du  25  juillet  1919 organise  définitivement  le  contrôle 
cinématographique en temps de paix 

C’est  l’acte  de  naissance  officielle  d’une  « commission de contrôle des films
cinématographiques ». La censure, en passant définitivement sous la coupe de  l’Etat,
devient nationale. Les autorités locales et préfectorales sont reléguées au second plan.
Le rôle de la commission est double : lors de la pré-production, elle doit examiner les
livrets et les scénarios, puis une fois le film fini, elle le visionne pour proposer une mesure
tendant soit à l’obtention d’un visa sans observation soit à un refus de visa. La censure peut
être  partielle  (visa  subordonné  à  des  coupes  d’images  ou/et  de  paroles)  ou  totale 
(interdiction du film). Le  ministre  de  l’instruction publique et des beaux-arts délivre les
visas d’autorisation des films. 
La commission est composée de 30 membres dont 10 représentants du Ministère de
l’Intérieur.
Aucun critère de contrôle n’est imposé, on peut donc parler de décision discrétionnaire. La
commission s’est arrogé un droit de refus des visas pour des motifs politiques. L’exemple 
de censure le plus célèbre de la période est celle visant Le Cuirassé Potemkine (1925) de
Sergueï M. Eisenstein en 1927. Certains passages ont été jugés trop révolutionnaires ou
                                                        
26

 Histoire juridique des interdits cinématographiques en France (1909‐2001), Albert Montagne
16 

 
antireligieux. En France, la diffusion a été interdite dans le circuit traditionnel  jusqu’en 
1953.
Le Décret a été complété par la loi de Finances du 31 décembre 1920 disposant en son
article 49 que « le visa de contrôle vaut autorisation de représentation sur tout le territoire
français ».
Ce décret « dégage l’expression cinématographique du carcan du régime des spectacles de
curiosité pour lui octroyer un visa national » 27 En outre, par le biais de la loi de Finances
du 31 décembre 1920, le régime du cinéma connait une reconnaissance législative.


Le  décret  du  18  février  1928  complété  par  la  loi  de  finances  du  29  mars  1928 : 
l’instauration d’un régime libéral non suivi d’effet dans la pratique 

Influencé par Edouard Herriot, le régime mis en place est le plus libéral que le cinéma ait
connu en France, du mois sur le plan des principes. D’une  part, la composition de la
commission est paritaire, 16 membres représentent le gouvernement et 16 autres la
profession et d’autre part, l’avis conforme de la commission est explicitement exigé pour la
délivrance ou le refus de délivrance des visas. La commission de contrôle est placée,
comme la précédente, sous l’autorité  du  Ministre  des  Beaux-Arts qui voit donc ses
prérogatives réduites à la portion congrue.
Cependant, cette commission ne s’est pas distinguée de ses prédécesseurs dans la pratique.
Les critères restant très flous, le  respect  de  la  conservation  des  mœurs  et  les  traditions
nationales, la commission disposa d’un véritable pouvoir discrétionnaire qu’elle utilisa de
façon excessive.28
La loi de Finances du 29 mars 1928, à  l’alinéa  2  de  l’article 58, consacre un contrôle
national prioritaire et un contrôle local subsidiaire : « le visa de contrôle vaut autorisation
de représenter sur tout le territoire français, sous la réserve des mesures de police locale
prises en vue du maintien du bon ordre ».
                                                        
27
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek
28

En 1933, sur 572 films présentés, 38 durent être assortis de coupures et 11 interdits. Chiffres
rapportés par Philippe J. Maarek dans La censure cinématographique
17 
 
Le 30 août1931, la commission devient une sous-commission, chapeautée par l’organisme
nouvellement crée, le Conseil Supérieur du Cinéma.
En 1933, le ministre du Commerce et de l’Industrie devient compétent pour la délivrance
des visas.


Le décret du 7 mai 1936 ou « la censure de 36 » 

 C’est la fin de l’avis conforme et de la parité. Il y a 10 représentants des ministères et 10
personnalités choisies par le Ministre de l’Education Nationale.
Pour Albert Montagne, cette censure frappe principalement cinq films français : La

garçonne (1935) de Jean de Limur, Les Mutinés de l’elseneur (1936) de Pier Chenal, Tout
va très bien, Madame la Marquise (1936) d’Henri  Wulschelberg29, Justin de Marseille
(1934) de Maurice tourneur et La vie est à nous (1936) de Jean Renoir (une  œuvre  de 
propagande tournée pour le parti communiste).
Le  Ministre  de  l’Education  Nationale et des Beaux-Arts devient responsable de la
commission supérieure d’examen des films cinématographiques le 25 octobre 1937. 


Le contrôle des œuvres cinématographiques sous le régime de Vichy  

 
C’est  le  régime  le  plus  restrictif  de  l’histoire,  la  censure étant confiée au commissariat
général  de  l’information. Une interdiction aux mineurs âgés de moins de 18 ans est
instaurée par un arrêté du 20 décembre 1941, pris en application du décret-loi du 24 août
1939 sur le contrôle de la presse et autres publications. C’est la première restriction
apportée en fonction de l’âge.

2) L’Ordonnance du 3 juillet 1945  

 
« La commission de contrôle des films » instituée se rapproche de celle du régime de 1928.
Elle redevient paritaire : 7 membres du gouvernement et 7 membres de la profession et la
pratique  de  l’avis  conforme  devient

obligatoire

pour

les

films

français.

                                                        
29

La prestation de Noël-Noêl-Le Ploumanech ridiculise pour la commission « les habitants de la
Bretagne dont sont originaires un grand nombre de nos citoyens » ( Histoire juridique des interdits
cinématographiques (1909-2001), Albert Montagne) 
18 
 
Le ministre compétent pour le contrôle des représentations et des exportations des films est
le Ministre de l’information.
La restriction concernant l’âge subsiste mais est limitée aux mineurs âgés de moins de 16
ans. L’ordonnance ne mentionne pas les critères de contrôle.  Il  faut  se référer à l’exposé 
des  motifs,    qui  évoque  le  respect  des  bonnes  mœurs  et  les  risques  de  troubles  à  l’ordre 
public.
La pratique est marquée par de nombreuses coupures et interdictions. Le 16 novembre
1954, Bel Ami de Louis Daquin est interdit par la commission de contrôle. Elle exige des
coupures de scènes où des allusions précises à la corruption, aux excès de pouvoir et au
colonialisme français au Maroc sont susceptibles de heurter le spectateur. Il ne faut pas se
tromper,  les  motivations  sont  avant  tout  politique,  la  guerre  d’Algérie  s’annonçant.  « A
mon avis, il y a à faire au Maroc ! » devenant « A mon avis, il y a à faire dans ces pays ! » ;
« Qu’en  pensent les marocains ? » devenant « Qu’en  pensent les plantes exotiques ? »30 .
Le 9 février 1955, le film obtient son visa, mais reste interdit en Outre-mer jusqu’en 1957.
La commission peut en outre exiger des changements de lieux et de personnages et
l’adjonction  d’un  carton  d’avertissement  en  plus des coupures comme elle le fit avec La

neige état sale de Lui Saslavsky31 en 1953.
Le décret du 13 avril 1950 modifie une nouvelle fois la composition de la commission. Elle
est constituée de 18 membres, 9 représentant le gouvernement et 9 représentants la
profession,  dont  un  représentant  de  l’Union Nationale des Associations Familiales
(UNAF), nommé par le Ministre de la Santé Publique et de la Population.

                                                        
30
Histoire des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001), Albert Montagne
31

Un nouveau montage, des coupures de scènes de violence, et un carton sont imposés : « La Neige
était sale ne vise qu’à approfondir le désarroi d’un pays envahi par l’ennemi, les êtres peuvent 
atteindre les plus hauts sommets du sacrifice et de l’héroïsme. Ils peuvent aussi tomber dans les 
pires déchéances de l’avilissement. Mais, il n’y a point de sentier détourné qui ne parvienne à 
rejoindre les voies du Seigneur. C’est le cas du pitoyable héros de cette histoire, qui trouve à la fin, 
sa rédemption et ses instants de lumière. D’ailleurs tous les personnages sont purement 
imaginaires. L’action se déroule dans une ville d’Europe centrale. » Et le 6 janvier le film reçoit
finalement son visa d’exploitation avec interdiction aux moins de 16 ans, mais se voit refuser le 
visa d’exportation 
19 
 
B) Le régime mis en place par le décret du 18 janvier 1961,  les prémices d’une 
véritable protection accordée au film 
 
Il faut étudier la composition de la commission ainsi que la procédure aboutissant à la
délivrance du visa (1). La  commission  a  des  moyens  d’actions  très  étendus  quant  au 
contrôle de l’œuvre cinématographique (2).  
1) Une composition et une procédure aux multiples ressemblances avec celles d’aujourd’hui 

 
Une nouvelle commission de contrôle des films cinématographiques est créé sous l’autorité 
du Ministre  de  l’information.  De nombreux éléments rappellent le système mis en place
aujourd’hui. Sa composition ainsi que la procédure de visa démontrent une certaine
volonté de protéger la jeunesse et le film.
La composition n’est plus paritaire, ni égalitaire, mais devient tripartite avec une majorité 
de représentants du gouvernement. Cette composition démontre le souhait de prendre en
compte l’impact du film sur la jeunesse.
Il y a :
‐

Un Président et un Vice-Président,

‐

Huit membres titulaires représentant le gouvernement

‐

Hui membres titulaires représentant de la profession

‐

Huit autres dont 5 nommés par le gouvernement parmi les éducateurs,
psychologues, sociologues, et trois titulaire désignés par le gouvernement
déléguées des UNAF, du Haut Comité de la Jeunesse  et  de  l’Association  des 
Maires de France.

Chaque membre titulaire est nanti d’un suppléant, et de deux à partir de 1979.
Il n’y a pas d’obligation de l’avis conforme, principe qui sera retenu par la commission de
1990.  Le  ministre  n’est  pas  lié  par  les  avis  de  la  commission,  cependant,  s’il  souhaite 
décider  d’un  visa  assorti  d’une  restriction plus sévère que celle préconisée par la
commission, il doit demander une nouvelle vision du film par celle-ci. Il n’est pas lié par le 
second avis, mais doit motiver sa décision s’il ne le suit pas.
 
20 
 
Dès 1961, on retrouve la même organisation de la commission actuelle, avec une
commission  plénière  seule  compétente  à  proposer  toute  restriction  à  l’exploitation  d’une 
œuvre  cinématographique  et  une  sous-commission chargé d’un  travail  de  tri.  Il  s’agit  ici 
d’opérer un meilleur contrôle sur le film.
La commission exerce ses activités de contrôle avant et après la réalisation du film. Il y a
une pré-censure, c’est  la  procédure obligatoire de  l’avis  préalable. Avant le tournage du
film, les promoteurs doivent être avertis des mesures d’interdiction éventuelles encourues.
Le producteur doit soumettre son projet de film (scénario, découpage) au CNC. L’avis 
rendu  n’engage  pas  la  commission.  Ainsi, un avis positif ne préjuge pas de la décision
finale lors du visionnage du film par la commission, mais encourage ou décourage le
producteur. Le film terminé est ensuite projeté à la commission suivant la procédure de
visa.
Malgré de véritables avancées en matière de procédure, de composition, la censure est
encore  très  présente  et  sévit  toujours.  L’imprécision  des  critères de classification32 ainsi
que  la  possibilité  de  couper  ou  d’interdire  le  film  empêchent  l’épanouissement  d’une 
véritable liberté d’expression cinématographique.

2) Les moyens d’actions de la commission 
 
L’article  4  du  décret  prévoit  les  différentes  mesures  d’interdictions  possibles.  La 
commission dispose alors de tout un attirail pour dénaturer l’œuvre cinématographique.
Il  s’agira  ici  de  donner  les  différentes  classifications  possibles  et  de  les  illustrer  par  des 
exemples. Pour Philippe J. Maarek, ces  mesures  démontrent  l’existence  d’un  contrôle 
extensif, c’est « l’ordre public externe comme l’ordre moral interne » qui sont visés33.


Le visa  d’autorisation  de  représentation  du  film  avec  interdiction  aux  mineurs  de 
moins de 13 ans

                                                        
32

Le  décret  est  muet  et  la  commission  utilise  les  critères  évoqués  dans  l’exposé  des  motifs  de 
l’ordonnance de 1945 : respect des bonnes mœurs et risques de troubles à l’ordre public. 
 

33

La censure cinématographique, Philippe J. Maarek
21 

 
Le film Mister freedom(1968) de William Klein se voit accorder un visa moyennant
« l’allégement de quelques scènes de sadisme au cours de l’entraînement des French antifreedom, la coupure de certaines paroles prêtées au chef de l’Etat, du discours du ministre 
de  l’intérieure, des scènes de manifestation de rue ainsi que les emblèmes brandis et les
slogans de l’internationale et les manifestants (poings levés) dans les dernières images du
film »34.


Le visa  d’autorisation  de  représentation  du  film  avec  interdiction  aux  mineurs  de
moins de 18 ans

De nombreux films ont reçu une telle classification et ont été aujourd’hui déclassés par la
commission : Jules et Jim de François Truffaut en 1962, Les héritiers de Walter Bannert
en 1982 ou Jeux de nuit 35 de Mai Zetterling en 1966.


Le visa d’autorisation avec interdiction aux moins de 18 ans avec un avertissement

Cette interdiction  qui  existe  pour  éviter  l’interdiction  pure. L’exemple  le  plus  connu  est

Exhibition(1975) de Jean-François Davy, sortie une année où la commission refusait de
prononcer des interdictions absolues. Pierre Soudet, ancien Président de la Commission,
raconte pourquoi le film  n’a pas  été interdit : « J’ai  trouvé pour ma part, la prestation de 
Claudine Beccarie, l’explication de sa démarche, de son passé, de ses motivations, d’une 
qualité très honorable, très respectable :  une  espèce  de  document  sociologique  qu’il  était 
difficile de refuser aux gens. Ce fut une décision largement commentée et contestée »36. Le
film sera par la suite ixifié37.


L’interdiction totale

La pratique des interdictions totales est courante dans les années 50 et 60. Elle ne
disparaitra véritablement que dans les années 80 après une baisse importante au milieu des
années 70.

                                                        
34
Le cinéma français, de la Nouvelle vague à nos jours, Jean-Michel Frodon 2010
35
Fait rare pour un film censuré L’Avant-Scène lui consacre un « découpage après montage
définitif et dialogues in extenso (texte et photo avant censure), A.-S.C. Numéro 67 février 1967
36

 Histoire des interdits cinématographiques en France (1909‐2001), Albert Montagne 
 Terme désignant le fait pour un film d’être classé X 

37

22 
 
On peut citer pour l’exemple certains films interdits totalement dans les années 7038 :
‐

En 1972, Le sexe à l’envers Les Rêves érotiques de Casanova, Dracula, ce vieux
cochon, le camp spécial numéro 7, L’enfer des filles soumises, Général massacre, 

Porno Baby, le sexe en délire.
‐

En 1973 : Histoire d’A, la comtesse perverse, Non, je suis encore vierge, Déviation,

Blue money, traumatismes sexuels, femmes en révolte, je suis une call-girl ou Tous
les  chemins  mènent  à  l’Homme,  Rapport  sur  la  vie  sexuelle  des  apprenties,  les 

Anges violés, la brute, le bonze et le méchant.
‐

En 1974 : Les marchands de filles, Sexe en vadrouille, La Renarde

‐

En 1975 : L’aubergine est farcie, L’esclave, Man of iron

‐

En 1976 : Née  pour  l’enfer,  Exhibition  numéro  2,  L’hystérique  aux  cheveux  d’or, 

American justice
‐

En 1977 : La grande défonce ou Délire collectif,  Nathalie  rescapée  de  l’enfer, 

Pour une poignée de cacahouètes, Le camp des filles perdues et l’enfer des femmes
‐

En 1978 : Greta no man’s house, Mosquito, Poupée nazis et Assaut sur la ville

‐

En 1979 L’opale de feu, La Secte qui tue, L’homme Hollywood, Opération jaguar,
maison pour S.S. et L’enfer des zombies

‐

En 1980 : Née pour l’enfer, La grande peur

En 1981, il n’y a plus d’interdiction.
Dans son ouvrage Albert Montagne rapport une anecdote significative de la censure de
l’époque : un représentant de l’armée voulait interdire  Le gendarme de Saint Tropez (1964)
de jean Girault car il tournait en ridicule l’uniforme. 


La possibilité  de  subordonner  un  visa  d’autorisation  à  des  modifications  avec 
coupures, allégements et avertissements

Cette  mesure  n’existe  plus  aujourd’hui.  Très  attentatoire  à  la  liberté  d’expression,  elle  a 
véritablement muselé certains réalisateurs.

                                                        

Liste établie par Albert Montagne dans Histoire des interdits cinématographiques en F rance
(1909-2001
38

 

23 
 
Yves Boisset fut l’un des plus sanctionnés. Son film Le juge fayard dit le Shérif , chronique
d’un  magistrat  entêté  menant  une  enquête  dangereuse sur un groupe de politiciens et de
financiers véreux et qui fut abattu le 3 juillet 1975.
Yves Boisset a été menacé, agressé et intimidé39. Le film n’a pu sortir qu’après  de
nombreuses coupures et allègement : 16 bips sonores remplaçant le mot Service d’Action 
Civique et la suppression du gros plan de la carte tricolore exhibée par un membre du SAC
disant au juge « On n’est pas des Arabes…On fait ce qu’on veut. On est protégés »


La possibilité de proposer des changements de lieux et de personnages et
l’adjonction d’un carton d’avertissement en plus des coupures.

En 1990, avant chaque projection du film La Dernière tentation du Christ de Martin
Scorcèse, la commission a exigé qu’un avertissement soit adressé aux spectateurs: « Ce
film est tiré du roman de Nikos Kazantzakis. Il n’est pas une adaptation des évangiles »40.
Le film Nuit et brouillard (1955) d’Alain  Resnais  a fait face à la censure française. En
1956, lors de sa projection, la commission de contrôle a exigé que soit supprimée une
photographie d’un  gendarme français  surveillant  du haut  d’un mirador les prisonniers  du 
Camp de Pithiviers. Le but était d’estomper les responsabilités de l’Etat français en matière 
de déportation. Menacés de voir leur film ne pas sortir en salle, Alain Resnais et son
producteur trouvèrent une solution adéquate : maquiller la silhouette du gendarme gardant
le camp et dessiner une poutre à la gouache sur le képi du gendarme. La commission avait
proposé de remplacer le plan gênant par « une  photographie  d’intérêt  équivalent et non
susceptible de provoquer un litige »41
Les coupes peuvent ne concerner que le titre : La Putain respectueuse de Marcello Pagliero
devenant la P… respectueuse en 1952.

                                                        
39
Impact numéro  11,  interview  d’Yves  Boisset : « A la sortie du Juge  fayard…, qui part de
l’assassinat du juge  Renaud,  quatre types  m’ont  cassé  la  gueule  au moment où je faisais le code
pour  rentrer  chez  moi.  Un  passage  à  tabac  dans  les  règles.  J’ai  également  eu  droit  à  ma  voiture 
vandalisée, défoncée de partout, sauf la vitre conducteur où état bombée l’inscription « Bip, bip » »
40
Arrêt numéro 101.892, M Pichene, Séance du 23 avril 1990, Lecture du 9 mai 1990, Conclusions
de M. Stirn, commissaire du gouvernement
41
50 fil ms qui ont fait scandale , sous la direction de Gérard Carmy 
24 
 
Toutes  ces  restrictions  prouvent  que  la  liberté  d’expression  cinématographique  n’a  pas 
valeur de liberté publique. Le régime du cinéma n’est pas consacré par la loi. Le contrôle
est préalable, exercé le plus souvent par une commission dépendante de l’exécutif, sauf en 
1928 et en 1945 où la parité est respectée mais avec des résultats décevants. La possibilité
de mesures restrictives justifiées par des critères floues, ainsi que l’absence  de  véritable
contrôle  exercé  par  la  jurisprudence  concourent  à  l’instauration  d’une  censure  durable  et 
forte. Le contrôle est en outre exercé sur l’auteur lui-même, lors de la conception du film
par le biais de la procédure préalable, ainsi que par la lourdeur des conditions d’élaboration 
et de diffusion du film. De 1909 à 1975, le régime légal et réglementaire de l’expression 
cinématographique a été nettement restrictif. La liberté cinématographique « s’éloigne 
clairement du statut de liberté reconnue : le contrôle est toujours préalable, l’interdiction et 
les restrictions ou coupures sont possibles, et les critères restent floues »42.
L’année 1975 est celle de tous les paradoxes. Trois évènements majeurs dans l’histoire des 
liens complexes entre le cinéma et l’Etat vont ébranler le régime de contrôle des films. La
création d’un régime par la loi du 30 décembre 1975 enfermant tout un pan du cinéma, le
cinéma pornographique, dans un carcan de règles désavantageuses ; le projet de loi déposé
le 13 mai 1975 qui, dans son article 1er disposait que « La représentation des films
cinématographiques est libre » ; le revirement de la jurisprudence relatif au statut de la
liberté d’expression cinématographique.

Section 2 Le cinéma classifié  
 
Le passage de la censure à la classification s’est opéré lentement. C’est tout d’abord le rôle 
fondamental de la jurisprudence et de la pratique qui ont permis la reconnaissance d’une 
liberté  d’expression cinématographique (§1). La consécration par les textes a été tardive
mais indispensable (§2).

                                                        
42
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek
25 
 
§1 L’importance de la jurisprudence et de la pratique dans la concrétisation d’une 
classification 
 
L’évolution vers un contrôle respectant la liberté des auteurs s’est opérée dans un premier 
temps au niveau de la jurisprudence (A), puis dans un deuxième temps par la pratique (B).
 
 
A) La reconnaissance d’une liberté publique d’expression cinématographique  
 
La jurisprudence  a  été  le  moteur  de  la  reconnaissance  de  la  liberté  d’expression 
cinématographique en tant que liberté publique. Le contentieux relatif aux visas
d’exploitation  et  aux  arrêtés  municipaux  d’interdiction  a  permis  de  contrôler  l’utilisation 
des pouvoirs de police générale par le maire et le préfet et les motivations liées au refus de
visa. Il faut distinguer le contentieux en matière de visa d’exploitation (1) de celui relatif
aux arrêtés municipaux (2).
1) Le contentieux en matière de visa d’exploitation : le revirement du 24 janvier 1975 

 
Avant  le  revirement  du  24  janvier  1975,  le  Conseil  d’Etat  n’exerçait  qu’un  contrôle 
minimum sur les décisions du ministre. Cette jurisprudence en matière de liberté
cinématographique  était  à  l’opposé  de  la  protection  accordée  par  le  Conseil  d’Etat  aux 
autres libertés publiques que ce soit en matière de liberté de réunion43, en matière de liberté
de manifestation44 ou en matière de liberté de la presse45.
L’expression cinématographique a parfois pu être protégée en tant que liberté dérivée des
libertés reconnus. Mais très rares sont les arrêts qui ont procédé ainsi. On peut citer l’arrêt 
« Société générale des travaux cinématographiques » du 29 juillet 1953 où le Conseil
d’Etat annula une décision d’attribution de visa soumise à des conditions spéciales, sur la
base d’une violation de la liberté du commerce et de l’industrie. 

                                                        
43

Le célèbre arrêt « Benjamin » du 19 mai 1933 : « Le  maire  doit  concilier  l’exercice  de  ses 
pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion garantie par les lois du 30 juin 1881 et du 20 mars
1907 »
44
Arrêt du 19 février 1909, « Abbé Olivier »
45
Tribunal des conflits du 8 avril 1935, « Action française » 
26 
 
La reconnaissance d’une « liberté publique d’expression cinématographique per se »46 a été
dans un premier temps rejetée par la jurisprudence. Le Conseil d’Etat a, en effet, plusieurs
fois avalisé des interdictions justifiées par des motifs politiques47. Dans le cadre de la
procédure  de  l’arrêt  « Société franco-London film et Société les films Gibbé » du 23
février 1966, le commissaire du Gouvernement Rigaud écrivait dans ses conclusions « On
ne saurait dire que la projection des films, qui est subordonnée à une autorisation
ministérielle, ait le caractère d’une liberté publique comme la liberté de réunion, et mérite 
la protection »48.
La liberté d’expression cinématographique acquit le statut de liberté publique avec l’arrêt 
du  Conseil  d’Etat  du  24  janvier  1975,  ¨Ministre  de  l’Information  contre  Société  RomeParis Films. En l’espèce, le film La Religieuse de Diderot de Jacques Rivette n’avait pas 
obtenu de visa. Le juge suprême considère « qu’à  défaut  de  toute  disposition  législative 
définissant les conditions de fait auxquelles est soumise la légalité des décisions accordant
ou  refusant  les  visas  d’exploitation  et  d’exportation,  les  seules  restrictions  apportées au
pouvoir du ministre sont celles qui résultent de la nécessité de concilier les intérêts
généraux dont il a la charge avec le respect dû aux libertés publiques et, notamment, à la
liberté  d’expression ;  qu’il  appartient  à  la  juridiction  administrative,  saisie  d’un  recours 
formé  contre  un  refus  de  visa,  de  rechercher  si  le  film  qui  a  fait  l’objet  de  la  décision 
contestée devant elle est de nature à causer à ces intérêts un dommage justifiant l’atteinte 
portée aux libertés publiques ». Le juge de l’excès de pouvoir doit donc exercer un contrôle
normal  de  proportionnalité  sur  les  décisions  refusant  les  visas  d’exploitation  et 
d’exportation des films. Dorénavant, seule la protection de certains intérêts généraux peut 
justifier une atteinte à la liberté d’expression cinématographique.
Cette décision a été confirmée par la suite par l’arrêt  « Société cinéma-Théâtre des Trois
Etoiles » du 4 mai 1979 où le Conseil d’Etat énonce : « Qu’ainsi l’arrêté attaqué n’encourt 
ni le grief d’avoir porté atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, ni celui d’avoir 
apporté à la liberté d’expression des limites non prévues par la loi ».

                                                        
46
La censure cinématographique, Philippe J. Maarek
47
48

Les arrêts « Rivers » du 5 décembre 1947, et « Société des Films Sirius » du 24 juin 1949).
J.C.P. 66, 14608 
27 

 
La liberté  d’expression  cinématographique, devenue liberté publique, doit recevoir une
protection adaptée. Dorénavant, le Conseil d’Etat  contrôlera  avec  plus  de rigueur les
décisions de refus de visa. Des motifs purement politiques ne suffisent plus.

2) Le contentieux en matière de pouvoir de police des maires  et des préfets : une protection 
relative 

La circulaire de 1909 reconnaissait explicitement le pouvoir des maires et des préfets en
matière de contrôle de projection des films. Malgré le réel ascendant pris par la police
nationale spéciale en matière de contrôle des films, les autorités locales peuvent toujours,
dans le cadre de leur pouvoir de police générale, prononcer des interdictions en application
des articles L 2212-1 et L 2212-2 du code général des collectivités territoriales.
En  l’absence  de  pouvoirs  spécifiques  en  matière  de  spectacle  cinématographique,  le 
Conseil  d’Etat  reconnaît  aux  maires,  depuis  l’arrêt  « Société Les films Lutétia » du 18
décembre 1959, le pouvoir d’user de leurs  prérogatives de police administrative générale
pour interdire l’exploitation, sur le territoire de leur commune, d’un film, même s’ils à reçu
un  visa  d’exploitation. Le  Conseil  d’Etat  a  adopté  une  position  extensive  de  la  notion 
d’ordre public et des raisons qui doivent pousser un maire à utiliser son pouvoir de police.
En  l’espèce,  le  maire  de  Nice  avait  interdit  la  projection  du  film Le feu dans la peau
(1954) de Marcel Blistene dans les cinémas de sa ville estimant que le celui-ci était
immoral. En dernière instance, les juges du Conseil  d’Etat  ont considéré « qu’un  maire, 
responsable du maintien de l’ordre dans sa commune, peut donc interdire sur le territoire
de celle-ci  la  représentation  d’un  film  auquel  le  visa  ministériel  d’exploitation  a  été 
accordé mais dont la projection est susceptible d’entrainer des troubles sérieux ou d’être à 
raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciables à l’ordre 
public »49. Les juges soumettent l’immoralité à deux conditions cumulatives, le trouble à
l’ordre public et une circonstance locale particulière. 

                                                        
49

Conseil d’Etat, Section, 18 décembre 1959, n°36385, Société « Les Films Lutetia » et Syndicat
Français des Producteurs et Exportateurs de Films
28 
 
La notion de circonstances locales a par la suite été définie par 11 arrêts  d’assemblée du 
Conseil d’Etat du 19 avril 1963 relatif à des interdictions du film Les liaisons dangereuses 
de Roger Vadim prononcées par plusieurs municipalités.
Les décisions les plus récentes se montrent plus défavorables aux arrêtés municipaux
d’interdiction.  Le juge administratif examine avec soin la réalité des motifs et des
circonstances locales invoqués,50 de même les mesures trop générales sont annulées51.
La Jurisprudence postérieure à l’arrêt  « Lutétia » est venue confirmer le contrôle effectué
par le juge administratif.
Les maires ont outre la possibilité  de  moduler  les  interdictions  en  fonction  de  l’âge,
prérogative reconnue par  l’arrêt  de Conseil  d’Etat, assemblée plénière Ville de Dijon 19
avril 1963.
Dans son ouvrage, Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure, Jean-François
Théry  explique  que  la  censure  n’a  véritablement  jamais  existé  en  France  pour  cause 
d’absence d’arbitraire dans les décisions d’interdiction. On peut  lui donner raison  ce que 
celles-ci ont toujours été susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le juge
administratif.  Cependant,  la  jurisprudence  du  Conseil  d’Etat  n’a  pas  permis  un  contrôle 
véritable sur les décisions de refus de visa. La reconnaissance tardive « d’une  liberté 
d’expression cinématographique per se»52 explique en partie les atteintes portées aux films.

B) Une évolution de la pratique tendant vers une commission plus libérale 
 
Dans son ouvrage Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure, Jean-François
Théry montre que le changement s’est réalisé non pas par les textes mais par la pratique. 
Les convictions libérales des responsables du contrôle vont modifier profondément la
façon d’analyser le film. 
                                                        
50

Arrêt du Conseil d’Etat du 26 juillet 1985 concernant le film Le Pull-over rouge, interdit par le
maire d’Aix-en-Provence au motif qu’il traitait d’un évènement survenu dans la région 
51
TA Amiens du 10 avril 1973, « Chambre syndicale des producteurs de films français »,
annulation d’un arrêté du maire de Saint-Quentin prohibant « toutes projections de films à caractère
érotique, pornographique ou licencieux ».
52

La censure cinématographique, Philippe J. Maarek 
29 

 
Elu président de la République le 15 juin 1969, Georges Pompidou va confier les plus
hauts postes liés à la culture à des personnalités qui vont mettre en place une forte inflexion
dans le contrôle des films. La responsabilité des Affaires culturelle revient à Jacques
Duhamel et à son directeur de cabinet Jacques Rigaud et la Commission de contrôle des
films à Pierre Soudet.
Ils vont être les auteurs du fameux projet de loi avorté de 1975 qui proclamait la liberté
cinématographique et définissait restrictivement les tempéraments qui pouvaient être
apportés à cette liberté.
En 1974, suite à  l’élection  Valéry  Giscard  d’Estaing, une grande vague de libéralisme
déferle sur la France. Le ministre de la culture, Michel Guy, reçoit du Président la
consigne de « libéraliser le cinéma »53 et  de  ne  plus  prononcer  d’interdiction totale.
L’année 1974 se caractérise par le faible nombre de films interdits par rapport aux années
précédentes (3 selon Albert Montagne). Pendant quelques années, le nombre
d’interdictions oscillera entre 3 à 6 films par an, la plupart du temps des films érotiques de
mauvais goût (Poupées nazis en 1978)  ou  d’horreur  (en  1979,  aujourd’hui  devenu un
classique L ’enfer  des  Zombies de Lucio Fulci). La pratique des coupures chute
spectaculairement en 1976 au lendemain de la chasse aux films X. Le dernier exemple de
films coupés est Caligula de Tinto Brass en 1980.
En 1981, Jack Lang alors  à  la  tête  du  ministère  de  la  culture  déclare  qu’il  ne  refusera
jamais de délivrer un visa à un film au nom de la liberté d’expression. Il met en route une
réforme basée sur une triple finalité :

‐

Mettre fin à la possibilité d’interdire totalement un film.

‐

Désengager l’Etat du contrôle : il souhaitait que les mesures de restrictions fussent
décidées par une commission où les représentants du public, de la profession, et des
experts auraient seuls voix au chapitre.

                                                        
53

Ouvrage préc. Jean-François Théry
30 

 
‐

Rajeunir les cadres : le public allant au cinéma ayant en majorité moins de 25 ans,
il fallait rajeunir les membres de la commission. Il souhaitait que la moitié au
moins de ses membres n’ait pas dépassé l’âge de 25 ans au jour de leur nomination.

Au début des années 80, il n’y a plus de coupures ni d’interdictions. Cependant les textes
ne suivent pas. Malgré plusieurs projets initiés par le CNC, il a fallu attendre 1990 pour
une consécration par les textes.
 
§2  La  protection  de  la  jeunesse devenue l’unique  intérêt  justifiant  un  contrôle 
préventif  
 
La jeunesse a été prise en compte tôt dans la détermination des interdictions par la
commission (A). Le décret du 23 février 1990 consacre la protection de la jeunesse comme
intérêt fondamental justifiant l’existence d’un régime préventif (B).
A) Le début de la prise en compte de la jeunesse dans le contrôle des films 
 
Avant  la  réforme  de  1990,  la  protection  de  la  jeunesse  n’était  pas  l’objectif  principal  du 
régime préventif. Mais elle faisait partie du raisonnement lié au contrôle des films. Elle a
au  fil  du  temps  pris  de  l’importance,  jusqu’à  reléguer  les  motifs  d’ordre  politiques au
second plan.
L’apparition d’interdictions  basées  sur  l’âge  des  spectateurs date du régime de Vichy.
L’arrêté du 20 décembre 1941, pris en application du décret-loi du 24 août 1939 sur le
contrôle de la presse et autres publications, instaure une interdiction aux mineurs âgés de
moins de 18 ans. Le 12 août 1944, le directeur  de  L’Office  central du contrôle de
l’information institue une commission « L’héritier »54 qui comptera parmi ses membres un
représentant de l’Education  Nationale,  premier membre présentant de par sa fonction un
lien indirect avec la jeunesse.
L’Ordonnance du 3 juillet 1945 baisse le seuil de l’interdiction de 18 ans à 16 ans. Ce seuil
a ensuite été réintégré par le décret du 10 octobre 1959.

                                                        
54

Du nom de la personne la présidant
31 

 
Le décret du 18 janvier 1961 instaure pour la première fois la distinction des mineurs de 13
ans de ceux de 18 ans. La composition de la commission est très marquée par cette idée de
protection de la jeunesse. Deux représentants ayant un lien indirect avec la jeunesse
représentent  l’administration:  un  pour  l’Education  nationale  et  un  pour  les  Affaires 
Sociales, la Jeunesse et les Sports. Cinq membres titulaires et cinq suppléants sont choisis
parmi des professionnels de la jeunesse, qui exercent les professions de sociologues,
psychologues, éducateurs, magistrats, médecins ou pédagogues. Le Haut Comité de la
Jeunesse est l’une des trois instances qui désignent les trois membres indépendants. Le
progrès quant à la prise en compte de la jeunesse est significatif.
L’impact  du  film  sur  les  plus  jeunes  spectateurs  devient  un  enjeu  de  la  classification. 
Le film Moi, Chritiane F . .. 13 ans, droguée, prostituée (1981) d’Ulrich  Edel n’a  été 
interdit qu’au moins de 13 ans malgré sa violence car il a  « semblé en effet utile que les
adolescents  assistent  à  cette  histoire  cruelle,  qui  décrit  avec  précision  l’entraînement 
inéluctable vers la déchéance d’une très jeune droguée, puis son combat presque désespéré
pour s’en sortir, dans la solitude et l’incompréhension. »55
B) La création d’une commission de classification par le décret du 23 février 
199056 
 
La naissance d’une commission respectant la liberté d’expression a été longue et difficile
(1). Le décret du 23 février porte création d’un véritable organe de police spéciale qui 
classifie et ne censure plus (2).
1) Les circonstances entourant sa création 

 
Les changements constatés dans la pratique sont entérinés par le décret du 23 février 1990,
pris  pour  l’application  des  articles  19  à  22  du  Code  de  l’Industrie  Cinématographique et
relatif à la classification des œuvres cinématographiques. Ce décret abroge le décret du 18
janvier 1961.
Le 1er janvier 1986, la commission change de titulature. Elle ne contrôle plus, elle classifie.
Pour Jean-François Théry, ancien président de la commission, ce changement de titulature
reflète un changement de mentalité. « La commission de contrôle des films français
                                                        
55
Ouvrage préc. Jean-François théry
56

Décret reproduit en annexe  
32 

 
évolue, en fait, vers le modèle anglo-saxon ; elle s’est progressivement éloignée de son rôle 
de « gardiens des tabous » pour devenir une institution de protection de l’enfance  et  de 
l’adolescence ».
Dans L’Age moderne du cinéma français,  De la Nouvelle vague à nos jour, Jean-Michel

F rodon rapporte les circonstances qui vont précipiter la modification du régime applicable.
Les scandales suscités en Mais 1989 par les campagnes d’affichages controversés de deux
films, Les saisons du plaisir(1989) de Jean-Pierre Mocky et d’Ave Maria(1989) de Jacques
Richard pousse le CSA à bannir des petits écrans aux heures de grande écoute tous les
films ayant fait l’objet d’une interdiction. C’était empêcher la diffusion d’un grand nombre
de titres devenus inoffensifs avec l’évolution des mentalités. En réaction à « cet excès de
zèle » le décret du 23 février 1990 est pris et modifie la composition de la commission et
abaisse les  âges  d’interdiction à douze et seize ans au lieu de treize et dix-huit ans. Ce
changement permet de déclasser de nombreux films, et beaucoup de ceux dont le public
avait été restreint à l’époque de leur sortie bénéficient cette fois d’un visa tous publics et de
l’accès  au prime time. Le décret a par conséquence permis de passer outre l’interdiction
mise en place par CSA.
2) Un organe de police spéciale chargé de protéger la jeunesse  

 
Le  décret  du  23  février  1990  est  l’acte  de  mort  de  toute  censure  cinématographique  en 
France. Ce qu’affirmait Maarek en 1982, « l’expression cinématographique est soumise à
un régime hybride, véritable régime de semi-liberté »57 ne peut plus être juste
aujourd’hui. La  commission  de  classification  ne  peut  plus  dénaturer  l’œuvre 
cinématographique. Les coupes ne sont plus  autorisées et l’interdiction absolue, bien que 
non abrogée,  n’est  plus  prononcée.  Seul  un  classement  X  ou  une interdiction totale
pourront empêcher la transmission du message. La protection de la jeunesse devient
l’unique intérêt justifiant le contrôle des films. Pour le Conseil d’Etat, les dispositions du
décret du 23 février 1990 « n’ont  ni  pour  objet,  ni  pour  effet  d’interdire  la  diffusion  des 
films,  mais  visent  à  restreindre  à  l’égard  des  mineurs  en  fonction  de  critères  tirés 
notamment de la très grande violence de certaines scènes ». Opérant dans la même espèce
un contrôle de conventionalité du régime avec la convention européenne des droits de
l’Homme,  le  Conseil  d’Etat  estime  que  le  régime « répond, eu égard aux garanties
                                                        
57
La censure cinématographique de Philippe J. Maarek
33 
 
accompagnant  sa  mise  en  œuvre,  au  but  légitime  et  nécessaire  dans  une  société 
démocratique,  au  sens  des  stipulations  de  l’article  1058 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de protection des mineurs 
et ne constitue pas une ingérence proscrite par cet article »59.
La protection de la jeunesse justifie le régime préventif régissant le contrôle des films.
Nous ne sommes plus dans un régime de censure.  Il  n’y a plus de coupures, ni
d’interdictions totales. Le message atteint le destinataire, sans être modifié ni interdit.
.

Chapitre 2 Une commission tournée vers l’objectif de 
conciliation de la liberté d’expression cinématographique 
et de la protection de la jeunesse  
 
Le  régime  mis  en  place  a  la  lourde  tâche  de  concilier  d’une  part  la  liberté  d’expression 
cinématographique devenue liberté  publique  et  d’autre  part  la  protection  de  la  jeunesse. 
Les  restrictions  apportées  à  la  liberté  d’expression  sont  contrebalancées  par  une 
composition plurielle (Section 1) et des garanties procédurales (Section 2).
 

                                                        
58

59

Article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme
1.
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté
d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il
puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent
article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de
télévision à un régime d'autorisations.
2.
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être
soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui
constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à
l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du
crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir
l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Le Conseil d’Etat dans son arrêt du 6 octobre 2008, « Société Cinéditions »
34 

 
Section 1  La composition de la commission de classification : 
priorité à la pluralité 
 
La commission de classification étant divisée en une sous-commission et une assemblée
plénière,  sa  composition  dépendra  de  l’instance  concernée  (§1).  Les membres qui la
composent démontrent une volonté de tendre vers la pluralité (§2).
§1 Une composition de la commission liée à son organisation  

 
La commission de classification est divisée en une sous-commission et une assemblée
plénière. La première est chargée de visionner tous les films présentés à la commission et
joue le rôle de filtre. Peu de règles régissent sa composition (A). La seconde étant la seule
compétente  pour  décider  des  mesures  d’interdiction,  sa  composition  est  soumise  à  une
réglementation plus stricte (B).
A) Un corpus de règles minimum régissant la composition de la sous‐commission  
 
L’Article 2 alinéa 3 du décret est la base de la composition de la sous-commission :
« (…).  Les membres titulaires et les membres suppléants peuvent se faire assister
d’adjoints  qui  participent  aux  séances des sous-commissions. Ces adjoints sont désignés
par décision du président de la commission, après agrément du ministre chargé de la
culture, pour un période de trois ans, renouvelable deux fois ».
La plupart du temps les membres de l’assemblée plénière ne participent pas aux réunions
de la sous-commission. Ce sont donc leurs « adjoints » qui s’y attachent. L’article 2 laisse
une grande liberté quant aux choix des membres qui composent la sous-commission. Il
n’existe pas de prescriptions particulières quant à sa composition. Nommés pour 3 ans par
décision du Président de la Commission après agrément du Ministre de la Culture et de la
Communication, les soixante-deux « adjoints » qui la composent sont censés assurés par
leurs âges et leurs origines socioprofessionnels une « confrontation de points de vue
différents »60.  Elle  est  donc  le  plus  souvent  composée  de  membres  d’associations,  de 
représentants de diverses administrations,  d’enseignants,  de mères de famille, de
retraités…La  sous-commission tenant des réunions quotidiennes, la nécessité de trouver
des gens qui ont du temps est fondamentale.

                                                        
60

Rapport d’activité du 1er janvier 2007-31 décembre 2009
35 

 
Devant l’importance prise par la sous-commission ces dernières années, notamment par le
biais  de  la  procédure  simplifiée,  il  semble  nécessaire  qu’un  véritable  corpus de règles
soient mis en place pour réguler sa composition.
B) Des règles très contraignantes régissant la composition de l’assemblée 
plénière 
 
L’article  1  du  décret  régit  la  composition  de  l’assemblée  plénière.  Celle-ci a un rôle
fondamental. Elle seule est compétente pour rendre un avis tendant à une mesure
d’interdiction.  Elle est composée de 28 membres titulaires et de 55 membres suppléants. 
Elle  est  dirigée  par  un  conseiller  d’Etat  nommé  par  décret  du  Premier  Ministre.  Un 
président suppléant est nommé en cas de vacance. Un représentant de chacun des
ministères de la culture, des affaires étrangères et l’outre-mer peut participer aux séances, à
titre consultatif. Seules ces personnes peuvent siéger en Assemblée plénière. Chaque
membre titulaire est nanti de deux suppléants, leur mandat dure 3 ans et est renouvelable
deux fois.
Les membres de la commission sont répartis en 4 collèges :
‐

Celui des administrations : cinq représentants des ministères concernés par la
classification, c'est-à-dire le Ministère de  l’Intérieur, de la Justice,  de  l’Education
Nationale, de la Famille et de la Jeunesse

‐

Celui des professionnels du cinéma : neuf membres titulaires choisis par le Ministre
de la Culture après consultation des principales organisations ou associations
professionnelles et de la critique cinématographique

‐

Celui des experts :
i.

deux membres titulaires proposés par le ministre chargé de la santé ;

ii.

deux membres titulaires nommés par le ministre chargé de la famille
représentant le monde médical ou spécialistes des sciences humaines dans le
domaine de la protection de l’enfance et de l’adolescence ;

iii.

un  expert  de  la  protection  de  l’enfance et de la jeunesse désigné par le
ministre chargé de la culture sur proposition du ministre chargé de la
justice ;

iv.

un représentant du CSA désigné par le ministre chargé de la culture ;

36 
 
v.

deux représentants désignés par le Ministre de la Culture après consultation
de  l’Union  Nationale des Associations Familiales  et  de  l’Association  des 
Maires de France ;

vi.

Le défenseur des enfants désignés par le ministre chargé de la culture depuis
un décret du 28 juin 2002 ;

‐

Celui des jeunes : ceux-ci doivent être âgés de dix-huit à vingt-quatre ans à la date
de  leur  nomination.  Trois  d’entre  eux  sont  proposés  par  les  Ministres de
l’Education Nationale, de la Jeunesse, de la famille. Le quatrième est choisi sur des
listes de candidatures dressées par le Président du CNC.

 
 
§ 2 Une composition plurielle 
 
A) L’absence de contrôleurs professionnels 
  

La classification n’est pas exercée en France par des fonctionnaires appointés dont ce serait
le métier,  comme  c’est  le  cas  en  Grande-Bretagne ou en Suède. Les personnes qui la
composent ont donc un métier en parallèle et ne peuvent être libres tous les jours. C’est 
pourquoi une sous-commission filtre les films  n’ayant  pas  besoin  d’être  visionnés par
l’assemblée plénière. L’exercice d’une autre profession peut poser problèmes au niveau de
l’assiduité aux séances, difficultés récurrentes soulevées par le dernier rapport d’activité de 
la commission. Les réunions doivent parfois être annulées faute d’un quorum non atteint.
Les collèges ne sont en outre pas toujours représentés, ce qui engendre des effets pervers
sur la politique de la commission. Afin de palier au problème d’assiduité,  la commission a
proposé que le quorum soit porté à dix-huit membres pour les séances plénières.
B) Une composition représentant les différentes parties prenantes au débat de 
société 
 
La  caractéristique  fondamentale  de  la  commission,  c’est une représentation de chaque
partie concernée par la classification : les professionnels, les jeunes des représentants des
différents  ministères  et  des  spécialistes  de  l’enfance,  de  la  famille  et  de  la  santé.  La 
confrontation de leurs points de vue doit aboutir à une décision de classification juste.
Cependant cette pluralité peut aboutir à des confrontations entre les différents collèges.

37 
 
Hervé Bérard, ancien membre de la commission en tant que représentant de la société des
réalisateurs de film critique ouvertement dans entretien61 avec Laurent Jullier la part des
experts nommés par les ministères « qui sont venus grignoter la proportion initiale pour
arriver  à un tiers aujourd’hui ». Pour lui ces gens font l’amalgame  entre  « la réalité et sa
représentation »  et  font  preuve  d’une  sévérité  excessive vis-à-vis des films. « Ils ne
regardent pas le film mais le personnage, qu’ils condamnent à travers l’interdiction qu’ils 
vont mettre au film ».
Mais  c’est  justement  ces confrontations qui font la richesse de la commission. Il ne faut
évidemment pas que la commission soit aux mains uniquement de professionnels penchant
pour la liberté  d’expression  ou  d’experts  plus  sévères. En cela, l’introduction  des  jeunes 
permet  de  recueillir  l’avis  des  principaux  concernés  par  la  classification.  Ils  n’ont  pas 
d’intérêt particulier à défendre. Et contrairement aux idées reçues, ils ne font pas preuve de
laxisme62.
 
 

Section 2 Une procédure respectueuse du film 
 
Le contrôle à deux niveaux opéré par la sous-commission et l’assemblée plénière permet 
un véritable respect de la liberté d’expression cinématographique (§1). L’avis rendu par la 
commission n’est pas définitif. Une nouvelle projection du film pourra être décidée même
si le ministre de la Culture et de la communication aura toujours le dernier mot (§2).
§1 Un double contrôle opéré par la sous‐commission et par l’assemblée plénière 
 
La procédure de classification devant la commission est divisée en plusieurs étapes. Un
premier examen devant la sous-commission (A), puis si cela est nécessaire, un second
visionnage par l’assemblée plénière (B). 
                                                        

Entretient réalisé septembre 2006 et révisé en juin 2007 pour l’ouvrage  Interdits aux moins de 18
ans de Laurent Jullier
62
Jean-François  Théry  rapporte  l’effet  de  l’entrée  de  jeunes  de  moins  de  25  ans  dans  la 
commission : « Nous  fûmes  très  étonnés  de  certains  d’entre  eux  à  l’égard  de  films  d’une  très 
grande banalité, parfois ridicules et parfaitement dépourvus de toute crédibilité (je pense, par
exemple, aux films de kung-fu et de karaté fabriqués à Hong Kong). Ces jeunes, qui peu de temps
auparavant étaient encore dans des collèges techniques ou des établissements de quartiers
populaires, nous ont expliqué pourquoi ces films leur paraissaient très dangereux ; dans les cours de
récréation, en effet, on reproduisait les scènes les plus violentes de ces combats fictifs, avec des
armes bien réelles imitées de celles des champions asiatiques, et les accidents  n’étaient  pas 
rares… »
61

38 
 
A) Le rôle de filtre de la sous‐commission, un premier visionnage en commission  
 
Un premier examen est effectué par la sous-commission des œuvres cinématographiques, 
dont les missions et les modalités de fonctionnement sont fixées par un arrêté du 12 juillet
2001. Composée de soixante-deux personnes, elle tient deux séances quotidiennes, le matin
et  l’après-midi. Ses membres se répartissent en sous-groupes de 4 à 6 personnes afin
d’assurer une permanence. Malheureusement le dernier rapport d’activité de la commission
déplore l’absence d’un quorum minimum: « Le bon fonctionnement de la sous-commission
suppose qu’une pluralité de points de vue s’y exprime : c’est pourquoi il serait souhaitable 
d’instaurer  un  quorum  minimum  de  trois personnes pour que la sous-commission puisse
valablement délibérer ».
Par son rôle de filtrage, elle fait le tri entre les films qui doivent être renvoyés à
l’Assemblée plénière et ceux qui, ne posant aucun problème, peuvent recevoir directement 
un visa tous publics. En effet, seule l’assemblée  plénière  peut  proposer  une  mesure  de 
restriction au ministre de la Culture.
A l’issu du visionnage, un de ses membres rédige un rapport faisant état de l’avis motivé 
du groupe et de chacun des membres. Ce rapport, remis au Président de la commission, est
nécessaire car il va ouvrir le débat en Commission plénière. Il comporte la proposition de
classification de la sous-commission  pour  chacune  des  œuvres  cinématographiques
visionnées. Si le groupe recommande à l’unanimité  une  autorisation  « tous publics », le
film  n’est  pas  renvoyé  en  Commission  plénière.  Il  suffit  d’un  membre  souhaitant  une 
mesure  de  restriction  pour  que  l’assemblée  plénière  soit  saisie  et  devienne  seule 
compétente.
Il existe une procédure permettant d’éviter un second visionnage par l’assemblée plénière :
la procédure simplifiée prévue par l’article 2 du décret du 23 février 1990. La personne qui
demande  le  visa  doit  déclarer  vouloir  expressément  s’en  remettre  à  l’avis  de  la  souscommission. Ainsi, la classification proposée par la sous-commission, même quand elle
constitue  en  une  interdiction,  devient  l’avis  définitif  de  la  commission.  Le ministre de la
culture se décidera par rapport à celle-ci. Cette procédure présente un véritable avantage
pour le demandeur, celui de la rapidité, et le met à l’abri d’une éventuelle aggravation par 
la Commission plénière. Néanmoins, elle constitue un accroissement de la responsabilité
39 
 
de la sous-commission.  Le  rapport  d’activité  2007- 2009 constate une augmentation des
demandes de recours à la procédure simplifiée63. En réaction, depuis 2008, la Commission
n’applique plus la procédure aux propositions d’interdiction aux mineurs de moins de 16 
ans « afin de garder elle-même la main sur cette procédure ».

B) Un second visionnage en assemblée plénière pour les films susceptibles 
d’obtenir une interdiction 
 
L’assemblée  plénière  se  réunit  deux  soirs  par  semaine  pour  visionner  les  œuvres 
cinématographiques renvoyées par la sous-commission. Deux films sont projetés en
moyenne  par  séance.  A  l’issu  de  celle-ci,  un  débat  s’ouvre autour de certains thèmes
justifiant une mesure restrictive. Un vote à bulletin secret peut être tenu si aucune majorité
claire ne se détache en faveur d’une classification précise. Il ne peut y avoir d’abstention et 
la voix du président est prépondérante. Les débats ne sont pas publics et les membres sont
tenus au secret professionnel. Pour éviter tous conflits d’intérêts, les membres doivent se 
retirer s’ils ont un lien quelconque avec l’œuvre projetée.
Un quorum a été mis en place pour assurer la pluralité des opinions et des points de vue.
Une  réunion  ne  peut  être  tenue  que  si  14  membres  sont  présents.  En  cas  d’absences
répétées d’un membre, ce sera au président d’intervenir auprès des instances responsables
pour qu’il y ait rappel à l’ordre64. Il n’existe pas de quorum au niveau des collèges. Pour
Monsieur Hurard « ils sont censés représentés leurs intérêts, c’est leur responsabilité d’être 
là ».
Concernant la concordance des politiques des deux instances composant la commission,
une majorité des propositions de la sous-commission est suivie par la Commission
plénière : 49,5% en 2007, 53% en 200965. La sous-commission est plus protectrice que la
plénière  dans  plus  d’un  tiers  des  cas,  36,5  en  2007, 32 en 2008, et 37 en 2009, mais
l’inverse est plus rare. La sous-commission est plus sévère que l’assemblée car elle ne doit 
pas dans son rôle de trie laisser passer des films susceptibles d’être interdits.
                                                        
63

12 films entre mars 2004 et mars 2005, 31 films entre mars 2005 et mars 2006 et de 32 films
entre mars 2006 et mars 2007
64
Pratique révélée par François Hurard lors d’un entretien 
65
Rapport d’activité 1er janvier 2007-31 décembre 2009 
40 
 
En fin de procédure, un avis est rédigé par le président à partir des discussions qui se sont
instaurées au cours du délibéré, puis est transmis au Ministre de la Culture.
L’instauration  d’un  double  contrôle  pour  les  films  susceptibles  d’obtenir  une  mesure 
restrictive montre la volonté de concilier à chaque instant liberté et protection de la
jeunesse. Un film touché d’une interdiction aura donc été vue deux fois par des personnes 
différentes.

§2 Un avis rendu par la commission obligatoire mais non définitif  
 
L’avis  de  la  commission  sur  la  classification à adopter est transmis au Ministre qui peut
ratifier, décider d’une  autre mesure   ou demander un second visionnage (A). Une fois la 
décision de visa délivrée par celui-ci, l’œuvre cinématographique sera soumis à certaines 
obligations (B).
A) L’importance du Ministre de la culture et de la communication dans le 
choix de la classification 
 
Le Ministre de la culture et de la communication délivre le visa et choisit la mesure
d’interdiction qui l’accompagne (1). Un second visionnage est possible pour les films, ce
qui permet une plus grande protection de la liberté d’expression (2).

1) Un visa délivré par le Ministre de la culture et de la Communication 

 
Le ministre chargé de la culture délivre le visa d’exploitation mentionné à l’article 19 du 
code  de  l’industrie cinématographique après avis de la commission de classification
(article 3 du décret du 23 févier 1990).
La plupart du temps, le Ministre de la Culture et de la Communication va suivre les
propositions faites par la commission66. Il peut aussi choisir une autre mesure.

                                                        
66

Le dernier rapport d’activité montre que toutes les décisions ont été suivi par le Ministre.
41 

 
La commission de classification des oeuvres cinématographiques
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La commission de classification des oeuvres cinématographiques

  • 1.                                 La commission de classification des œuvres cinématographiques Université Panthéon-Assas Master 2 Droit de la communication Année universitaire 2011-2012 Mémoire présenté par M. Amaury Pascaud Sous la direction de Mme Laurence Franceschini     1   
  • 2. Avertissement :     « L’Université Panthéon-Assas, Paris II n’entend donner aucune approbation ni improbation aux  opinions émises dans les mémoires de Master 2. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur »       2   
  • 3. Sommaire  Introduction   Partie 1 La consécration d’un système de contrôle des films  adapté à la protection de la liberté d’expression                                          Chapitre  1  De  la  censure  à  la  classification,  l’évolution  historique  des contrôles sur les œuvres cinématographiques                                          Section 1 Le cinéma censuré (1909‐1975)                                                              Section 2 Le cinéma classifié                             Chapitre 2 Une commission tournée vers l’objectif de conciliation de  la liberté d’expression cinématographique et de la protection de la  jeunesse                                                                                               Section  1  La  composition de  la  commission  de  classification :  priorité  à  la  pluralité   Section 2 Une procédure respectueuse du film   Partie  2  Un  contrôle  opéré  dans  le  respect  de  l’œuvre  cinématographique   Chapitre  1  Le  traitement  de  l’œuvre  cinématographique  par  la  commission de classification   Section  1  Une  appréhension  du  film  par  la  commission  de  classification  dans  l’optique de protéger la jeunesse   Section 2   Une étude de la « jurisprudence » de la commission   Chapitre  2  L’œuvre  cinématographique,  le  dernier  parangon  de  la  morale et de la vertu ?   3   
  • 4. Section  1  Les  contrôles  existant  dans  les  autres  médias :  constatation  d’un  manque de cohérence   Section 2 Perspectives d’avenir : amélioration de la cohérence entre les médias   Conclusion      4   
  • 5.   Introduction    « Le cinéma est une saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leur absence d’explication »1 « La libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de  l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »2. La  liberté  d’expression  a  valeur  constitutionnelle  et  est  protégée  comme  telle  depuis  la  décision du Conseil Constitutionnel du 16 juillet 1971, Liberté d' association.3 Les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’avaient pas évoqué  à  l’article  11  la  possibilité  d’une  extension  de  protection  aux  nouveaux  modes de communication. Cependant, une interprétation extensive de la notion de libre communication  des  pensées  et  des  opinions  permet  l’intégration  de  tous  les  moyens  d’expression, même ceux les plus avancés  d’un  point  de  vue  technologique.  La grande flexibilité du texte est un atout, qui n’a bénéficié au cinéma que très récemment. Le  cinématographe  est  le  fruit  d’une  longue  évolution  débutée au 17ème siècle par les travaux de Kircher sur la lanterne magique4. De nombreuses innovations se succédèrent pour permettre la captation d’images en mouvement. Ainsi, l’invention de la photographie par Niepce, Daguerre, Fox Talbot, les premières projections d’images en mouvement par  Plateau, Von Uchatius, Muybridge et Marey et la découverte de la pellicule sur rouleur par Eastman permirent des années plus tard à Edison d’élaborer son kinétoscope (1891) et aux frères Lumière Auguste et Louis Lumière de construire leur cinématographe (1895). C’est  celui-ci qui remporta la bataille, car il permettait un usage collectif. L’ère primitif du                                                          1 2 Manuel De Olivéira Article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août  1789. 3 Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971. Consécration de la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 qui renvoie au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. 4 Atlas du cinéma d’André Labarrère,   5   
  • 6. cinéma  débute,  il  n’est, alors, pas  évident  qu’il  devienne un jour un moyen de divertissement de masse. L’apparition du cinématographe ne fait pas grand bruit. Il ne trouble pas l’ordre public et reste un phénomène peu étendu. Pendant plusieurs années, il va constituer une attraction de foire5 dédaignée des élites cultivées et dirigeantes. C’est  une  attraction  nomade  qui  s’installe dans des cafés, des chapiteaux, des écoles, des salles de fête. Albert Montagne la qualifie même d’« obscure spectacle de rue »6. Le basculement du cinéma de l’artisanat à une  industrie  organisée  et  puissante  s’effectue par le biais de  l’apparition  de  sociétés  intéressées par le potentiel économique de ce nouveau média. La création de Pathé en 1896 par Charles Pathé et de Gaumont par Louis Gaumont en 1895 transforment durablement le cinéma français. Celui-ci va être jusqu’en 1908 le plus puissant du monde. La décision des principaux éditeurs, lors du Congrès international de Paris du 4 février 1909, de louer et non plus de vendre ses films sédentarisent les exploitants de films. Le cinéma  perd  son  statut  d’art  forain.  Des  salles  spécialisées  apparaissent sur tout le territoire. Le cinéma devient une industrie et un moyen de divertissement. Les principes fondamentaux de la syntaxe cinématographique sont inventés par les plus grands réalisateurs du début du siècle7. Il y a petit à petit une mise à l’écart du modèle théâtrale au  profit  d’une  véritable  narration,  le  théâtre  filmé  laisse  place  à  des  procédés  de  mise  en  scène bien plus complexes. Ce rappel d’histoire du cinéma met en évidence les balbutiements qui ont accompagné son expansion.  C’est  au  moment  où  il  a obtenu ses  galons  d’art  autonome,  avec  sa  propre grammaire, ses propres codes que les pouvoirs publics ont commencé à s’intéresser à lui.  L’intervention  d’un  contrôle  étatique  est  liée à la transformation du cinéma en tant qu’industrie et de divertissement de masse. Il  fallait  une  raison  pour  motiver  les  autorités  publiques  à  intervenir.  L’exploitant  Pathé, qui se caractérise par un certain opportunisme, commence à proposer du sexe et de la violence à l’écran avec des films tels que L’amour à tous les étages, La première nuit de la                                                          5 Histoire juridique des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001), Albert Montagne 6 7 Idem Georges Meliès, Louis Feuillade David Wark Griffith… 6   
  • 7. mariée, Lèvres collée 8. L’opérateur  produit  en  outre  un  grand  nombre  de reconstitutions mortelles qui sortent sous des titres évocateurs : Histoire d’un crime, Devant la Guillotine,  La chute du couperet, Exécution en Chine, Exécution en Amérique, Exécution en Espagne, Exécution en F rance, Exécution en Angleterre, Exécution en Allem agne, Exécution capitale à Berlin, une exécution à Pékin9. Face à ce déferlement, les autorités publiques vont réagir. La circulaire télégraphique du 11 janvier 1909 adressée par le Ministre de l’Intérieur  à  l’ensemble  des  préfets  pour  leur  intimer  d’interdire la projection de la captation  d’une  quadruple  exécution  à  Béthune  le  11  janvier  1909  constitue  la  première  censure française10. A partir de cette date, le cinéma ne va cesser d’être contrôlé. A l’origine, ce contrôle passe  par les autorités de police locale, puis un transfert va s’opérer au profit d’une autorité de police spéciale qui va uniformiser le contrôle au niveau national : la commission de contrôle des films. Pourquoi parler de censure et non de limites légales à la liberté d’expression ? En effet, la conception française de la liberté d’expression diffère de celle du premier amendement de  la constitution des Etats-Unis en ce qu’elle  n’est pas absolue. L’article 11 de la déclaration  des Droits  de  l’Homme  et  du  Citoyen dispose ainsi que « tout Citoyen peut donc parler, écrire,  imprimer  librement,  sauf  à  répondre  de  l’abus  de  cette  liberté,  dans  les  cas  déterminés par la Loi ». L’article IV du même texte dispose en outre que : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi  l’exercice des  droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres  de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. » La liberté peut trouver des limites dans les droits et les intérêts des citoyens mais aussi dans certains intérêts collectifs11. Quand la protection de ces intérêts dépasse l’exercice                                                           8 (Henri Bousquet et Riccardo Redi, « Pathé Frères : les films de la production » Quaderni di cinema 1992)  9 Histoire des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001), Albert Montagne, 10 « Les Actualités filmées ont enfanté la censure du cinéma français en 1909 », Les cahiers de la cinémathèque, numéro 66, juillet 1997 11 Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure , Jean-François Théry, 7   
  • 8. d’une  liberté  non  limitée a priori, un régime de contrôle préalable peut être institué. Ce régime, bien plus restrictif que le régime répressif12 qui  constitue la  norme,  n’est  justifié  que  si  l’intérêt  en  question  rend le contrôle juste et adapté. Le cinéma a toujours été contrôlé en France, mais pour des raisons (motifs politiques…) ne justifiant pas une telle atteinte à la liberté. Le terme censure renvoie aux censeurs dans l’antiquité qui effectuaient des opérations de  recensement des citoyens romains pour répartir les impôts et préparer au service. Les personnes recensées pouvaient prétendre à une vie politique, tandis qu’une note d’infamie  censoriale  déclassant  un  citoyen  l’excluait  de  la  vie  politique.  On  retrouve  l’idée  d’un  contrôle,  d’un  classement  entre  ceux  qui  ont  des  droits  et  ceux  qui  n’en  n’ont  pas.  La  notion va véritablement acquérir une connotation négative aux  XVIème  lorsque  l’Eglise  romaine et catholique va condamner l’un de ses membres pour sa doctrine. Au XVIIIème siècle, un contrôle officiel des publications est mis en place, pour des raisons politiques et policières. Terme impropre juridiquement, il n’en est reste pas moins pertinent. Elle peut  être définie aujourd’hui comme un acte empêchant la transmission de l’information. L’acte  doit  être  préalable  à  la  transmission  de  l’information, systématique, discrétionnaire et arbitraire13. La censure peut prendre des formes différentes et émanée tant des autorités publiques que des personnes privées. Depuis quelques années, le régime du cinéma est critiqué  pour  avoir  mis  en  place  une  censure  économique  à  cause  de  l’importance  des  télévisions dans la production. Le régime de contrôle mis en place en France, au début du siècle jusqu’aux années 1970, démontre l’existence d’une véritable censure d’Etat. Très tôt a été mis en place un régime  de visa par le Décret du 25 juillet 1919. Le film ne pouvait sortir en salle qu’après examen  par une sous-commission de contrôle et un visa rendu par le Ministre chargé du cinéma. Le film était contrôlé avant sa sortie et pouvait subir des coupes ou être interdit pour des raisons très floues et peu sécurisantes. En outre, le juge administratif ne contrôlait pas avec beaucoup de rigueur les décisions de refus. Ce statut s’explique par la non-reconnaissance de la liberté d’expression cinématographique en tant que liberté publique. Elle ne pouvait donc pas bénéficier de toute la protection afférente à un tel statut : liberté régie et limitée                                                          12 Régime où le contrôle n’intervient qu’à postériori, par l’intervention du juge, quand l’exercice de  la liberté a provoqué un préjudice.  13 Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure, Jean-François Théry 8   
  • 9. par la loi et garantie par un juge. Pour Jacques Robert, la liberté publique est « une créance collective sur tous les membres de la société ».14 Les raisons d’un tel contrôle s’expliquent par la nature même du cinéma. Média chaud, il a longtemps  était  suspecté  d’entretenir « des liens ambivalents avec la morale : en effet il peut tout montrer ». Il  modifie  considérablement  le  lien  entre  l’œuvre  d’art  et  son  récepteur. Il est un média « d’une  très  haute  densité  de  définition,  réclamant  une  participation  extrêmement  minime  du  spectateur  et  s’imposant  à  lui ».15 Il permet des représentations de la réalité les plus pures ou les plus fantasmées. Le spectateur est dans une position de receveur passif. Les circonstances entourant la projection, une salle plongée dans le noir, un son très puissant et un écran géant, augmentent le sentiment d’immersion du spectateur. Les évènements qui se sont déroulés lors de la première projection en 1895 de L’Entrée du train en gare de La Ciotat démontrent l’incroyable effet  du film sur le spectateur. L’artiste  peut-il tout montrer ? Les spectateurs peuvent-ils tout voir ? Les différentes commissions de classification qui se sont succédées ont tenté de minimisé l’impact du film.  L’expression de Jean Luc Douin qualifiant la commission « d’organe d’autodéfense de la  société »16 est  juste.  Elle  a  pendant  des  années  permis  à  l’Etat  de  contrôler  les  artistes,  d’éviter les transgressions et les critiques. Le film est un divertissement, mais il peut aussi avoir un message. Et sa puissance d’évocation peut nuire aux autorités dirigeantes. Depuis  les  années  70,  les  raisons  justifiant  le  contrôle  préalable  des  œuvres  cinématographiques ont considérablement changé.  D’une  censure  étatique  dans  laquelle  des motifs politiques, religieux, moraux poussaient la commission et le Ministre à interdire une œuvre, nous sommes arrivés à une classification justifiée et adaptée. La commission de  classification  des  œuvres  cinématographiques, dont le régime découle du décret du 23 février 1990, doit rendre un avis au Ministre de la Culture et de la Communication sur le film en prenant en compte uniquement son impact sur la jeunesse.                                                          14 La censure cinématographique, Philippe J. Maarek, Librairies techniques, 1982 15 16 Idem  Dictionnaire de la censure au cinéma, Jean-Luc Douin, 9   
  • 10. En  application  de  l’article  L  211-1 du code du cinéma  et  de  l’image  animée,17 toute représentation  publique  d’une  œuvre  cinématographique  en  France  est  soumise  à  l’obtention  d’un  visa  délivré  par  le  Ministre  de  la  culture et de la Communication après avis obligatoire de la commission. Ce même article précise que « ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l’enfance  et  de  la  jeunesse  ou  du  respect  de  la  dignité  humaine ». Il renvoie à un décret d’application  pour  tout  ce  qui  concerne  les conditions et les modalités de délivrance du visa. Une œuvre ne peut postuler à l’obtention du visa que si elle est achevée et a préalablement  fait  l’objet  d’une  immatriculation  au  registre  public  de  la  cinématographie  et  de  l’audiovisuel.  Les  œuvres  cinématographiques utilisées pour la publicité commerciale peuvent ne pas respecter cette deuxième condition. L’obligation de visa s’applique tant aux  œuvres étrangères qu’aux coproductions. Les œuvres doublées en langue française doivent  obtenir un visa distinct  de  celui  délivré  pour  l’exploitation  de  l’œuvre  dans  sa  version  originale. Les exceptions au visa sont définies aux articles L 214-1 du Code du cinéma et de l’image animée. Le visa vaut autorisation de représentation publique de l’œuvre sur tout le territoire de la République française, à l’exception des territoires d’Outre-mer (article 10 du décret du 23 février 1990). Il est donc indispensable  de  l’obtenir  pour  prétendre  à  une  exploitation  de  l’œuvre  cinématographique.  La plupart des pays démocratiques possèdent de telles commissions  chargées d’étudier l’impact  du  film  sur le plus  jeune spectateur.  Pour JeanFrançois Théry, le contrôle préalable des films se justifie par la nécessité de protéger les plus  jeunes  face  à  un  art  d’une  nature  différente : « Cette protection est tellement nécessaire  qu’elle  est  proclamée  comme  un  droit  de  l’enfant. (…) Le contrôle des films n’est  rien  d’autre  qu’une  protection  des  enfants  et  des  adolescents,  destiné à assurer le respect de leur droit à l’éducation. » Il s’agira  d’étudier  le  passage  d’un  contrôle  défenseur  des  intérêts  de  la  société  et des pouvoirs publics à  un  contrôle  défenseur  des  droits  de  l’enfant  (Partie  1).  Le film est devenu une œuvre d’art qu’il faut protéger (partie 2                                                          17 La classification des œuvres cinématographiques repose sur l’ordonnance 2000-901 du 24 juillet 2009 relative à la partie législative du code du cinéma et de l’image animée    10   
  • 11.   Partie 1 La consécration d’un système  de contrôle des films adapté à la  protection de la liberté d’expression     « On est passé de la sauvegarde de l’ordre public et des bonnes mœurs à une politique de  prévention, la protection de l’enfance et de l’adolescence, la censure a disparu au profit de la classification. »18 L’évolution d’une censure à une classification a été longue et difficile (A). Le système mis  en place aujourd’hui répond à une nécessité de concilier des intérêts a priori antagonistes : la protection de la jeunesse et la liberté d’expression (B).  Chapitre 1 De la censure à la classification, l’évolution  historique des contrôles sur les œuvres  cinématographiques     Entre 1909, date de la première manifestation de la censure française, et 1975, date de la consécration  d’une  véritable  liberté  publique  d’expression  cinématographique  protégée  comme telle, le cinéma a été l’objet d’un contrôle préventif s’apparentant à de la censure  (section  1).  L’évolution de la jurisprudence, de la pratique, puis enfin de la législation modifieront grandement ce contrôle qualifié aujourd’hui de classification (section 2). Section 1 Le cinéma censuré (1909‐1975)     Quelques  années  après  l’invention  du  cinématographe,  le  cinéma  fait déjà  l’objet  d’un  contrôle. Celui-ci est alors dominé par le pouvoir de police des maires et des préfets (§1). Puis un système national de contrôle va progressivement voir le jour, prenant définitivement le pas sur la police locale (§2).                                                          18 Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure , Jean-François Théry 11   
  • 12. §1  La    protohistoire  (1909‐  1916)  dominée  par  le  pouvoir  de  police  locale  des  maires et des préfets 19     La censure française naît en 1909 par le biais d’une circulaire télégraphique émise par le  Ministre  de  l’Intérieur. Celle-ci reconnait le pouvoir de police locale des maires et des préfets en matière de contrôle cinématographique (A). Cette prérogative sera consacrée par la jurisprudence (B). A) La  circulaire    télégraphique  du  11  janvier  1909 :  la  première  manifestation  française de la censure    La prolifération de projections de reconstitutions  de  scènes  d’exécution  commençait  sérieusement à inquiéter les pouvoirs publics. Aussi,  lorsque  l’opérateur  Pathé  décide  de  filmer directement la quadruple exécution à Béthune des bandits Abel et Auguste Pollet, Canus Vromant, et Théophile Deroo pour éviter le coût du tournage en studio, le Ministre de la Justice prit sa plume pour prohiber l’usage de tout appareil ou procédé quelconque de  reproduction cinématographique sur les lieux. Il craignait que la projection de la scène de l’exécution ranime le débat sur l’abolition de la peine de mort. Malheureusement, le lundi 11 janvier 1909, les opérateurs de Pathé réussirent à immortaliser la scène :  c’est  la Quadruple exécution capitale de Béthune. Le  ministre  de  l’intérieur, Georges Clémenceau, interpellé par son confrère de la justice, envoie à tous  les  préfets  de  France  et  d’Algérie  une  circulaire  télégraphique  dans  le  but « d’interdire  radicalement  tous  les  spectacles  cinématographiques  publics  de  ce  genre,  susceptibles de provoquer des manifestations troublant l’ordre et la tranquillité publiques ». Le 24 janvier, le journal D’Hénin-liétard20 publie la circulaire envoyée par le Ministre de l’Intérieur au préfet du Pas-de-Calais qui interdit la projection de cette captation. Le préfet Briens va répercuter cette interdiction aux maires qui vont y répondre positivement. Cette circulaire intègre le cinéma au sein de la catégorie des spectacles dits de curiosité visés par l’article 6 du décret du 6 janvier 1864 relatif à la liberté de l’industrie théâtrale21.                                                          19 Pour Albert Montagne, la protohistoire est une « période historique où la censure s’attaque au  cinématographe naissant et muet pour contrôler l’image en mouvement » 20 Site internet http://cinemasdunord.blogspot.fr   21 Extraits de la circulaire : « Les spectacles cinématographiques ne rentrent pas dans les représentations  d’ouvrages  dramatiques  dans  le  sens  de  la  loi, mais plutôt dans la catégorie de spectacles dits de curiosités visés par l’article 6 du décret du 6 janvier 1864 relatif à la liberté de 12   
  • 13. Leur régime est définit par la loi des 16 et 24 août 1790, titre IV, article II qui soumet les spectacles publics à l’autorisation des autorités municipales.  La définition de la notion de spectacles de curiosité est large, et renvoie directement le cinéma à son statut original d’art forain :  L’article 6 du décret du 6 janvier 1864 : « Les spectacles de marionnettes, les cafés dits-chantants, cafés concerts et autres établissements du même genre »  Une circulaire ministérielle : « De petits spectacles de physiques et de magie, panoramas, dioramas, tirs, feux d’artifice, expositions d’animaux, et tous spectacles  forains  et  exercices  équestres  qui  n’ont  ni  un  emplacement  durable,  ni  une  construction solide ». Les spectacles cinématographiques dépendent donc du pouvoir de police des maires22 et en cas de carence de ceux-ci, des préfets23. Le  ministre  reconnait  l’unique  autorité  de  police  des  maires  en  matière  de  spectacles  cinématographiques. Il ne peut donc interdire directement un film ou faire légalement des injonctions aux maires. Il peut cependant ordonner aux préfets de faire des recommandations aux maires. En cas de non-respect de celles-ci, une carence municipale pourra être constatée et motivée ainsi l’intervention des préfets. Le pouvoir de police local prévaut sur tout contrôle national.   B) La  consécration  par  la  jurisprudence  de  la  compétence  des  maires  et  des  préfets    La circulaire a eu pour effet de transformer le cinématographe en problème de droit. De nombreux maires et préfets se  mirent  en  quête  d’interdire  toutes  les  projections  pouvant déranger les sensibilités de leur électorat. Les exploitants réagirent en intentant de nombreuses actions en justice. La jurisprudence eu donc un rôle primordial : celui de                                                                                                                                                                          l’industrie  théâtrale ; ils  ne  peuvent  avoir  lieu  sans  l’autorisation  du  maire » « La maire a tous pouvoirs en vertu notamment de la loi des 16-24 août 1790, titre IV, article II, pour  exercer  censure  préalable  et  n’admettre  que  les  articles  au  programme  de  la  représentation  cinématographique qui lui paraissent sans inconvénients (…). Vous les contraindrez au besoin, en faisant usage des pouvoirs que confère l’article 99 de la loi du 5 avril 1884 »» 22 Loi du 5 avril 1884, article 91, 97 alinéa 1, article 97 3°, aujourd’hui articles L 2212-1 et L 22122 du Code général des collectivités territoriales. 23 Même loi, article 99 aujourd’hui article L 2215-1 du Code général des collectivités territoriales  13   
  • 14. consacrer l’application du régime des spectacles de curiosité, et de définir les modalités du pouvoir de police locale des maires et des préfets. Le 18 octobre 1912, le juge de paix d’Hyères24 reconnait expressément la compétence des maires en matière de spectacle cinématographique : « Le cinéma, entrant dans la catégorie des spectacles de curiosité, reste soumis au pouvoir des maires ». La définition qu’il donne du cinéma montre alors que celui-ci n’avait pas encore gagné ses galons  d’art  majeur : « Les  spectacles    cinématographiques  ne  sont  que  l’image,  la  photographie  de  l’œuvre  dramatique ; ils ne sont pas faits pour le même public des théâtres ; infiniment plus variés, procédant par d’autres moyens que ceux qu’emploient les  auteurs  dramatiques,  ils  se  proposent  bien  plutôt  d’exciter,  et  quelque  fois  d’étonner  la  curiosité publique,  bien  plus  que  d’éveiller  et  de  développer  le  sentiment esthétique des spectateurs ». Le Conseil d’Etat va confirmer la compétence municipale par un arrêt du 3 avril 191425 : « Considérant (…) que les articles premier à cinq du décret de 1864 (…) qui ont supprimé la nécessité d’une autorisation préalable pour l’ouverture d’un théâtre et qui ont confié la  censure des pièces au ministre des pièces au Ministre des Beaux-Arts à Paris et aux préfets dans  les  départements  ne  sont  applicables  qu’aux  théâtres  proprement dits dans lesquels des  acteurs  jouent  des  œuvres  dramatiques ; que les cinématographes et autres établissement du même genre ». Cet arrêt consacre définitivement la légalité de l’intervention des maires et des préfets en matière de spectacle cinématographique car celui-ci est considéré comme un spectacle de curiosité. Le choix de rattacher le cinéma au régime préexistant des spectacles de curiosité n’est pas  anodin. En effet, celui-ci n’est pas évident à première vue. Pourquoi ne pas avoir rattaché le cinéma au théâtre ? En 1909, toute la  grammaire  cinématographique  n’avait  pas  été  encore inventée et le cinéma possédait une nature ambigüe, ce qui était filmé s’apparentait  clairement à du théâtre.                                                          24 25 Tribunal Simpl. Pol. D’Hyères, Bulletin spécial de décision des Juges de Paix, 1913 CE. 3.4.14., Recueil des arrêts du Conseil d’Etat, 1915   14   
  • 15. Un pouvoir des maires reconnu, et même protégé par les  juges,  c’en  était  trop  pour  le  pouvoir central.  Le début de la fin de l’hégémonie des pouvoirs locaux commence par la  circulaire du 19 avril 1913. Le  Ministre  de  l’Intérieur  souhaite minimiser les censures locales des maires. Il invite les préfets à suivre directement dans leurs départements l’exemple  des  maires  dans  leurs  communes.  Les  préfets  n’ont  plus  à  faire  de  recommandations préalables pour pouvoir se substituer ensuite à eux en cas de carence municipale. Se superpose ainsi aux pouvoirs municipaux des maires, le pouvoir de police départementale des  préfets.  C’est  une  augmentation  des  prérogatives  du  Ministre  de  l’Intérieur en matière de contrôle du cinéma, car le préfet est le représentant de l’Etat dans  les départements et les régions. §2  La  prééminence  d’une  police  nationale  spéciale  par  l’instauration  de  commissions nationales de contrôle (1916‐ 1975)    De 1916 à 1961, de nombreuses commissions se succédèrent au gré des censures (A). En 1961,  un  régime  d’une  certaine stabilité vit le jour, comportant  des  éléments  que  l’on  retrouve dans le contrôle d’aujourd’hui (B).  A) Les régimes successifs de 1916 à 1961    De nombreuses commissions chargées du contrôle des films se succédèrent jusqu’à la  deuxième guerre mondiale (1). En 1945, un régime plus complet et complexe vit le jour, la censure devenant de moins en moins prégnante (2). 1) Les prémices du contrôle national, les commissions de contrôle entre 1916 et  1945    L’arrêté du 16 juin 1909  Le maire ne recommande plus, il ordonne. Cet arrêté institue la première commission de censure préalable au niveau national. La commission est chargée de :  ‐ Examiner et contrôler les films cinématographiques projetés en France ; ‐ Arrêter la liste des films susceptibles d’être présentés ; ‐ Délivrer pour chaque film admis une carte spéciale, qui devra être produite aux autorités compétentes avant toute représentation. Ce sont les prémices du visa cinématographique. 15   
  • 16. A partir de cet arrêté, le contrôle du cinéma est confié à une unique autorité de police administrative, une commission nationale de contrôle des films. On veut éviter l’anarchie et le manque de cohérence due aux décisions des maires et préfets. La censure devient nationale, et prend le pas sur les censures locales. Il faut pour Albert Montagne : « généraliser et centraliser le contrôle cinématographique »26. Elle est composée de 5 fonctionnaires de police. Ses décisions sont exécutoires sur l’ensemble  du  territoire  et  s’imposent  donc  aux  maires  et  aux  préfets.  Un  film visé nationalement ne pourra être interdit par un maire ou un préfet que s’il  trouble  l’ordre  public. Les films non visés nationalement peuvent être interdits librement. La compétence des maires et des préfets est restreinte, et devient dépendante de la censure centrale.  Le  Décret  du  25  juillet  1919 organise  définitivement  le  contrôle  cinématographique en temps de paix  C’est  l’acte  de  naissance  officielle  d’une  « commission de contrôle des films cinématographiques ». La censure, en passant définitivement sous la coupe de  l’Etat, devient nationale. Les autorités locales et préfectorales sont reléguées au second plan. Le rôle de la commission est double : lors de la pré-production, elle doit examiner les livrets et les scénarios, puis une fois le film fini, elle le visionne pour proposer une mesure tendant soit à l’obtention d’un visa sans observation soit à un refus de visa. La censure peut être  partielle  (visa  subordonné  à  des  coupes  d’images  ou/et  de  paroles)  ou  totale  (interdiction du film). Le  ministre  de  l’instruction publique et des beaux-arts délivre les visas d’autorisation des films.  La commission est composée de 30 membres dont 10 représentants du Ministère de l’Intérieur. Aucun critère de contrôle n’est imposé, on peut donc parler de décision discrétionnaire. La commission s’est arrogé un droit de refus des visas pour des motifs politiques. L’exemple  de censure le plus célèbre de la période est celle visant Le Cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï M. Eisenstein en 1927. Certains passages ont été jugés trop révolutionnaires ou                                                          26  Histoire juridique des interdits cinématographiques en France (1909‐2001), Albert Montagne 16   
  • 17. antireligieux. En France, la diffusion a été interdite dans le circuit traditionnel  jusqu’en  1953. Le Décret a été complété par la loi de Finances du 31 décembre 1920 disposant en son article 49 que « le visa de contrôle vaut autorisation de représentation sur tout le territoire français ». Ce décret « dégage l’expression cinématographique du carcan du régime des spectacles de curiosité pour lui octroyer un visa national » 27 En outre, par le biais de la loi de Finances du 31 décembre 1920, le régime du cinéma connait une reconnaissance législative.  Le  décret  du  18  février  1928  complété  par  la  loi  de  finances  du  29  mars  1928 :  l’instauration d’un régime libéral non suivi d’effet dans la pratique  Influencé par Edouard Herriot, le régime mis en place est le plus libéral que le cinéma ait connu en France, du mois sur le plan des principes. D’une  part, la composition de la commission est paritaire, 16 membres représentent le gouvernement et 16 autres la profession et d’autre part, l’avis conforme de la commission est explicitement exigé pour la délivrance ou le refus de délivrance des visas. La commission de contrôle est placée, comme la précédente, sous l’autorité  du  Ministre  des  Beaux-Arts qui voit donc ses prérogatives réduites à la portion congrue. Cependant, cette commission ne s’est pas distinguée de ses prédécesseurs dans la pratique. Les critères restant très flous, le  respect  de  la  conservation  des  mœurs  et  les  traditions nationales, la commission disposa d’un véritable pouvoir discrétionnaire qu’elle utilisa de façon excessive.28 La loi de Finances du 29 mars 1928, à  l’alinéa  2  de  l’article 58, consacre un contrôle national prioritaire et un contrôle local subsidiaire : « le visa de contrôle vaut autorisation de représenter sur tout le territoire français, sous la réserve des mesures de police locale prises en vue du maintien du bon ordre ».                                                          27 La censure cinématographique, Philippe J. Maarek 28 En 1933, sur 572 films présentés, 38 durent être assortis de coupures et 11 interdits. Chiffres rapportés par Philippe J. Maarek dans La censure cinématographique 17   
  • 18. Le 30 août1931, la commission devient une sous-commission, chapeautée par l’organisme nouvellement crée, le Conseil Supérieur du Cinéma. En 1933, le ministre du Commerce et de l’Industrie devient compétent pour la délivrance des visas.  Le décret du 7 mai 1936 ou « la censure de 36 »   C’est la fin de l’avis conforme et de la parité. Il y a 10 représentants des ministères et 10 personnalités choisies par le Ministre de l’Education Nationale. Pour Albert Montagne, cette censure frappe principalement cinq films français : La garçonne (1935) de Jean de Limur, Les Mutinés de l’elseneur (1936) de Pier Chenal, Tout va très bien, Madame la Marquise (1936) d’Henri  Wulschelberg29, Justin de Marseille (1934) de Maurice tourneur et La vie est à nous (1936) de Jean Renoir (une  œuvre  de  propagande tournée pour le parti communiste). Le  Ministre  de  l’Education  Nationale et des Beaux-Arts devient responsable de la commission supérieure d’examen des films cinématographiques le 25 octobre 1937.   Le contrôle des œuvres cinématographiques sous le régime de Vichy     C’est  le  régime  le  plus  restrictif  de  l’histoire,  la  censure étant confiée au commissariat général  de  l’information. Une interdiction aux mineurs âgés de moins de 18 ans est instaurée par un arrêté du 20 décembre 1941, pris en application du décret-loi du 24 août 1939 sur le contrôle de la presse et autres publications. C’est la première restriction apportée en fonction de l’âge. 2) L’Ordonnance du 3 juillet 1945     « La commission de contrôle des films » instituée se rapproche de celle du régime de 1928. Elle redevient paritaire : 7 membres du gouvernement et 7 membres de la profession et la pratique  de  l’avis  conforme  devient obligatoire pour les films français.                                                          29 La prestation de Noël-Noêl-Le Ploumanech ridiculise pour la commission « les habitants de la Bretagne dont sont originaires un grand nombre de nos citoyens » ( Histoire juridique des interdits cinématographiques (1909-2001), Albert Montagne)  18   
  • 19. Le ministre compétent pour le contrôle des représentations et des exportations des films est le Ministre de l’information. La restriction concernant l’âge subsiste mais est limitée aux mineurs âgés de moins de 16 ans. L’ordonnance ne mentionne pas les critères de contrôle.  Il  faut  se référer à l’exposé  des  motifs,    qui  évoque  le  respect  des  bonnes  mœurs  et  les  risques  de  troubles  à  l’ordre  public. La pratique est marquée par de nombreuses coupures et interdictions. Le 16 novembre 1954, Bel Ami de Louis Daquin est interdit par la commission de contrôle. Elle exige des coupures de scènes où des allusions précises à la corruption, aux excès de pouvoir et au colonialisme français au Maroc sont susceptibles de heurter le spectateur. Il ne faut pas se tromper,  les  motivations  sont  avant  tout  politique,  la  guerre  d’Algérie  s’annonçant.  « A mon avis, il y a à faire au Maroc ! » devenant « A mon avis, il y a à faire dans ces pays ! » ; « Qu’en  pensent les marocains ? » devenant « Qu’en  pensent les plantes exotiques ? »30 . Le 9 février 1955, le film obtient son visa, mais reste interdit en Outre-mer jusqu’en 1957. La commission peut en outre exiger des changements de lieux et de personnages et l’adjonction  d’un  carton  d’avertissement  en  plus des coupures comme elle le fit avec La neige état sale de Lui Saslavsky31 en 1953. Le décret du 13 avril 1950 modifie une nouvelle fois la composition de la commission. Elle est constituée de 18 membres, 9 représentant le gouvernement et 9 représentants la profession,  dont  un  représentant  de  l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF), nommé par le Ministre de la Santé Publique et de la Population.                                                          30 Histoire des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001), Albert Montagne 31 Un nouveau montage, des coupures de scènes de violence, et un carton sont imposés : « La Neige était sale ne vise qu’à approfondir le désarroi d’un pays envahi par l’ennemi, les êtres peuvent  atteindre les plus hauts sommets du sacrifice et de l’héroïsme. Ils peuvent aussi tomber dans les  pires déchéances de l’avilissement. Mais, il n’y a point de sentier détourné qui ne parvienne à  rejoindre les voies du Seigneur. C’est le cas du pitoyable héros de cette histoire, qui trouve à la fin,  sa rédemption et ses instants de lumière. D’ailleurs tous les personnages sont purement  imaginaires. L’action se déroule dans une ville d’Europe centrale. » Et le 6 janvier le film reçoit finalement son visa d’exploitation avec interdiction aux moins de 16 ans, mais se voit refuser le  visa d’exportation  19   
  • 20. B) Le régime mis en place par le décret du 18 janvier 1961,  les prémices d’une  véritable protection accordée au film    Il faut étudier la composition de la commission ainsi que la procédure aboutissant à la délivrance du visa (1). La  commission  a  des  moyens  d’actions  très  étendus  quant  au  contrôle de l’œuvre cinématographique (2).   1) Une composition et une procédure aux multiples ressemblances avec celles d’aujourd’hui    Une nouvelle commission de contrôle des films cinématographiques est créé sous l’autorité  du Ministre  de  l’information.  De nombreux éléments rappellent le système mis en place aujourd’hui. Sa composition ainsi que la procédure de visa démontrent une certaine volonté de protéger la jeunesse et le film. La composition n’est plus paritaire, ni égalitaire, mais devient tripartite avec une majorité  de représentants du gouvernement. Cette composition démontre le souhait de prendre en compte l’impact du film sur la jeunesse. Il y a : ‐ Un Président et un Vice-Président, ‐ Huit membres titulaires représentant le gouvernement ‐ Hui membres titulaires représentant de la profession ‐ Huit autres dont 5 nommés par le gouvernement parmi les éducateurs, psychologues, sociologues, et trois titulaire désignés par le gouvernement déléguées des UNAF, du Haut Comité de la Jeunesse  et  de  l’Association  des  Maires de France. Chaque membre titulaire est nanti d’un suppléant, et de deux à partir de 1979. Il n’y a pas d’obligation de l’avis conforme, principe qui sera retenu par la commission de 1990.  Le  ministre  n’est  pas  lié  par  les  avis  de  la  commission,  cependant,  s’il  souhaite  décider  d’un  visa  assorti  d’une  restriction plus sévère que celle préconisée par la commission, il doit demander une nouvelle vision du film par celle-ci. Il n’est pas lié par le  second avis, mais doit motiver sa décision s’il ne le suit pas.   20   
  • 21. Dès 1961, on retrouve la même organisation de la commission actuelle, avec une commission  plénière  seule  compétente  à  proposer  toute  restriction  à  l’exploitation  d’une  œuvre  cinématographique  et  une  sous-commission chargé d’un  travail  de  tri.  Il  s’agit  ici  d’opérer un meilleur contrôle sur le film. La commission exerce ses activités de contrôle avant et après la réalisation du film. Il y a une pré-censure, c’est  la  procédure obligatoire de  l’avis  préalable. Avant le tournage du film, les promoteurs doivent être avertis des mesures d’interdiction éventuelles encourues. Le producteur doit soumettre son projet de film (scénario, découpage) au CNC. L’avis  rendu  n’engage  pas  la  commission.  Ainsi, un avis positif ne préjuge pas de la décision finale lors du visionnage du film par la commission, mais encourage ou décourage le producteur. Le film terminé est ensuite projeté à la commission suivant la procédure de visa. Malgré de véritables avancées en matière de procédure, de composition, la censure est encore  très  présente  et  sévit  toujours.  L’imprécision  des  critères de classification32 ainsi que  la  possibilité  de  couper  ou  d’interdire  le  film  empêchent  l’épanouissement  d’une  véritable liberté d’expression cinématographique. 2) Les moyens d’actions de la commission    L’article  4  du  décret  prévoit  les  différentes  mesures  d’interdictions  possibles.  La  commission dispose alors de tout un attirail pour dénaturer l’œuvre cinématographique. Il  s’agira  ici  de  donner  les  différentes  classifications  possibles  et  de  les  illustrer  par  des  exemples. Pour Philippe J. Maarek, ces  mesures  démontrent  l’existence  d’un  contrôle  extensif, c’est « l’ordre public externe comme l’ordre moral interne » qui sont visés33.  Le visa  d’autorisation  de  représentation  du  film  avec  interdiction  aux  mineurs  de  moins de 13 ans                                                          32 Le  décret  est  muet  et  la  commission  utilise  les  critères  évoqués  dans  l’exposé  des  motifs  de  l’ordonnance de 1945 : respect des bonnes mœurs et risques de troubles à l’ordre public.    33 La censure cinématographique, Philippe J. Maarek 21   
  • 22. Le film Mister freedom(1968) de William Klein se voit accorder un visa moyennant « l’allégement de quelques scènes de sadisme au cours de l’entraînement des French antifreedom, la coupure de certaines paroles prêtées au chef de l’Etat, du discours du ministre  de  l’intérieure, des scènes de manifestation de rue ainsi que les emblèmes brandis et les slogans de l’internationale et les manifestants (poings levés) dans les dernières images du film »34.  Le visa  d’autorisation  de  représentation  du  film  avec  interdiction  aux  mineurs  de moins de 18 ans De nombreux films ont reçu une telle classification et ont été aujourd’hui déclassés par la commission : Jules et Jim de François Truffaut en 1962, Les héritiers de Walter Bannert en 1982 ou Jeux de nuit 35 de Mai Zetterling en 1966.  Le visa d’autorisation avec interdiction aux moins de 18 ans avec un avertissement Cette interdiction  qui  existe  pour  éviter  l’interdiction  pure. L’exemple  le  plus  connu  est Exhibition(1975) de Jean-François Davy, sortie une année où la commission refusait de prononcer des interdictions absolues. Pierre Soudet, ancien Président de la Commission, raconte pourquoi le film  n’a pas  été interdit : « J’ai  trouvé pour ma part, la prestation de  Claudine Beccarie, l’explication de sa démarche, de son passé, de ses motivations, d’une  qualité très honorable, très respectable :  une  espèce  de  document  sociologique  qu’il  était  difficile de refuser aux gens. Ce fut une décision largement commentée et contestée »36. Le film sera par la suite ixifié37.  L’interdiction totale La pratique des interdictions totales est courante dans les années 50 et 60. Elle ne disparaitra véritablement que dans les années 80 après une baisse importante au milieu des années 70.                                                          34 Le cinéma français, de la Nouvelle vague à nos jours, Jean-Michel Frodon 2010 35 Fait rare pour un film censuré L’Avant-Scène lui consacre un « découpage après montage définitif et dialogues in extenso (texte et photo avant censure), A.-S.C. Numéro 67 février 1967 36  Histoire des interdits cinématographiques en France (1909‐2001), Albert Montagne   Terme désignant le fait pour un film d’être classé X  37 22   
  • 23. On peut citer pour l’exemple certains films interdits totalement dans les années 7038 : ‐ En 1972, Le sexe à l’envers Les Rêves érotiques de Casanova, Dracula, ce vieux cochon, le camp spécial numéro 7, L’enfer des filles soumises, Général massacre,  Porno Baby, le sexe en délire. ‐ En 1973 : Histoire d’A, la comtesse perverse, Non, je suis encore vierge, Déviation, Blue money, traumatismes sexuels, femmes en révolte, je suis une call-girl ou Tous les  chemins  mènent  à  l’Homme,  Rapport  sur  la  vie  sexuelle  des  apprenties,  les  Anges violés, la brute, le bonze et le méchant. ‐ En 1974 : Les marchands de filles, Sexe en vadrouille, La Renarde ‐ En 1975 : L’aubergine est farcie, L’esclave, Man of iron ‐ En 1976 : Née  pour  l’enfer,  Exhibition  numéro  2,  L’hystérique  aux  cheveux  d’or,  American justice ‐ En 1977 : La grande défonce ou Délire collectif,  Nathalie  rescapée  de  l’enfer,  Pour une poignée de cacahouètes, Le camp des filles perdues et l’enfer des femmes ‐ En 1978 : Greta no man’s house, Mosquito, Poupée nazis et Assaut sur la ville ‐ En 1979 L’opale de feu, La Secte qui tue, L’homme Hollywood, Opération jaguar, maison pour S.S. et L’enfer des zombies ‐ En 1980 : Née pour l’enfer, La grande peur En 1981, il n’y a plus d’interdiction. Dans son ouvrage Albert Montagne rapport une anecdote significative de la censure de l’époque : un représentant de l’armée voulait interdire  Le gendarme de Saint Tropez (1964) de jean Girault car il tournait en ridicule l’uniforme.   La possibilité  de  subordonner  un  visa  d’autorisation  à  des  modifications  avec  coupures, allégements et avertissements Cette  mesure  n’existe  plus  aujourd’hui.  Très  attentatoire  à  la  liberté  d’expression,  elle  a  véritablement muselé certains réalisateurs.                                                          Liste établie par Albert Montagne dans Histoire des interdits cinématographiques en F rance (1909-2001 38   23   
  • 24. Yves Boisset fut l’un des plus sanctionnés. Son film Le juge fayard dit le Shérif , chronique d’un  magistrat  entêté  menant  une  enquête  dangereuse sur un groupe de politiciens et de financiers véreux et qui fut abattu le 3 juillet 1975. Yves Boisset a été menacé, agressé et intimidé39. Le film n’a pu sortir qu’après  de nombreuses coupures et allègement : 16 bips sonores remplaçant le mot Service d’Action  Civique et la suppression du gros plan de la carte tricolore exhibée par un membre du SAC disant au juge « On n’est pas des Arabes…On fait ce qu’on veut. On est protégés »  La possibilité de proposer des changements de lieux et de personnages et l’adjonction d’un carton d’avertissement en plus des coupures. En 1990, avant chaque projection du film La Dernière tentation du Christ de Martin Scorcèse, la commission a exigé qu’un avertissement soit adressé aux spectateurs: « Ce film est tiré du roman de Nikos Kazantzakis. Il n’est pas une adaptation des évangiles »40. Le film Nuit et brouillard (1955) d’Alain  Resnais  a fait face à la censure française. En 1956, lors de sa projection, la commission de contrôle a exigé que soit supprimée une photographie d’un  gendarme français  surveillant  du haut  d’un mirador les prisonniers  du  Camp de Pithiviers. Le but était d’estomper les responsabilités de l’Etat français en matière  de déportation. Menacés de voir leur film ne pas sortir en salle, Alain Resnais et son producteur trouvèrent une solution adéquate : maquiller la silhouette du gendarme gardant le camp et dessiner une poutre à la gouache sur le képi du gendarme. La commission avait proposé de remplacer le plan gênant par « une  photographie  d’intérêt  équivalent et non susceptible de provoquer un litige »41 Les coupes peuvent ne concerner que le titre : La Putain respectueuse de Marcello Pagliero devenant la P… respectueuse en 1952.                                                          39 Impact numéro  11,  interview  d’Yves  Boisset : « A la sortie du Juge  fayard…, qui part de l’assassinat du juge  Renaud,  quatre types  m’ont  cassé  la  gueule  au moment où je faisais le code pour  rentrer  chez  moi.  Un  passage  à  tabac  dans  les  règles.  J’ai  également  eu  droit  à  ma  voiture  vandalisée, défoncée de partout, sauf la vitre conducteur où état bombée l’inscription « Bip, bip » » 40 Arrêt numéro 101.892, M Pichene, Séance du 23 avril 1990, Lecture du 9 mai 1990, Conclusions de M. Stirn, commissaire du gouvernement 41 50 fil ms qui ont fait scandale , sous la direction de Gérard Carmy  24   
  • 25. Toutes  ces  restrictions  prouvent  que  la  liberté  d’expression  cinématographique  n’a  pas  valeur de liberté publique. Le régime du cinéma n’est pas consacré par la loi. Le contrôle est préalable, exercé le plus souvent par une commission dépendante de l’exécutif, sauf en  1928 et en 1945 où la parité est respectée mais avec des résultats décevants. La possibilité de mesures restrictives justifiées par des critères floues, ainsi que l’absence  de  véritable contrôle  exercé  par  la  jurisprudence  concourent  à  l’instauration  d’une  censure  durable  et  forte. Le contrôle est en outre exercé sur l’auteur lui-même, lors de la conception du film par le biais de la procédure préalable, ainsi que par la lourdeur des conditions d’élaboration  et de diffusion du film. De 1909 à 1975, le régime légal et réglementaire de l’expression  cinématographique a été nettement restrictif. La liberté cinématographique « s’éloigne  clairement du statut de liberté reconnue : le contrôle est toujours préalable, l’interdiction et  les restrictions ou coupures sont possibles, et les critères restent floues »42. L’année 1975 est celle de tous les paradoxes. Trois évènements majeurs dans l’histoire des  liens complexes entre le cinéma et l’Etat vont ébranler le régime de contrôle des films. La création d’un régime par la loi du 30 décembre 1975 enfermant tout un pan du cinéma, le cinéma pornographique, dans un carcan de règles désavantageuses ; le projet de loi déposé le 13 mai 1975 qui, dans son article 1er disposait que « La représentation des films cinématographiques est libre » ; le revirement de la jurisprudence relatif au statut de la liberté d’expression cinématographique. Section 2 Le cinéma classifié     Le passage de la censure à la classification s’est opéré lentement. C’est tout d’abord le rôle  fondamental de la jurisprudence et de la pratique qui ont permis la reconnaissance d’une  liberté  d’expression cinématographique (§1). La consécration par les textes a été tardive mais indispensable (§2).                                                          42 La censure cinématographique, Philippe J. Maarek 25   
  • 26. §1 L’importance de la jurisprudence et de la pratique dans la concrétisation d’une  classification    L’évolution vers un contrôle respectant la liberté des auteurs s’est opérée dans un premier  temps au niveau de la jurisprudence (A), puis dans un deuxième temps par la pratique (B).     A) La reconnaissance d’une liberté publique d’expression cinématographique     La jurisprudence  a  été  le  moteur  de  la  reconnaissance  de  la  liberté  d’expression  cinématographique en tant que liberté publique. Le contentieux relatif aux visas d’exploitation  et  aux  arrêtés  municipaux  d’interdiction  a  permis  de  contrôler  l’utilisation  des pouvoirs de police générale par le maire et le préfet et les motivations liées au refus de visa. Il faut distinguer le contentieux en matière de visa d’exploitation (1) de celui relatif aux arrêtés municipaux (2). 1) Le contentieux en matière de visa d’exploitation : le revirement du 24 janvier 1975    Avant  le  revirement  du  24  janvier  1975,  le  Conseil  d’Etat  n’exerçait  qu’un  contrôle  minimum sur les décisions du ministre. Cette jurisprudence en matière de liberté cinématographique  était  à  l’opposé  de  la  protection  accordée  par  le  Conseil  d’Etat  aux  autres libertés publiques que ce soit en matière de liberté de réunion43, en matière de liberté de manifestation44 ou en matière de liberté de la presse45. L’expression cinématographique a parfois pu être protégée en tant que liberté dérivée des libertés reconnus. Mais très rares sont les arrêts qui ont procédé ainsi. On peut citer l’arrêt  « Société générale des travaux cinématographiques » du 29 juillet 1953 où le Conseil d’Etat annula une décision d’attribution de visa soumise à des conditions spéciales, sur la base d’une violation de la liberté du commerce et de l’industrie.                                                           43 Le célèbre arrêt « Benjamin » du 19 mai 1933 : « Le  maire  doit  concilier  l’exercice  de  ses  pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion garantie par les lois du 30 juin 1881 et du 20 mars 1907 » 44 Arrêt du 19 février 1909, « Abbé Olivier » 45 Tribunal des conflits du 8 avril 1935, « Action française »  26   
  • 27. La reconnaissance d’une « liberté publique d’expression cinématographique per se »46 a été dans un premier temps rejetée par la jurisprudence. Le Conseil d’Etat a, en effet, plusieurs fois avalisé des interdictions justifiées par des motifs politiques47. Dans le cadre de la procédure  de  l’arrêt  « Société franco-London film et Société les films Gibbé » du 23 février 1966, le commissaire du Gouvernement Rigaud écrivait dans ses conclusions « On ne saurait dire que la projection des films, qui est subordonnée à une autorisation ministérielle, ait le caractère d’une liberté publique comme la liberté de réunion, et mérite  la protection »48. La liberté d’expression cinématographique acquit le statut de liberté publique avec l’arrêt  du  Conseil  d’Etat  du  24  janvier  1975,  ¨Ministre  de  l’Information  contre  Société  RomeParis Films. En l’espèce, le film La Religieuse de Diderot de Jacques Rivette n’avait pas  obtenu de visa. Le juge suprême considère « qu’à  défaut  de  toute  disposition  législative  définissant les conditions de fait auxquelles est soumise la légalité des décisions accordant ou  refusant  les  visas  d’exploitation  et  d’exportation,  les  seules  restrictions  apportées au pouvoir du ministre sont celles qui résultent de la nécessité de concilier les intérêts généraux dont il a la charge avec le respect dû aux libertés publiques et, notamment, à la liberté  d’expression ;  qu’il  appartient  à  la  juridiction  administrative,  saisie  d’un  recours  formé  contre  un  refus  de  visa,  de  rechercher  si  le  film  qui  a  fait  l’objet  de  la  décision  contestée devant elle est de nature à causer à ces intérêts un dommage justifiant l’atteinte  portée aux libertés publiques ». Le juge de l’excès de pouvoir doit donc exercer un contrôle normal  de  proportionnalité  sur  les  décisions  refusant  les  visas  d’exploitation  et  d’exportation des films. Dorénavant, seule la protection de certains intérêts généraux peut  justifier une atteinte à la liberté d’expression cinématographique. Cette décision a été confirmée par la suite par l’arrêt  « Société cinéma-Théâtre des Trois Etoiles » du 4 mai 1979 où le Conseil d’Etat énonce : « Qu’ainsi l’arrêté attaqué n’encourt  ni le grief d’avoir porté atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, ni celui d’avoir  apporté à la liberté d’expression des limites non prévues par la loi ».                                                          46 La censure cinématographique, Philippe J. Maarek 47 48 Les arrêts « Rivers » du 5 décembre 1947, et « Société des Films Sirius » du 24 juin 1949). J.C.P. 66, 14608  27   
  • 28. La liberté  d’expression  cinématographique, devenue liberté publique, doit recevoir une protection adaptée. Dorénavant, le Conseil d’Etat  contrôlera  avec  plus  de rigueur les décisions de refus de visa. Des motifs purement politiques ne suffisent plus. 2) Le contentieux en matière de pouvoir de police des maires  et des préfets : une protection  relative  La circulaire de 1909 reconnaissait explicitement le pouvoir des maires et des préfets en matière de contrôle de projection des films. Malgré le réel ascendant pris par la police nationale spéciale en matière de contrôle des films, les autorités locales peuvent toujours, dans le cadre de leur pouvoir de police générale, prononcer des interdictions en application des articles L 2212-1 et L 2212-2 du code général des collectivités territoriales. En  l’absence  de  pouvoirs  spécifiques  en  matière  de  spectacle  cinématographique,  le  Conseil  d’Etat  reconnaît  aux  maires,  depuis  l’arrêt  « Société Les films Lutétia » du 18 décembre 1959, le pouvoir d’user de leurs  prérogatives de police administrative générale pour interdire l’exploitation, sur le territoire de leur commune, d’un film, même s’ils à reçu un  visa  d’exploitation. Le  Conseil  d’Etat  a  adopté  une  position  extensive  de  la  notion  d’ordre public et des raisons qui doivent pousser un maire à utiliser son pouvoir de police. En  l’espèce,  le  maire  de  Nice  avait  interdit  la  projection  du  film Le feu dans la peau (1954) de Marcel Blistene dans les cinémas de sa ville estimant que le celui-ci était immoral. En dernière instance, les juges du Conseil  d’Etat  ont considéré « qu’un  maire,  responsable du maintien de l’ordre dans sa commune, peut donc interdire sur le territoire de celle-ci  la  représentation  d’un  film  auquel  le  visa  ministériel  d’exploitation  a  été  accordé mais dont la projection est susceptible d’entrainer des troubles sérieux ou d’être à  raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciables à l’ordre  public »49. Les juges soumettent l’immoralité à deux conditions cumulatives, le trouble à l’ordre public et une circonstance locale particulière.                                                           49 Conseil d’Etat, Section, 18 décembre 1959, n°36385, Société « Les Films Lutetia » et Syndicat Français des Producteurs et Exportateurs de Films 28   
  • 29. La notion de circonstances locales a par la suite été définie par 11 arrêts  d’assemblée du  Conseil d’Etat du 19 avril 1963 relatif à des interdictions du film Les liaisons dangereuses  de Roger Vadim prononcées par plusieurs municipalités. Les décisions les plus récentes se montrent plus défavorables aux arrêtés municipaux d’interdiction.  Le juge administratif examine avec soin la réalité des motifs et des circonstances locales invoqués,50 de même les mesures trop générales sont annulées51. La Jurisprudence postérieure à l’arrêt  « Lutétia » est venue confirmer le contrôle effectué par le juge administratif. Les maires ont outre la possibilité  de  moduler  les  interdictions  en  fonction  de  l’âge, prérogative reconnue par  l’arrêt  de Conseil  d’Etat, assemblée plénière Ville de Dijon 19 avril 1963. Dans son ouvrage, Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure, Jean-François Théry  explique  que  la  censure  n’a  véritablement  jamais  existé  en  France  pour  cause  d’absence d’arbitraire dans les décisions d’interdiction. On peut  lui donner raison  ce que  celles-ci ont toujours été susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.  Cependant,  la  jurisprudence  du  Conseil  d’Etat  n’a  pas  permis  un  contrôle  véritable sur les décisions de refus de visa. La reconnaissance tardive « d’une  liberté  d’expression cinématographique per se»52 explique en partie les atteintes portées aux films. B) Une évolution de la pratique tendant vers une commission plus libérale    Dans son ouvrage Pour en finir une bonne fois pour toute avec la censure, Jean-François Théry montre que le changement s’est réalisé non pas par les textes mais par la pratique.  Les convictions libérales des responsables du contrôle vont modifier profondément la façon d’analyser le film.                                                           50 Arrêt du Conseil d’Etat du 26 juillet 1985 concernant le film Le Pull-over rouge, interdit par le maire d’Aix-en-Provence au motif qu’il traitait d’un évènement survenu dans la région  51 TA Amiens du 10 avril 1973, « Chambre syndicale des producteurs de films français », annulation d’un arrêté du maire de Saint-Quentin prohibant « toutes projections de films à caractère érotique, pornographique ou licencieux ». 52 La censure cinématographique, Philippe J. Maarek  29   
  • 30. Elu président de la République le 15 juin 1969, Georges Pompidou va confier les plus hauts postes liés à la culture à des personnalités qui vont mettre en place une forte inflexion dans le contrôle des films. La responsabilité des Affaires culturelle revient à Jacques Duhamel et à son directeur de cabinet Jacques Rigaud et la Commission de contrôle des films à Pierre Soudet. Ils vont être les auteurs du fameux projet de loi avorté de 1975 qui proclamait la liberté cinématographique et définissait restrictivement les tempéraments qui pouvaient être apportés à cette liberté. En 1974, suite à  l’élection  Valéry  Giscard  d’Estaing, une grande vague de libéralisme déferle sur la France. Le ministre de la culture, Michel Guy, reçoit du Président la consigne de « libéraliser le cinéma »53 et  de  ne  plus  prononcer  d’interdiction totale. L’année 1974 se caractérise par le faible nombre de films interdits par rapport aux années précédentes (3 selon Albert Montagne). Pendant quelques années, le nombre d’interdictions oscillera entre 3 à 6 films par an, la plupart du temps des films érotiques de mauvais goût (Poupées nazis en 1978)  ou  d’horreur  (en  1979,  aujourd’hui  devenu un classique L ’enfer  des  Zombies de Lucio Fulci). La pratique des coupures chute spectaculairement en 1976 au lendemain de la chasse aux films X. Le dernier exemple de films coupés est Caligula de Tinto Brass en 1980. En 1981, Jack Lang alors  à  la  tête  du  ministère  de  la  culture  déclare  qu’il  ne  refusera jamais de délivrer un visa à un film au nom de la liberté d’expression. Il met en route une réforme basée sur une triple finalité : ‐ Mettre fin à la possibilité d’interdire totalement un film. ‐ Désengager l’Etat du contrôle : il souhaitait que les mesures de restrictions fussent décidées par une commission où les représentants du public, de la profession, et des experts auraient seuls voix au chapitre.                                                          53 Ouvrage préc. Jean-François Théry 30   
  • 31. ‐ Rajeunir les cadres : le public allant au cinéma ayant en majorité moins de 25 ans, il fallait rajeunir les membres de la commission. Il souhaitait que la moitié au moins de ses membres n’ait pas dépassé l’âge de 25 ans au jour de leur nomination. Au début des années 80, il n’y a plus de coupures ni d’interdictions. Cependant les textes ne suivent pas. Malgré plusieurs projets initiés par le CNC, il a fallu attendre 1990 pour une consécration par les textes.   §2  La  protection  de  la  jeunesse devenue l’unique  intérêt  justifiant  un  contrôle  préventif     La jeunesse a été prise en compte tôt dans la détermination des interdictions par la commission (A). Le décret du 23 février 1990 consacre la protection de la jeunesse comme intérêt fondamental justifiant l’existence d’un régime préventif (B). A) Le début de la prise en compte de la jeunesse dans le contrôle des films    Avant  la  réforme  de  1990,  la  protection  de  la  jeunesse  n’était  pas  l’objectif  principal  du  régime préventif. Mais elle faisait partie du raisonnement lié au contrôle des films. Elle a au  fil  du  temps  pris  de  l’importance,  jusqu’à  reléguer  les  motifs  d’ordre  politiques au second plan. L’apparition d’interdictions  basées  sur  l’âge  des  spectateurs date du régime de Vichy. L’arrêté du 20 décembre 1941, pris en application du décret-loi du 24 août 1939 sur le contrôle de la presse et autres publications, instaure une interdiction aux mineurs âgés de moins de 18 ans. Le 12 août 1944, le directeur  de  L’Office  central du contrôle de l’information institue une commission « L’héritier »54 qui comptera parmi ses membres un représentant de l’Education  Nationale,  premier membre présentant de par sa fonction un lien indirect avec la jeunesse. L’Ordonnance du 3 juillet 1945 baisse le seuil de l’interdiction de 18 ans à 16 ans. Ce seuil a ensuite été réintégré par le décret du 10 octobre 1959.                                                          54 Du nom de la personne la présidant 31   
  • 32. Le décret du 18 janvier 1961 instaure pour la première fois la distinction des mineurs de 13 ans de ceux de 18 ans. La composition de la commission est très marquée par cette idée de protection de la jeunesse. Deux représentants ayant un lien indirect avec la jeunesse représentent  l’administration:  un  pour  l’Education  nationale  et  un  pour  les  Affaires  Sociales, la Jeunesse et les Sports. Cinq membres titulaires et cinq suppléants sont choisis parmi des professionnels de la jeunesse, qui exercent les professions de sociologues, psychologues, éducateurs, magistrats, médecins ou pédagogues. Le Haut Comité de la Jeunesse est l’une des trois instances qui désignent les trois membres indépendants. Le progrès quant à la prise en compte de la jeunesse est significatif. L’impact  du  film  sur  les  plus  jeunes  spectateurs  devient  un  enjeu  de  la  classification.  Le film Moi, Chritiane F . .. 13 ans, droguée, prostituée (1981) d’Ulrich  Edel n’a  été  interdit qu’au moins de 13 ans malgré sa violence car il a  « semblé en effet utile que les adolescents  assistent  à  cette  histoire  cruelle,  qui  décrit  avec  précision  l’entraînement  inéluctable vers la déchéance d’une très jeune droguée, puis son combat presque désespéré pour s’en sortir, dans la solitude et l’incompréhension. »55 B) La création d’une commission de classification par le décret du 23 février  199056    La naissance d’une commission respectant la liberté d’expression a été longue et difficile (1). Le décret du 23 février porte création d’un véritable organe de police spéciale qui  classifie et ne censure plus (2). 1) Les circonstances entourant sa création    Les changements constatés dans la pratique sont entérinés par le décret du 23 février 1990, pris  pour  l’application  des  articles  19  à  22  du  Code  de  l’Industrie  Cinématographique et relatif à la classification des œuvres cinématographiques. Ce décret abroge le décret du 18 janvier 1961. Le 1er janvier 1986, la commission change de titulature. Elle ne contrôle plus, elle classifie. Pour Jean-François Théry, ancien président de la commission, ce changement de titulature reflète un changement de mentalité. « La commission de contrôle des films français                                                          55 Ouvrage préc. Jean-François théry 56 Décret reproduit en annexe   32   
  • 33. évolue, en fait, vers le modèle anglo-saxon ; elle s’est progressivement éloignée de son rôle  de « gardiens des tabous » pour devenir une institution de protection de l’enfance  et  de  l’adolescence ». Dans L’Age moderne du cinéma français,  De la Nouvelle vague à nos jour, Jean-Michel F rodon rapporte les circonstances qui vont précipiter la modification du régime applicable. Les scandales suscités en Mais 1989 par les campagnes d’affichages controversés de deux films, Les saisons du plaisir(1989) de Jean-Pierre Mocky et d’Ave Maria(1989) de Jacques Richard pousse le CSA à bannir des petits écrans aux heures de grande écoute tous les films ayant fait l’objet d’une interdiction. C’était empêcher la diffusion d’un grand nombre de titres devenus inoffensifs avec l’évolution des mentalités. En réaction à « cet excès de zèle » le décret du 23 février 1990 est pris et modifie la composition de la commission et abaisse les  âges  d’interdiction à douze et seize ans au lieu de treize et dix-huit ans. Ce changement permet de déclasser de nombreux films, et beaucoup de ceux dont le public avait été restreint à l’époque de leur sortie bénéficient cette fois d’un visa tous publics et de l’accès  au prime time. Le décret a par conséquence permis de passer outre l’interdiction mise en place par CSA. 2) Un organe de police spéciale chargé de protéger la jeunesse     Le  décret  du  23  février  1990  est  l’acte  de  mort  de  toute  censure  cinématographique  en  France. Ce qu’affirmait Maarek en 1982, « l’expression cinématographique est soumise à un régime hybride, véritable régime de semi-liberté »57 ne peut plus être juste aujourd’hui. La  commission  de  classification  ne  peut  plus  dénaturer  l’œuvre  cinématographique. Les coupes ne sont plus  autorisées et l’interdiction absolue, bien que  non abrogée,  n’est  plus  prononcée.  Seul  un  classement  X  ou  une interdiction totale pourront empêcher la transmission du message. La protection de la jeunesse devient l’unique intérêt justifiant le contrôle des films. Pour le Conseil d’Etat, les dispositions du décret du 23 février 1990 « n’ont  ni  pour  objet,  ni  pour  effet  d’interdire  la  diffusion  des  films,  mais  visent  à  restreindre  à  l’égard  des  mineurs  en  fonction  de  critères  tirés  notamment de la très grande violence de certaines scènes ». Opérant dans la même espèce un contrôle de conventionalité du régime avec la convention européenne des droits de l’Homme,  le  Conseil  d’Etat  estime  que  le  régime « répond, eu égard aux garanties                                                          57 La censure cinématographique de Philippe J. Maarek 33   
  • 34. accompagnant  sa  mise  en  œuvre,  au  but  légitime  et  nécessaire  dans  une  société  démocratique,  au  sens  des  stipulations  de  l’article  1058 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de protection des mineurs  et ne constitue pas une ingérence proscrite par cet article »59. La protection de la jeunesse justifie le régime préventif régissant le contrôle des films. Nous ne sommes plus dans un régime de censure.  Il  n’y a plus de coupures, ni d’interdictions totales. Le message atteint le destinataire, sans être modifié ni interdit. . Chapitre 2 Une commission tournée vers l’objectif de  conciliation de la liberté d’expression cinématographique  et de la protection de la jeunesse     Le  régime  mis  en  place  a  la  lourde  tâche  de  concilier  d’une  part  la  liberté  d’expression  cinématographique devenue liberté  publique  et  d’autre  part  la  protection  de  la  jeunesse.  Les  restrictions  apportées  à  la  liberté  d’expression  sont  contrebalancées  par  une  composition plurielle (Section 1) et des garanties procédurales (Section 2).                                                            58 59 Article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. Le Conseil d’Etat dans son arrêt du 6 octobre 2008, « Société Cinéditions » 34   
  • 35. Section 1  La composition de la commission de classification :  priorité à la pluralité    La commission de classification étant divisée en une sous-commission et une assemblée plénière,  sa  composition  dépendra  de  l’instance  concernée  (§1).  Les membres qui la composent démontrent une volonté de tendre vers la pluralité (§2). §1 Une composition de la commission liée à son organisation     La commission de classification est divisée en une sous-commission et une assemblée plénière. La première est chargée de visionner tous les films présentés à la commission et joue le rôle de filtre. Peu de règles régissent sa composition (A). La seconde étant la seule compétente  pour  décider  des  mesures  d’interdiction,  sa  composition  est  soumise  à  une réglementation plus stricte (B). A) Un corpus de règles minimum régissant la composition de la sous‐commission     L’Article 2 alinéa 3 du décret est la base de la composition de la sous-commission : « (…).  Les membres titulaires et les membres suppléants peuvent se faire assister d’adjoints  qui  participent  aux  séances des sous-commissions. Ces adjoints sont désignés par décision du président de la commission, après agrément du ministre chargé de la culture, pour un période de trois ans, renouvelable deux fois ». La plupart du temps les membres de l’assemblée plénière ne participent pas aux réunions de la sous-commission. Ce sont donc leurs « adjoints » qui s’y attachent. L’article 2 laisse une grande liberté quant aux choix des membres qui composent la sous-commission. Il n’existe pas de prescriptions particulières quant à sa composition. Nommés pour 3 ans par décision du Président de la Commission après agrément du Ministre de la Culture et de la Communication, les soixante-deux « adjoints » qui la composent sont censés assurés par leurs âges et leurs origines socioprofessionnels une « confrontation de points de vue différents »60.  Elle  est  donc  le  plus  souvent  composée  de  membres  d’associations,  de  représentants de diverses administrations,  d’enseignants,  de mères de famille, de retraités…La  sous-commission tenant des réunions quotidiennes, la nécessité de trouver des gens qui ont du temps est fondamentale.                                                          60 Rapport d’activité du 1er janvier 2007-31 décembre 2009 35   
  • 36. Devant l’importance prise par la sous-commission ces dernières années, notamment par le biais  de  la  procédure  simplifiée,  il  semble  nécessaire  qu’un  véritable  corpus de règles soient mis en place pour réguler sa composition. B) Des règles très contraignantes régissant la composition de l’assemblée  plénière    L’article  1  du  décret  régit  la  composition  de  l’assemblée  plénière.  Celle-ci a un rôle fondamental. Elle seule est compétente pour rendre un avis tendant à une mesure d’interdiction.  Elle est composée de 28 membres titulaires et de 55 membres suppléants.  Elle  est  dirigée  par  un  conseiller  d’Etat  nommé  par  décret  du  Premier  Ministre.  Un  président suppléant est nommé en cas de vacance. Un représentant de chacun des ministères de la culture, des affaires étrangères et l’outre-mer peut participer aux séances, à titre consultatif. Seules ces personnes peuvent siéger en Assemblée plénière. Chaque membre titulaire est nanti de deux suppléants, leur mandat dure 3 ans et est renouvelable deux fois. Les membres de la commission sont répartis en 4 collèges : ‐ Celui des administrations : cinq représentants des ministères concernés par la classification, c'est-à-dire le Ministère de  l’Intérieur, de la Justice,  de  l’Education Nationale, de la Famille et de la Jeunesse ‐ Celui des professionnels du cinéma : neuf membres titulaires choisis par le Ministre de la Culture après consultation des principales organisations ou associations professionnelles et de la critique cinématographique ‐ Celui des experts : i. deux membres titulaires proposés par le ministre chargé de la santé ; ii. deux membres titulaires nommés par le ministre chargé de la famille représentant le monde médical ou spécialistes des sciences humaines dans le domaine de la protection de l’enfance et de l’adolescence ; iii. un  expert  de  la  protection  de  l’enfance et de la jeunesse désigné par le ministre chargé de la culture sur proposition du ministre chargé de la justice ; iv. un représentant du CSA désigné par le ministre chargé de la culture ; 36   
  • 37. v. deux représentants désignés par le Ministre de la Culture après consultation de  l’Union  Nationale des Associations Familiales  et  de  l’Association  des  Maires de France ; vi. Le défenseur des enfants désignés par le ministre chargé de la culture depuis un décret du 28 juin 2002 ; ‐ Celui des jeunes : ceux-ci doivent être âgés de dix-huit à vingt-quatre ans à la date de  leur  nomination.  Trois  d’entre  eux  sont  proposés  par  les  Ministres de l’Education Nationale, de la Jeunesse, de la famille. Le quatrième est choisi sur des listes de candidatures dressées par le Président du CNC.     § 2 Une composition plurielle    A) L’absence de contrôleurs professionnels     La classification n’est pas exercée en France par des fonctionnaires appointés dont ce serait le métier,  comme  c’est  le  cas  en  Grande-Bretagne ou en Suède. Les personnes qui la composent ont donc un métier en parallèle et ne peuvent être libres tous les jours. C’est  pourquoi une sous-commission filtre les films  n’ayant  pas  besoin  d’être  visionnés par l’assemblée plénière. L’exercice d’une autre profession peut poser problèmes au niveau de l’assiduité aux séances, difficultés récurrentes soulevées par le dernier rapport d’activité de  la commission. Les réunions doivent parfois être annulées faute d’un quorum non atteint. Les collèges ne sont en outre pas toujours représentés, ce qui engendre des effets pervers sur la politique de la commission. Afin de palier au problème d’assiduité,  la commission a proposé que le quorum soit porté à dix-huit membres pour les séances plénières. B) Une composition représentant les différentes parties prenantes au débat de  société    La  caractéristique  fondamentale  de  la  commission,  c’est une représentation de chaque partie concernée par la classification : les professionnels, les jeunes des représentants des différents  ministères  et  des  spécialistes  de  l’enfance,  de  la  famille  et  de  la  santé.  La  confrontation de leurs points de vue doit aboutir à une décision de classification juste. Cependant cette pluralité peut aboutir à des confrontations entre les différents collèges. 37   
  • 38. Hervé Bérard, ancien membre de la commission en tant que représentant de la société des réalisateurs de film critique ouvertement dans entretien61 avec Laurent Jullier la part des experts nommés par les ministères « qui sont venus grignoter la proportion initiale pour arriver  à un tiers aujourd’hui ». Pour lui ces gens font l’amalgame  entre  « la réalité et sa représentation »  et  font  preuve  d’une  sévérité  excessive vis-à-vis des films. « Ils ne regardent pas le film mais le personnage, qu’ils condamnent à travers l’interdiction qu’ils  vont mettre au film ». Mais  c’est  justement  ces confrontations qui font la richesse de la commission. Il ne faut évidemment pas que la commission soit aux mains uniquement de professionnels penchant pour la liberté  d’expression  ou  d’experts  plus  sévères. En cela, l’introduction  des  jeunes  permet  de  recueillir  l’avis  des  principaux  concernés  par  la  classification.  Ils  n’ont  pas  d’intérêt particulier à défendre. Et contrairement aux idées reçues, ils ne font pas preuve de laxisme62.     Section 2 Une procédure respectueuse du film    Le contrôle à deux niveaux opéré par la sous-commission et l’assemblée plénière permet  un véritable respect de la liberté d’expression cinématographique (§1). L’avis rendu par la  commission n’est pas définitif. Une nouvelle projection du film pourra être décidée même si le ministre de la Culture et de la communication aura toujours le dernier mot (§2). §1 Un double contrôle opéré par la sous‐commission et par l’assemblée plénière    La procédure de classification devant la commission est divisée en plusieurs étapes. Un premier examen devant la sous-commission (A), puis si cela est nécessaire, un second visionnage par l’assemblée plénière (B).                                                           Entretient réalisé septembre 2006 et révisé en juin 2007 pour l’ouvrage  Interdits aux moins de 18 ans de Laurent Jullier 62 Jean-François  Théry  rapporte  l’effet  de  l’entrée  de  jeunes  de  moins  de  25  ans  dans  la  commission : « Nous  fûmes  très  étonnés  de  certains  d’entre  eux  à  l’égard  de  films  d’une  très  grande banalité, parfois ridicules et parfaitement dépourvus de toute crédibilité (je pense, par exemple, aux films de kung-fu et de karaté fabriqués à Hong Kong). Ces jeunes, qui peu de temps auparavant étaient encore dans des collèges techniques ou des établissements de quartiers populaires, nous ont expliqué pourquoi ces films leur paraissaient très dangereux ; dans les cours de récréation, en effet, on reproduisait les scènes les plus violentes de ces combats fictifs, avec des armes bien réelles imitées de celles des champions asiatiques, et les accidents  n’étaient  pas  rares… » 61 38   
  • 39. A) Le rôle de filtre de la sous‐commission, un premier visionnage en commission     Un premier examen est effectué par la sous-commission des œuvres cinématographiques,  dont les missions et les modalités de fonctionnement sont fixées par un arrêté du 12 juillet 2001. Composée de soixante-deux personnes, elle tient deux séances quotidiennes, le matin et  l’après-midi. Ses membres se répartissent en sous-groupes de 4 à 6 personnes afin d’assurer une permanence. Malheureusement le dernier rapport d’activité de la commission déplore l’absence d’un quorum minimum: « Le bon fonctionnement de la sous-commission suppose qu’une pluralité de points de vue s’y exprime : c’est pourquoi il serait souhaitable  d’instaurer  un  quorum  minimum  de  trois personnes pour que la sous-commission puisse valablement délibérer ». Par son rôle de filtrage, elle fait le tri entre les films qui doivent être renvoyés à l’Assemblée plénière et ceux qui, ne posant aucun problème, peuvent recevoir directement  un visa tous publics. En effet, seule l’assemblée  plénière  peut  proposer  une  mesure  de  restriction au ministre de la Culture. A l’issu du visionnage, un de ses membres rédige un rapport faisant état de l’avis motivé  du groupe et de chacun des membres. Ce rapport, remis au Président de la commission, est nécessaire car il va ouvrir le débat en Commission plénière. Il comporte la proposition de classification de la sous-commission  pour  chacune  des  œuvres  cinématographiques visionnées. Si le groupe recommande à l’unanimité  une  autorisation  « tous publics », le film  n’est  pas  renvoyé  en  Commission  plénière.  Il  suffit  d’un  membre  souhaitant  une  mesure  de  restriction  pour  que  l’assemblée  plénière  soit  saisie  et  devienne  seule  compétente. Il existe une procédure permettant d’éviter un second visionnage par l’assemblée plénière : la procédure simplifiée prévue par l’article 2 du décret du 23 février 1990. La personne qui demande  le  visa  doit  déclarer  vouloir  expressément  s’en  remettre  à  l’avis  de  la  souscommission. Ainsi, la classification proposée par la sous-commission, même quand elle constitue  en  une  interdiction,  devient  l’avis  définitif  de  la  commission.  Le ministre de la culture se décidera par rapport à celle-ci. Cette procédure présente un véritable avantage pour le demandeur, celui de la rapidité, et le met à l’abri d’une éventuelle aggravation par  la Commission plénière. Néanmoins, elle constitue un accroissement de la responsabilité 39   
  • 40. de la sous-commission.  Le  rapport  d’activité  2007- 2009 constate une augmentation des demandes de recours à la procédure simplifiée63. En réaction, depuis 2008, la Commission n’applique plus la procédure aux propositions d’interdiction aux mineurs de moins de 16  ans « afin de garder elle-même la main sur cette procédure ». B) Un second visionnage en assemblée plénière pour les films susceptibles  d’obtenir une interdiction    L’assemblée  plénière  se  réunit  deux  soirs  par  semaine  pour  visionner  les  œuvres  cinématographiques renvoyées par la sous-commission. Deux films sont projetés en moyenne  par  séance.  A  l’issu  de  celle-ci,  un  débat  s’ouvre autour de certains thèmes justifiant une mesure restrictive. Un vote à bulletin secret peut être tenu si aucune majorité claire ne se détache en faveur d’une classification précise. Il ne peut y avoir d’abstention et  la voix du président est prépondérante. Les débats ne sont pas publics et les membres sont tenus au secret professionnel. Pour éviter tous conflits d’intérêts, les membres doivent se  retirer s’ils ont un lien quelconque avec l’œuvre projetée. Un quorum a été mis en place pour assurer la pluralité des opinions et des points de vue. Une  réunion  ne  peut  être  tenue  que  si  14  membres  sont  présents.  En  cas  d’absences répétées d’un membre, ce sera au président d’intervenir auprès des instances responsables pour qu’il y ait rappel à l’ordre64. Il n’existe pas de quorum au niveau des collèges. Pour Monsieur Hurard « ils sont censés représentés leurs intérêts, c’est leur responsabilité d’être  là ». Concernant la concordance des politiques des deux instances composant la commission, une majorité des propositions de la sous-commission est suivie par la Commission plénière : 49,5% en 2007, 53% en 200965. La sous-commission est plus protectrice que la plénière  dans  plus  d’un  tiers  des  cas,  36,5  en  2007, 32 en 2008, et 37 en 2009, mais l’inverse est plus rare. La sous-commission est plus sévère que l’assemblée car elle ne doit  pas dans son rôle de trie laisser passer des films susceptibles d’être interdits.                                                          63 12 films entre mars 2004 et mars 2005, 31 films entre mars 2005 et mars 2006 et de 32 films entre mars 2006 et mars 2007 64 Pratique révélée par François Hurard lors d’un entretien  65 Rapport d’activité 1er janvier 2007-31 décembre 2009  40   
  • 41. En fin de procédure, un avis est rédigé par le président à partir des discussions qui se sont instaurées au cours du délibéré, puis est transmis au Ministre de la Culture. L’instauration  d’un  double  contrôle  pour  les  films  susceptibles  d’obtenir  une  mesure  restrictive montre la volonté de concilier à chaque instant liberté et protection de la jeunesse. Un film touché d’une interdiction aura donc été vue deux fois par des personnes  différentes. §2 Un avis rendu par la commission obligatoire mais non définitif     L’avis  de  la  commission  sur  la  classification à adopter est transmis au Ministre qui peut ratifier, décider d’une  autre mesure   ou demander un second visionnage (A). Une fois la  décision de visa délivrée par celui-ci, l’œuvre cinématographique sera soumis à certaines  obligations (B). A) L’importance du Ministre de la culture et de la communication dans le  choix de la classification    Le Ministre de la culture et de la communication délivre le visa et choisit la mesure d’interdiction qui l’accompagne (1). Un second visionnage est possible pour les films, ce qui permet une plus grande protection de la liberté d’expression (2). 1) Un visa délivré par le Ministre de la culture et de la Communication    Le ministre chargé de la culture délivre le visa d’exploitation mentionné à l’article 19 du  code  de  l’industrie cinématographique après avis de la commission de classification (article 3 du décret du 23 févier 1990). La plupart du temps, le Ministre de la Culture et de la Communication va suivre les propositions faites par la commission66. Il peut aussi choisir une autre mesure.                                                          66 Le dernier rapport d’activité montre que toutes les décisions ont été suivi par le Ministre. 41