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GEOPOLITIQUE




Nature humaine et environnement naturel

Notre époque se caractérise par un détachement croissant de l'homme
vis-à-vis de son environnement naturel. Nos lieux de résidence et de
travail, nos moyens de transport ont le chauffage central et l'air
conditionné. Nos pieds (ou plutôt nos chaussures) ne foulent que
rarement la terre-mère, et dès que la température extérieure ne nous
convient plus, nous ne nous contentons pas de couvrir 90% de notre
corps de vêtements chauds : nous réduisons notre contact avec les
éléments aux quelques minutes nécessaires pour monter dans une voiture
ou en descendre. Même l'agriculture ou la sylviculture, supposées
contraindre l'homme à vivre au grand air, n'exigent que 40 à 60 heures
d'extérieur par semaine. Certes, il existe encore des pays où une partie au
moins de la population, bergers et chasseurs, passe chaque année
quelques mois à la belle étoile, mais ce mode de vie disparaît rapidement
jusque dans les contrées les plus archaïques du monde contemporain.

Il fut pourtant un temps où l'homme était à la merci de la nature; où la
nature commandait son travail et ses loisirs, la qualité et la quantité de
son alimentation, le cadre et la durée de son existence. Tels des tyrans
tout-puissants, les éléments excitaient sa terreur ou suscitaient son
espoir. L'homme n'avait ni les moyens, ni la témérité de les affronter :
rempli d'une crainte respectueuse à leur égard, il se contentait de leur
payer un constant tribut de reconnaissance ou d'expiation. Il fut un temps
où la nature imprimait dans l'esprit humain, du berceau à la tombe, une
profusion   d'images   d'une    intensité   inégalable,   fût-ce   par   les
endoctrinements totalitaires les plus contraignants. Il fut un temps où
l'homme était gouverné par la nature.
L'homme moderne n'a pas échappé à l'étreinte de la nature, loin s'en faut,
mais elle ne l'effraye plus; il la façonne, nourrit l'espoir de la modifier,
voire de la conquérir. En de rares occasions seulement, un tremblement
de terre, un typhon ou une tornade peuvent réveiller sa terreur et graver
dans sa mémoire une image indélébile, susceptible d'influencer sa
conduite future. Mais contrairement à l'homme primitif, entièrement cerné
par la nature, l'homme moderne est pris dans un environnement social.
L'impact immédiat des lois de la nature est remplacé par celui des lois et
des forces sociales -d'où la tendance à considérer l'environnement
historique et social comme facteur déterminant par excellence. L'homme
devient moins "naturel", plus humain et plus social; il est, en un mot,
gouverné par l'homme.

Le moderne reste néanmoins conscient des limites que la nature impose à
ses potentialités. Une installation de chauffage ne peut pas plus
transformer le climat de l'Arctique qu'un système d'air conditionné ne peut
changer celui de l'Afrique équatoriale. Le drainage, l'irrigation ou les
engrais ne peuvent non plus transformer n'importe quelle contrée en zone
agricole. Malgré les nouvelles inventions, la "conquête" de la Terre par
l'homme -sa maîtrise de la nature- n'est pas infinie : la nature impose
toujours une limite que l'homme ne peut transgresser. C'est cette
permanence des liens environnementaux qui a conduit les géopoliticiens
allemands à évoquer l'Erdgebundenheit ("dépendance à la terre") de
l'homme    et   de   la   politique.   Nous   pouvons   être   fiers   du   degré
d'émancipation à l'égard des contraintes naturelles auquel nous sommes
parvenus, mais il nous faut bien admettre que l'homme moderne demeure
limité par la nature.

Que l'environnement influence d'une façon ou d'une autre l'existence
humaine fut admis dès l'Antiquité et doit l'être encore de nos jours. Mais
la différence entre les premiers écrits géopolitiques et ceux d'aujourd'hui
s'enracine dans la distinction entre l'homme gouverné par la nature et
l'homme limité par la nature. On peut certes objecter que cette rupture
porte sur la nature humaine elle-même plus que sur la place faite au
conditionnement géographique. Jusqu'au XVIIIe siècle en effet, tous les
penseurs (sauf peut-être Machiavel) ont considéré la nature humaine
comme une essence immuable, déterminée par Dieu, le climat ou la race,
alors que les penseurs modernes ont développé la théorie d'une nature
humaine souple et évolutive. Pour réelle qu'elle soit, cette distinction ne
suffit   cependant   pas   à   différencier   entièrement   l'ancienne   pensée
géopolitique de la contemporaine, car la nature humaine souple et
évolutive des modernes n'est pas nécessairement incompatible avec le
déterminisme : elle s'est vue successivement proposer l'histoire, les
structures de production, la libido etc. pour facteurs déterminants. Mais
les écoles de pensée modernes, lors même qu'elles acceptent le
déterminisme, rejettent sa version première selon laquelle les conditions
géographiques peuvent être déterminantes. A leurs yeux, l'environnement
géographique se borne à limiter les possibilités économiques d'un pays et
détermine tout au plus sa situation stratégique, non la nature humaine en
soi.

Les géographes et géopoliticiens allemands du XXe siècle inclinaient
souvent au déterminisme géographique (Franz Heiderich, "Geographie", in
Hermann Sacher, éd, Staatslexikon, Freiburg im Breisgau, Herder & Co,
1927). En Amérique, Ellsworth Huntington a beaucoup insisté sur la façon
dont l'environnement physique imprime sa marque à la culture et aux
individus.

Les auteurs géopolitiques pré-modernes

Parmi les analystes pré-modernes de l'impact de l'environnement naturel
sur l'homme, Aristote et Jean Bodin méritent une mention spéciale. Les
conclusions de leurs enquêtes, même si on les retrouve chez d'autres
auteurs, ont ouvert de nouvelles voies d'investigations et suscité des
recherches approfondies.
Aristote

Vingt-trois siècles avant l'invention du mot "géopolitique", Aristote s'est
penché sur un grand nombre de questions que nous qualifierions de
géopolitiques. Il envisageait l'environnement naturel au double point de
vue de son impact sur la personnalité humaine et de ses implications
quant aux besoins économiques et militaires de l'Etat idéal. Les habitants
de cet Etat devaient être valeureux, or "Trois facteurs rendent les
hommes bons et vertueux : la nature, la tradition et la raison". Le lien
entre la nature et la personnalité des citoyens "saute aux yeux de
quiconque regarde les Etats les plus fameux de l'Hellade, et plus
généralement la distribution des races du monde habité." Le climat et le
tempérament      national    sont    étroitement   associés;   l'hétérogénéité
territoriale implique l'hétérogénéité humaine, entrave la réalisation de
l'unité et de la concorde nationale. L'environnement géographique façonne
la personnalité de l'homme en favorisant tel ou tel type d'activité;
l'organisation économique ainsi définie incline les populations à un type
particulier de régime politique, là où d'autres modes de vie commanderont
des choix différents. Il existe un lien direct entre la vertu d'un peuple et
ses activités, de sorte que ces activités peuvent être hiérarchisées d'après
le degré de vertu qu'elles favorisent et le type de régime qu'elles rendent
possible (Politique, livres IV, V, VII).

Aristote prend également en compte les conditions géoéconomiques de
viabilité de l'Etat, marquant sa préférence pour un territoire permettant
l'autarcie. Il soulève des problèmes de géostratégie, soulignant la
protection que l'isolement géographique offre à l'Etat contre les attaques
militaires en bonne et due forme, mais aussi contre les influences
indésirables; des idées révolutionnaires venues de l'étranger peuvent en
effet saper la stabilité d'un régime par ailleurs apte à persévérer dans son
être.

Bodin
Pour s'inspirer de la division tripartite d'Aristote, les théories climatiques
de Bodin n'en sont pas moins originales. Leur importance tient à
l'influence qu'elles ont exercée sur bon nombre d'auteurs, dont Milton,
Montesquieu et Burke. Ces théories font l'objet du premier chapitre du Ve
des Six livres de la république.

Selon Bodin, il faut prendre en compte l'environnement naturel de chaque
république "pour adapter la forme de la constitution à la nature des lieux
et conformer les lois humaines aux lois naturelles." A chaque fois que les
législateurs ont manqué cette adaptation et "ont voulu plier la nature à
leurs édits", de graves maux en sont résultés et "maint grand Etat est allé
à sa ruine." On peut donc s'étonner que "ceux qui ont écrit sur la
république n'aient pas traité cette question" (édition de 1608, p.663).

Bodin, qui adhère à la conception fixiste de la nature humaine, est
désarçonné par la diversité des tempéraments nationaux. Aussi tente t-il
d'expliquer    cette    absence     d'uniformité     par    les    influences
environnementales. Il reproche à Plutarque de n'avoir pas compris
pourquoi les différents peuples ont choisi des régimes dissemblables et
souligne qu'un architecte essaie toujours d'adapter ses plans aux
matériaux et au site dont il dispose. Les politiciens doivent suivre cet
exemple et conformer la structure politique au tempérament humain tel
que l'environnement le conditionne.

Il faut pourtant remarquer que Bodin ne fait nullement de l'environnement
géographique le seul facteur conditionnant la vie humaine, ni même le
plus important. Il admet que certains traits dus au climat puissent évoluer
sous l'effet d'autres influences. L'impact de l'environnement naturel
constitue à ses yeux l'un des multiples paramètres que les politologues
devraient analyser, bien qu'ils l'aient souvent perdu de vue. Mais malgré
cette restriction, Bodin appartient encore à l'école géopolitique pré-
moderne en ce qu'il professe que la nature ne se contente pas de limiter
nos potentialités, mais détermine également notre volonté d'accomplir ou
non tel ou tel dessein.

Les écrits géopolitiques d'Aristote ou de Bodin sont représentatifs de leur
temps par leur insistance fondamentale sur la réalité indépassable et
contraignante de l'impact de l'environnement naturel sur l'homme et sur
son existence politique. Ils abordent bien sûr des questions qui intéressent
encore les géopoliticiens d'aujourd'hui, mais leur souci premier relève des
sciences naturelles. En d'autres termes, ils essaient de définir les lois de la
nature -non le jus naturale moral, mais le jus naturae physique- qui
gouvernent l'existence humaine dans son cadre naturel. Leur géopolitique
tend donc à se présenter comme une science objective du donné factuel,
non des virtualités humaines. Dès lors que la volonté de l'homme est
largement déterminée par les conditions extérieures, la géopolitique n'est
pas seulement objective, elle est plus généralement amorale et apolitique.

Les auteurs géopolitiques modernes


Les écoles géopolitiques contemporaines ont globalement abandonné
l'idée   que   l'environnement    géographique     puisse    significativement
déterminer la nature de l'homme moderne. Par conséquent, elles ont
reporté leur attention sur les tendances induites par l'environnement : les
géopoliticiens modernes ne cherchent plus sur la mappemonde ce que la
nature nous oblige à faire, mais bien ce qu'elle nous suggère de faire,
concurremment avec nos choix propres.

Peut-être cette définition de la pensée géopolitique moderne paraîtra-t-
elle discutable, dans la mesure où certains géopoliticiens prétendent
toujours déduire de la carte du monde des principes intangibles de
politique étrangère. Mais au vrai, ces auteurs ne s'en tiennent pas à la
géopolitique stricto sensu : ils la mêlent, ou plus exactement la
subordonnent à certaines théories de supériorité raciale, d'autarcie,
d'expansion, de lutte pour ou contre un credo religieux ou politique
-toutes   prétendues    nécessités     qui    seules   peuvent   réintroduire      un
caractère   déterministe      dans    la    géopolitique   moderne.    Une     école
géopolitique authentiquement déterministe doit par définition reconnaître
le   caractère   contraignant    de   l'environnement      naturel,   en   politique
étrangère comme en politique intérieure. Aristote, et plus encore Bodin,
s'attachaient plutôt à définir le type de régime politique possible dans un
cadre géographique donné. La géopolitique contemporaine au contraire,
rejetant la théorie d'une nature humaine façonnée par la nature (donc
acceptant la théorie selon laquelle l'homme a réussi à émanciper sa
pensée de l'emprise de la nature), a privilégié la géostratégie et les
implications des données géoéconomiques en politique étrangère. Mais le
fait même que si peu d'auteurs, fût-ce parmi les prétendus déterministes
d'aujourd'hui, se soient intéressés à la corrélation entre les régimes
politiques et leur environnement naturel, prouve d'une certaine manière
qu'ils ne sont guère déterministes au sens strict du terme.

Cela ne signifie bien sûr pas que la géopolitique doive se détourner des
questions   de    politique   intérieure.    La   tendance   à   l'assimiler   à   la
géostratégie est tout à fait regrettable : la géopolitique devrait occuper
tout le champ intermédiaire entre science politique et géographie
politique, bien que peu d'études s'y soient encore employées.

Il est fort difficile de proposer une définition générale de la géopolitique
contemporaine. La géopolitique traite de situations conflictuelles; aussi les
stratèges et expansionnistes de tout poil en ont-ils usé et abusé, depuis
Mahan et Theodore Roosevelt jusqu'à Hitler et Tojo. Propagandistes et
contre propagandistes ont accaparé son champ propre, espérant ainsi
recouvrir d'un vernis scientifique leurs arguments fallacieux. Leur tâche
est facilitée par l'inculture géographique, qui est la chose du monde la
mieux partagée : peu de gens ont compris qu'une carte ne peut être
qu'une représentation distordue d'une portion donnée d'univers, et
beaucoup inclinent à admettre n'importe quelle carte comme un document
scientifique fiable. Ce qui fait le crédit de la cartographie de propagande,
c'est qu'elle "démontre" visuellement la thèse soutenue. "Il est difficile de
réfuter verbalement le contenu d'une carte, parce qu'il faut d'abord
vaincre la méfiance envers tout discours qui contredit l'évidence des
sens". On a vu se développer une technique cartographique spéciale,
combinant d'habiles distorsions spatiales avec des fonds de couleur et des
flèches suggestives qui attirent l'attention sur certains points. Cette
technique n'est pas nécessairement blâmable en elle-même : elle peut
aider à faire ressortir des faits et des problèmes politiques importants,
pourvu toutefois que le public ait un minimum de sens critique.

Par leurs cartes tout à fait novatrices, les géopoliticiens allemands, en
particulier, furent d'excellents pionniers de l'éducation géopolitique. On
s'était jusque-là trop habitué à la projection de Mercator et aux cartes
centrées sur la latitude Europe/Etats-Unis/Japon; les nouvelles méthodes
sont opportunément venues rappeler que le monde apparaît très différent
suivant le point autour duquel on ordonne la projection. Cela a contribué à
faire comprendre pourquoi les hommes d'Etat des différentes nations
peuvent avoir des approches tout à fait dissemblables des problèmes
géopolitiques   et    géostratégiques   du    monde;     tous   les   acteurs
internationaux envisagent un même problème depuis leur perspective
géographique spécifique et l'analysent d'après un planisphère centré sur
leur propre espace.

Durant la Seconde guerre mondiale, malheureusement, les propagandes
nationales pervertirent à la fois les cartes géopolitiques et les légendes qui
les accompagnaient. La géopolitique perdit donc son statut de science, ou
du moins cessa d'être pratiquée et considérée comme telle, ce qui
explique le discrédit du terme lui-même. Dans l'après-guerre, beaucoup
de politologues sont devenus réticents envers la recherche géopolitique. Il
n'est donc pas inutile d'établir les critères de vérité et de fausseté en la
matière, afin de montrer où commence l'erreur et comment elle peut être
déjouée.
Géopoliticiens incompris et dévoiement de la géopolitique

La théorie organiciste de l'Etat


L'un des griefs les plus souvent faits à la géopolitique est son inextricable
compromission avec ce que l'on nomme couramment "théorie organiciste
de l'Etat", selon laquelle toutes les parties de l'Etat constituent un "corps"
unique, doté d'une "vie" et d'une "croissance" propre.

Cette "théorie organiciste" est une conception philosophique, ou plus
exactement métaphysique de l'Etat. Contrairement à l'idée qu'"une
organisation humaine" n'a pas à proprement parler d'âge, "puisque les
hommes qui constituent une génération ne sont pas plus vieux que ceux
des générations précédentes", la théorie organiciste estime que la "vie"
d'un Etat ne se réduit pas à celle des individus dont il se compose.
L'essence de l'Etat est spirituelle : c'est l'idée dans laquelle et par laquelle
tous ses ressortissants sont spirituellement liés en une unité organique
-une unité dans la multiplicité. Quiconque évoque la naissance d'un Etat,
sa vie ou sa mort, traite de phénomènes spirituels indépendants de son
apparition ou de sa disparition factuelle comme entité politique sur la
scène internationale. Par contre, quand cette philosophie organiciste se
double d'une assimilation de l'Etat territorial à un organisme géographico-
biologique, géographie et géopolitique s'aventurent en eaux troubles.

L'abîme philosophique séparant l'Amérique de l'Europe continentale -tout
particulièrement    de   l'Allemagne    et   de   la   Russie-,   la   méfiance
fondamentale des Américains à l'égard de toute pensée métaphysique ont
engendré chez nous bon nombre de malentendus à propos des écrits
politiques et géopolitiques européens. Une lecture approfondie des deux
principaux fondateurs de la géopolitique contemporaine -Ratzel et Kjellén-
révèle pourtant l'inconsistance de beaucoup des critiques qui leur furent
adressées et continuent de l'être. Ni l'un ni l'autre ne prétendent
immerger l'individu dans l'organisme étatique : Ratzel souligne qu'au sein
d'un Etat, organisme "fort imparfait" , "les hommes conservent une
indépendance dont ils ne sauraient se départir, fût-ce à l'état d'esclaves."
Tout au plus peuvent-ils "aliéner leur libre-arbitre en telle circonstance ou
le mettre au service de la communauté en telle autre." Les nations, les
Etats "ne sont donc pas des organismes à proprement parler, mais des
agrégats-organismes" dont l'unité résulte de "forces spirituelles et
morales." L'Etat est "un organisme moral et spirituel. Le lien qui unit ses
diverses parties physiquement disjointes est spirituel, et c'est justement
ce qui limite la pertinence de toute comparaison biologique. Le principe
directeur de l'organisme étatique relève du domaine de l'esprit, qui
transcende par définition le champ purement biologique des autres
organismes."

Kjellén, que l'on présente toujours comme le grand méchant loup de la
théorie organiciste, semble de prime abord traiter l'Etat comme un être
vivant, doté d'une vie, d'une croissance, d'une vieillesse et d'une mort,
ayant corps et âme, soumis aux lois de la vie. En fait, il est impossible de
voir plus qu'une métaphore dans ce vocabulaire organiciste. Les individus,
la nation sont pour Kjellén plus importants que l'Etat : la nation peut en
effet survivre à la disparition de l'Etat, au lieu que l'Etat "perd tout espoir"
de renaissance quand la nation s'éteint. Aussi "l'Etat est-il accidentel et la
nation essentielle." Mais la nation elle-même -multitude unie en un seul
être vivant- n'est pas le facteur le plus important dans la vie de l'Etat.
Kjellén en arrive à cette conclusion "d'une inestimable portée tant au plan
pratique qu'au plan théorique : la vie de l'Etat, en dernière instance, est
entre les mains des individus."

Kjellén eût-il réellement conçu l'Etat comme un organisme vivant qu'il
n'aurait pu admettre l'indépendance de l'individu, et encore moins son
pouvoir de vie et de mort sur l'Etat. L'Etat, dans ses travaux, n'a jamais
d'existence vraiment indépendante. Il n'approche nullement, fût-ce de
loin, le statut souverain du Weltgeist hégélien ou des "forces matérielles"
marxistes. Et même si Kjellén déduit "la supériorité de la théorie
organiciste" de la "finalité propre qu'elle donne à l'Etat" , cette finalité ne
diffère guère de celle de n'importe quel Etat démocratique, à savoir "le
bien de la nation" et "l'amélioration des inclinations -morales- du peuple".
Qui plus est, Kjellén souligne qu'il faut poser des limites à la recherche du
bien commun par l'Etat : son action en la matière devrait s'arrêter "là où
commence la finalité propre à l'individu, définie par sa personnalité
(Persönlichkeitzweck)".

Par conséquent, même s'il insiste sur le fait que l'Etat est "différent de la
somme de ses parties" et constitue une personnalité, "une vraie
personnalité dotée d'une vie propre, non un conglomérat d'individus",
Kjellén n'en fait pas une entité organique biologico-géographique. Il
récuse l'approche de l'Etat comme "abstraction", mais sa théorie ne
dépasse guère le cadre de l'analogie organiciste si populaire au Moyen-
Age. Son souci premier était de combattre la conception légaliste alors
prédominante, qui réduisait l'Etat à la somme des articles constitutionnels
et autres lois fondamentales : "Kjellén substitua à la conception des Etats
comme constructions légales celle des Etats comme Puissances."

Kjellén voit dans le souci des considérations pratiques ("matérielles") en
politique intérieure et extérieure un signe de maturité et de sain réalisme,
mais il rejette toute téléologie étatique fondée sur le matérialisme et
l'hédonisme, qui prendrait le parti de ce qui est contre ce qui doit être. Il
plaide 1°) pour une conception moderne de l'Etat et une science politique
affranchie des facultés de Droit; 2°) pour un "retour à la nature"
rousseauiste, au rebours de toute conception abstraite et artificielle de la
personnalité de l'Etat; à la nature de l'Etat telle que réalisée dans sa
"personnalité géographique" et à la nature humaine révélée dans la
"vigoureuse vie instinctive".     Kjellén est assez représentatif de ces
"conservateurs progressistes" mittel-européens d'avant 1914, dont les
idées dépassaient la vision du monde d'un Bismarck ou même d'un
Pobiedonostsev sans pour autant être radicalement différentes.
Le but de la théorie quasi-organiciste de Kjellén est de montrer que l'Etat
n'est pas un corpus desséché de lois, mais au contraire une communauté
évolutive et vivante où territoire, individus et nation prise comme un tout
sont en interaction. Les vicissitudes de son existence et des relations de
ses éléments constitutifs peuvent être considérées comme les signes de
sa bonne santé, de sa croissance, de son déclin, voire même de sa mort.
Mais l'individu n'y est jamais sacrifié ni irrémédiablement absorbé par
l'Etat ou la nation. Ses finalités individuelles sont respectées, et c'est en
dernier ressort la volonté individuelle qui préside aux destinées de l'Etat.

Géopolitique et déterminisme géographique

Les raisonnements géopolitiques, ou plus précisément les politiques qui en
découlent, peuvent dégénérer en déterminisme géographique. C'est là un
risque incontestable, en son temps reconnu par Ratzel : "Le seul élément
matériel de l'unité d'un Etat est son territoire. C'est pourquoi la tentation
est forte d'organiser le système politique essentiellement en fonction du
territoire, censé faire l'unité de populations toujours passées sous
silence". La géopolitique a été inventée pour attirer l'attention des
hommes d'Etat sur le facteur géographique, trop souvent négligé en
politique. Mais qui veut subordonner tous les autres facteurs à la
géographie au lieu d'intégrer le savoir géographique à l'édifice de la
science politique tombe d'un extrême dans l'autre : dès lors, les choses se
brouillent   nécessairement.   Surestimé,   le   poids   de   l'environnement
géographique prend figure de force déterminante.

Le géopoliticien Jacques Ancel estime que l'école géopolitique française a
évité les pièges du déterminisme grâce à l'équilibre que Vidal de la Blache,
son inspirateur, a su établir entre le donné géographique et la volonté de
l'homme, sa capacité d'initiative. Otto Maul, confrère allemand d'Ancel à
qui ce dernier reproche son prétendu déterminisme, partage en fait la
conviction que les géopoliticiens doivent envisager l'homme comme un
agent autonome. "Le lien à l'environnement dont parle la géopolitique
n'est   pas    déterministe,   pas   même     lorsqu'il   concerne    les   facteurs
géographiques les plus massifs et les plus importants, dont la pesanteur
apparaît      plus   ou   moins   constante."    Maull     pense     que    l'époque
contemporaine a fondamentalement altéré la relation traditionnelle de
l'homme à son environnement. Après avoir maîtrisé l'espace, l'homme
réussit maintenant à domestiquer une bonne partie des forces naturelles
jusque-là hostiles; il a appris comment exploiter les possibilités offertes
par l'environnement et comment déjouer ses défis. "Aussi le raisonnement
géopolitique ne peut-il penser le monde sans penser l'homme. Dans sa
forme spirituelle la plus haute, dans sa personnalité, que Kant décrit
comme 'la liberté et l'indépendance à l'égard des mécanismes de la
nature', l'homme n'est autre que l'élément actif et déterminant par
excellence."

En ce qui concerne Kjellén, et quelque regard que l'on porte sur sa
conception politico-philosophique de l'Etat et de la nation, il faut bien
admettre      que    sa   géopolitique   ne     suppose    aucun     déterminisme
géographique, ni aucune assimilation de l'espace géographique à un
organisme. Bien au contraire, il apparaît que "l'immoralité politique" de
Kjellén -son insistance sur les luttes de pouvoir et sa dépréciation du rôle
de la morale et des lois- tient précisément à la place déterminante qu'il
reconnaît aux hommes et à leurs passions. Les guerres, l'expansionnisme,
les violations des lois internationales, il ne les attribue pas à quelque force
fataliste et déterministe qui resterait extérieure à l'homme, mais à la
volonté et à l'instinct de survie des individus, des nations et de leurs
chefs. Une conception réaliste de l'Etat ne doit pas seulement prendre en
compte la constitution morale, rationnelle et légale de l'Etat mais aussi les
"tendances organiques" manifestées dans sa vie réelle, c'est-à-dire les
pulsions instinctives des habitants, qu'elles soient morales ou immorales.
La formule allemande "Not kennt kein Gebot" ou la maxime américaine
"My country right or wrong" ne constituent pas des règles de conduite
légales ou morales, mais nul ne saurait nier le rôle qu'elles jouèrent dans
la vie nationale et internationale de ces Etats.

Kjellén y insiste, la loi seule ne détermine pas la politique; mais il ne
substitue pas un déterminisme géographique au déterminisme juridique.
Les critiques qu'on lui a adressées ne sont pas sans fondement, mais elles
partent généralement dans la mauvaise direction. Son erreur n'est pas
d'avoir cru l'homme mû par son environnement ou par un Etat organiciste,
mais au contraire d'avoir fait trop de place à sa liberté -notamment en
qualifiant de "naturels" les instincts expansionnistes des individus et des
nations; les disciples de Kjellén en ont conclu que cet instinct, en tant que
naturel, devait aussi être bon.

Le second reproche que l'on peut légitimement faire à Kjellén est d'avoir
souscrit sans réserves au dogme de l'autarcie souhaitable et nécessaire.
Le concept de Lebensraum est étroitement associé à ce dogme. De même,
la définition d'une "frontière naturelle" dépend de la place reconnue à
l'idéal autarcique. L'autarcie est de nos jours une irréalisable chimère qui
n'a   amené    que   des   conflits    entre   les   nations;   elle   présuppose
l'impossibilité ou la nocivité de la coopération économique internationale
et juge dangereuse l'interdépendance des différents pays. La théorie
autarcique estime que les Etats peuvent et doivent être des "organismes"
écopolitiques autosuffisants, exigence qu'elle justifie tantôt par des
nécessités    stratégiques,   tantôt     -comme      chez   Kjellén-    par   des
considérations morales enracinées dans les vieilles valeurs agrariennes et
l'économie naturelle.

Plus généralement, deux remarques s'imposent à propos du déterminisme
géographique. La première est que mainte discussion ou controverse à
son sujet est faussée par l'imprécision de la problématique : qu'est-ce qui
est censé être déterminé ? La volonté ou les actions de l'homme ? Les
géopoliticiens que nous avons appelés "prémodernes", Aristote et Bodin,
inclinent surtout (mais pas seulement) à souligner la détermination
environnementale du caractère de l'homme, c'est-à-dire de sa volonté.
Certains auteurs contemporains leur emboîtent le pas, s'appuyant sur des
données psychologiques et physiologico-écologiques ; même tendance
dans les théories géographico-historiques qui combinent ces données avec
un déterminisme historique. A l'inverse, les auteurs qui privilégient les
actions humaines comme champ d'action du déterminisme estiment que
l'environnement n'affecte pas la volonté de l'homme mais se contente de
supprimer -au moins dans certains cas- toute alternative quant à l'action à
entreprendre. L'appréciation de cette doctrine dépend de la réponse
apportée à un problème plus global : jusqu'où s'étend l'emprise de la
nécessité, et jusqu'où est-elle décisive pour la vie humaine ? A quel degré
l'homme est-il mû par son désir de persévérer dans son être individuel et
collectif, et qu'est-ce que cette lutte pour la vie implique ? Autrement dit,
à quel moment ne reste-t-il vraiment qu'une conduite possible, toutes les
autres menant plus ou moins directement à une extinction plus ou moins
rapide ?

C'est   précisément   une   conception    différente   des   relations   entre
l'environnement et la survie de l'espèce qui a inspiré aux auteurs
communistes quelques-unes de leurs plus violentes attaques contre la
"géopolitique bourgeoise." Bien sûr, beaucoup de ces attaques relèvent de
la littérature propagandiste; mais on y trouve aussi des critiques plus
substantielles. Par exemple, les auteurs communistes s'acharnent contre
les Malthusiens et voient dans Road to Survival, de William Vogt, un
exemple classique de déterminisme géographique outrancier. Selon Vogt,
certains pays, voire le monde entier, "ne peuvent littéralement pas nourrir
plus d'hommes" -de sorte qu' "il n'y a pas d'échappatoire" : il nous faut
soit réduire les naissances (Vogt considère la chute de la mortalité comme
"la plus grande des tragédies"), soit accepter de voir la famine "tuer
encore plus de millions d'hommes" . Les communistes y voient un non-
sens, car à les en croire l'environnement n'oblige pas l'humanité (pas
même en Chine) à adopter une politique de limitation des naissances; ils
pensent l'avoir déjà suffisamment démontré.

Cela nous amène à la seconde observation générale, à savoir que le
problème du déterminisme géographique n'est qu'un aspect de la question
suprême posée aux sciences physiques comme à la philosophie : celle du
déterminisme et de l'indéterminisme, de l'esprit et de la matière. Plus d'un
argument jeté dans la marmite bouillante du débat sur le déterminisme
géographique   serait   sans   nul   doute   reformulé   si   ses   implications
téléologiques ultimes étaient pleinement comprises. Malheureusement, la
tendance à la fragmentation du savoir et à l'isolement des champs
d'études particuliers, de pair avec le divorce entre la philosophie et les
sciences non seulement physiques mais sociales, rend très difficile
l'investigation raisonnée de certains problèmes généraux. P.E. James et
C.F. Jones (éd.), American Geography : Inventory and Prospect , New
York, Syracuse University Press, 1957, p.185.

Cette conception de l'Etat comme communauté fondée sur une union
spirituelle et transcendante n'est pas exclusivement allemande, ni
spécifiquement hégélienne. Elle a de profondes racines en Russie,
notamment dans les écrits de A.S. Khomiakov : la notion de Soborna
Rossiia renvoie directement à la métaphysique organiciste. Que l'Etat, la
Nation soient ou non un organisme n'est d'ailleurs qu'un problème
secondaire; la vraie question est de savoir si les hommes doivent , d'après
leur nature profonde, rechercher cette unité organique dans leur effort
pour atteindre les objectifs qui dépassent leurs capacités individuelles.
Question purement philosophique bien sûr, mais il faut garder à l'esprit
que beaucoup de penseurs russes, allemands ou autres ne séparent pas
physique et métaphysique. Ils envisagent le monde empirique comme
l'expression matérielle du monde spirituel, ou comme un simple degré
dans l'ascension vers un état supérieur de la conscience, où toute matière
serait spiritualisée. Par conséquent, ils pensent que l'unité organique du
monde transcendant se reflète dans le monde physique ou gît en son sein
in statu nascendi.

Politique et géopolitique

Lorsque nous considérons notre environnement, c'est de notre point de
vue spécifique : on ne saurait parler d'environnement en faisant
abstraction du sujet environné. Hartshorne a fait remarquer que les
prétendues "régions naturelles" de la géographie ne le sont pas par elles-
mêmes, mais ne peuvent être considérées naturelles que par référence à
l'homme et à sa perspective subjective. Il n'y aurait là nulle difficulté
insurmontable si l'homme en tant qu'homme, c'est-à-dire en tant que
distinct   des    autres    espèces,   avait    une    perception    univoque    et
spécifiquement humaine de son environnement. Mais les hommes ont de
leur   identité   ou   de   leur   destin   des   interprétations    scientifiques,
philosophiques et téléologiques divergentes, en fonction desquelles ils
n'appréhendent pas de la même façon leur environnement. La pluralité
des    représentations      des    environnés     entraîne    la    pluralité   des
représentations de l'environnement. Tant que l'on s'en tient aux grands
concepts de la géographie physique, tels que les zones climatiques ou
végétales, les différences d'appréciation sont minimes, même si de telles
zones sont définies du point de vue de l'observateur humain, avec ses
modes de vie et ses besoins. Par contre, dès que l'on aborde les questions
politiques, il devient plus difficile de s'accorder.

Parler des régions naturelles et de leurs limites (ou "frontières") ne
soulève guère de controverse. Tel n'est pas le cas des prétendues
frontières naturelles des Etats, bien qu'elles ne soient ni plus ni moins
naturelles que les régions dites naturelles. Les frontières étatiques
s'enracinent trop profondément dans le terreau culturel propre à chaque
peuple et dans ses valeurs politiques pour s'accommoder d'un consensus
universel. Elles ne tirent pas leur légitimité d'un principe général commun
à toute l'humanité; en ce sens, elles ne peuvent être dites naturelles,
c'est-à-dire conformes à la nature humaine objectivée. Les frontières
résultent de compromis, parce qu'elles relèvent fondamentalement du
politique; ce dernier étant par essence le domaine de la controverse, ce
qui est politique n'est pas naturel, ou plus précisément n'est pas accepté
comme tel.

L'une des plus grandes impasses de la géopolitique -impasse résultant
parfois d'une manipulation délibérée- est la prétention de certains auteurs
à résoudre les problèmes politiques ou moraux par référence au domaine
extra-politique et amoral de la nature non-humaine.On ne peut substituer
à   la   nature     humaine        la    nature   animale,   botanique,         géologique,
topographique ou autre. La nature physique de l'homme elle-même ne
saurait être confondue avec sa nature morale et spirituelle, et ce, même si
l'on partage avec Aristote et l'ensemble des philosophies déistes la
conviction que l'univers n'est pas un pur chaos, qu'un ordre et une
harmonie ultimes président aux destinées de tous les éléments, matériels
comme immatériels.

A l'instar des politiciens qui se servent de critères anthropologiques
physiques (par exemple la couleur de la peau) pour cautionner des
décisions relevant en fait de la morale, les géopoliticiens n'ont que trop
souvent convoqué les faits et les lois du monde physique à l'appui de
choix ou d'opinions politiques. Rien n'illustre mieux le côté désespérément
contradictoire des arguties auxquelles cette tendance peut conduire que le
concept    d'     "Etat   harmonique",          apparenté    à     celui   de      "frontières
naturelles" : "On a pris les plus grandes libertés vis-à-vis des exigences
scientifiques pour évoquer le caractère 'harmonique' ou 'désharmonique'
des Etats. De ce que la forme de la Hongrie amputée de ses anciennes
dépendances        territoriales        peut   sembler   'désharmonique'           (ou   non-
organique),       l'universitaire         de    cet   Etat       'révisionniste'      conclut
nécessairement que ces zones périphériques doivent être réunies à la
Hongrie. Mais cela suggère très logiquement que la Belgique doit recevoir
des terres agricoles supplémentaires, prélevées sur la France ou sur
l'Allemagne; que les Pays-Bas doivent être étendus à la Rhénanie, ou
vice-versa, et ainsi de suite jusqu'à remanier la totalité de la carte du
monde...      Encore      finirait-on     par     constater    qu'au   terme     de   ces
chamboulements,          il     n'y   aurait    que   bien    peu   d'Etats    réellement
'harmoniques', voire pas du tout !"

Quelques années après la rédaction de ces lignes, les Hongrois réussirent
à concrétiser une partie de leur programme révisionniste et à obtenir ce
qui leur semblait un Etat harmonique. Mais leurs voisins retournèrent
l'argumentation géopolitique : les révisions de frontières qui définissaient
un espace harmonique du point de vue de l'histoire, de l'économie et des
aspirations      politiques           hongroises       paraissaient       au    contraire
désharmoniques dès lors qu'on les envisageait à travers le prisme d'une
autre culture et d'autres idéaux. Les Roumains avançaient notamment un
argument assez conforme aux doctrines de Kjellén : ce ne sont pas les
facteurs de la géographie physique qui déterminent l'unité ou l'harmonie
d'une aire politique, mais les affinités linguistiques et sentimentales. Une
crête de montagnes, une ligne de partage des eaux ne sauraient rompre
la continuité qui unit les paysans roumains des deux versants des
Carpates. Là où la géopolitique hongroise s'appuyait sur la géographie
physique et économique, la géopolitique roumaine privilégiait plutôt la
géographie culturelle et anthropologique qu'elle interprétait naturellement
au plus près de ses intérêts.

Des Etats géopolitiquement harmoniques, des frontières naturelles ne se
pourraient concevoir que si l'humanité entière s'accordait sur certains
principes fondamentaux. Il faudrait au préalable un consensus politique,
qui   seul    rendrait        possible   la    définition   d'ensembles    naturellement
harmoniques -ou plus exactement, qui les ferait universellement admettre
pour tels. Une idée naturelle, une loi naturelle est l'indispensable
préliminaire d'un ordre naturel; en son absence, il n'est rien de naturel
dans l'ordre politique. N'est à proprement parler naturel que ce qui est
commun à tous les hommes, ce qui jaillit de leur commune nature.
On a parfois tenté, contre toute logique, de renverser ce processus et de
prétendre que la nature, entendue comme ensemble de données
physiques, favorise tel ou tel choix politique. En d'autres termes,
l'environnement naturel précèderait et surdéterminerait la politique et la
morale; la nature se substituant à l'humanité, la politique dépolitisée et la
morale annihilée seraient entièrement réduites au jeu impersonnel des
forces physiques. A l'instar de Lénine, qui, dans l'élaboration du
"matérialisme scientifique", prétendait remplacer l'art du gouvernement et
la     politique   par   "l'administration     des     affaires    courantes",     certains
géopoliticiens ont voulu traiter les questions géopolitiques par une sorte
de      géo-administration     scientifique.     Ils     ont      abordé    le    problème
essentiellement politique des frontières de façon purement technique et
empirique, comme s'il ne s'agissait que d'une question de cartographie.
Ces tendances traduisent une régression au stade du matérialisme
géographique, un retour à la géopolitique prémoderne qui conçoit
l'homme comme un chapitre de l'histoire naturelle plutôt que comme
l'auteur de sa propre histoire.

Géographes et politologues

D'une certaine façon, les critiques de la géopolitique eux-mêmes sont
tombés dans le piège de la réduction du politique au naturel (entendu
comme déterminisme de la géographie physique). Dans leur apparente
volonté de rester sur un terrain strictement "scientifique" et "objectif"
(donc en prétendant faire abstraction de tout jugement de valeur), ces
critiques mal inspirés ont violemment pris à parti les travaux géopolitiques
les plus divers, imputant à leur discours géographique le péché capital
dont ils les chargeaient. Ils n'ont pas vu que ce péché capital procédait en
fait    de   la    Weltanschauung    qui     animait      ces     écrits,   non   de   leur
argumentation géographique. Haushofer, pour ne rien dire de Kjellén et
de Ratzel, fut périodiquement accusé de déterminisme géographique
implacable. Reproche assurément infondé, car pour erronés qu'aient pu
être certains de ses raisonnements géographiques, la partie la plus
contestable de ses travaux relève de ses postulats politiques et moraux,
non de ses postulats géographiques. Edmund A. Walsh voyait plus juste
lorsqu'il   mettait   en   avant   le   substrat   moral   de   la   géopolitique
haushoferienne. Selon lui, les travaux de Haushofer "contenaient environ
50% d'utiles vérités, voire davantage", ce qui ne retranchait rien au
caractère inacceptable de ses thèses politiques et de ses conclusions.

La nécessaire coexistence de concepts géographiques et de concepts
politiques est un problème posé à la géopolitique comme à la géographie
politique; il soulève la question connexe de l'éducation géographique des
politologues et de l'éducation politique des géographes. Cette nécessaire
pluridisciplinarité a longtemps manqué et manque encore, à n'en pas
douter; témoin cet incident entre un géographe et un politologue, Isaiah
Bowan et Nicholas John Spykman, qui ont tous deux exercé une influence
considérable sur la géographie politique et la géopolitique américaine et
européenne. Au début de 1942, Spykman publia son livre America's
Strategy in World Politics : The United States and the Balance of Power .
L'ouvrage, qui se présente comme "une étude géopolitique des thèmes
principaux de la politique étrangère américaine" et vise à fournir "une
analyse de la position de notre pays en termes de géographie et de
politique de puissance" , valut à son auteur le titre mérité de "Haushofer
américain" -non tant à cause du sujet traité qu'en raison de l'esprit qui
l'animait. De fait, Spykman pulvérise tous les records de Haushofer en
matière d'immoralité. Il plaide explicitement pour une politique affranchie
de toute norme morale : "L'homme d'Etat, en politique étrangère, ne peut
faire de place aux valeurs de justice, d'équité et de tolérance que dans la
mesure où elles concourent à la réalisation de son objectif -la puissance,
ou du moins ne le contrarient pas. Ces valeurs peuvent présenter quelque
intérêt instrumental en tant que cautions morales de la volonté de
puissance, mais doivent être abandonnées dès lors qu'elles deviennent
cause de faiblesse. La volonté de puissance ne sert pas à faire respecter
les valeurs morales, mais les valeurs morales à faciliter l'acquisition de la
puissance."

Ce passage a inspiré à Hans W. Weigert le commentaire suivant : "C'est la
voix de la destruction et du nihilisme". "Bismarck prenait trop en compte
les impondérables pour aller aussi loin", ajouta quant à lui Edward Mead
Earle; "c'est largement parce que l'Allemagne impériale des années
1890-1918 a appliqué les thèses défendues par Spykman que le monde, à
commencer par l'Allemagne, a basculé dans le cauchemar où nous
sommes encore aujourd'hui." Mais dans un texte écrit immédiatement
après la parution du livre (et manquant par là même du recul qu'auraient
pu lui donner les comptes-rendus ultérieurs), Bowman semble être
totalement passé à côté des implications ultimes de la politique de
puissance prônée par Spykman. Portant le livre Spykman aux nues, il
recommandait       la   lecture   préalable    d'autres     ouvrages,    notamment
Problems of Power de Morton Fullerton, qui "aborde les mêmes thèmes
que Spykman; ce dernier a repris le flambeau de Fullerton et lui a donné
un incomparable éclat." Bowman ajoutait que "le livre de Spykman est
d'intérêt public; puisse-t-il être lu dans un million de foyers américains, et
relu une fois l'an par nos responsables politiques durant les deux
décennies à venir."

Il fallut une tempête de protestations contre le livre de Spykman et contre
l'article enthousiaste de Bowman pour que ce dernier réalisât enfin la
vraie signification des thèses de Spykman et leurs affinités spirituelles.
Prétendant alors défendre l'honneur de la géographie américaine, mais
surtout soucieux de se justifier, Bowman fit une complète volte-face et
condamna sans appel la politique de puissance -sans même mentionner
America's Strategy ni le compte-rendu qu'il en avait donné. Il ne ménagea
pas   sa   peine   pour    réfuter   cette    philosophie    politique   qu'il   avait
précisément encensée quelques mois plus tôt à travers Fullerton et
Spykman et fit également valoir, à bon droit dans l'ensemble, que son
parcours personnel le rangeait indiscutablement du côté des partisans
d'un ordre mondial équitable, non de la force brute.

Le soutien provisoire apporté par Bowman à une politique totalement
amorale n'était pas dû à sa vision du monde, mais à son incompréhension
des enjeux de philosophie politique sous-jacents. A l'inverse Spykman,
politologue éprouvé, était pleinement conscient de ce qu'il prônait. Sa
"Géopolitique de puissance" était une réaction contre les déceptions que
lui avait causées la Société Des Nations (dont il s'était fait l'avocat en son
temps); elle reflétait son analyse de la nature humaine et de la nécessité
absolue de son "dressage" politique. Mais s'il est indéniable que Spykman
savait ce qu'il voulait et pourquoi, le bien-fondé ou non de ses positions
ne nous importe guère. Ce qui compte ici, c'est que le "géo" de sa
géopolitique de puissance porte à faux. Les géographes ont noté
l'étonnante "immaturité cartographique" des travaux de Spykman71 et lui
                                                                                      72
attribuent, au moins partiellement, "l'exagération de ses propos".                         Bien
plus,   Spykman     ne        semble       pas    maîtriser       pleinement     certaines
caractéristiques géographiques élémentaires des pays dont il traite. Dès
lors, on ne s'étonnera pas de ce que les moyens préconisés dans
America's Strategy semblent si mal adaptés à leur fin, à savoir la
puissance. Dès la fin 1942, E. M. Earle faisait cette remarque quasi-
prophétique : "Si nous devions suivre les recommandations de M.
Spykman en Europe et en Extrême-Orient, nous ne nous débarrasserions
vraisemblablement        de   l'alliance     germano-nipponne         que      pour        nous
retrouver   pris   en    tenailles     par     une    coalition    russo-chinoise          plus
dangereuse et plus puissante. La stratégie vantée par M. Spykman
prétend assurer l'équilibre des puissances, mais il se pourrait bien qu'elle
nous fasse perdre notre chemise en même

et   "d'emprunter       massivement        à     la   Geopolitik    allemande         et    au
machiavélisme de Mein Kampf" (La politique des Etats et leur géographie ,
Paris, Armand Colin, 1952, p. 62).
La géopolitique américaine

On peut grossièrement distinguer trois types de travaux qui ont contribué
à fonder la géopolitique américaine et à en influencer le développement :
les travaux stratégiques , les travaux géo-historiques et les travaux de
géographie politique . Chacune de ces trois branches s'est développée
sans chercher essentiellement ou consciemment à se constituer en
géopolitique, mais s'est plutôt attaquée à certains problèmes extérieurs à
l'orbite   des   sciences   politiques.   Les   divers   matériaux   et   idées
géographiques qu'elles ont rassemblés n'ont jamais fait l'objet d'un
inventaire systématique et d'une synthèse méthodologique -si tant est
qu'elle soit possible-, de sorte qu'il est quelque peu abusif de parler d'une
école géopolitique américaine.

Des trois branches, celle des travaux stratégiques est la plus clairement
politique, même s'il s'agit d'un type très particulier de politique, à savoir
les affaires étrangères et tout spécialement ce qu'on a appelé la "politique
de la puissance" (Power Politics). D'où l'association courante, voire
l'assimilation de la géopolitique et de la géostratégie, qui évoque la
guerre, ou pire, sa préparation et sa recherche délibérée. Les écrits
stratégiques sont aussi ceux qui ont influencé le plus prématurément la
géopolitique américaine, dont ils marquent peut-être le commencement;
mais ils se caractérisent par un manque d'unité méthodologique sans
équivalent dans toute la littérature géopolitique. Leur genèse s'enracine
dans l'idéologie de la New Manifest Destiny -tout particulièrement dans
l'œuvre de l'amiral Alfred Thayer Mahan. Homer Lea, le général William
"Billy" Mitchell, Nicholas Spykman, George T. Renner et Alexander P. de
Seversky peuvent être considérés comme les continuateurs de cette
tradition, même si certains d'entre eux doivent peut-être plus à la
Geopolitik qu'à Mahan. A l'instar de Mahan, tous plaident pour une
politique et une stratégie qu'ils estiment indispensables compte tenu des
données géographiques, du contexte international et de l'évolution des
technologies militaires.

Harold H. Sprout, autre disciple de Mahan et spécialiste de la puissance
maritime, est le seul politologue américain à montrer un intérêt soutenu
pour les questions géopolitiques; il traite lui aussi de l'impact des facteurs
géographiques sur les capacités de puissance internationale des Etats.
Mais à la différence de la plupart des géostratèges, son approche est
analytique et de nature plus générale.

Les disciples américains de Sir Halford J. Mackinder se situent quelque
part entre les stratégistes et les géo-historiens. Une partie des travaux de
Mackinder et de ses continuateurs traitent, comme ceux de Mahan, de
Grand Strategy au sens impérial du terme. D'autres sont plus géo-
historiques, bien que gardant pour toile de fond les grandes questions de
politique internationale. Les travaux de Vihjalmur Stefansson relèvent
aussi de ce type intermédiaire de géopolitique : ils sont en un sens
impérialistes et s'intéressent à la Grand Strategy . Stefansson n'est
pourtant pas un impérialiste de type mahanien, pas plus qu'il n'est à
proprement parler un géo-historien soucieux d'élaborer une théorie
globale du développement humain; il est avant tout un croisé du grand
Nord. Mais aussi pertinents que puissent être ses arguments politiques,
économiques et stratégiques en faveur d'un "impérialisme nordique", il
semble difficile d'admettre qu'ils constituent ses vraies motivations. En
définitive, son amour du "bel Arctique" -un amour de la nature à la
Thoreau ou à la John Muir- est au principe de sa vocation d'explorateur,
de géographe, d'historien et de géopoliticien.

En règle générale, la différence entre l'approche stratégique et l'approche
géo-historique de la géopolitique tient au fait que la première établit un
lien plus direct entre les facteurs géographiques et la politique. Elle
envisage et évalue le fait spatial, la répartition des matières premières et
du   peuplement,    les    routes   stratégiques   et   les   autres   facteurs
conditionnant la puissance des nations, leur potentiel militaire, etc.
d'après des objectifs politiques préétablis. Par conséquent, le facteur "géo"
y reste extérieur aux objectifs politiques proprement dits; traité comme
une donnée distincte et bien identifiée, il fait l'objet d'un examen objectif
visant à mettre en évidence les avantages ou les handicaps qu'il impose à
la mise en œuvre d'une politique donnée.

Il est beaucoup plus difficile d'isoler le facteur géographique dans
l'approche géo-historique. Celle-ci insiste moins sur l'impact quotidien de
l'environnement physico-géographique en politique que sur ses effets
indirects à long terme. Comme une telle démarche implique la prise en
compte de facteurs impondérables et immatériels, ce type de géopolitique
dépend nécessairement de certains présupposés sur la nature humaine,
d'interprétations personnelles et de théories de l'histoire et de la politique.

L'essor de l'école géo-historique américaine remonte aux travaux d'un
historien, Frederick Jackson Turner, et d'une géographe, Ellen Churchill
Semple. Nullement oubliée aujourd'hui, cette disciple de Ratzel est pour
les géographes américains une ancêtre encombrante, enterrée dans le
caveau de famille sous une dalle de marbre gravée de lettres d'or, mais
dont on évite de parler pour ne pas réveiller le souvenir d'anciens péchés.
Peut-être certains craignent-ils de voir ressurgir quelque exemplaire
poussiéreux de la thèse qu'ils écrivirent jadis sous son influence... A
l'inverse, les idées de Turner continuent d'inspirer nombre de lectures ou
relectures géopolitiques de l'histoire américaine, voire extra-américaine.
Elles combinent géopolitique spatiale et géopolitique environnementale. J.
C.   Malin   a   ainsi   appliqué   la   problématique   turnérienne   espaces
ouverts/espaces fermés aux questions politiques internationales de l'ère
aérienne.

Le plus connu sans doute des représentants de l'école géo-historique
américaine est Ellsworth Huntington, dont l'influence court sur près d'un
demi-siècle. Mais bien que ses travaux restent très prisés de certains
auteurs, ils sont aussi sûrement menacés par l'oubli que ceux d'Ellen
Semple. A tort ou a raison, ils évoquent trop Henry T. Buckle, L.
Metchnikoff, voire Montesquieu pour rester crédibles de nos jours. De
plus, la plupart des hypothèses de Huntington vont à contre-courant des
valeurs et des philosophies aujourd'hui partagées par l'Ouest comme par
l'Est; elles offrent enfin des perspectives si cavalières et si larges qu'il est
extrêmement difficile de les passer au crible d'une enquête scientifique
systématique pour établir leur validité ou leur imposture. A cet égard, les
travaux de Huntington sont très similaires à ceux d'Arnold J. Toynbee.

Assez comparable est la démarche -mais non les conclusions- de Karl A.
Wittfogel. Alors que Huntington est surtout un géo-historien traitant de la
relation   entre       l'environnement             -en    particulier     le        climat-      et
l'écologie/biologie humaine à travers les grandes phases de l'histoire,
Wittfogel est plutôt un économiste-politologue recourant à la géographie
et à l'histoire pour expliquer la naissance et la diffusion de certains
systèmes politico-administratifs. Il s'inspire essentiellement de Hegel et de
Marx, dont il réinterprète les idées à la lumière de ses vastes
connaissances; mais comme ses problématiques sont aussi ambitieuses
que   celles    de    Huntington       et    de    Toynbee,     ses     conclusions,          aussi
argumentées soient-elles, ne font pas toujours l'unanimité.

Il faut mentionner en dernier lieu Owen Lattimore, le plus important peut-
être des géo-historiens américains contemporains. En dépit de sa vaste
érudition, il ne se pique pas de perspectives grandioses, mais se limite à
une aire géographique plus modeste -essentiellement la Mongolie et ses
marges.    Son       œuvre    ne   se       borne    pourtant     pas     à    de     brillantes
interprétations de l'histoire de la frontière Nord de la Chine : elle fournit
aussi des schémas applicables à d'autres temps et à d'autres lieux.
L'historien comme le politologue ont beaucoup à apprendre de Lattimore.
L'étude    de    la    statique     ou        de     la   dynamique           des     frontières
culturelles/politiques       d'après        les    conditions    environnementales               et
économiques existantes pourrait être élargie à beaucoup de contrées. Elle
convient particulièrement aux zones sous-développées et politiquement
inorganisées (par exemple l'Afrique noire), où les vieilles solidarités
historiques font défaut ou sont menacées de disparition sous l'effet de
nouvelles forces centripètes, nées de l'essor rapide de pôles économiques
régionaux qui bénéficient de ressources naturelles très recherchées.

La pensée géopolitique américaine se développe enfin dans une troisième
direction, produit marginal de la géographie politique américaine, qui, à la
différence de l'anthropogéographie américaine, remonte à la participation
des Etats-Unis à la Première guerre mondiale et aux conférences de paix
qui l'ont suivie. Lors de ces conférences, des géographes ont joué le rôle
de conseillers officiels du Gouvernement : cette promotion leur a permis
de beaucoup mieux saisir le rapport entre leur discipline et la politique
générale. Ils ont notamment compris que le savoir géographique peut et
doit s'impliquer dans l'art politique et dans la formation des décideurs.
Comme cette première entrée en politique des géographes américains
concernait les relations internationales, la géographie politique américaine
fut d'abord un pendant et une annexe de la politique interétatique, ou si
l'on veut une "géographie interétatique". Là où la géographie physique
faisait l'étude comparée de ce qu'il est convenu d'appeler les régions
naturelles, la géographie politique se spécialisa dans l'étude comparée des
régions politiques définies par l'espace de souveraineté des Etats.

Mais assez rapidement, les préoccupations des géographes cessèrent de
se focaliser sur les problèmes externes de la politique interétatique,
lesquels relevaient plutôt du droit international (en l'occurrence les conflits
de frontières, étudiés conjointement par les géographes et les juristes). A
l'instar des politologues, qui glissaient de la politique interétatique à la
politique intra-étatique et s'intéressaient de plus en plus aux conditions et
aux   motivations   intérieures   des   comportements     internationaux,   les
géographes cessèrent d'envisager l'Etat comme un espace politiquement
homogène (bien qu'éventuellement hétérogène d'un point de vue culturel)
et commencèrent à analyser et à cartographier les composants du pouvoir
étatique ainsi que les complexes réseaux de forces idéologiques et
économiques     interférant   avec   les   frontières   des   Etats,   voire   les
transcendant. Ainsi, dans une certaine mesure, la géographie politique
américaine élabora-t-elle d'abord une nouvelle géographie régionale
consacrée aux relations et différenciations spatiales entre unités politiques
souveraines;    puis,   combinant    l'approche   régionale   avec     l'approche
systémique, elle redescendit la hiérarchie des phénomènes politiques de
son niveau suprême jusqu'à ses fondements premiers, élémentaires; elle
commença alors à analyser les aspects, éléments et traits géographiques
de l'Etat et de son territoire dotés d'une signification politique.

Pourtant, parce que cette approche de type morphologique tendait à
fournir une multitude de données plutôt qu'un corpus intégré de
connaissances, la géographie politique américaine recentre actuellement
son attention sur les sources de l'énergie politique, sur les éléments-clés
de l'activité politique, tant intellectuels que matériels. En d'autres termes,
elle devient beaucoup plus politique (sans nécessairement être moins
géographique); de même que la géographie en général devient de plus en
plus anthropocentrique, la géographie politique s'attache de plus en plus à
l'Homo politicus. Originellement, elle n'était politique que dans la mesure
où elle ajoutait et corrélait des éléments politiques à la géographie
physique; mais à l'heure actuelle, l'attention se porte sur les phénomènes
dont procède l'activité politique et à partir desquels elle se déploie : il
s'agit d'étudier cette activité sous l'angle de la géographie, en termes de
performance fonctionnelle et de mouvement spatial. Si le contenu, le but
de l'étude reste la géographie, le point de référence, l'objet de
l'investigation est emprunté au champ politique.

En toute logique, les géographes politiques américains n'abordent pas leur
domaine comme s'il se composait de deux séries de phénomènes
entièrement distincts -les politiques et les géographiques- susceptibles ou
non d'être mis en rapport les uns avec les autres. La géographie politique
(comme la géopolitique) étudie des phénomènes semblables à Janus, des
phénomènes à double face; l'une est politique, l'autre géographique, et
parce que la seconde ne peut être étudiée et comprise qu'à la lumière de
la première, la démarche correcte consiste à examiner les traits de la face
politique, et ensuite seulement à se tourner vers sa géographie.

Aussi la géographie politique américaine actuelle est-elle plus proche de la
géopolitique qu'elle ne l'a jamais été; en fait, elle s'est incorporée avec
talent bon nombre des acquis de cette dernière. L'accent mis sur le
mouvement, les processus et les dynamiques atteste combien les
géographes américains ont adapté à leurs besoins ce qui, trente ans
auparavant, avait fait le succès et la modernité de la géopolitique
allemande. Le concept de "point focal d'un processus", introduit par Platt,
évoque celui de "manomètre géopolitique", couramment utilisé par les
Allemands dans leur description des mouvements et des réseaux
fluctuants qui conditionnent le développement politique, économique,
démographique ou autre, comme dans leur étude des pressions s'exerçant
à l'intérieur de l'Etat ou sur la scène internationale. Le concept d' "idée
étatique" comme élément nodal de l'étude des Etats remonte à Ratzel et
constitue de nos jours le cœur de la théorie hartshornienne de l'approche
fonctionnelle en géographie politique. On a récemment suggéré que cette
théorie présente des idées similaires aux lois de croissance territoriale des
Etats selon Ratzel, dont elle diffère très peu.

Le plus notable effort de rapprochement entre géographie et politique est
dû à Stephen B. Jones. Il s'est reconnu "incapable de démêler l'écheveau
entre géographie politique et ce que l'on pourrait appeler politique
géographique" et a insisté sur le continuum de la géographie à la
politique; "mon propos est de les unir, non de les séparer". Sa théorie
d'un champ unifié de la géographie politique "enseigne aux spécialistes
des deux domaines, dans les termes les plus généraux, ce qu'ils doivent
apprendre l'un de l'autre, ce que chacun apporte, et non ce qui les
différencie." Son "enchaînement des idées" ("idée politique-décision-
mouvement-domaine d'application-espace politique") s'apparente à "une
chaîne de lacs et de bassins, non à une chaîne métallique aux maillons
distincts; ces bassins communiquent entre eux, de sorte que tout ce qui
en affecte un se diffusera dans les autres." Il devient donc possible de
suivre non seulement les impulsions des forces centripètes ou centrifuges
autour des solidarités fondamentales (celles qui procèdent de l' "idée
étatique"), mais encore les réactions en chaîne engendrées par toute idée
politique suivie d'une décision et d'un mouvement, d'où un "circuit"
affectant un espace. Bien mieux, cette démarche prend en compte le
courant qui va de la politique à la géographie, "essentiellement processus
de création ou de gestion », et son contraire, qui "relève davantage du
conditionnement externe." En conséquence, la théorie de Jones devrait
pouvoir être acceptée tant par les volontaristes extrémistes comme Emrys
Jones que par les "néo-déterministes" à la O.H.K. Spate ou les
"déterministes stop-and-go " (G. Taylor par exemple). Puisque Jones
conçoit la chaîne de l'idée à l'espace comme une voie à double sens et non
à sens unique, le débat sur l'ordre, la chronologie et le processus des
causalités reste ouvert à l'analyse et à la controverse dans chaque cas
particulier. La théorie du champ unifié présente un dernier avantage : elle
ne se contente pas de surmonter l'obstacle qui sépare généralement la
science politique de la science géographique, mais dépasse encore le
clivage moins ardu qui tend si souvent à diviser géographie physique et
géographie humaine, ou géopolitique environnementale et géopolitique
spatiale.

Avant de clore ce chapitre, il nous faut encore mentionner un autre
courant d'écrits géopolitiques -celui qui traite des problèmes frontaliers et
des zones de contact. Les deux seuls ouvrages importants parus sur ce
sujet aux Etats-Unis sont International Boundaries: A Study of Boundary
Functions and Problems, de S. Whittlemore Boggs (New York, Columbia
University Press, 1940), et Boundary-Making: A Handbook for Statesmen,
Treaty Editors and Boundary Commissioners , de Stephen B. Jones
(Washington, D.C., Carnegie Endowment for International Peace, 1945).
Tous deux traitent exclusivement des zones de contacts, non des
frontières au sens juridique du terme; ils sont indispensables aux
politologues qui s'intéressent à la question et recherchent des études de
cas    sur   les   rivalités   frontalières.   Les   spécialistes   des   relations
internationales liront avec profit les études plus récentes d'Eric Fischer, G.
Etzel Pearcy et Stephen B. Jones; l'auteur de ces lignes a lui-même
proposé une théorie critique de la nature des frontières et des zones de
contact.

Il faut plus généralement observer que l'étude des problèmes frontaliers,
jadis un des domaines majeurs de la science politique, est de nos jours
presque entièrement accaparé par les géographes politiques. Un tel
phénomène, comme d'autres "empiètements" similaires des géographes
sur des terres relevant auparavant de la politologie, eût été le bienvenu
s'il ne s'était accompagné d'un recul de cette dernière. Mais les
géographes n'y sont naturellement pour rien : il ne tient qu'aux
politologues de faire face et de faciliter ainsi des contacts approfondis et
une meilleure compréhension entre géographie et politologie.

GEOSTRATEGIE


La géostratégie implique la géographie de chaque État, et sa situation
historique et politique en regard de ses voisins examinées par le biais
d'études stratégiques.

Son étude relève de la géopolitique, bien que son point de vue se réduise
aux aspects militaires et leurs conséquences sur l'enjeu des ressources
naturelles, fréquemment objet de conflits d'intérêts.

   •   Le gouvernement d'un État et la définition de sa politique dépend de
       manière     permanente       de   la    considération   de   sa    situation
       géostratégique. C'est alors qu'est invoquée la raison d'État.
•   La       géographie    des   pays   voisins   et   ses   éléments   sont   pris
       obligatoirement en considération par les stratèges.
            o    Citation et livre de Yves Lacoste : La Géographie ça sert
                 d'abord à faire la guerre.
            o    Pour le stratège terrestre : la géographie influe sur le
                 déroulement potentiel des plans de guerre, par l'intermédiaire
                 des cours d'eau, du relief et la présence de cols pour passer
                 les barrières montagneuses; il faut veiller sur ses frontières.
            o    Pour l'amiral : la géographie permet de révéler les détroits
                 stratégiques, points névralgiques de contention des routes
                 navales; leur contrôle permet de réguler le trafic marchand
                 naval. Les îles sont également des prises de choix, pour y
                 construire un port fortifié, ou empêcher que la piraterie ne s'y
                 développe.

   •   Les aspects militaires entrent en considération au moment de définir
       les objectifs, tels qu'évaluer le potentiel militaire de la puissance
       adverse. Tant en quantité, par le contenu de ses arsenaux, qu'en
       qualité, en tentant d'obtenir la suprématie par la technologie
       militaire, ces informations obtenues notamment par les services
       secrets permettent de jauger, et décider du passage à l'action
       guerrière dans les salles d'opérations, ou à l'action diplomatique.

RELATIONS INTERNATIONALES

Les Relations internationales, comme science humaine, connaissent de
nombreux développements. Elles constituent la plus « jeune » des
disciplines universitaires actuelles. Les retards que la discipline a subis
dans    sa       reconnaissance     comme      discipline   autonome       sont   une
conséquence de la complexité des réalités internationales. En effet, les
Relations internationales se distinguent des autres sciences sociales pour
au moins trois raisons :
– Leur objet et leur champ d’exploration sont plus vastes que ceux de
toutes les autres;

– Elles mettent en jeu davantage d’intérêts, de valeurs et de stratégies de
la part des acteurs;

– Leur structure est polycentrique et polyarchique, et permet à ces
acteurs de maximiser ces intérêts et ces valeurs.

Ces trois caractéristiques, à des degrés divers, contribuent à complexifier
les   dynamiques     qui   affectent   ce   qui   fait   le   corps   des    relations
internationales.

Elles ont non seulement retardé l’émergence de l’autonomie de la
discipline, mais également ralenti sa théorisation. Ce n’est qu’au cours de
la seconde moitié d’un XXe siècle complexe et dynamique que les
chercheurs ont reconnu la nécessité d’explorer cette branche de la
discipline, avec l’ambition d’élucider sur une base scientifique les
phénomènes internationaux.

Cette démarche exigeait de leur part de surmonter toute approche
scolastique et moniste, comme de ne pas succomber à une surestimation
des approches quantitativistes ou des paradigmes et des phénomènes
singuliers.

Prétendre atteindre à une vérité valable « en général » exigeait aussi
d’écarter des paramètres tels que le caractère national des peuples, ou les
considérations au sujet de la nature humaine, de la psychologie ou des
passions.

De très nombreuses théories en Relations internationales ne répondent
d’ailleurs pas à ces exigences : qu’il s’agisse de l’école réaliste , des
développements à propos de la société internationale, de l’approche
systémique, de la théorie du « champ », de celle de « l’équilibre
international   »;   ou    bien   encore    des   analyses     des    «   interactions
internationales », des études sur la guerre et la paix, de celles centrées
sur les concepts de « rôle international », d’« intérêt national », des
travaux sur les intégrations régionales et les conflits, ou encore de la «
lutte des classes ». Au cours des années soixante, les chercheurs ont
élargi le champ de la théorie des relations internationales à tout un
ensemble de constructions intellectuelles englobant aussi bien une
systématisation       qu’une       codification   de    toutes    les   formes    de     liens
internationaux. Dix ans plus tard, la théorie était considérée comme une
structure de connaissances générant ses propres lois et théorèmes, et
reflétant sous l’angle intellectuel les réalités internationales. Les années
quatre-vingt-dix       enfin       ont   occasionné       un     élargissement      et     un
approfondissement de ces recherches théoriques. Elles ont d’une part
réinséré les ancrages qui étaient les leurs aux débuts des temps
modernes, et d’autre part conçu la « théorie » comme un paradigme
d’explication et un modèle d’analyse à part entière .

Parallèlement     à    cet     élargissement,      se     sont    succédé    des       efforts
scientifiques en faveur d’une définition précise des tâches et des rôles
devant être assignés à la théorie des relations internationales C’était déjà
vrai dans les années soixante-dix, mais les conceptions théoriques alors
en cours n’étaient pas encore en mesure de remplir toutes les fonctions
assignées à une véritable théorie générale (c’est-à-dire synoptique). C’est
pourquoi on peut considérer que la théorie des relations internationales
reflète, de façon à la fois concise et totale, l’ensemble de connaissances
produites par la discipline Relations internationales elle-même. Par suite,
c’est elle qui fournit les enseignements et les lois concernant le
développement         et     les    changements         qui    affectent    les    relations
internationales. Conçue de la sorte, la théorie des relations internationales
est en mesure de remplir trois fonctions fondamentales :

– Saisir, sélectionner et ordonner les données empiriques internationales ;

–   Elucider   les    lois   de     fonctionnement       propres    aux     processus      de
transformation qui affectent ces dernières ;
– Approfondir notre connaissance de la réalité internationale passée,
présente et à venir.

Ces trois fonctions sont étroitement liées les unes aux autres. Mais il ne
suffit pas d’y incorporer seulement « une description, une classification et
une explication globale » (à l’aide de la recherche de régularités, de règles
et de recettes à retenir). Il convient absolument de prendre aussi en
considération les « lois » fondamentales qui régissent les phénomènes
internationaux.

Si elle ne tient pas compte de ces « lois », la théorie ne parvient pas à
remplir les trois fonctions dont nous parlions à l’instant.

L’internationalisation

Pendant le dernier quart du XXe siècle, le terme a été employé surtout par
les praticiens et les observateurs de la vie internationale sous ses angles
économique, politique et sociologique. La notion a alors concerné les
divers aspects du développement économique mondial, la socialisation du
travail et la production à l’échelle mondiale, ainsi que les transformations
subies par les procédés d’information. Simultanément, les progrès de la
théorie des relations internationales confirmaient cet axiome en vertu
duquel le processus d’internationalisation en question devançait en fait de
longue date ceux propres à la diplomatie traditionnelle. La longue histoire
de l’humanité montre en effet qu’au sein de toute société organisée (la
famille, la tribu, la communauté ou l’Etat), a sans cesse prévalu ce
mouvement progressif de passage du stade interne (la tribu, la nation ou
l’Etat) à celui de l’arène internationale. Elle a aussi suggéré que cette
dynamique se manifestait finalement surtout dans les relations entre
plusieurs Etats ou nations.

En ce sens, la loi de l’internationalisation qui s’applique aux multiples
groupes   sociaux   se   situe   à   la   source   du   processus   objectif   de
développement des relations de la vie politique internationale. Elle se
manifeste sous la forme d’une interpénétration entre les éléments propres
à chacun de ces groupes, ainsi que par le biais d’une divulgation
réciproque (par assimilation et rapprochement) des valeurs, des normes
et des attitudes qui sont chères à ces groupes. La multiplication des
acteurs   pertinents     des    relations   internationales   (les   Etats,   les
organisations,    puis    les    institutions   internationales),    ainsi    que
l’intensification de leurs interactions attestent de l’existence de la loi de
l’internationalisation que nous évoquons. Il faut souligner que la régularité
du processus d’internationalisation a été d’abord mise en valeur par le
Droit international. C’est cette discipline qui a pour la première fois
privilégié le substantif « internationalisation » sur l’adjectif « international
».

Inauguré au moment de la mise en place de la Société des Nations, le
terme n’a été cependant que très sporadiquement admis au sein de la
discipline des Relations internationales, autorisant toutefois peu à peu une
meilleure appréhension des phénomènes régissant la vie internationale.
Cantonnée à son cadre juridique, la notion d’internationalisation s’est
focalisée sur les normes, les institutions et sur le domaine de la
conscience internationale. Ce type d’approche a d’ailleurs également
dominé au sein de la Science politique et dans la recherche en Relations
internationales jusqu’aux années soixante-dix. Cette « restriction » au
Droit a en tout cas favorisé « l’attrait pour l’étude des prérogatives
étatiques, au détriment des avancées théoriquesdans le domaine des
processus d’internationalisation proprement dits ».

L’essence de cette dynamique d’internationalisation, du moins pour ce qui
concerne les nations et les Etats, se dessine au vu de l’état actuel et passé
de leurs relations mutuelles. Ils ont organisé leur interdépendance et la
satisfaction de leurs besoins réciproques. L’internationalisation est donc en
contradiction avec la retenue et l’isolement, puisqu’elle consiste au
contraire en un élargissement et une ouverture de l’espace politique tout
en intensifiant les interactions entre les acteurs (Etats ou nations).
L’institutionnalisation

Avant la seconde moitié du XXe siècle, la discipline des relations
internationale     n’avait   pas    accordé     beaucoup      d’attention    à
l’institutionnalisation.

Dans la vie politique internationale, a en effet longtemps prévalu une
appréhension intuitive et pragmatique de cette notion, pour ce qui
concernait les relations bilatérales et multilatérales. Mais le sens du terme
(issu du latin institutio) s’est peu à peu élargi pour finalement concerner
les relations entre les nations et les Etats. La philosophie, le droit, la
sociologie et la théorie des organisations n’ont bien sûr pas eu la même
conception de l’institutionnalisation.

Par contraste, les Relations internationales et la Science politique ont
toutes deux adopté la même définition, à savoir, « un processus par lequel
se tissent des liens structurés entre les groupes sociaux ». La naissance,
les attributs, l’essence et les fonctions des institutions internationales sont
en tout point différents de ceux qui caractérisent les institutions internes
aux Etats. La source de ces dernières gît dans la genèse même de l’Etat.
La source des institutions internationales réside en revanche dans les
relations entre Etats. Elles tendent à établir entre eux des liens structurels
stables permettant leur communication, ainsi que l’examen collectif et la
solution concertée des problèmes d’intérêt commun.

Quatre courants

Quatre courants d’institutionnalisation peuvent être distingués dans le
champ des relations internationales.

- Le premier désigne les institutions, les normes et les procédures qui sont
celles de la diplomatie. Dès la Renaissance se sont étendus et diversifiés
les outils de cette dernière, et donc les débats consacrés aux relations
entre Etats.
- Le deuxième courant est né en 1815. Il s’attache au développement et à
la propagation des organisations internationales. Celles-ci ont manifesté
une tendance à s’affranchir des seules méthodes de la diplomatie
traditionnelle, et à favoriser la création de structures communes au niveau
international (les agences et bureaux...) destinées à préserver l’ordre
instauré et accepté par les Etats. Cette tendance est particulièrement
visible dans les propositions d’élargissement des compétences de l’ONU.

- Le troisième courant d’institutionnalisation concerne les secteurs de la
politique, de l’économie et de la culture dans la vie internationale. Le
domaine politique s’institutionnalise sous la pression d’enjeux tels que la
sécurité, la paix, les conflits et les alliances. L’économie le fait par
l’affermissement des règles régissant les échanges. Quant aux relations
culturelles, elles s’institutionnalisent pour stabiliser la protection des
produits artistiques, littéraires, intellectuels et scientifiques.

- Enfin, le dernier courant ne se propage que depuis les années 1950. Il se
manifeste sous la forme des communautés internationales. Il s’agit
surtout de la communauté des Etats, intégrés dans un ensemble de liens
économiques et juridiques.

On peut donc poser comme axiome que la structure institutionnelle des
relations   internationales   est    évolutive.   Cette    évolution   dépend     de
l’environnement     international,    dont   l’influence    peut     être   positive,
intégrante ou désintégrante. Ces institutions doivent en effet plus souvent
subir les impacts de leur environnement qu’elles ne sont en mesure
d’influer sur lui. Chaque changement dans l’ordre international entraîne un
affaiblissement de sa structure, tant sur le plan de ses interprétations que
sur le plan empirique, et sans que survienne nécessairement une
modification des normes écrites en vigueur.
Géopolitique

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Géopolitique

  • 1. GEOPOLITIQUE Nature humaine et environnement naturel Notre époque se caractérise par un détachement croissant de l'homme vis-à-vis de son environnement naturel. Nos lieux de résidence et de travail, nos moyens de transport ont le chauffage central et l'air conditionné. Nos pieds (ou plutôt nos chaussures) ne foulent que rarement la terre-mère, et dès que la température extérieure ne nous convient plus, nous ne nous contentons pas de couvrir 90% de notre corps de vêtements chauds : nous réduisons notre contact avec les éléments aux quelques minutes nécessaires pour monter dans une voiture ou en descendre. Même l'agriculture ou la sylviculture, supposées contraindre l'homme à vivre au grand air, n'exigent que 40 à 60 heures d'extérieur par semaine. Certes, il existe encore des pays où une partie au moins de la population, bergers et chasseurs, passe chaque année quelques mois à la belle étoile, mais ce mode de vie disparaît rapidement jusque dans les contrées les plus archaïques du monde contemporain. Il fut pourtant un temps où l'homme était à la merci de la nature; où la nature commandait son travail et ses loisirs, la qualité et la quantité de son alimentation, le cadre et la durée de son existence. Tels des tyrans tout-puissants, les éléments excitaient sa terreur ou suscitaient son espoir. L'homme n'avait ni les moyens, ni la témérité de les affronter : rempli d'une crainte respectueuse à leur égard, il se contentait de leur payer un constant tribut de reconnaissance ou d'expiation. Il fut un temps où la nature imprimait dans l'esprit humain, du berceau à la tombe, une profusion d'images d'une intensité inégalable, fût-ce par les endoctrinements totalitaires les plus contraignants. Il fut un temps où l'homme était gouverné par la nature.
  • 2. L'homme moderne n'a pas échappé à l'étreinte de la nature, loin s'en faut, mais elle ne l'effraye plus; il la façonne, nourrit l'espoir de la modifier, voire de la conquérir. En de rares occasions seulement, un tremblement de terre, un typhon ou une tornade peuvent réveiller sa terreur et graver dans sa mémoire une image indélébile, susceptible d'influencer sa conduite future. Mais contrairement à l'homme primitif, entièrement cerné par la nature, l'homme moderne est pris dans un environnement social. L'impact immédiat des lois de la nature est remplacé par celui des lois et des forces sociales -d'où la tendance à considérer l'environnement historique et social comme facteur déterminant par excellence. L'homme devient moins "naturel", plus humain et plus social; il est, en un mot, gouverné par l'homme. Le moderne reste néanmoins conscient des limites que la nature impose à ses potentialités. Une installation de chauffage ne peut pas plus transformer le climat de l'Arctique qu'un système d'air conditionné ne peut changer celui de l'Afrique équatoriale. Le drainage, l'irrigation ou les engrais ne peuvent non plus transformer n'importe quelle contrée en zone agricole. Malgré les nouvelles inventions, la "conquête" de la Terre par l'homme -sa maîtrise de la nature- n'est pas infinie : la nature impose toujours une limite que l'homme ne peut transgresser. C'est cette permanence des liens environnementaux qui a conduit les géopoliticiens allemands à évoquer l'Erdgebundenheit ("dépendance à la terre") de l'homme et de la politique. Nous pouvons être fiers du degré d'émancipation à l'égard des contraintes naturelles auquel nous sommes parvenus, mais il nous faut bien admettre que l'homme moderne demeure limité par la nature. Que l'environnement influence d'une façon ou d'une autre l'existence humaine fut admis dès l'Antiquité et doit l'être encore de nos jours. Mais la différence entre les premiers écrits géopolitiques et ceux d'aujourd'hui s'enracine dans la distinction entre l'homme gouverné par la nature et l'homme limité par la nature. On peut certes objecter que cette rupture
  • 3. porte sur la nature humaine elle-même plus que sur la place faite au conditionnement géographique. Jusqu'au XVIIIe siècle en effet, tous les penseurs (sauf peut-être Machiavel) ont considéré la nature humaine comme une essence immuable, déterminée par Dieu, le climat ou la race, alors que les penseurs modernes ont développé la théorie d'une nature humaine souple et évolutive. Pour réelle qu'elle soit, cette distinction ne suffit cependant pas à différencier entièrement l'ancienne pensée géopolitique de la contemporaine, car la nature humaine souple et évolutive des modernes n'est pas nécessairement incompatible avec le déterminisme : elle s'est vue successivement proposer l'histoire, les structures de production, la libido etc. pour facteurs déterminants. Mais les écoles de pensée modernes, lors même qu'elles acceptent le déterminisme, rejettent sa version première selon laquelle les conditions géographiques peuvent être déterminantes. A leurs yeux, l'environnement géographique se borne à limiter les possibilités économiques d'un pays et détermine tout au plus sa situation stratégique, non la nature humaine en soi. Les géographes et géopoliticiens allemands du XXe siècle inclinaient souvent au déterminisme géographique (Franz Heiderich, "Geographie", in Hermann Sacher, éd, Staatslexikon, Freiburg im Breisgau, Herder & Co, 1927). En Amérique, Ellsworth Huntington a beaucoup insisté sur la façon dont l'environnement physique imprime sa marque à la culture et aux individus. Les auteurs géopolitiques pré-modernes Parmi les analystes pré-modernes de l'impact de l'environnement naturel sur l'homme, Aristote et Jean Bodin méritent une mention spéciale. Les conclusions de leurs enquêtes, même si on les retrouve chez d'autres auteurs, ont ouvert de nouvelles voies d'investigations et suscité des recherches approfondies.
  • 4. Aristote Vingt-trois siècles avant l'invention du mot "géopolitique", Aristote s'est penché sur un grand nombre de questions que nous qualifierions de géopolitiques. Il envisageait l'environnement naturel au double point de vue de son impact sur la personnalité humaine et de ses implications quant aux besoins économiques et militaires de l'Etat idéal. Les habitants de cet Etat devaient être valeureux, or "Trois facteurs rendent les hommes bons et vertueux : la nature, la tradition et la raison". Le lien entre la nature et la personnalité des citoyens "saute aux yeux de quiconque regarde les Etats les plus fameux de l'Hellade, et plus généralement la distribution des races du monde habité." Le climat et le tempérament national sont étroitement associés; l'hétérogénéité territoriale implique l'hétérogénéité humaine, entrave la réalisation de l'unité et de la concorde nationale. L'environnement géographique façonne la personnalité de l'homme en favorisant tel ou tel type d'activité; l'organisation économique ainsi définie incline les populations à un type particulier de régime politique, là où d'autres modes de vie commanderont des choix différents. Il existe un lien direct entre la vertu d'un peuple et ses activités, de sorte que ces activités peuvent être hiérarchisées d'après le degré de vertu qu'elles favorisent et le type de régime qu'elles rendent possible (Politique, livres IV, V, VII). Aristote prend également en compte les conditions géoéconomiques de viabilité de l'Etat, marquant sa préférence pour un territoire permettant l'autarcie. Il soulève des problèmes de géostratégie, soulignant la protection que l'isolement géographique offre à l'Etat contre les attaques militaires en bonne et due forme, mais aussi contre les influences indésirables; des idées révolutionnaires venues de l'étranger peuvent en effet saper la stabilité d'un régime par ailleurs apte à persévérer dans son être. Bodin
  • 5. Pour s'inspirer de la division tripartite d'Aristote, les théories climatiques de Bodin n'en sont pas moins originales. Leur importance tient à l'influence qu'elles ont exercée sur bon nombre d'auteurs, dont Milton, Montesquieu et Burke. Ces théories font l'objet du premier chapitre du Ve des Six livres de la république. Selon Bodin, il faut prendre en compte l'environnement naturel de chaque république "pour adapter la forme de la constitution à la nature des lieux et conformer les lois humaines aux lois naturelles." A chaque fois que les législateurs ont manqué cette adaptation et "ont voulu plier la nature à leurs édits", de graves maux en sont résultés et "maint grand Etat est allé à sa ruine." On peut donc s'étonner que "ceux qui ont écrit sur la république n'aient pas traité cette question" (édition de 1608, p.663). Bodin, qui adhère à la conception fixiste de la nature humaine, est désarçonné par la diversité des tempéraments nationaux. Aussi tente t-il d'expliquer cette absence d'uniformité par les influences environnementales. Il reproche à Plutarque de n'avoir pas compris pourquoi les différents peuples ont choisi des régimes dissemblables et souligne qu'un architecte essaie toujours d'adapter ses plans aux matériaux et au site dont il dispose. Les politiciens doivent suivre cet exemple et conformer la structure politique au tempérament humain tel que l'environnement le conditionne. Il faut pourtant remarquer que Bodin ne fait nullement de l'environnement géographique le seul facteur conditionnant la vie humaine, ni même le plus important. Il admet que certains traits dus au climat puissent évoluer sous l'effet d'autres influences. L'impact de l'environnement naturel constitue à ses yeux l'un des multiples paramètres que les politologues devraient analyser, bien qu'ils l'aient souvent perdu de vue. Mais malgré cette restriction, Bodin appartient encore à l'école géopolitique pré- moderne en ce qu'il professe que la nature ne se contente pas de limiter
  • 6. nos potentialités, mais détermine également notre volonté d'accomplir ou non tel ou tel dessein. Les écrits géopolitiques d'Aristote ou de Bodin sont représentatifs de leur temps par leur insistance fondamentale sur la réalité indépassable et contraignante de l'impact de l'environnement naturel sur l'homme et sur son existence politique. Ils abordent bien sûr des questions qui intéressent encore les géopoliticiens d'aujourd'hui, mais leur souci premier relève des sciences naturelles. En d'autres termes, ils essaient de définir les lois de la nature -non le jus naturale moral, mais le jus naturae physique- qui gouvernent l'existence humaine dans son cadre naturel. Leur géopolitique tend donc à se présenter comme une science objective du donné factuel, non des virtualités humaines. Dès lors que la volonté de l'homme est largement déterminée par les conditions extérieures, la géopolitique n'est pas seulement objective, elle est plus généralement amorale et apolitique. Les auteurs géopolitiques modernes Les écoles géopolitiques contemporaines ont globalement abandonné l'idée que l'environnement géographique puisse significativement déterminer la nature de l'homme moderne. Par conséquent, elles ont reporté leur attention sur les tendances induites par l'environnement : les géopoliticiens modernes ne cherchent plus sur la mappemonde ce que la nature nous oblige à faire, mais bien ce qu'elle nous suggère de faire, concurremment avec nos choix propres. Peut-être cette définition de la pensée géopolitique moderne paraîtra-t- elle discutable, dans la mesure où certains géopoliticiens prétendent toujours déduire de la carte du monde des principes intangibles de politique étrangère. Mais au vrai, ces auteurs ne s'en tiennent pas à la géopolitique stricto sensu : ils la mêlent, ou plus exactement la subordonnent à certaines théories de supériorité raciale, d'autarcie, d'expansion, de lutte pour ou contre un credo religieux ou politique
  • 7. -toutes prétendues nécessités qui seules peuvent réintroduire un caractère déterministe dans la géopolitique moderne. Une école géopolitique authentiquement déterministe doit par définition reconnaître le caractère contraignant de l'environnement naturel, en politique étrangère comme en politique intérieure. Aristote, et plus encore Bodin, s'attachaient plutôt à définir le type de régime politique possible dans un cadre géographique donné. La géopolitique contemporaine au contraire, rejetant la théorie d'une nature humaine façonnée par la nature (donc acceptant la théorie selon laquelle l'homme a réussi à émanciper sa pensée de l'emprise de la nature), a privilégié la géostratégie et les implications des données géoéconomiques en politique étrangère. Mais le fait même que si peu d'auteurs, fût-ce parmi les prétendus déterministes d'aujourd'hui, se soient intéressés à la corrélation entre les régimes politiques et leur environnement naturel, prouve d'une certaine manière qu'ils ne sont guère déterministes au sens strict du terme. Cela ne signifie bien sûr pas que la géopolitique doive se détourner des questions de politique intérieure. La tendance à l'assimiler à la géostratégie est tout à fait regrettable : la géopolitique devrait occuper tout le champ intermédiaire entre science politique et géographie politique, bien que peu d'études s'y soient encore employées. Il est fort difficile de proposer une définition générale de la géopolitique contemporaine. La géopolitique traite de situations conflictuelles; aussi les stratèges et expansionnistes de tout poil en ont-ils usé et abusé, depuis Mahan et Theodore Roosevelt jusqu'à Hitler et Tojo. Propagandistes et contre propagandistes ont accaparé son champ propre, espérant ainsi recouvrir d'un vernis scientifique leurs arguments fallacieux. Leur tâche est facilitée par l'inculture géographique, qui est la chose du monde la mieux partagée : peu de gens ont compris qu'une carte ne peut être qu'une représentation distordue d'une portion donnée d'univers, et beaucoup inclinent à admettre n'importe quelle carte comme un document scientifique fiable. Ce qui fait le crédit de la cartographie de propagande,
  • 8. c'est qu'elle "démontre" visuellement la thèse soutenue. "Il est difficile de réfuter verbalement le contenu d'une carte, parce qu'il faut d'abord vaincre la méfiance envers tout discours qui contredit l'évidence des sens". On a vu se développer une technique cartographique spéciale, combinant d'habiles distorsions spatiales avec des fonds de couleur et des flèches suggestives qui attirent l'attention sur certains points. Cette technique n'est pas nécessairement blâmable en elle-même : elle peut aider à faire ressortir des faits et des problèmes politiques importants, pourvu toutefois que le public ait un minimum de sens critique. Par leurs cartes tout à fait novatrices, les géopoliticiens allemands, en particulier, furent d'excellents pionniers de l'éducation géopolitique. On s'était jusque-là trop habitué à la projection de Mercator et aux cartes centrées sur la latitude Europe/Etats-Unis/Japon; les nouvelles méthodes sont opportunément venues rappeler que le monde apparaît très différent suivant le point autour duquel on ordonne la projection. Cela a contribué à faire comprendre pourquoi les hommes d'Etat des différentes nations peuvent avoir des approches tout à fait dissemblables des problèmes géopolitiques et géostratégiques du monde; tous les acteurs internationaux envisagent un même problème depuis leur perspective géographique spécifique et l'analysent d'après un planisphère centré sur leur propre espace. Durant la Seconde guerre mondiale, malheureusement, les propagandes nationales pervertirent à la fois les cartes géopolitiques et les légendes qui les accompagnaient. La géopolitique perdit donc son statut de science, ou du moins cessa d'être pratiquée et considérée comme telle, ce qui explique le discrédit du terme lui-même. Dans l'après-guerre, beaucoup de politologues sont devenus réticents envers la recherche géopolitique. Il n'est donc pas inutile d'établir les critères de vérité et de fausseté en la matière, afin de montrer où commence l'erreur et comment elle peut être déjouée.
  • 9. Géopoliticiens incompris et dévoiement de la géopolitique La théorie organiciste de l'Etat L'un des griefs les plus souvent faits à la géopolitique est son inextricable compromission avec ce que l'on nomme couramment "théorie organiciste de l'Etat", selon laquelle toutes les parties de l'Etat constituent un "corps" unique, doté d'une "vie" et d'une "croissance" propre. Cette "théorie organiciste" est une conception philosophique, ou plus exactement métaphysique de l'Etat. Contrairement à l'idée qu'"une organisation humaine" n'a pas à proprement parler d'âge, "puisque les hommes qui constituent une génération ne sont pas plus vieux que ceux des générations précédentes", la théorie organiciste estime que la "vie" d'un Etat ne se réduit pas à celle des individus dont il se compose. L'essence de l'Etat est spirituelle : c'est l'idée dans laquelle et par laquelle tous ses ressortissants sont spirituellement liés en une unité organique -une unité dans la multiplicité. Quiconque évoque la naissance d'un Etat, sa vie ou sa mort, traite de phénomènes spirituels indépendants de son apparition ou de sa disparition factuelle comme entité politique sur la scène internationale. Par contre, quand cette philosophie organiciste se double d'une assimilation de l'Etat territorial à un organisme géographico- biologique, géographie et géopolitique s'aventurent en eaux troubles. L'abîme philosophique séparant l'Amérique de l'Europe continentale -tout particulièrement de l'Allemagne et de la Russie-, la méfiance fondamentale des Américains à l'égard de toute pensée métaphysique ont engendré chez nous bon nombre de malentendus à propos des écrits politiques et géopolitiques européens. Une lecture approfondie des deux principaux fondateurs de la géopolitique contemporaine -Ratzel et Kjellén- révèle pourtant l'inconsistance de beaucoup des critiques qui leur furent adressées et continuent de l'être. Ni l'un ni l'autre ne prétendent immerger l'individu dans l'organisme étatique : Ratzel souligne qu'au sein
  • 10. d'un Etat, organisme "fort imparfait" , "les hommes conservent une indépendance dont ils ne sauraient se départir, fût-ce à l'état d'esclaves." Tout au plus peuvent-ils "aliéner leur libre-arbitre en telle circonstance ou le mettre au service de la communauté en telle autre." Les nations, les Etats "ne sont donc pas des organismes à proprement parler, mais des agrégats-organismes" dont l'unité résulte de "forces spirituelles et morales." L'Etat est "un organisme moral et spirituel. Le lien qui unit ses diverses parties physiquement disjointes est spirituel, et c'est justement ce qui limite la pertinence de toute comparaison biologique. Le principe directeur de l'organisme étatique relève du domaine de l'esprit, qui transcende par définition le champ purement biologique des autres organismes." Kjellén, que l'on présente toujours comme le grand méchant loup de la théorie organiciste, semble de prime abord traiter l'Etat comme un être vivant, doté d'une vie, d'une croissance, d'une vieillesse et d'une mort, ayant corps et âme, soumis aux lois de la vie. En fait, il est impossible de voir plus qu'une métaphore dans ce vocabulaire organiciste. Les individus, la nation sont pour Kjellén plus importants que l'Etat : la nation peut en effet survivre à la disparition de l'Etat, au lieu que l'Etat "perd tout espoir" de renaissance quand la nation s'éteint. Aussi "l'Etat est-il accidentel et la nation essentielle." Mais la nation elle-même -multitude unie en un seul être vivant- n'est pas le facteur le plus important dans la vie de l'Etat. Kjellén en arrive à cette conclusion "d'une inestimable portée tant au plan pratique qu'au plan théorique : la vie de l'Etat, en dernière instance, est entre les mains des individus." Kjellén eût-il réellement conçu l'Etat comme un organisme vivant qu'il n'aurait pu admettre l'indépendance de l'individu, et encore moins son pouvoir de vie et de mort sur l'Etat. L'Etat, dans ses travaux, n'a jamais d'existence vraiment indépendante. Il n'approche nullement, fût-ce de loin, le statut souverain du Weltgeist hégélien ou des "forces matérielles" marxistes. Et même si Kjellén déduit "la supériorité de la théorie
  • 11. organiciste" de la "finalité propre qu'elle donne à l'Etat" , cette finalité ne diffère guère de celle de n'importe quel Etat démocratique, à savoir "le bien de la nation" et "l'amélioration des inclinations -morales- du peuple". Qui plus est, Kjellén souligne qu'il faut poser des limites à la recherche du bien commun par l'Etat : son action en la matière devrait s'arrêter "là où commence la finalité propre à l'individu, définie par sa personnalité (Persönlichkeitzweck)". Par conséquent, même s'il insiste sur le fait que l'Etat est "différent de la somme de ses parties" et constitue une personnalité, "une vraie personnalité dotée d'une vie propre, non un conglomérat d'individus", Kjellén n'en fait pas une entité organique biologico-géographique. Il récuse l'approche de l'Etat comme "abstraction", mais sa théorie ne dépasse guère le cadre de l'analogie organiciste si populaire au Moyen- Age. Son souci premier était de combattre la conception légaliste alors prédominante, qui réduisait l'Etat à la somme des articles constitutionnels et autres lois fondamentales : "Kjellén substitua à la conception des Etats comme constructions légales celle des Etats comme Puissances." Kjellén voit dans le souci des considérations pratiques ("matérielles") en politique intérieure et extérieure un signe de maturité et de sain réalisme, mais il rejette toute téléologie étatique fondée sur le matérialisme et l'hédonisme, qui prendrait le parti de ce qui est contre ce qui doit être. Il plaide 1°) pour une conception moderne de l'Etat et une science politique affranchie des facultés de Droit; 2°) pour un "retour à la nature" rousseauiste, au rebours de toute conception abstraite et artificielle de la personnalité de l'Etat; à la nature de l'Etat telle que réalisée dans sa "personnalité géographique" et à la nature humaine révélée dans la "vigoureuse vie instinctive". Kjellén est assez représentatif de ces "conservateurs progressistes" mittel-européens d'avant 1914, dont les idées dépassaient la vision du monde d'un Bismarck ou même d'un Pobiedonostsev sans pour autant être radicalement différentes.
  • 12. Le but de la théorie quasi-organiciste de Kjellén est de montrer que l'Etat n'est pas un corpus desséché de lois, mais au contraire une communauté évolutive et vivante où territoire, individus et nation prise comme un tout sont en interaction. Les vicissitudes de son existence et des relations de ses éléments constitutifs peuvent être considérées comme les signes de sa bonne santé, de sa croissance, de son déclin, voire même de sa mort. Mais l'individu n'y est jamais sacrifié ni irrémédiablement absorbé par l'Etat ou la nation. Ses finalités individuelles sont respectées, et c'est en dernier ressort la volonté individuelle qui préside aux destinées de l'Etat. Géopolitique et déterminisme géographique Les raisonnements géopolitiques, ou plus précisément les politiques qui en découlent, peuvent dégénérer en déterminisme géographique. C'est là un risque incontestable, en son temps reconnu par Ratzel : "Le seul élément matériel de l'unité d'un Etat est son territoire. C'est pourquoi la tentation est forte d'organiser le système politique essentiellement en fonction du territoire, censé faire l'unité de populations toujours passées sous silence". La géopolitique a été inventée pour attirer l'attention des hommes d'Etat sur le facteur géographique, trop souvent négligé en politique. Mais qui veut subordonner tous les autres facteurs à la géographie au lieu d'intégrer le savoir géographique à l'édifice de la science politique tombe d'un extrême dans l'autre : dès lors, les choses se brouillent nécessairement. Surestimé, le poids de l'environnement géographique prend figure de force déterminante. Le géopoliticien Jacques Ancel estime que l'école géopolitique française a évité les pièges du déterminisme grâce à l'équilibre que Vidal de la Blache, son inspirateur, a su établir entre le donné géographique et la volonté de l'homme, sa capacité d'initiative. Otto Maul, confrère allemand d'Ancel à qui ce dernier reproche son prétendu déterminisme, partage en fait la conviction que les géopoliticiens doivent envisager l'homme comme un agent autonome. "Le lien à l'environnement dont parle la géopolitique
  • 13. n'est pas déterministe, pas même lorsqu'il concerne les facteurs géographiques les plus massifs et les plus importants, dont la pesanteur apparaît plus ou moins constante." Maull pense que l'époque contemporaine a fondamentalement altéré la relation traditionnelle de l'homme à son environnement. Après avoir maîtrisé l'espace, l'homme réussit maintenant à domestiquer une bonne partie des forces naturelles jusque-là hostiles; il a appris comment exploiter les possibilités offertes par l'environnement et comment déjouer ses défis. "Aussi le raisonnement géopolitique ne peut-il penser le monde sans penser l'homme. Dans sa forme spirituelle la plus haute, dans sa personnalité, que Kant décrit comme 'la liberté et l'indépendance à l'égard des mécanismes de la nature', l'homme n'est autre que l'élément actif et déterminant par excellence." En ce qui concerne Kjellén, et quelque regard que l'on porte sur sa conception politico-philosophique de l'Etat et de la nation, il faut bien admettre que sa géopolitique ne suppose aucun déterminisme géographique, ni aucune assimilation de l'espace géographique à un organisme. Bien au contraire, il apparaît que "l'immoralité politique" de Kjellén -son insistance sur les luttes de pouvoir et sa dépréciation du rôle de la morale et des lois- tient précisément à la place déterminante qu'il reconnaît aux hommes et à leurs passions. Les guerres, l'expansionnisme, les violations des lois internationales, il ne les attribue pas à quelque force fataliste et déterministe qui resterait extérieure à l'homme, mais à la volonté et à l'instinct de survie des individus, des nations et de leurs chefs. Une conception réaliste de l'Etat ne doit pas seulement prendre en compte la constitution morale, rationnelle et légale de l'Etat mais aussi les "tendances organiques" manifestées dans sa vie réelle, c'est-à-dire les pulsions instinctives des habitants, qu'elles soient morales ou immorales. La formule allemande "Not kennt kein Gebot" ou la maxime américaine "My country right or wrong" ne constituent pas des règles de conduite
  • 14. légales ou morales, mais nul ne saurait nier le rôle qu'elles jouèrent dans la vie nationale et internationale de ces Etats. Kjellén y insiste, la loi seule ne détermine pas la politique; mais il ne substitue pas un déterminisme géographique au déterminisme juridique. Les critiques qu'on lui a adressées ne sont pas sans fondement, mais elles partent généralement dans la mauvaise direction. Son erreur n'est pas d'avoir cru l'homme mû par son environnement ou par un Etat organiciste, mais au contraire d'avoir fait trop de place à sa liberté -notamment en qualifiant de "naturels" les instincts expansionnistes des individus et des nations; les disciples de Kjellén en ont conclu que cet instinct, en tant que naturel, devait aussi être bon. Le second reproche que l'on peut légitimement faire à Kjellén est d'avoir souscrit sans réserves au dogme de l'autarcie souhaitable et nécessaire. Le concept de Lebensraum est étroitement associé à ce dogme. De même, la définition d'une "frontière naturelle" dépend de la place reconnue à l'idéal autarcique. L'autarcie est de nos jours une irréalisable chimère qui n'a amené que des conflits entre les nations; elle présuppose l'impossibilité ou la nocivité de la coopération économique internationale et juge dangereuse l'interdépendance des différents pays. La théorie autarcique estime que les Etats peuvent et doivent être des "organismes" écopolitiques autosuffisants, exigence qu'elle justifie tantôt par des nécessités stratégiques, tantôt -comme chez Kjellén- par des considérations morales enracinées dans les vieilles valeurs agrariennes et l'économie naturelle. Plus généralement, deux remarques s'imposent à propos du déterminisme géographique. La première est que mainte discussion ou controverse à son sujet est faussée par l'imprécision de la problématique : qu'est-ce qui est censé être déterminé ? La volonté ou les actions de l'homme ? Les géopoliticiens que nous avons appelés "prémodernes", Aristote et Bodin, inclinent surtout (mais pas seulement) à souligner la détermination
  • 15. environnementale du caractère de l'homme, c'est-à-dire de sa volonté. Certains auteurs contemporains leur emboîtent le pas, s'appuyant sur des données psychologiques et physiologico-écologiques ; même tendance dans les théories géographico-historiques qui combinent ces données avec un déterminisme historique. A l'inverse, les auteurs qui privilégient les actions humaines comme champ d'action du déterminisme estiment que l'environnement n'affecte pas la volonté de l'homme mais se contente de supprimer -au moins dans certains cas- toute alternative quant à l'action à entreprendre. L'appréciation de cette doctrine dépend de la réponse apportée à un problème plus global : jusqu'où s'étend l'emprise de la nécessité, et jusqu'où est-elle décisive pour la vie humaine ? A quel degré l'homme est-il mû par son désir de persévérer dans son être individuel et collectif, et qu'est-ce que cette lutte pour la vie implique ? Autrement dit, à quel moment ne reste-t-il vraiment qu'une conduite possible, toutes les autres menant plus ou moins directement à une extinction plus ou moins rapide ? C'est précisément une conception différente des relations entre l'environnement et la survie de l'espèce qui a inspiré aux auteurs communistes quelques-unes de leurs plus violentes attaques contre la "géopolitique bourgeoise." Bien sûr, beaucoup de ces attaques relèvent de la littérature propagandiste; mais on y trouve aussi des critiques plus substantielles. Par exemple, les auteurs communistes s'acharnent contre les Malthusiens et voient dans Road to Survival, de William Vogt, un exemple classique de déterminisme géographique outrancier. Selon Vogt, certains pays, voire le monde entier, "ne peuvent littéralement pas nourrir plus d'hommes" -de sorte qu' "il n'y a pas d'échappatoire" : il nous faut soit réduire les naissances (Vogt considère la chute de la mortalité comme "la plus grande des tragédies"), soit accepter de voir la famine "tuer encore plus de millions d'hommes" . Les communistes y voient un non- sens, car à les en croire l'environnement n'oblige pas l'humanité (pas
  • 16. même en Chine) à adopter une politique de limitation des naissances; ils pensent l'avoir déjà suffisamment démontré. Cela nous amène à la seconde observation générale, à savoir que le problème du déterminisme géographique n'est qu'un aspect de la question suprême posée aux sciences physiques comme à la philosophie : celle du déterminisme et de l'indéterminisme, de l'esprit et de la matière. Plus d'un argument jeté dans la marmite bouillante du débat sur le déterminisme géographique serait sans nul doute reformulé si ses implications téléologiques ultimes étaient pleinement comprises. Malheureusement, la tendance à la fragmentation du savoir et à l'isolement des champs d'études particuliers, de pair avec le divorce entre la philosophie et les sciences non seulement physiques mais sociales, rend très difficile l'investigation raisonnée de certains problèmes généraux. P.E. James et C.F. Jones (éd.), American Geography : Inventory and Prospect , New York, Syracuse University Press, 1957, p.185. Cette conception de l'Etat comme communauté fondée sur une union spirituelle et transcendante n'est pas exclusivement allemande, ni spécifiquement hégélienne. Elle a de profondes racines en Russie, notamment dans les écrits de A.S. Khomiakov : la notion de Soborna Rossiia renvoie directement à la métaphysique organiciste. Que l'Etat, la Nation soient ou non un organisme n'est d'ailleurs qu'un problème secondaire; la vraie question est de savoir si les hommes doivent , d'après leur nature profonde, rechercher cette unité organique dans leur effort pour atteindre les objectifs qui dépassent leurs capacités individuelles. Question purement philosophique bien sûr, mais il faut garder à l'esprit que beaucoup de penseurs russes, allemands ou autres ne séparent pas physique et métaphysique. Ils envisagent le monde empirique comme l'expression matérielle du monde spirituel, ou comme un simple degré dans l'ascension vers un état supérieur de la conscience, où toute matière serait spiritualisée. Par conséquent, ils pensent que l'unité organique du
  • 17. monde transcendant se reflète dans le monde physique ou gît en son sein in statu nascendi. Politique et géopolitique Lorsque nous considérons notre environnement, c'est de notre point de vue spécifique : on ne saurait parler d'environnement en faisant abstraction du sujet environné. Hartshorne a fait remarquer que les prétendues "régions naturelles" de la géographie ne le sont pas par elles- mêmes, mais ne peuvent être considérées naturelles que par référence à l'homme et à sa perspective subjective. Il n'y aurait là nulle difficulté insurmontable si l'homme en tant qu'homme, c'est-à-dire en tant que distinct des autres espèces, avait une perception univoque et spécifiquement humaine de son environnement. Mais les hommes ont de leur identité ou de leur destin des interprétations scientifiques, philosophiques et téléologiques divergentes, en fonction desquelles ils n'appréhendent pas de la même façon leur environnement. La pluralité des représentations des environnés entraîne la pluralité des représentations de l'environnement. Tant que l'on s'en tient aux grands concepts de la géographie physique, tels que les zones climatiques ou végétales, les différences d'appréciation sont minimes, même si de telles zones sont définies du point de vue de l'observateur humain, avec ses modes de vie et ses besoins. Par contre, dès que l'on aborde les questions politiques, il devient plus difficile de s'accorder. Parler des régions naturelles et de leurs limites (ou "frontières") ne soulève guère de controverse. Tel n'est pas le cas des prétendues frontières naturelles des Etats, bien qu'elles ne soient ni plus ni moins naturelles que les régions dites naturelles. Les frontières étatiques s'enracinent trop profondément dans le terreau culturel propre à chaque peuple et dans ses valeurs politiques pour s'accommoder d'un consensus universel. Elles ne tirent pas leur légitimité d'un principe général commun à toute l'humanité; en ce sens, elles ne peuvent être dites naturelles,
  • 18. c'est-à-dire conformes à la nature humaine objectivée. Les frontières résultent de compromis, parce qu'elles relèvent fondamentalement du politique; ce dernier étant par essence le domaine de la controverse, ce qui est politique n'est pas naturel, ou plus précisément n'est pas accepté comme tel. L'une des plus grandes impasses de la géopolitique -impasse résultant parfois d'une manipulation délibérée- est la prétention de certains auteurs à résoudre les problèmes politiques ou moraux par référence au domaine extra-politique et amoral de la nature non-humaine.On ne peut substituer à la nature humaine la nature animale, botanique, géologique, topographique ou autre. La nature physique de l'homme elle-même ne saurait être confondue avec sa nature morale et spirituelle, et ce, même si l'on partage avec Aristote et l'ensemble des philosophies déistes la conviction que l'univers n'est pas un pur chaos, qu'un ordre et une harmonie ultimes président aux destinées de tous les éléments, matériels comme immatériels. A l'instar des politiciens qui se servent de critères anthropologiques physiques (par exemple la couleur de la peau) pour cautionner des décisions relevant en fait de la morale, les géopoliticiens n'ont que trop souvent convoqué les faits et les lois du monde physique à l'appui de choix ou d'opinions politiques. Rien n'illustre mieux le côté désespérément contradictoire des arguties auxquelles cette tendance peut conduire que le concept d' "Etat harmonique", apparenté à celui de "frontières naturelles" : "On a pris les plus grandes libertés vis-à-vis des exigences scientifiques pour évoquer le caractère 'harmonique' ou 'désharmonique' des Etats. De ce que la forme de la Hongrie amputée de ses anciennes dépendances territoriales peut sembler 'désharmonique' (ou non- organique), l'universitaire de cet Etat 'révisionniste' conclut nécessairement que ces zones périphériques doivent être réunies à la Hongrie. Mais cela suggère très logiquement que la Belgique doit recevoir des terres agricoles supplémentaires, prélevées sur la France ou sur
  • 19. l'Allemagne; que les Pays-Bas doivent être étendus à la Rhénanie, ou vice-versa, et ainsi de suite jusqu'à remanier la totalité de la carte du monde... Encore finirait-on par constater qu'au terme de ces chamboulements, il n'y aurait que bien peu d'Etats réellement 'harmoniques', voire pas du tout !" Quelques années après la rédaction de ces lignes, les Hongrois réussirent à concrétiser une partie de leur programme révisionniste et à obtenir ce qui leur semblait un Etat harmonique. Mais leurs voisins retournèrent l'argumentation géopolitique : les révisions de frontières qui définissaient un espace harmonique du point de vue de l'histoire, de l'économie et des aspirations politiques hongroises paraissaient au contraire désharmoniques dès lors qu'on les envisageait à travers le prisme d'une autre culture et d'autres idéaux. Les Roumains avançaient notamment un argument assez conforme aux doctrines de Kjellén : ce ne sont pas les facteurs de la géographie physique qui déterminent l'unité ou l'harmonie d'une aire politique, mais les affinités linguistiques et sentimentales. Une crête de montagnes, une ligne de partage des eaux ne sauraient rompre la continuité qui unit les paysans roumains des deux versants des Carpates. Là où la géopolitique hongroise s'appuyait sur la géographie physique et économique, la géopolitique roumaine privilégiait plutôt la géographie culturelle et anthropologique qu'elle interprétait naturellement au plus près de ses intérêts. Des Etats géopolitiquement harmoniques, des frontières naturelles ne se pourraient concevoir que si l'humanité entière s'accordait sur certains principes fondamentaux. Il faudrait au préalable un consensus politique, qui seul rendrait possible la définition d'ensembles naturellement harmoniques -ou plus exactement, qui les ferait universellement admettre pour tels. Une idée naturelle, une loi naturelle est l'indispensable préliminaire d'un ordre naturel; en son absence, il n'est rien de naturel dans l'ordre politique. N'est à proprement parler naturel que ce qui est commun à tous les hommes, ce qui jaillit de leur commune nature.
  • 20. On a parfois tenté, contre toute logique, de renverser ce processus et de prétendre que la nature, entendue comme ensemble de données physiques, favorise tel ou tel choix politique. En d'autres termes, l'environnement naturel précèderait et surdéterminerait la politique et la morale; la nature se substituant à l'humanité, la politique dépolitisée et la morale annihilée seraient entièrement réduites au jeu impersonnel des forces physiques. A l'instar de Lénine, qui, dans l'élaboration du "matérialisme scientifique", prétendait remplacer l'art du gouvernement et la politique par "l'administration des affaires courantes", certains géopoliticiens ont voulu traiter les questions géopolitiques par une sorte de géo-administration scientifique. Ils ont abordé le problème essentiellement politique des frontières de façon purement technique et empirique, comme s'il ne s'agissait que d'une question de cartographie. Ces tendances traduisent une régression au stade du matérialisme géographique, un retour à la géopolitique prémoderne qui conçoit l'homme comme un chapitre de l'histoire naturelle plutôt que comme l'auteur de sa propre histoire. Géographes et politologues D'une certaine façon, les critiques de la géopolitique eux-mêmes sont tombés dans le piège de la réduction du politique au naturel (entendu comme déterminisme de la géographie physique). Dans leur apparente volonté de rester sur un terrain strictement "scientifique" et "objectif" (donc en prétendant faire abstraction de tout jugement de valeur), ces critiques mal inspirés ont violemment pris à parti les travaux géopolitiques les plus divers, imputant à leur discours géographique le péché capital dont ils les chargeaient. Ils n'ont pas vu que ce péché capital procédait en fait de la Weltanschauung qui animait ces écrits, non de leur argumentation géographique. Haushofer, pour ne rien dire de Kjellén et de Ratzel, fut périodiquement accusé de déterminisme géographique implacable. Reproche assurément infondé, car pour erronés qu'aient pu être certains de ses raisonnements géographiques, la partie la plus
  • 21. contestable de ses travaux relève de ses postulats politiques et moraux, non de ses postulats géographiques. Edmund A. Walsh voyait plus juste lorsqu'il mettait en avant le substrat moral de la géopolitique haushoferienne. Selon lui, les travaux de Haushofer "contenaient environ 50% d'utiles vérités, voire davantage", ce qui ne retranchait rien au caractère inacceptable de ses thèses politiques et de ses conclusions. La nécessaire coexistence de concepts géographiques et de concepts politiques est un problème posé à la géopolitique comme à la géographie politique; il soulève la question connexe de l'éducation géographique des politologues et de l'éducation politique des géographes. Cette nécessaire pluridisciplinarité a longtemps manqué et manque encore, à n'en pas douter; témoin cet incident entre un géographe et un politologue, Isaiah Bowan et Nicholas John Spykman, qui ont tous deux exercé une influence considérable sur la géographie politique et la géopolitique américaine et européenne. Au début de 1942, Spykman publia son livre America's Strategy in World Politics : The United States and the Balance of Power . L'ouvrage, qui se présente comme "une étude géopolitique des thèmes principaux de la politique étrangère américaine" et vise à fournir "une analyse de la position de notre pays en termes de géographie et de politique de puissance" , valut à son auteur le titre mérité de "Haushofer américain" -non tant à cause du sujet traité qu'en raison de l'esprit qui l'animait. De fait, Spykman pulvérise tous les records de Haushofer en matière d'immoralité. Il plaide explicitement pour une politique affranchie de toute norme morale : "L'homme d'Etat, en politique étrangère, ne peut faire de place aux valeurs de justice, d'équité et de tolérance que dans la mesure où elles concourent à la réalisation de son objectif -la puissance, ou du moins ne le contrarient pas. Ces valeurs peuvent présenter quelque intérêt instrumental en tant que cautions morales de la volonté de puissance, mais doivent être abandonnées dès lors qu'elles deviennent cause de faiblesse. La volonté de puissance ne sert pas à faire respecter
  • 22. les valeurs morales, mais les valeurs morales à faciliter l'acquisition de la puissance." Ce passage a inspiré à Hans W. Weigert le commentaire suivant : "C'est la voix de la destruction et du nihilisme". "Bismarck prenait trop en compte les impondérables pour aller aussi loin", ajouta quant à lui Edward Mead Earle; "c'est largement parce que l'Allemagne impériale des années 1890-1918 a appliqué les thèses défendues par Spykman que le monde, à commencer par l'Allemagne, a basculé dans le cauchemar où nous sommes encore aujourd'hui." Mais dans un texte écrit immédiatement après la parution du livre (et manquant par là même du recul qu'auraient pu lui donner les comptes-rendus ultérieurs), Bowman semble être totalement passé à côté des implications ultimes de la politique de puissance prônée par Spykman. Portant le livre Spykman aux nues, il recommandait la lecture préalable d'autres ouvrages, notamment Problems of Power de Morton Fullerton, qui "aborde les mêmes thèmes que Spykman; ce dernier a repris le flambeau de Fullerton et lui a donné un incomparable éclat." Bowman ajoutait que "le livre de Spykman est d'intérêt public; puisse-t-il être lu dans un million de foyers américains, et relu une fois l'an par nos responsables politiques durant les deux décennies à venir." Il fallut une tempête de protestations contre le livre de Spykman et contre l'article enthousiaste de Bowman pour que ce dernier réalisât enfin la vraie signification des thèses de Spykman et leurs affinités spirituelles. Prétendant alors défendre l'honneur de la géographie américaine, mais surtout soucieux de se justifier, Bowman fit une complète volte-face et condamna sans appel la politique de puissance -sans même mentionner America's Strategy ni le compte-rendu qu'il en avait donné. Il ne ménagea pas sa peine pour réfuter cette philosophie politique qu'il avait précisément encensée quelques mois plus tôt à travers Fullerton et Spykman et fit également valoir, à bon droit dans l'ensemble, que son
  • 23. parcours personnel le rangeait indiscutablement du côté des partisans d'un ordre mondial équitable, non de la force brute. Le soutien provisoire apporté par Bowman à une politique totalement amorale n'était pas dû à sa vision du monde, mais à son incompréhension des enjeux de philosophie politique sous-jacents. A l'inverse Spykman, politologue éprouvé, était pleinement conscient de ce qu'il prônait. Sa "Géopolitique de puissance" était une réaction contre les déceptions que lui avait causées la Société Des Nations (dont il s'était fait l'avocat en son temps); elle reflétait son analyse de la nature humaine et de la nécessité absolue de son "dressage" politique. Mais s'il est indéniable que Spykman savait ce qu'il voulait et pourquoi, le bien-fondé ou non de ses positions ne nous importe guère. Ce qui compte ici, c'est que le "géo" de sa géopolitique de puissance porte à faux. Les géographes ont noté l'étonnante "immaturité cartographique" des travaux de Spykman71 et lui 72 attribuent, au moins partiellement, "l'exagération de ses propos". Bien plus, Spykman ne semble pas maîtriser pleinement certaines caractéristiques géographiques élémentaires des pays dont il traite. Dès lors, on ne s'étonnera pas de ce que les moyens préconisés dans America's Strategy semblent si mal adaptés à leur fin, à savoir la puissance. Dès la fin 1942, E. M. Earle faisait cette remarque quasi- prophétique : "Si nous devions suivre les recommandations de M. Spykman en Europe et en Extrême-Orient, nous ne nous débarrasserions vraisemblablement de l'alliance germano-nipponne que pour nous retrouver pris en tenailles par une coalition russo-chinoise plus dangereuse et plus puissante. La stratégie vantée par M. Spykman prétend assurer l'équilibre des puissances, mais il se pourrait bien qu'elle nous fasse perdre notre chemise en même et "d'emprunter massivement à la Geopolitik allemande et au machiavélisme de Mein Kampf" (La politique des Etats et leur géographie , Paris, Armand Colin, 1952, p. 62).
  • 24. La géopolitique américaine On peut grossièrement distinguer trois types de travaux qui ont contribué à fonder la géopolitique américaine et à en influencer le développement : les travaux stratégiques , les travaux géo-historiques et les travaux de géographie politique . Chacune de ces trois branches s'est développée sans chercher essentiellement ou consciemment à se constituer en géopolitique, mais s'est plutôt attaquée à certains problèmes extérieurs à l'orbite des sciences politiques. Les divers matériaux et idées géographiques qu'elles ont rassemblés n'ont jamais fait l'objet d'un inventaire systématique et d'une synthèse méthodologique -si tant est qu'elle soit possible-, de sorte qu'il est quelque peu abusif de parler d'une école géopolitique américaine. Des trois branches, celle des travaux stratégiques est la plus clairement politique, même s'il s'agit d'un type très particulier de politique, à savoir les affaires étrangères et tout spécialement ce qu'on a appelé la "politique de la puissance" (Power Politics). D'où l'association courante, voire l'assimilation de la géopolitique et de la géostratégie, qui évoque la guerre, ou pire, sa préparation et sa recherche délibérée. Les écrits stratégiques sont aussi ceux qui ont influencé le plus prématurément la géopolitique américaine, dont ils marquent peut-être le commencement; mais ils se caractérisent par un manque d'unité méthodologique sans équivalent dans toute la littérature géopolitique. Leur genèse s'enracine dans l'idéologie de la New Manifest Destiny -tout particulièrement dans l'œuvre de l'amiral Alfred Thayer Mahan. Homer Lea, le général William "Billy" Mitchell, Nicholas Spykman, George T. Renner et Alexander P. de Seversky peuvent être considérés comme les continuateurs de cette tradition, même si certains d'entre eux doivent peut-être plus à la Geopolitik qu'à Mahan. A l'instar de Mahan, tous plaident pour une politique et une stratégie qu'ils estiment indispensables compte tenu des
  • 25. données géographiques, du contexte international et de l'évolution des technologies militaires. Harold H. Sprout, autre disciple de Mahan et spécialiste de la puissance maritime, est le seul politologue américain à montrer un intérêt soutenu pour les questions géopolitiques; il traite lui aussi de l'impact des facteurs géographiques sur les capacités de puissance internationale des Etats. Mais à la différence de la plupart des géostratèges, son approche est analytique et de nature plus générale. Les disciples américains de Sir Halford J. Mackinder se situent quelque part entre les stratégistes et les géo-historiens. Une partie des travaux de Mackinder et de ses continuateurs traitent, comme ceux de Mahan, de Grand Strategy au sens impérial du terme. D'autres sont plus géo- historiques, bien que gardant pour toile de fond les grandes questions de politique internationale. Les travaux de Vihjalmur Stefansson relèvent aussi de ce type intermédiaire de géopolitique : ils sont en un sens impérialistes et s'intéressent à la Grand Strategy . Stefansson n'est pourtant pas un impérialiste de type mahanien, pas plus qu'il n'est à proprement parler un géo-historien soucieux d'élaborer une théorie globale du développement humain; il est avant tout un croisé du grand Nord. Mais aussi pertinents que puissent être ses arguments politiques, économiques et stratégiques en faveur d'un "impérialisme nordique", il semble difficile d'admettre qu'ils constituent ses vraies motivations. En définitive, son amour du "bel Arctique" -un amour de la nature à la Thoreau ou à la John Muir- est au principe de sa vocation d'explorateur, de géographe, d'historien et de géopoliticien. En règle générale, la différence entre l'approche stratégique et l'approche géo-historique de la géopolitique tient au fait que la première établit un lien plus direct entre les facteurs géographiques et la politique. Elle envisage et évalue le fait spatial, la répartition des matières premières et du peuplement, les routes stratégiques et les autres facteurs
  • 26. conditionnant la puissance des nations, leur potentiel militaire, etc. d'après des objectifs politiques préétablis. Par conséquent, le facteur "géo" y reste extérieur aux objectifs politiques proprement dits; traité comme une donnée distincte et bien identifiée, il fait l'objet d'un examen objectif visant à mettre en évidence les avantages ou les handicaps qu'il impose à la mise en œuvre d'une politique donnée. Il est beaucoup plus difficile d'isoler le facteur géographique dans l'approche géo-historique. Celle-ci insiste moins sur l'impact quotidien de l'environnement physico-géographique en politique que sur ses effets indirects à long terme. Comme une telle démarche implique la prise en compte de facteurs impondérables et immatériels, ce type de géopolitique dépend nécessairement de certains présupposés sur la nature humaine, d'interprétations personnelles et de théories de l'histoire et de la politique. L'essor de l'école géo-historique américaine remonte aux travaux d'un historien, Frederick Jackson Turner, et d'une géographe, Ellen Churchill Semple. Nullement oubliée aujourd'hui, cette disciple de Ratzel est pour les géographes américains une ancêtre encombrante, enterrée dans le caveau de famille sous une dalle de marbre gravée de lettres d'or, mais dont on évite de parler pour ne pas réveiller le souvenir d'anciens péchés. Peut-être certains craignent-ils de voir ressurgir quelque exemplaire poussiéreux de la thèse qu'ils écrivirent jadis sous son influence... A l'inverse, les idées de Turner continuent d'inspirer nombre de lectures ou relectures géopolitiques de l'histoire américaine, voire extra-américaine. Elles combinent géopolitique spatiale et géopolitique environnementale. J. C. Malin a ainsi appliqué la problématique turnérienne espaces ouverts/espaces fermés aux questions politiques internationales de l'ère aérienne. Le plus connu sans doute des représentants de l'école géo-historique américaine est Ellsworth Huntington, dont l'influence court sur près d'un demi-siècle. Mais bien que ses travaux restent très prisés de certains
  • 27. auteurs, ils sont aussi sûrement menacés par l'oubli que ceux d'Ellen Semple. A tort ou a raison, ils évoquent trop Henry T. Buckle, L. Metchnikoff, voire Montesquieu pour rester crédibles de nos jours. De plus, la plupart des hypothèses de Huntington vont à contre-courant des valeurs et des philosophies aujourd'hui partagées par l'Ouest comme par l'Est; elles offrent enfin des perspectives si cavalières et si larges qu'il est extrêmement difficile de les passer au crible d'une enquête scientifique systématique pour établir leur validité ou leur imposture. A cet égard, les travaux de Huntington sont très similaires à ceux d'Arnold J. Toynbee. Assez comparable est la démarche -mais non les conclusions- de Karl A. Wittfogel. Alors que Huntington est surtout un géo-historien traitant de la relation entre l'environnement -en particulier le climat- et l'écologie/biologie humaine à travers les grandes phases de l'histoire, Wittfogel est plutôt un économiste-politologue recourant à la géographie et à l'histoire pour expliquer la naissance et la diffusion de certains systèmes politico-administratifs. Il s'inspire essentiellement de Hegel et de Marx, dont il réinterprète les idées à la lumière de ses vastes connaissances; mais comme ses problématiques sont aussi ambitieuses que celles de Huntington et de Toynbee, ses conclusions, aussi argumentées soient-elles, ne font pas toujours l'unanimité. Il faut mentionner en dernier lieu Owen Lattimore, le plus important peut- être des géo-historiens américains contemporains. En dépit de sa vaste érudition, il ne se pique pas de perspectives grandioses, mais se limite à une aire géographique plus modeste -essentiellement la Mongolie et ses marges. Son œuvre ne se borne pourtant pas à de brillantes interprétations de l'histoire de la frontière Nord de la Chine : elle fournit aussi des schémas applicables à d'autres temps et à d'autres lieux. L'historien comme le politologue ont beaucoup à apprendre de Lattimore. L'étude de la statique ou de la dynamique des frontières culturelles/politiques d'après les conditions environnementales et économiques existantes pourrait être élargie à beaucoup de contrées. Elle
  • 28. convient particulièrement aux zones sous-développées et politiquement inorganisées (par exemple l'Afrique noire), où les vieilles solidarités historiques font défaut ou sont menacées de disparition sous l'effet de nouvelles forces centripètes, nées de l'essor rapide de pôles économiques régionaux qui bénéficient de ressources naturelles très recherchées. La pensée géopolitique américaine se développe enfin dans une troisième direction, produit marginal de la géographie politique américaine, qui, à la différence de l'anthropogéographie américaine, remonte à la participation des Etats-Unis à la Première guerre mondiale et aux conférences de paix qui l'ont suivie. Lors de ces conférences, des géographes ont joué le rôle de conseillers officiels du Gouvernement : cette promotion leur a permis de beaucoup mieux saisir le rapport entre leur discipline et la politique générale. Ils ont notamment compris que le savoir géographique peut et doit s'impliquer dans l'art politique et dans la formation des décideurs. Comme cette première entrée en politique des géographes américains concernait les relations internationales, la géographie politique américaine fut d'abord un pendant et une annexe de la politique interétatique, ou si l'on veut une "géographie interétatique". Là où la géographie physique faisait l'étude comparée de ce qu'il est convenu d'appeler les régions naturelles, la géographie politique se spécialisa dans l'étude comparée des régions politiques définies par l'espace de souveraineté des Etats. Mais assez rapidement, les préoccupations des géographes cessèrent de se focaliser sur les problèmes externes de la politique interétatique, lesquels relevaient plutôt du droit international (en l'occurrence les conflits de frontières, étudiés conjointement par les géographes et les juristes). A l'instar des politologues, qui glissaient de la politique interétatique à la politique intra-étatique et s'intéressaient de plus en plus aux conditions et aux motivations intérieures des comportements internationaux, les géographes cessèrent d'envisager l'Etat comme un espace politiquement homogène (bien qu'éventuellement hétérogène d'un point de vue culturel) et commencèrent à analyser et à cartographier les composants du pouvoir
  • 29. étatique ainsi que les complexes réseaux de forces idéologiques et économiques interférant avec les frontières des Etats, voire les transcendant. Ainsi, dans une certaine mesure, la géographie politique américaine élabora-t-elle d'abord une nouvelle géographie régionale consacrée aux relations et différenciations spatiales entre unités politiques souveraines; puis, combinant l'approche régionale avec l'approche systémique, elle redescendit la hiérarchie des phénomènes politiques de son niveau suprême jusqu'à ses fondements premiers, élémentaires; elle commença alors à analyser les aspects, éléments et traits géographiques de l'Etat et de son territoire dotés d'une signification politique. Pourtant, parce que cette approche de type morphologique tendait à fournir une multitude de données plutôt qu'un corpus intégré de connaissances, la géographie politique américaine recentre actuellement son attention sur les sources de l'énergie politique, sur les éléments-clés de l'activité politique, tant intellectuels que matériels. En d'autres termes, elle devient beaucoup plus politique (sans nécessairement être moins géographique); de même que la géographie en général devient de plus en plus anthropocentrique, la géographie politique s'attache de plus en plus à l'Homo politicus. Originellement, elle n'était politique que dans la mesure où elle ajoutait et corrélait des éléments politiques à la géographie physique; mais à l'heure actuelle, l'attention se porte sur les phénomènes dont procède l'activité politique et à partir desquels elle se déploie : il s'agit d'étudier cette activité sous l'angle de la géographie, en termes de performance fonctionnelle et de mouvement spatial. Si le contenu, le but de l'étude reste la géographie, le point de référence, l'objet de l'investigation est emprunté au champ politique. En toute logique, les géographes politiques américains n'abordent pas leur domaine comme s'il se composait de deux séries de phénomènes entièrement distincts -les politiques et les géographiques- susceptibles ou non d'être mis en rapport les uns avec les autres. La géographie politique (comme la géopolitique) étudie des phénomènes semblables à Janus, des
  • 30. phénomènes à double face; l'une est politique, l'autre géographique, et parce que la seconde ne peut être étudiée et comprise qu'à la lumière de la première, la démarche correcte consiste à examiner les traits de la face politique, et ensuite seulement à se tourner vers sa géographie. Aussi la géographie politique américaine actuelle est-elle plus proche de la géopolitique qu'elle ne l'a jamais été; en fait, elle s'est incorporée avec talent bon nombre des acquis de cette dernière. L'accent mis sur le mouvement, les processus et les dynamiques atteste combien les géographes américains ont adapté à leurs besoins ce qui, trente ans auparavant, avait fait le succès et la modernité de la géopolitique allemande. Le concept de "point focal d'un processus", introduit par Platt, évoque celui de "manomètre géopolitique", couramment utilisé par les Allemands dans leur description des mouvements et des réseaux fluctuants qui conditionnent le développement politique, économique, démographique ou autre, comme dans leur étude des pressions s'exerçant à l'intérieur de l'Etat ou sur la scène internationale. Le concept d' "idée étatique" comme élément nodal de l'étude des Etats remonte à Ratzel et constitue de nos jours le cœur de la théorie hartshornienne de l'approche fonctionnelle en géographie politique. On a récemment suggéré que cette théorie présente des idées similaires aux lois de croissance territoriale des Etats selon Ratzel, dont elle diffère très peu. Le plus notable effort de rapprochement entre géographie et politique est dû à Stephen B. Jones. Il s'est reconnu "incapable de démêler l'écheveau entre géographie politique et ce que l'on pourrait appeler politique géographique" et a insisté sur le continuum de la géographie à la politique; "mon propos est de les unir, non de les séparer". Sa théorie d'un champ unifié de la géographie politique "enseigne aux spécialistes des deux domaines, dans les termes les plus généraux, ce qu'ils doivent apprendre l'un de l'autre, ce que chacun apporte, et non ce qui les différencie." Son "enchaînement des idées" ("idée politique-décision- mouvement-domaine d'application-espace politique") s'apparente à "une
  • 31. chaîne de lacs et de bassins, non à une chaîne métallique aux maillons distincts; ces bassins communiquent entre eux, de sorte que tout ce qui en affecte un se diffusera dans les autres." Il devient donc possible de suivre non seulement les impulsions des forces centripètes ou centrifuges autour des solidarités fondamentales (celles qui procèdent de l' "idée étatique"), mais encore les réactions en chaîne engendrées par toute idée politique suivie d'une décision et d'un mouvement, d'où un "circuit" affectant un espace. Bien mieux, cette démarche prend en compte le courant qui va de la politique à la géographie, "essentiellement processus de création ou de gestion », et son contraire, qui "relève davantage du conditionnement externe." En conséquence, la théorie de Jones devrait pouvoir être acceptée tant par les volontaristes extrémistes comme Emrys Jones que par les "néo-déterministes" à la O.H.K. Spate ou les "déterministes stop-and-go " (G. Taylor par exemple). Puisque Jones conçoit la chaîne de l'idée à l'espace comme une voie à double sens et non à sens unique, le débat sur l'ordre, la chronologie et le processus des causalités reste ouvert à l'analyse et à la controverse dans chaque cas particulier. La théorie du champ unifié présente un dernier avantage : elle ne se contente pas de surmonter l'obstacle qui sépare généralement la science politique de la science géographique, mais dépasse encore le clivage moins ardu qui tend si souvent à diviser géographie physique et géographie humaine, ou géopolitique environnementale et géopolitique spatiale. Avant de clore ce chapitre, il nous faut encore mentionner un autre courant d'écrits géopolitiques -celui qui traite des problèmes frontaliers et des zones de contact. Les deux seuls ouvrages importants parus sur ce sujet aux Etats-Unis sont International Boundaries: A Study of Boundary Functions and Problems, de S. Whittlemore Boggs (New York, Columbia University Press, 1940), et Boundary-Making: A Handbook for Statesmen, Treaty Editors and Boundary Commissioners , de Stephen B. Jones (Washington, D.C., Carnegie Endowment for International Peace, 1945).
  • 32. Tous deux traitent exclusivement des zones de contacts, non des frontières au sens juridique du terme; ils sont indispensables aux politologues qui s'intéressent à la question et recherchent des études de cas sur les rivalités frontalières. Les spécialistes des relations internationales liront avec profit les études plus récentes d'Eric Fischer, G. Etzel Pearcy et Stephen B. Jones; l'auteur de ces lignes a lui-même proposé une théorie critique de la nature des frontières et des zones de contact. Il faut plus généralement observer que l'étude des problèmes frontaliers, jadis un des domaines majeurs de la science politique, est de nos jours presque entièrement accaparé par les géographes politiques. Un tel phénomène, comme d'autres "empiètements" similaires des géographes sur des terres relevant auparavant de la politologie, eût été le bienvenu s'il ne s'était accompagné d'un recul de cette dernière. Mais les géographes n'y sont naturellement pour rien : il ne tient qu'aux politologues de faire face et de faciliter ainsi des contacts approfondis et une meilleure compréhension entre géographie et politologie. GEOSTRATEGIE La géostratégie implique la géographie de chaque État, et sa situation historique et politique en regard de ses voisins examinées par le biais d'études stratégiques. Son étude relève de la géopolitique, bien que son point de vue se réduise aux aspects militaires et leurs conséquences sur l'enjeu des ressources naturelles, fréquemment objet de conflits d'intérêts. • Le gouvernement d'un État et la définition de sa politique dépend de manière permanente de la considération de sa situation géostratégique. C'est alors qu'est invoquée la raison d'État.
  • 33. La géographie des pays voisins et ses éléments sont pris obligatoirement en considération par les stratèges. o Citation et livre de Yves Lacoste : La Géographie ça sert d'abord à faire la guerre. o Pour le stratège terrestre : la géographie influe sur le déroulement potentiel des plans de guerre, par l'intermédiaire des cours d'eau, du relief et la présence de cols pour passer les barrières montagneuses; il faut veiller sur ses frontières. o Pour l'amiral : la géographie permet de révéler les détroits stratégiques, points névralgiques de contention des routes navales; leur contrôle permet de réguler le trafic marchand naval. Les îles sont également des prises de choix, pour y construire un port fortifié, ou empêcher que la piraterie ne s'y développe. • Les aspects militaires entrent en considération au moment de définir les objectifs, tels qu'évaluer le potentiel militaire de la puissance adverse. Tant en quantité, par le contenu de ses arsenaux, qu'en qualité, en tentant d'obtenir la suprématie par la technologie militaire, ces informations obtenues notamment par les services secrets permettent de jauger, et décider du passage à l'action guerrière dans les salles d'opérations, ou à l'action diplomatique. RELATIONS INTERNATIONALES Les Relations internationales, comme science humaine, connaissent de nombreux développements. Elles constituent la plus « jeune » des disciplines universitaires actuelles. Les retards que la discipline a subis dans sa reconnaissance comme discipline autonome sont une conséquence de la complexité des réalités internationales. En effet, les Relations internationales se distinguent des autres sciences sociales pour au moins trois raisons :
  • 34. – Leur objet et leur champ d’exploration sont plus vastes que ceux de toutes les autres; – Elles mettent en jeu davantage d’intérêts, de valeurs et de stratégies de la part des acteurs; – Leur structure est polycentrique et polyarchique, et permet à ces acteurs de maximiser ces intérêts et ces valeurs. Ces trois caractéristiques, à des degrés divers, contribuent à complexifier les dynamiques qui affectent ce qui fait le corps des relations internationales. Elles ont non seulement retardé l’émergence de l’autonomie de la discipline, mais également ralenti sa théorisation. Ce n’est qu’au cours de la seconde moitié d’un XXe siècle complexe et dynamique que les chercheurs ont reconnu la nécessité d’explorer cette branche de la discipline, avec l’ambition d’élucider sur une base scientifique les phénomènes internationaux. Cette démarche exigeait de leur part de surmonter toute approche scolastique et moniste, comme de ne pas succomber à une surestimation des approches quantitativistes ou des paradigmes et des phénomènes singuliers. Prétendre atteindre à une vérité valable « en général » exigeait aussi d’écarter des paramètres tels que le caractère national des peuples, ou les considérations au sujet de la nature humaine, de la psychologie ou des passions. De très nombreuses théories en Relations internationales ne répondent d’ailleurs pas à ces exigences : qu’il s’agisse de l’école réaliste , des développements à propos de la société internationale, de l’approche systémique, de la théorie du « champ », de celle de « l’équilibre international »; ou bien encore des analyses des « interactions internationales », des études sur la guerre et la paix, de celles centrées
  • 35. sur les concepts de « rôle international », d’« intérêt national », des travaux sur les intégrations régionales et les conflits, ou encore de la « lutte des classes ». Au cours des années soixante, les chercheurs ont élargi le champ de la théorie des relations internationales à tout un ensemble de constructions intellectuelles englobant aussi bien une systématisation qu’une codification de toutes les formes de liens internationaux. Dix ans plus tard, la théorie était considérée comme une structure de connaissances générant ses propres lois et théorèmes, et reflétant sous l’angle intellectuel les réalités internationales. Les années quatre-vingt-dix enfin ont occasionné un élargissement et un approfondissement de ces recherches théoriques. Elles ont d’une part réinséré les ancrages qui étaient les leurs aux débuts des temps modernes, et d’autre part conçu la « théorie » comme un paradigme d’explication et un modèle d’analyse à part entière . Parallèlement à cet élargissement, se sont succédé des efforts scientifiques en faveur d’une définition précise des tâches et des rôles devant être assignés à la théorie des relations internationales C’était déjà vrai dans les années soixante-dix, mais les conceptions théoriques alors en cours n’étaient pas encore en mesure de remplir toutes les fonctions assignées à une véritable théorie générale (c’est-à-dire synoptique). C’est pourquoi on peut considérer que la théorie des relations internationales reflète, de façon à la fois concise et totale, l’ensemble de connaissances produites par la discipline Relations internationales elle-même. Par suite, c’est elle qui fournit les enseignements et les lois concernant le développement et les changements qui affectent les relations internationales. Conçue de la sorte, la théorie des relations internationales est en mesure de remplir trois fonctions fondamentales : – Saisir, sélectionner et ordonner les données empiriques internationales ; – Elucider les lois de fonctionnement propres aux processus de transformation qui affectent ces dernières ;
  • 36. – Approfondir notre connaissance de la réalité internationale passée, présente et à venir. Ces trois fonctions sont étroitement liées les unes aux autres. Mais il ne suffit pas d’y incorporer seulement « une description, une classification et une explication globale » (à l’aide de la recherche de régularités, de règles et de recettes à retenir). Il convient absolument de prendre aussi en considération les « lois » fondamentales qui régissent les phénomènes internationaux. Si elle ne tient pas compte de ces « lois », la théorie ne parvient pas à remplir les trois fonctions dont nous parlions à l’instant. L’internationalisation Pendant le dernier quart du XXe siècle, le terme a été employé surtout par les praticiens et les observateurs de la vie internationale sous ses angles économique, politique et sociologique. La notion a alors concerné les divers aspects du développement économique mondial, la socialisation du travail et la production à l’échelle mondiale, ainsi que les transformations subies par les procédés d’information. Simultanément, les progrès de la théorie des relations internationales confirmaient cet axiome en vertu duquel le processus d’internationalisation en question devançait en fait de longue date ceux propres à la diplomatie traditionnelle. La longue histoire de l’humanité montre en effet qu’au sein de toute société organisée (la famille, la tribu, la communauté ou l’Etat), a sans cesse prévalu ce mouvement progressif de passage du stade interne (la tribu, la nation ou l’Etat) à celui de l’arène internationale. Elle a aussi suggéré que cette dynamique se manifestait finalement surtout dans les relations entre plusieurs Etats ou nations. En ce sens, la loi de l’internationalisation qui s’applique aux multiples groupes sociaux se situe à la source du processus objectif de développement des relations de la vie politique internationale. Elle se manifeste sous la forme d’une interpénétration entre les éléments propres
  • 37. à chacun de ces groupes, ainsi que par le biais d’une divulgation réciproque (par assimilation et rapprochement) des valeurs, des normes et des attitudes qui sont chères à ces groupes. La multiplication des acteurs pertinents des relations internationales (les Etats, les organisations, puis les institutions internationales), ainsi que l’intensification de leurs interactions attestent de l’existence de la loi de l’internationalisation que nous évoquons. Il faut souligner que la régularité du processus d’internationalisation a été d’abord mise en valeur par le Droit international. C’est cette discipline qui a pour la première fois privilégié le substantif « internationalisation » sur l’adjectif « international ». Inauguré au moment de la mise en place de la Société des Nations, le terme n’a été cependant que très sporadiquement admis au sein de la discipline des Relations internationales, autorisant toutefois peu à peu une meilleure appréhension des phénomènes régissant la vie internationale. Cantonnée à son cadre juridique, la notion d’internationalisation s’est focalisée sur les normes, les institutions et sur le domaine de la conscience internationale. Ce type d’approche a d’ailleurs également dominé au sein de la Science politique et dans la recherche en Relations internationales jusqu’aux années soixante-dix. Cette « restriction » au Droit a en tout cas favorisé « l’attrait pour l’étude des prérogatives étatiques, au détriment des avancées théoriquesdans le domaine des processus d’internationalisation proprement dits ». L’essence de cette dynamique d’internationalisation, du moins pour ce qui concerne les nations et les Etats, se dessine au vu de l’état actuel et passé de leurs relations mutuelles. Ils ont organisé leur interdépendance et la satisfaction de leurs besoins réciproques. L’internationalisation est donc en contradiction avec la retenue et l’isolement, puisqu’elle consiste au contraire en un élargissement et une ouverture de l’espace politique tout en intensifiant les interactions entre les acteurs (Etats ou nations).
  • 38. L’institutionnalisation Avant la seconde moitié du XXe siècle, la discipline des relations internationale n’avait pas accordé beaucoup d’attention à l’institutionnalisation. Dans la vie politique internationale, a en effet longtemps prévalu une appréhension intuitive et pragmatique de cette notion, pour ce qui concernait les relations bilatérales et multilatérales. Mais le sens du terme (issu du latin institutio) s’est peu à peu élargi pour finalement concerner les relations entre les nations et les Etats. La philosophie, le droit, la sociologie et la théorie des organisations n’ont bien sûr pas eu la même conception de l’institutionnalisation. Par contraste, les Relations internationales et la Science politique ont toutes deux adopté la même définition, à savoir, « un processus par lequel se tissent des liens structurés entre les groupes sociaux ». La naissance, les attributs, l’essence et les fonctions des institutions internationales sont en tout point différents de ceux qui caractérisent les institutions internes aux Etats. La source de ces dernières gît dans la genèse même de l’Etat. La source des institutions internationales réside en revanche dans les relations entre Etats. Elles tendent à établir entre eux des liens structurels stables permettant leur communication, ainsi que l’examen collectif et la solution concertée des problèmes d’intérêt commun. Quatre courants Quatre courants d’institutionnalisation peuvent être distingués dans le champ des relations internationales. - Le premier désigne les institutions, les normes et les procédures qui sont celles de la diplomatie. Dès la Renaissance se sont étendus et diversifiés les outils de cette dernière, et donc les débats consacrés aux relations entre Etats.
  • 39. - Le deuxième courant est né en 1815. Il s’attache au développement et à la propagation des organisations internationales. Celles-ci ont manifesté une tendance à s’affranchir des seules méthodes de la diplomatie traditionnelle, et à favoriser la création de structures communes au niveau international (les agences et bureaux...) destinées à préserver l’ordre instauré et accepté par les Etats. Cette tendance est particulièrement visible dans les propositions d’élargissement des compétences de l’ONU. - Le troisième courant d’institutionnalisation concerne les secteurs de la politique, de l’économie et de la culture dans la vie internationale. Le domaine politique s’institutionnalise sous la pression d’enjeux tels que la sécurité, la paix, les conflits et les alliances. L’économie le fait par l’affermissement des règles régissant les échanges. Quant aux relations culturelles, elles s’institutionnalisent pour stabiliser la protection des produits artistiques, littéraires, intellectuels et scientifiques. - Enfin, le dernier courant ne se propage que depuis les années 1950. Il se manifeste sous la forme des communautés internationales. Il s’agit surtout de la communauté des Etats, intégrés dans un ensemble de liens économiques et juridiques. On peut donc poser comme axiome que la structure institutionnelle des relations internationales est évolutive. Cette évolution dépend de l’environnement international, dont l’influence peut être positive, intégrante ou désintégrante. Ces institutions doivent en effet plus souvent subir les impacts de leur environnement qu’elles ne sont en mesure d’influer sur lui. Chaque changement dans l’ordre international entraîne un affaiblissement de sa structure, tant sur le plan de ses interprétations que sur le plan empirique, et sans que survienne nécessairement une modification des normes écrites en vigueur.