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Éloge de la vache
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Éloge de la vache
Alain Grosrey
Revue DHARMA, N°33, Mars/Juin 1999
Revue TERRE DU CIEL, Vivre relié à l’essentiel,
Avril/Mai 2000
Hommage à Jean-Loup Trassard
lles sont là... paisibles comme à l’accoutumée.
Simmentals, montbéliardes, tarentaises et
charolaises, toutes occupées à digérer les fruits de la
lumière et de la terre. Robes blanches, fauves,
bicolores glissant sur un océan de verdure, la tête
plongée dans les étoiles végétales.
On ne peut pas ne pas les voir. On les regarde
comme si l’on faisait face à la mer immense, en ces
moments où les désirs s’absentent.
Elles demeurent là, au cœur de leur tranquillité,
ruminant les graminées et les fleurs gavées de pollen.
À hauteur d’Arvillard, sur la route sinueuse qui s’étire
E
– 2 –
jusqu’au domaine d’Avalon, elles se consacrent
uniquement à la formidable alchimie intérieure que
nos yeux ne distinguent pas.
On se contente de la douceur du jour, de la
délicatesse de son éclat, du regard apaisant des petits
veaux qui se reposent à l’ombre de leur mère.
En regardant les vaches, nous sentons à quel point
nous sommes liés au monde végétal, aux forces de la
terre et aux puissances de la lumière. Le regard porté
sur les vaches nous plonge déjà au cœur de la paix qui
les anime. Il trace un chemin en nous qu’éclaire notre
amitié avec le monde. On s’absente alors de tout ce qui
nous détourne de la splendeur des choses. Si nous
sommes le fruit du lait maternel, nous sommes rendus
possibles par le lait de la vache.
Je me souviens qu’enfant, j’attendais avec
impatience le jour où les grands troupeaux de vaches
et de génisses regagnaient la vallée après avoir passé
tout l’été dans les hauts pâturages du Jura. De très loin,
on entendait le concert de cloches et de grelots.
Lorsqu’il devenait presque assourdissant, nous nous
précipitions sur le pas de porte qui donnait sur la
grande rue pavée de notre village. Nous voulions être
le plus près possible des troupeaux. La reine, en tête du
cortège, couverte de fleurs aux couleurs vives, portait
une cloche étincelante et finement ciselée. On eut dit
qu’elle était consciente de sa beauté tant elle prenait
soin d’accentuer son port majestueux. Humant les
odeurs de bouse mêlées à la fraîcheur de l’air, essayant
de suivre du regard le passage rapide des vaches, nous
comptions le nombre de bêtes, examinions leurs cornes
tout en admirant les tons et la beauté de leur robe.
– 3 –
Quand elles avaient regagné leur étable, nous allions
les caresser au moment de la traite. Je sens encore la
saveur de ce lait chaud que l’on buvait à peine sorti du
pis.
Plus tard, quand l’école commença à nous faire
croire que les livres pouvaient contenir les réalités ou
les vérités de ce monde, lorsque les champs et les
arbres devinrent peu à peu des fragments de paysage
découpés dans l’encadrement
des fenêtres de classe, j’ai
découvert d’autres vaches
indolentes, d’autres veaux
couchés ou au pâturage,
d’autres taureaux paisibles
juchés sur des à-pic, l’œil
gagné par l’infini du ciel.
Dans ces dessins à la mine de plomb ou à l’encre de
Chine, souvenirs de la Gruyère datant de la fin du XIXe
siècle, l’artiste suisse Ferdinand Hodler a saisi
l’ampleur de la quiétude et de la paix qui émanent des
vaches.
C’est en Inde que l’on peut retrouver cette paix
intacte dans le regard en amande si pacifique des petits
veaux aux grandes oreilles.
L’Inde est la terre d’accueil de la vache. Son ancêtre,
l’aurochs, apparaît sur le sous-continent au
paléolithique, voici trois millions d’années. Chaque
vache rappelle Kâmadhenu, la vache céleste née du
barattage de l’océan de lait, comme Amrita (ou Soma),
le nectar de vie éternelle ou Pârijâla, l’arbre
merveilleux que Krishna planta sur Terre.
– 4 –
La présence des vaches dans le tumulte des grandes
villes dresse une continuité sans faille entre l’Inde
mythologique et l’Inde de la modernité. Celles qui
errent dans les cités, souvent maigres et sales,
paraissent éloignées de l’image qu’en ont eu les
peintres de miniatures.
Leur immobilité, leur calme et leur indifférence
totale à l’agitation qui les entoure ne cessent pourtant
d’actualiser une forme extraordinaire de suspension du
temps. Elles arpentent nonchalamment les rues,
comme si elles avaient renoncé à échapper à un monde
qui leur est étranger et qui semble s’être construit
autour d’elles. Donnant l’impression de rechercher
dans les détritus ou des journaux qui jonchent le sol la
touffe d’herbe rêvée, elles se comportent comme si
elles étaient en pleine campagne pour mieux montrer
peut-être aux êtres humains que leurs villes ne sont
finalement que des tissus d’illusion.
À Mahâbalipuram, au sud de Madras, il est une
grotte taillée au VIIe
siècle qui présente des scènes
animées où l’on voit Krishna soulever le Mont
Govardhana pour protéger les bouviers et les laitières
de l’orage déclenché par Indra. L’une des plus belles
scènes est sans doute celle de ce bouvier accroupi
occupé à traire une vache qui lèche tendrement son
veau. On regarde cette
sculpture et l’on sent
monter en soi le don
d’amour qui est au
centre de la vie des
vaches.
– 5 –
Plus à l’est, se trouve Arunâchala, la
montagne sacrée dont Bhagavan Râmana
Maharshi a dit qu’elle est la montagne-
médecine, un swayambû lingam, une
manifestation spontanée de Shiva. Là, au
pied du versant sud se trouve le Sri
Ramanashram. Râmana Maharshi y
vécut jusqu’au 14 avril 1950. Des
samâdhis d’animaux rappellent que Valli la biche, le
corbeau anonyme, Jackie le chien et Lakshmi la vache
vivaient dans la grâce de Bhagavan. Ils étaient en
quelque sorte des disciples-animaux. Lakshmi était
très attachée à Râmana Maharshi et ce dernier lui
accordait une bienveillance et une affection
exceptionnelles. Comme l’illustre Shankaracharya, il
estimait que certains animaux fréquentent assidûment
les ashrams pour consumer telle ou telle
partie de leur karma.
Des témoins rapportent que lors de
l’agonie de la vache Lakshmi, Bhagavan,
qui l’appelait Amma (Mère), s’assit à
côté d’elle et mit sa tête sur ses genoux.
Il la fixa dans les yeux, puis porta une main sur sa tête
et l’autre sur le centre-cœur. Il colla ensuite sa joue
contre la sienne et la caressa. Il ne prit congé d’elle que
lorsqu’il fut certain que son cœur était pur et libre de
toutes les tendances latentes (vasanas). Lakshmi quitta
paisiblement son corps le 17 juin 1948. Sur sa tombe,
on peut lire l’épitaphe composée par Sri Bhagavan qui
déclarait qu’elle était parvenue à la libération.
– 6 –
L’amour et l’empathie que Râmana Maharshi
éprouvait pour les animaux, comme pour toutes les
créatures, rendent compte de la douceur et de l’amitié
qu’il nous est offert de développer en cette vie à
l’égard de tous les êtres.
En Inde, les vaches sont admirables dans leur
environnement premier, la campagne. On est assis
dans un train en direction de Poona au sud-est de
Bombay. De petites vallées ornées de collines pelées
emplissent les fenêtres. Le train fait une halte à la
station où descendent les pèlerins qui se rendent aux
grottes de Bhâja et de Karla. La lumière matinale
commence à peine à réveiller les verts et les ocres en
se mêlant à la fumée blanchâtre des premiers feux. Une
brise subtile tisse des spirales brumeuses et les vaches
émergent de ces blanches transparences. Le turban
vermillon du bouvier n’est plus qu’un point noyé sur
ces fonds sans cesse changeants.
Lorsque le train redémarre, longeant le sentier
qu’empruntent les vaches, on dirait qu’il entre dans la
même cadence, la même lenteur, le même
balancement. Une impression de paix immense
envahit alors le wagon. On regarde les gracieux
roulements musculaires qui ponctuent l’absence de
toute tension. Et ce roulis si fluide génère en soi des
résonances merveilleuses propres à l’abandon et à la
contemplation. On les regarde tendrement parcourir le
sentier et l’on sent que leur profonde détente prolonge
dans le monde visible l’art accompli du musicien
indien qui sculpte les volutes sonores jusqu’au silence.
– 7 –
Il y a aussi les vaches du
Kaivalyadhama Ashram. D’autres
vaches, d’autres horizons... mais la
même tranquillité, la même
délicatesse à l’égard de leurs petits
et finalement le même don de soi.
On est là nu, assis sur une
pierre en plein soleil. Le swâmî
s’avance avec des seaux emplis de bouses,
d’urine et de lait de vache. On s’apprête à entrer en
communion intime avec l’animal. Le corps est enduit
de bouses, puis rincé à l’urine avant d’accueillir des
cascades de lait. Aux rires spontanés, se mêlent de
profonds silences quand les vaches en contrebas
regardent ces êtres entièrement recouverts de leurs
propres déjections. On dépasse la honte et le dégoût
liés au contact du corps avec des matières que l’on
considère comme impures. On fait fi de la logique
binaire, des catégories pur/impur. Enrober le corps de
bouses, c’est recouvrir l’ego, c’est abolir l’image que
l’on a de soi et de son corps. Avec les ruissellements
de lait, on se relie à Kâmadhenu, la vache mythique,
on s’immerge tout entier dans l’océan de lait. En se
mettant sous la protection de la vache, nous revenons
spontanément à la Terre qui nous féconde et nous
renouvelle.
Gopâshtamî, la fête des vaches, qui
célèbre le séjour du jeune Krishna
parmi les bouviers et gopîs de
Vrindâvan, les rend totalement à leur
splendeur. Auréolées des vapeurs de
santal, ornées de guirlandes de fleurs,
– 8 –
cornes, sabots et poche adipeuse peints avec
des couleurs éclatantes, elles deviennent les
témoins privilégiés des amours de Krishna et
des gopîs. Elles tracent sans fin des chemins
dans la poussière, des chemins qu’arpentent
celles qui symbolisent la recherche continue
de l’union avec le principe divin.
La beauté des tableaux qu’ont su magnifier les
peintres de miniatures nous rappelle, comme le
soulignait Chögyam Trungpa, que “ plus nous nous
élevons spirituellement, plus nous redescendons sur
terre. ” Et derrière cette beauté apparente des vaches
qui désigne l’élégance exquise et la sensualité radieuse
des jeunes gopîs, se profile le thème de la bhakti, de
l’amour sublimé, dont on relève les signes dans
l’attitude d’adoration des hommes et des bêtes, le
regard envoûtant des femmes, le charme
d’un geste onctueux, les yeux doux et
mélancoliques des vaches qui semblent fixer
la danse invisible et harmonieuse du
Seigneur des Lunes d’Automne avec les
jeunes filles de Vraja.
L’amour appelle la paix. La dévotion et le respect
que l’hindou accorde à la vache est, sans aucun doute,
une forme accomplie de ahimsâ, la non-violence. Dans
un monde où la partie est dans le tout et le tout dans la
partie, où il est dit que l’Absolu sommeille dans la
pierre, respire dans la plante, s’anime dans l’animal et
s'éveille en l’homme, l’amour pour les vaches éclaire
la quête d’un accord sans cesse renouvelé avec le
monde.
– 9 –
En 1925, le Mahâtmâ Gandhi accepta la présidence
de l’“ Organisation pan-indienne pour la protection de
la vache ” et, dans un article paru en 1921, il écrivait
déjà : “ La protection de la vache est pour moi un des
phénomènes les plus merveilleux de l’évolution
humaine. Elle emporte l’homme au-delà
des limites de l’humanité. La vache
représente pour moi tout le monde
subhumain. Par la vache, l’homme est
amené à “ réaliser ” son identité avec
tout ce qui vit. Et il me semble évident
que pour cette apothéose on a dû choisir
la vache. Dans l’Inde, la vache est le
meilleur compagnon de l’homme. C’est elle qui lui
donne l’abondance. Non seulement elle donne du lait,
mais elle rend possible l’agriculture. La vache est un
poème sur la pitié. Tout ce doux animal exprime la
pitié. Pour des millions d’êtres humains dans l’Inde,
elle est la Mère. Protéger la vache signifie protéger
tous les êtres muets que Dieu a créés. L’ancien
prophète (je ne sais qui c’était) a commencé par la
vache le respect pour les ordres inférieurs de la
création, respect qui est le don de
l’Hindouisme à l’humanité ”.
Qu’avons-nous fait de ce don, nous
dont la langue véhicule des expressions
comme “ mort aux vaches ”, “ peau de
vache ” et le sobriquet aujourd’hui si
célèbre de “ vache folle ” qui voile inéluctablement la
souffrance de ces animaux ? Le comportement
occidental à l’égard de la vache montre combien l’art
de bien gérer les ressources offertes par la Nature – ce
– 10 –
que devrait être l’agriculture – s’est placé à l’extérieur
de celle-ci. Le caractère sacré de la Terre n’étant plus
perçu ni vécu, la terre n’étant plus envisagée comme
un patrimoine mais plutôt comme un outil de travail,
elle n’est plus alors qu’un capital immobilisé dont on
attend un rendement à tout prix. Dans un tel contexte,
la vache est devenue une machine à transformer les
protéines végétales en protéines animales. Voit-on
l’animal dans la viande, dans la chair que tant d’êtres
humains consomment ? Songe-t-on à la transformation
des bêtes en nourriture ? Plutarque qui s’interrogeait
sur l’horreur du geste fondateur de la boucherie
n’écrivait-il pas : “Quelles affections, quel courage ou
quels motifs firent autrefois agir l’homme qui, le
premier, approcha de sa bouche une chair meurtrie
(...), servit à sa table des corps morts, et pour ainsi dire
des idoles, et fit sa nourriture de la viande de membres
d’animaux qui, peu auparavant, bêlaient, mugissaient,
marchaient et voyaient ? Comment ses yeux purent-ils
souffrir de voir un meurtre ? (...) Comment son goût ne
fut-il pas dégoûté d’horreur, quand il en vint à manier
l’ordure des blessures ?”
Tuer un animal pour s’en nourrir ne devrait-il pas
être un acte exceptionnel et transgressif ? Ne devrait-il
pas conserver son caractère de gravité ? Si l’on prête
attention à la terminologie qu’emploient les
“professionnels de la viande” – “bêtes à viande”, “faire
une bête en souliers vernis”, “ prendre soin de faire joli
en fleurant les carcasses”, par exemple – , aux
méthodes d’élevage, aux techniques de reproduction
artificielle, à la mise en vente sur Internet de veaux de
“grande valeur génétique”, produits de la sélection, à
la “traçabilité”, cette marque de série fixée à l’oreille
– 11 –
des vaches deux jours après leur naissance et qui les
suit de la salle de traite jusqu’à l’abattoir, on
remarquera aisément comment la zootechnie parvient
à dépouiller la vache de sa nature véritable. Peut-elle
encore conserver le statut d’animal si derrière la chair
de ce mot personne ne perçoit son
origine – anima, âme – et que l’on accepte
délibérément de voir en la vache une
“ chose ” à exploiter, une masse de viande
inerte que l’on peut “ travailler ”, “ modeler ”
et “ développer ” à des fins purement
alimentaires, avec cet art consommé du
boucher qui achève d’effacer l’animal dans la
viande en la déguisant parfois en végétal.
Sur la route qui mène à Karma Ling, les vaches se
sont couchées dans les herbes hautes. Leurs cornes
suivent le parcours vertical des herbes et sont un rappel
du symbole de l’élévation. Elles ont longtemps été
l’emblème de la Magna Mater, la Grande Déesse de la
fertilité. En sectionnant les cornes des
vaches, comme c’est l’usage aujourd’hui,
l’homme se coupe de son propre passé.
Le rythme de nos pas ne suit plus la foulée
paisible des vaches. Il nous faudrait peut-être
un autre rapport au temps pour aller s’asseoir
dans ce champ, au milieu des vaches
sommeillantes et rester simplement là, sans bouger,
afin de ressentir au plus profond de soi la vie diffuse
du monde plus qu’humain. Ne serait-il pas bon de
méditer en leur douce compagnie, elles qui ne cessent
– 12 –
d’incarner la beauté de la pratique du don ? Ne serait-
il pas louable de prendre conscience de l’ampleur du
sacrifice de cet animal qui n’a cessé de nous aider à
devenir ce que nous sommes ? Ne serait-il pas
souhaitable de prendre conscience que la vache est une
médecine qui participe pleinement à l’écologie de
l’esprit : elle qui nous éveille à la quiétude, qui ouvre
nos cœurs sur le sens de l’humilité et sur le caractère
hautement sacré de la Terre ?
La vache, dont le regard se perd parmi les fleurs et
les herbes, a beaucoup à nous apprendre de la vie
élémentaire. Acceptons de nous tourner vers le soleil
du grand Est, là où la vache est objet de dévotion, là où
elle représente la nature primordiale de l’homme,
comme nous le suggère le Zen avec Les dix étapes de
la garde spirituelle du bétail.
En gagnant les hauteurs, en se rapprochant du
chemin de campagne, nous renaissons dans l’air qui
l’environne, nous nous mettons à l’écoute de la
puissance silencieuse des forces qu’il abrite. Pour un
court instant, nous devenons le gardien des vaches qui
reposent en nous. On entend derrière la syllabe
“Go” – ce nom qui sert à désigner la vache en
Inde – un jeu de résonances sonores. Ce “Go” renvoie
alors à la première syllabe de Gautama dans Gautama
Siddhârtha Bouddha. Et, dans la rondeur du “o”, se
faufile aussi le “Go !” anglais, comme une invitation à
s’élancer sur le chemin entrelacé de paix, à entrer dans
la vision de la vie sacrée universelle.
Enlacé par les bois qui défilent aux abords des
lacets, gagnant la combe lovée sur les pentes du massif
de Beldonne, on aspire à prolonger le rayonnement
– 13 –
d’amour en contemplant les couples de gazelles qui
surmontent les portes du Tcheuten. Autant de liens
tissés avec les biches qui parcourent les forêts, autant
de présence à la bonté de tels animaux, autant de
communions avec l’état d’absence de toute querelle et
d’extrême humanité au cœur de l’animalité.
Et, parmi les sapins, s’élève alors la voix de Râmana
Maharshi : “ Se corriger soi-même, c’est corriger le
monde entier. Le soleil brille tout simplement. Il ne
corrige personne. Parce qu’il brille, le monde entier
est plein de lumière. Se transformer soi-même est un
moyen de donner de la lumière au monde entier. ”
Alain Grosrey
Docteur d’État | PhD
Chercheur-associé
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– 14 –

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Go - Éloge de la vache

  • 2. GO Éloge de la vache Alain Grosrey Revue DHARMA, N°33, Mars/Juin 1999 Revue TERRE DU CIEL, Vivre relié à l’essentiel, Avril/Mai 2000 Hommage à Jean-Loup Trassard lles sont là... paisibles comme à l’accoutumée. Simmentals, montbéliardes, tarentaises et charolaises, toutes occupées à digérer les fruits de la lumière et de la terre. Robes blanches, fauves, bicolores glissant sur un océan de verdure, la tête plongée dans les étoiles végétales. On ne peut pas ne pas les voir. On les regarde comme si l’on faisait face à la mer immense, en ces moments où les désirs s’absentent. Elles demeurent là, au cœur de leur tranquillité, ruminant les graminées et les fleurs gavées de pollen. À hauteur d’Arvillard, sur la route sinueuse qui s’étire E – 2 –
  • 3. jusqu’au domaine d’Avalon, elles se consacrent uniquement à la formidable alchimie intérieure que nos yeux ne distinguent pas. On se contente de la douceur du jour, de la délicatesse de son éclat, du regard apaisant des petits veaux qui se reposent à l’ombre de leur mère. En regardant les vaches, nous sentons à quel point nous sommes liés au monde végétal, aux forces de la terre et aux puissances de la lumière. Le regard porté sur les vaches nous plonge déjà au cœur de la paix qui les anime. Il trace un chemin en nous qu’éclaire notre amitié avec le monde. On s’absente alors de tout ce qui nous détourne de la splendeur des choses. Si nous sommes le fruit du lait maternel, nous sommes rendus possibles par le lait de la vache. Je me souviens qu’enfant, j’attendais avec impatience le jour où les grands troupeaux de vaches et de génisses regagnaient la vallée après avoir passé tout l’été dans les hauts pâturages du Jura. De très loin, on entendait le concert de cloches et de grelots. Lorsqu’il devenait presque assourdissant, nous nous précipitions sur le pas de porte qui donnait sur la grande rue pavée de notre village. Nous voulions être le plus près possible des troupeaux. La reine, en tête du cortège, couverte de fleurs aux couleurs vives, portait une cloche étincelante et finement ciselée. On eut dit qu’elle était consciente de sa beauté tant elle prenait soin d’accentuer son port majestueux. Humant les odeurs de bouse mêlées à la fraîcheur de l’air, essayant de suivre du regard le passage rapide des vaches, nous comptions le nombre de bêtes, examinions leurs cornes tout en admirant les tons et la beauté de leur robe. – 3 –
  • 4. Quand elles avaient regagné leur étable, nous allions les caresser au moment de la traite. Je sens encore la saveur de ce lait chaud que l’on buvait à peine sorti du pis. Plus tard, quand l’école commença à nous faire croire que les livres pouvaient contenir les réalités ou les vérités de ce monde, lorsque les champs et les arbres devinrent peu à peu des fragments de paysage découpés dans l’encadrement des fenêtres de classe, j’ai découvert d’autres vaches indolentes, d’autres veaux couchés ou au pâturage, d’autres taureaux paisibles juchés sur des à-pic, l’œil gagné par l’infini du ciel. Dans ces dessins à la mine de plomb ou à l’encre de Chine, souvenirs de la Gruyère datant de la fin du XIXe siècle, l’artiste suisse Ferdinand Hodler a saisi l’ampleur de la quiétude et de la paix qui émanent des vaches. C’est en Inde que l’on peut retrouver cette paix intacte dans le regard en amande si pacifique des petits veaux aux grandes oreilles. L’Inde est la terre d’accueil de la vache. Son ancêtre, l’aurochs, apparaît sur le sous-continent au paléolithique, voici trois millions d’années. Chaque vache rappelle Kâmadhenu, la vache céleste née du barattage de l’océan de lait, comme Amrita (ou Soma), le nectar de vie éternelle ou Pârijâla, l’arbre merveilleux que Krishna planta sur Terre. – 4 –
  • 5. La présence des vaches dans le tumulte des grandes villes dresse une continuité sans faille entre l’Inde mythologique et l’Inde de la modernité. Celles qui errent dans les cités, souvent maigres et sales, paraissent éloignées de l’image qu’en ont eu les peintres de miniatures. Leur immobilité, leur calme et leur indifférence totale à l’agitation qui les entoure ne cessent pourtant d’actualiser une forme extraordinaire de suspension du temps. Elles arpentent nonchalamment les rues, comme si elles avaient renoncé à échapper à un monde qui leur est étranger et qui semble s’être construit autour d’elles. Donnant l’impression de rechercher dans les détritus ou des journaux qui jonchent le sol la touffe d’herbe rêvée, elles se comportent comme si elles étaient en pleine campagne pour mieux montrer peut-être aux êtres humains que leurs villes ne sont finalement que des tissus d’illusion. À Mahâbalipuram, au sud de Madras, il est une grotte taillée au VIIe siècle qui présente des scènes animées où l’on voit Krishna soulever le Mont Govardhana pour protéger les bouviers et les laitières de l’orage déclenché par Indra. L’une des plus belles scènes est sans doute celle de ce bouvier accroupi occupé à traire une vache qui lèche tendrement son veau. On regarde cette sculpture et l’on sent monter en soi le don d’amour qui est au centre de la vie des vaches. – 5 –
  • 6. Plus à l’est, se trouve Arunâchala, la montagne sacrée dont Bhagavan Râmana Maharshi a dit qu’elle est la montagne- médecine, un swayambû lingam, une manifestation spontanée de Shiva. Là, au pied du versant sud se trouve le Sri Ramanashram. Râmana Maharshi y vécut jusqu’au 14 avril 1950. Des samâdhis d’animaux rappellent que Valli la biche, le corbeau anonyme, Jackie le chien et Lakshmi la vache vivaient dans la grâce de Bhagavan. Ils étaient en quelque sorte des disciples-animaux. Lakshmi était très attachée à Râmana Maharshi et ce dernier lui accordait une bienveillance et une affection exceptionnelles. Comme l’illustre Shankaracharya, il estimait que certains animaux fréquentent assidûment les ashrams pour consumer telle ou telle partie de leur karma. Des témoins rapportent que lors de l’agonie de la vache Lakshmi, Bhagavan, qui l’appelait Amma (Mère), s’assit à côté d’elle et mit sa tête sur ses genoux. Il la fixa dans les yeux, puis porta une main sur sa tête et l’autre sur le centre-cœur. Il colla ensuite sa joue contre la sienne et la caressa. Il ne prit congé d’elle que lorsqu’il fut certain que son cœur était pur et libre de toutes les tendances latentes (vasanas). Lakshmi quitta paisiblement son corps le 17 juin 1948. Sur sa tombe, on peut lire l’épitaphe composée par Sri Bhagavan qui déclarait qu’elle était parvenue à la libération. – 6 –
  • 7. L’amour et l’empathie que Râmana Maharshi éprouvait pour les animaux, comme pour toutes les créatures, rendent compte de la douceur et de l’amitié qu’il nous est offert de développer en cette vie à l’égard de tous les êtres. En Inde, les vaches sont admirables dans leur environnement premier, la campagne. On est assis dans un train en direction de Poona au sud-est de Bombay. De petites vallées ornées de collines pelées emplissent les fenêtres. Le train fait une halte à la station où descendent les pèlerins qui se rendent aux grottes de Bhâja et de Karla. La lumière matinale commence à peine à réveiller les verts et les ocres en se mêlant à la fumée blanchâtre des premiers feux. Une brise subtile tisse des spirales brumeuses et les vaches émergent de ces blanches transparences. Le turban vermillon du bouvier n’est plus qu’un point noyé sur ces fonds sans cesse changeants. Lorsque le train redémarre, longeant le sentier qu’empruntent les vaches, on dirait qu’il entre dans la même cadence, la même lenteur, le même balancement. Une impression de paix immense envahit alors le wagon. On regarde les gracieux roulements musculaires qui ponctuent l’absence de toute tension. Et ce roulis si fluide génère en soi des résonances merveilleuses propres à l’abandon et à la contemplation. On les regarde tendrement parcourir le sentier et l’on sent que leur profonde détente prolonge dans le monde visible l’art accompli du musicien indien qui sculpte les volutes sonores jusqu’au silence. – 7 –
  • 8. Il y a aussi les vaches du Kaivalyadhama Ashram. D’autres vaches, d’autres horizons... mais la même tranquillité, la même délicatesse à l’égard de leurs petits et finalement le même don de soi. On est là nu, assis sur une pierre en plein soleil. Le swâmî s’avance avec des seaux emplis de bouses, d’urine et de lait de vache. On s’apprête à entrer en communion intime avec l’animal. Le corps est enduit de bouses, puis rincé à l’urine avant d’accueillir des cascades de lait. Aux rires spontanés, se mêlent de profonds silences quand les vaches en contrebas regardent ces êtres entièrement recouverts de leurs propres déjections. On dépasse la honte et le dégoût liés au contact du corps avec des matières que l’on considère comme impures. On fait fi de la logique binaire, des catégories pur/impur. Enrober le corps de bouses, c’est recouvrir l’ego, c’est abolir l’image que l’on a de soi et de son corps. Avec les ruissellements de lait, on se relie à Kâmadhenu, la vache mythique, on s’immerge tout entier dans l’océan de lait. En se mettant sous la protection de la vache, nous revenons spontanément à la Terre qui nous féconde et nous renouvelle. Gopâshtamî, la fête des vaches, qui célèbre le séjour du jeune Krishna parmi les bouviers et gopîs de Vrindâvan, les rend totalement à leur splendeur. Auréolées des vapeurs de santal, ornées de guirlandes de fleurs, – 8 –
  • 9. cornes, sabots et poche adipeuse peints avec des couleurs éclatantes, elles deviennent les témoins privilégiés des amours de Krishna et des gopîs. Elles tracent sans fin des chemins dans la poussière, des chemins qu’arpentent celles qui symbolisent la recherche continue de l’union avec le principe divin. La beauté des tableaux qu’ont su magnifier les peintres de miniatures nous rappelle, comme le soulignait Chögyam Trungpa, que “ plus nous nous élevons spirituellement, plus nous redescendons sur terre. ” Et derrière cette beauté apparente des vaches qui désigne l’élégance exquise et la sensualité radieuse des jeunes gopîs, se profile le thème de la bhakti, de l’amour sublimé, dont on relève les signes dans l’attitude d’adoration des hommes et des bêtes, le regard envoûtant des femmes, le charme d’un geste onctueux, les yeux doux et mélancoliques des vaches qui semblent fixer la danse invisible et harmonieuse du Seigneur des Lunes d’Automne avec les jeunes filles de Vraja. L’amour appelle la paix. La dévotion et le respect que l’hindou accorde à la vache est, sans aucun doute, une forme accomplie de ahimsâ, la non-violence. Dans un monde où la partie est dans le tout et le tout dans la partie, où il est dit que l’Absolu sommeille dans la pierre, respire dans la plante, s’anime dans l’animal et s'éveille en l’homme, l’amour pour les vaches éclaire la quête d’un accord sans cesse renouvelé avec le monde. – 9 –
  • 10. En 1925, le Mahâtmâ Gandhi accepta la présidence de l’“ Organisation pan-indienne pour la protection de la vache ” et, dans un article paru en 1921, il écrivait déjà : “ La protection de la vache est pour moi un des phénomènes les plus merveilleux de l’évolution humaine. Elle emporte l’homme au-delà des limites de l’humanité. La vache représente pour moi tout le monde subhumain. Par la vache, l’homme est amené à “ réaliser ” son identité avec tout ce qui vit. Et il me semble évident que pour cette apothéose on a dû choisir la vache. Dans l’Inde, la vache est le meilleur compagnon de l’homme. C’est elle qui lui donne l’abondance. Non seulement elle donne du lait, mais elle rend possible l’agriculture. La vache est un poème sur la pitié. Tout ce doux animal exprime la pitié. Pour des millions d’êtres humains dans l’Inde, elle est la Mère. Protéger la vache signifie protéger tous les êtres muets que Dieu a créés. L’ancien prophète (je ne sais qui c’était) a commencé par la vache le respect pour les ordres inférieurs de la création, respect qui est le don de l’Hindouisme à l’humanité ”. Qu’avons-nous fait de ce don, nous dont la langue véhicule des expressions comme “ mort aux vaches ”, “ peau de vache ” et le sobriquet aujourd’hui si célèbre de “ vache folle ” qui voile inéluctablement la souffrance de ces animaux ? Le comportement occidental à l’égard de la vache montre combien l’art de bien gérer les ressources offertes par la Nature – ce – 10 –
  • 11. que devrait être l’agriculture – s’est placé à l’extérieur de celle-ci. Le caractère sacré de la Terre n’étant plus perçu ni vécu, la terre n’étant plus envisagée comme un patrimoine mais plutôt comme un outil de travail, elle n’est plus alors qu’un capital immobilisé dont on attend un rendement à tout prix. Dans un tel contexte, la vache est devenue une machine à transformer les protéines végétales en protéines animales. Voit-on l’animal dans la viande, dans la chair que tant d’êtres humains consomment ? Songe-t-on à la transformation des bêtes en nourriture ? Plutarque qui s’interrogeait sur l’horreur du geste fondateur de la boucherie n’écrivait-il pas : “Quelles affections, quel courage ou quels motifs firent autrefois agir l’homme qui, le premier, approcha de sa bouche une chair meurtrie (...), servit à sa table des corps morts, et pour ainsi dire des idoles, et fit sa nourriture de la viande de membres d’animaux qui, peu auparavant, bêlaient, mugissaient, marchaient et voyaient ? Comment ses yeux purent-ils souffrir de voir un meurtre ? (...) Comment son goût ne fut-il pas dégoûté d’horreur, quand il en vint à manier l’ordure des blessures ?” Tuer un animal pour s’en nourrir ne devrait-il pas être un acte exceptionnel et transgressif ? Ne devrait-il pas conserver son caractère de gravité ? Si l’on prête attention à la terminologie qu’emploient les “professionnels de la viande” – “bêtes à viande”, “faire une bête en souliers vernis”, “ prendre soin de faire joli en fleurant les carcasses”, par exemple – , aux méthodes d’élevage, aux techniques de reproduction artificielle, à la mise en vente sur Internet de veaux de “grande valeur génétique”, produits de la sélection, à la “traçabilité”, cette marque de série fixée à l’oreille – 11 –
  • 12. des vaches deux jours après leur naissance et qui les suit de la salle de traite jusqu’à l’abattoir, on remarquera aisément comment la zootechnie parvient à dépouiller la vache de sa nature véritable. Peut-elle encore conserver le statut d’animal si derrière la chair de ce mot personne ne perçoit son origine – anima, âme – et que l’on accepte délibérément de voir en la vache une “ chose ” à exploiter, une masse de viande inerte que l’on peut “ travailler ”, “ modeler ” et “ développer ” à des fins purement alimentaires, avec cet art consommé du boucher qui achève d’effacer l’animal dans la viande en la déguisant parfois en végétal. Sur la route qui mène à Karma Ling, les vaches se sont couchées dans les herbes hautes. Leurs cornes suivent le parcours vertical des herbes et sont un rappel du symbole de l’élévation. Elles ont longtemps été l’emblème de la Magna Mater, la Grande Déesse de la fertilité. En sectionnant les cornes des vaches, comme c’est l’usage aujourd’hui, l’homme se coupe de son propre passé. Le rythme de nos pas ne suit plus la foulée paisible des vaches. Il nous faudrait peut-être un autre rapport au temps pour aller s’asseoir dans ce champ, au milieu des vaches sommeillantes et rester simplement là, sans bouger, afin de ressentir au plus profond de soi la vie diffuse du monde plus qu’humain. Ne serait-il pas bon de méditer en leur douce compagnie, elles qui ne cessent – 12 –
  • 13. d’incarner la beauté de la pratique du don ? Ne serait- il pas louable de prendre conscience de l’ampleur du sacrifice de cet animal qui n’a cessé de nous aider à devenir ce que nous sommes ? Ne serait-il pas souhaitable de prendre conscience que la vache est une médecine qui participe pleinement à l’écologie de l’esprit : elle qui nous éveille à la quiétude, qui ouvre nos cœurs sur le sens de l’humilité et sur le caractère hautement sacré de la Terre ? La vache, dont le regard se perd parmi les fleurs et les herbes, a beaucoup à nous apprendre de la vie élémentaire. Acceptons de nous tourner vers le soleil du grand Est, là où la vache est objet de dévotion, là où elle représente la nature primordiale de l’homme, comme nous le suggère le Zen avec Les dix étapes de la garde spirituelle du bétail. En gagnant les hauteurs, en se rapprochant du chemin de campagne, nous renaissons dans l’air qui l’environne, nous nous mettons à l’écoute de la puissance silencieuse des forces qu’il abrite. Pour un court instant, nous devenons le gardien des vaches qui reposent en nous. On entend derrière la syllabe “Go” – ce nom qui sert à désigner la vache en Inde – un jeu de résonances sonores. Ce “Go” renvoie alors à la première syllabe de Gautama dans Gautama Siddhârtha Bouddha. Et, dans la rondeur du “o”, se faufile aussi le “Go !” anglais, comme une invitation à s’élancer sur le chemin entrelacé de paix, à entrer dans la vision de la vie sacrée universelle. Enlacé par les bois qui défilent aux abords des lacets, gagnant la combe lovée sur les pentes du massif de Beldonne, on aspire à prolonger le rayonnement – 13 –
  • 14. d’amour en contemplant les couples de gazelles qui surmontent les portes du Tcheuten. Autant de liens tissés avec les biches qui parcourent les forêts, autant de présence à la bonté de tels animaux, autant de communions avec l’état d’absence de toute querelle et d’extrême humanité au cœur de l’animalité. Et, parmi les sapins, s’élève alors la voix de Râmana Maharshi : “ Se corriger soi-même, c’est corriger le monde entier. Le soleil brille tout simplement. Il ne corrige personne. Parce qu’il brille, le monde entier est plein de lumière. Se transformer soi-même est un moyen de donner de la lumière au monde entier. ” Alain Grosrey Docteur d’État | PhD Chercheur-associé Université d’Angers – 14 –